Micheline Lanctôt raconte… le conte

Je découvre avec bonheur les chroniques « Il était une fois… le conte » que présente Micheline Lanctôt à l’émission La tête ailleurs, animée par Jacques Bertrand, les samedis à 16 h, à la première chaîne de Radio-Canada.

Micheline Lanctôt, comédienne, réalisatrice et scénariste bien connue, avoue d’emblée ne pas être une experte de la question.  Néanmoins, elle a été marraine de la Rencontre internationale sur le conte organisée par les Productions Littorale en octobre dernier, à Sherbrooke.  Lors de sa présentation d’ouverture, on avait été à même de constater sa fascination pour le genre – depuis sa tendre enfance, selon ses dires.  Ses chroniques sont de la même veine…  C’est dense, jouissif et touffu d’érudition.

Chronique du 9 janvier: « Les origines du conte »(et leur fonction).  Pour elle (et je suis assez d’accord), le conte a permis aux premiers hommes de « gérer » leur instinct animal.  Les contes seraient des « mèmes à forte inertie » qui nous ont permis de nous reprogrammer au moyen de la culture.

Chronique du 16 janvier: « Comprendre l’incompréhensible » (de la notion de sacré dans les contes) qui tentent d’expliquer l’univers, la naissance, la mort, etc.  Elle clôt avec le point de vue de la physique quantique sur la Création, rien de moins.

Et ça continue la semaine prochaine avec le conte gothique et ses précepts moraux.  Génial!

Soudain, ils entendirent conter…

Mon autre « re-coup de coeur » de lecture pendant le temps des fêtes, c’est Suddenly They Heard Footsteps – Storytelling for the Twenty-First Century de Dan Yashinsky (Vintage Canada, 2004). Il a été traduit par les éditions Planète Rebelle en 2007. Je le lisais pour la troisième fois, je crois.  Ici aussi, une lecture stimulante, mais définitivement réconfortante.

Dan Yashinsky est l’un des plus importants conteurs du Canada anglais. Fondateur du Toronto Festival of Storytelling, il conte depuis plus de trente ans.  C’est aussi un homme extrêmement simple et extraordinairement sympathique que j’ai eu la chance de rencontrer à quelques reprises.  Son intellect vif lors des échanges et son visible amour des gens sont contagieux.  Avec les conteurs anglophones des Township Tellers, il a été une de mes portes d’entrée vers le milieu du conte anglophone où la dynamique est plus axée sur le communautaire que sur le spectaculaire.

J’aime le livre de Dan parce que ça se lit comme une biographie.  C’est touchant et profondément humain, donc facile d’accès.  Mais, en même temps, c’est une biographie de conteur.  À travers tous les épisodes biographiques filtre de nombreuses leçons pour les conteurs novices qui veulent bien y porter attention:  Comment animer une soirée de contes?  Comment apprendre des conteurs d’expérience? Comment bien choisir les contes trouvés dans les livres? Quand et comment adapter un récit traditionnel?

Par ailleurs, c’est merveilleusement teinté de l’humour pince-sans-rire de l’auteur.  Ça donne des passages comme suit:

« Il y a deux savoir-faire extrêmement importants que les conteurs doivent maîtriser.  Le premier, c’est comment déplacer les meubles.  Le second, c’est comment apporter une tasse de thé à une vieille dame. »

J’ai peu entendu Dan Yashinsky conter, mais c’est certainement l’un des auteurs les plus généreux qu’il m’ait été donné de lire.  Qu’il parle avec émotion des derniers moments passés avec ses mentors en fin de vie ou d’avoir raconté à son fils qui reposait entre la vie et la mort dans une unité de soins néo-nataux, il partage sans pudeur l’amour, voire la nécessité, de l’art oral qui pour lui se tisse intimement avec la vie.

« Nos histoires et nos proverbes constituent un cadre à l’intérieur duquel les enfants comprennent quelle place ils occupent dans le monde.  À travers ses récits souvent répétés, une famille se rappelle son histoire, ses valeurs, son goût de l’autodérision, ses moments d’héroïsme et les victoires de sa survivance.  En grandissant, on entend tout le temps ces petites histoires et ces fragments de souvenir sans y prêter attention; plus tard, on les chérit. C’est grâce à eux que nous savons comment notre traversée de la vie a été perçue, rappelée et évaluée. […]  Nous sommes nés dans des maisons faites de briques et de bois.  Mais nous sommes nés aussi dans des maisons faites d’histoires, de souvenirs, de dictons et de citations.  Les histoires gardées vivantes dans les familles marquent la croisée des chemins du passé, du présent et de l’avenir. »

C’est pourquoi il encourage les conteurs à puiser dans ce fonds pour constituer leur répertoire.  Pour lui, tous savent « parler conte », une habileté culturelle acquise au fil des jeux de mots, comptines et calembours, mais il faut s’y reconnecter:

« À mesure que l’on construit son répertoire de contes, il est important de garder à l’esprit que l’on construit sur des fondations qui remontent à l’enfance.  Chaque histoire que l’on apprend ajoute une nouvelle qualité, une profondeur et une aisance à un second langage que l’on a commencé à maîtriser la première fois que l’on a joué à faire ‘coucou’. »

C’est ainsi que pour lui, les humains sont « storytropic », viscéralement interpelés par les contes…

« Les contes oraux veulent nous aider à nous souvenir que la vie sur notre verte planète est éclairée à la fois par la lumière du jour et par la lumière des contes.  C’est pourquoi même les plus sceptiques écoutent de bon coeur le conteur quand il commence.  Soumis au tropisme du conte, nous sommes attirés par le récit aussi naturellement que les tournesols s’ouvrent au soleil. »

En nous racontant sa première expérience de contage dans un camp d’été, alors qu’il a rencontré son premier « dragon », un enfant difficile qui ne cessait de l’interrompre, il nous rappelle un truisme fondamental de l’art du conte, mais que l’on oublie si souvent : « Celui qui écoute est le héros du conte. »

« …Chaque fois que je conte devant un public, j’essaie de me souvenir que le héros de mon histoire est peut-être assis là, juste en face de moi.  Il ou elle est celui ou celle de qui l’on dit qu’il apprend lentement, qu’il ou elle est bête, celui ou celle qui risque de devoir abandonner ses études.  Pour ceux ou celles-là, l’histoire est bien plus qu’une suite divertissante de mots.  Ils écoutent parce qu’ils veulent que l’histoire soit vraiment la leur, une histoire qui puisse même contenir leurs folles passions, leurs peurs, leurs inconduites insensées et leur chance de pouvoir changer. »

D’auditeur-héros en auditeur-héros, c’est le rêve de tous ces « fous d’orage » (storm fools) que sont les conteurs qu’enfin leurs histoires parviennent à « réparer le monde » [Je conserve cette dernière citation en anglais parce qu’elle m’apparaît plus puissante en version originale…]:

« People have a new desire to reconnect to their own voices, memories and stories.  We’ve come to realize that we can’t double-click on wisdom. You must spend time listening and what you must listen to are stories told by word of mouth. The human race has never found a better way to convey its cumulative wisdom, dreams and sense of community than through the art and activity of storytelling. […] …In an age where the story-fire is almost extinguished, when news replaces narrative, and broadcast voices replace the living tongue’s frequency; when screenglow replaces hearth-fire, and data replaces wisdom…  We must rediscover the very form of storytelling, and through that begin to find the stories that will mend the world. »

Moi, c’est le genre de citations qui me font du bien à l’âme.  Ça me confirme encore et encore mon choix de consacrer une partie de ma vie à cet art.

Est-ce que j’ai dit que c’était un livre essentiel? Mike Burns m’a déjà confié qu’avec Conter, un art? de Michel Hindenoch, ça lui apparaissait un des ouvrages les plus complets sur notre métier…

Qu’est-ce que vous attendez pour aller vous en chercher une copie?

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MÀJ (18/01/10): À bien y penser, c’est aussi un livre intéressant pour les non-conteurs.  Yashinsky y parle du désir de conter, comme un besoin, voire une urgence.  Utile pour les gens qui se demandent qu’est-ce qui pousse ces fous et ces folles à apprendre des histoires par coeur et à aller les raconter à leurs semblables…

Amis chantez, amis chantons, les aventures du baron…

Y’a des bouquins pour différentes saisons.  Le temps des fêtes m’aura permis des lectures de coin de feu:  stimulantes, mais tout de même chaleureuses et réconfortantes.

D’abord, Aventures du baron de Münchhausen – avec illustrations de Gustave Doré – dans la collection Folio Junior de Gallimard (chouette de trouver des livres pour soi quand on cherche pour un cadeau d’enfant!).  J’avais vu des films et des dessins animés, mais jamais lu les aventures du célébrissime baron dans le texte.

Première constatation, c’est un must pour quiconque s’intéresse aux tall tales (mais voir aussi la définition Wikipedia). Vous savez, ce genre de conte superlatif où les exploits du héros deviennent si exagérés qu’on frôle et parfois qu’on saute à pieds joints dans le fantastique, voire l’absurde, créant sciemment du légendaire. Disons que le baron n’a rien à envier aux Paul BunyanJos Monferrand (apparemment traduit par Big Joe Mufferaw en anglais!) et autres Capitaine Bonhomme de ce monde.

J’apprends d’abord que le monsieur a réellement existé (1720-1797). J’aime bien quand la fiction rejoint la vie réelle.  Allemand, il aurait été officier à la solde des russes. Il aimait bien raconter ses exploits et les exagérer un peu, mais il semble qu’il aurait été mécontent de tout ce que ses chroniqueurs y ont ajouté.

« [Il] n’a pas seulement voyagé assis sur un boulet de canon. Il a aussi chassé le lièvre à huit pattes, monté un cheval coupé en deux, dansé la gigue écossaise dans le ventre d’un poisson, dispersé la flotte du sultan de Constantinople, chevauché au fond des mers, vécu parmi les ours polaires, voyagé sur la lune. » (extrait du quatrième de couverture)

Au Québec, cette tradition où le narrateur parle à la première personne et décrit ce qui lui est arrivé avec hyperboles s’appelle de plus en plus « menteries » (comme dans « concours de… »).  Ce n’est pas un genre où je me sentirais personnellement à l’aise, mais le baron en maîtrise toutes les subtilités.  Par exemple, il s’offusque d’avance qu’on puisse mettre en doute la véracité de son récit.  Il va jusqu’à préciser qu’il pourrait raconter des sornettes, mais que cela ne se fait pas en bonne société.  Il admet que certaines parties de ces histoires sont difficiles à croire et, du coup, il ajoute une partie plus invraisemblable encore pour donner l’impression que les premières étaient somme toute « bien raisonnables ».

Les sceptiques seront… pas contents, mais c’est une très sympathique lecture où l’on ne se casse pas la tête et où l’on sourit beaucoup.  Les illustrations de Doré sont tout simplement suaves.

Flying Coach 0: De la mystérieuse Mme G.

Retour en arrière: Je m’aperçois que je ne vous ai toujours pas présenté ma coach, Mme G.

[Y’a pas de raison particulière à son anonymat autrement que le fait qu’il y a comme une tradition dans les blogues d’avoir des personnages qu’on ne nomme pas…  J’aime bien qu’il y ait un mystère autour d’elle.  Comme si elle était mon arme secrète.  En tant et lieu, quand le processus sera complété, je pourrai témoigner publiquement de tout ce qu’elle m’aura apporté.]

J’ai pas fait de recherches de midi à quatorze heure.  Je connaissais son conjoint pour avoir déjà travailler avec lui il y a des années.  Je savais qu’elle offrait ce genre d’accompagnement.  On s’est rencontré pour du travail « pratique » une fois avant les Fêtes (avant mon spectacle à Québec), puis une autre fois pour planifier le travail de cet hiver.  Ça a cliqué et on se l’est dit. Le fit est bon.

Je ne sais pas s’il y a un art pour se choisir un coach, quelqu’un qui ait un regard externe sur le travail artistique que l’on fait.  Pour moi, il fallait que la personne sache entendre là où je voulais aller, mais soit à l’aise d’être proactive et de m’offrir des pistes que je n’aurais pas pensé explorer.

Je voulais aussi qu’elle ne vienne pas du milieu du conte.  Mme G. est chorégraphe de formation.  Je ne sais pas trop pourquoi, mais je vois beaucoup d’affinités entre conte et danse, bien que l’un soit art de parole et l’autre art du corps…  C’est sûr que le conte passe par le corps du conteur.  …Et je suppose que le corps qui danse raconte pas mal d’affaires.

Mme G. a aussi été directrice artistique, performeuse, enseignante.  Si j’ai envie de jaser théorie, elle sera une bonne interlocutrice.  Comme on dit,
«  elle peut m’accoter n’importe quand »…

C’est pourtant dans le non-dit que j’ai envie de travailler avec elle.  Les silences, la respiration, la posture, le rapport indicible avec le public, le niveau d’énergie à maintenir.  Les couleurs que je veux donner à mes histoires, à ma façon de conter, que ce soit triste ou gai.  Mme G. parle de vibrations.  Comme dans « vibrer (soi-même) et faire vibrer » (le public).  Rien de très ésotérique au fond.  Ici aussi, je la sens plus que compétente.

Ce qui m’a mis vraiment en confiance cependant, c’est l’acuité de son sens de l’observation.  Même devant un art qu’elle ne connaît que très peu, elle a su capter rapidement (mieux que moi même) le sous-texte qui traverse le spectacle que j’ai envie de donner.  Alors que tous mes contes tournent autour de l’idée de la mort et du passage vers divers Au-delàs, elle y a vu une volonté de parler de la beauté des choses et du monde (bien terrestre) qui nous entoure…

Que ça sera Bon de travailler sur le Beau!

Flying Coach 1: trac

Début demain soir de mon travail coaché en préparation de mon premier spectacle solo « officiel ».  Une quinzaine de rencontres semi-hebdomadaires avec Mme G. jusqu’à la représentation début mai. Un programme ambitieux:  travail sur la constance, l’énergie, les tics, le regard, le rythme, etc.  J’ai hâte de commencer, bien sûr, mais je vis aussi pas mal d’anxiété.  Un peu de trac à me demander ce que je m’en vais faire dans cette galère…  C’est sûr que ce serait plus facile de passer mes prochains mardis et mercredis soirs à écouter la télé ou à me coucher de bonne heure pour être en forme le lendemain au bureau.

Un ami conteur me souhaitait de l’inspiration.  Si l’adage qui veut que l’art soit 10 % d’inspiration et 90 % de transpiration a du vrai, je pense que j’en suis à la seconde partie.  Le show est monté (les contes sont choisis, les liens partiellement bâtis – d’autres surgiront je suppose), le vrai travail commence.  Si j’ai un tant soit peu d’intégrité artistique, et compte tenu de toutes les personnes que j’ai critiquées (le plus souvent à leur demande – je m’excuse pour les autres), je me dois d’être aussi exigeant envers moi-même.  Le fait est que j’ai une tendance naturelle à être paresseux…

Je ne m’en vais pas à un programme d’entraînement pour un match de boxe ou une compétition olympique, pas plus que je ne m’en vais en thérapie. Reste que j’ai bien l’impression que je vais être mis en face de choses de moi que je n’aime pas particulièrement.  Des manières de faire, de me tenir et de dire qu’il ne sera pas toujours évident de détricoter.  C’est pour ça le coaching, pour le miroir.  Y’aura sûrement des moments où je vais me demander si le jeu en vaut la chandelle, si je ne me prends pas pour le conteur que je ne suis peut-être pas finalement.

Je vais tenter de tenir ici le journal de ce travail en route vers un spectacle.   Toujours dans l’optique de ce blogue: Pour moi d’abord, pour réfléchir à ce qui se passe; prendre du recul.  Mais avec vous…  Pour ce que ça peut susciter d’échanges et de réactions.  Un oeil dans les coulisses d’un show à venir, en somme. Possible que je ne vous réponde pas toujours parce que je serai dans le processus, mais je lirai tout.  Je m’en fais un devoir.

Souhaitez-moi donc de la persévérance.

Passage à l’A.C.T.E. (parler du conte)

Le 9 décembre dernier, référé par Productions Littorale, j’ai été reçu dans un atelier de conte offert à l’Association des accidentés Cérébro-vasculaires et Traumatisés crâniens de l’Estrie (A.C.T.E.).  L’objectif de leur animatrice, « reçevoir un conteur » qui leur « parle du conte ».  Durée: 1 h.  Première « conférence contée » pour moi ou du moins première expérience à témoigner de ma passion.

Bon, je leur dis quoi?  Par où commencer?  Et quoi raconter?  J’ai eu diverses idées, consulté ma fée-marraine qui m’a suggéré de « liquider les mythes » d’emblée (le conte n’est pas que pour les enfants, le conte n’est pas que de l’humour, etc.)  pour pouvoir ensuite parler de ce qui nous passionne.

J’ai fini par choisir d’aborder ce vaste domaine par les questions journalistiques classiques: Qui? Quand? Quoi? Où? Comment? Pour qui? Pourquoi? Je parlerais de l’art tel que je le connais, mais pour chacune des questions, je ferais un parallèle avec ma démarche personnelle.  J’en profiterais pour déboulonner un ou deux mythes en passant…

[Par la suite, je me suis aperçu que c’est un peu ce que fait Dan Yashinsky dans le premier chapitre de son excellent livre Suddenly, They Heard Footsteps (2004) alors qu’il imagine rencontrer son lecteur dans l’avion et le genre de questions que supposerait une conversation avec lui…  Le livre a été traduit chez Planète Rebelle en 2007.  Je le relis souvent et ne peux que le recommander.]

  • Qui? Selon une étude du RCQ (2004), il y aurait plus de 300 personnes au Québec de tous niveaux, de l’amateur au professionnel, qui se disent « conteurs » ou « conteuses ».  Ils sont hommes, femmes, jeunes, vieux, proviennent du théâtre, de la littérature, de l’ethnologie, de l’animation, moins des bibliothèques contrairement à la France.  Mais il y a de tout, du professionnel au manuel…  Je me suis présenté et j’ai rappelé que, non, il n’y avait pas que Fred Pellerin qui contait.
  • Quand? On conte depuis toujours.  Il y a bien dû avoir quelqu’un qui a fait des récits de chasse sous les dessins des grottes de Lascaux…  Seulement, une coupure apparaît au cours du vingtième siècle avec l’électrification, puis la radio, la télévision et maintenant Internet.  Le conte effectue un retour en Europe dans les années 70 avec les mouvements de retour à la terre et aux régions.  Au Québec, il faut attendre le début des années 90 pour vraiment observé une telle résurgence, bien que Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert et d’autres portaient le flambeau auparavant.  Non, le conte n’est pas que du folklore (voir point suivant) et je conte depuis 2003.
  • Quoi? Qu’est-ce qu’on conte? Les répertoires sont extrêmement variés, allant justement du traditionnel merveilleux au conte urbain trash, en passant par les contes drôles, dramatiques, philosophiques (contes de sagesse) ou plus militants, des récits de vie, les légendes, les mythes, les contes amérindiens ou de différentes cultures.  Donc, non, le conte n’est pas destiné qu’à faire rire, mais on rit souvent.  Je raconte quelques histoires que j’ai écrites, mais surtout des contes traditionnels de tous les pays.  J’ai une filiation par alliance avec les contes franco-ontariens (mon épouse est originaire de Sudbury).  Et, c’est pas de ma faute, j’ai une prédilection pour les contes où il est question de la vie après la mort.
  • Où? On conte partout: Pour la plupart des pays industrialisés, on conte dans les garderies, les écoles, mais aussi les foyers pour personnes âgées, les prisons, en famille, dans des appartements, dans les fêtes populaires, les musées, mais beaucoup dans les bars et les cafés.  Le conte contemporain est sensiblement urbain.  Non, les spectacles de conte n’ont pas lieu seulement ou tellement sur scène.  J’ai conté surtout en Estrie, quelques fois à Montréal (dont aux Dimanches du conte du défunt bar Le Sergent recruteur), deux fois à Québec, une à Rimouski, dans des restaurants, des bars, et même en plein air.
  • Comment? La question est déjà plus complexe, donc difficile de parvenir à une réponse simple.  Je dirais d’abord qu’on conte par coeur – Luidgi Rignanese dirait « par corps ».  On n’apprend pas un texte, mais on mémorise un canevas, des images.  Le plus souvent, on conte simplement, assis ou debout.  Selon sa tradition, on conte parfois avec accessoires ou costumes.  Surtout, il n’y a pas de « quatrième mur »: On s’adresse directement à l’auditoire, sans faire comme s’il n’était pas là.  C’est pour cela qu’on dit souvent que le conte est « art de la relation ».  Donc, non, pour nous « jouer un texte » ou lire une histoire à un public (dans une bibliothèque, par exemple), ce n’est pas vraiment « conter ».  Pour ma part, j’ai des rituels.  J’ai une formulette d’entrée (j’en cherche une de clôture).  Je m’habille tout en noir, essentiellement pour ne pas distraire les gens de ce que je raconte, mais ça correspond aussi à un certain dépouillement qui colle à mon répertoire.  J’ai besoin de m’isoler avant de conter (pour repasser mes histoires ou juste en humer le « parfum » (dixit Michel Hindenoch), me retrouver, etc.).
  • Pour qui? Je dis souvent que, théoriquement, dans un tel foisonnement de styles, tout le monde devrait y « trouver son conte ».  Et on conte effectivement pour tous les publics.  J’imagine que quelqu’un qui serait complètement fermé à tout ce qui est imaginaire risque de s’ennuyer un peu.  Encore qu’il y a des conteurs qui font du récit de vie ou de guerre, des histoires poignantes, complètement ancrées dans la réalité des choses.  Alors, non, on ne conte pas que pour les enfants.  D’ailleurs, je conte surtout et plus facilement aux adultes.
  • Pourquoi? Euh… C’est LA question.  Mon ami Éric Gauthier prétend qu’il conte à chaque pleine lune parce qu’il a été mordu par un autre conteur pendant une bataille dans un bar. (J’aime bien utilisé cette citation – en l’attribuant à Éric, bien sûr). Il y a probablement autant de motivations qu’il y a de conteurs.  Plusieurs disent ne pas pouvoir faire autrement.  Simplement, ils sont amoureux des contes et des gens, veulent donc partager leur passion.  Dans le milieu du conte, on dit que ce sont les contes qui nous choisissent.  Certains enseignent, rapprochent, apaisent, guérissent.  J’ai déjà tenté de répondre à cette question ici.  J’y résumais différentes motivations de conter: reconnaissance, appartenance, accessibilité, patrimoine, mobilisation.  De mon côté, je conte pour « donner du sens ».

Évidemment, j’avais trop de matériel et j’ai manqué de temps.  En fait, je ne me suis rendu qu’au « Où? », mais je pense avoir parlé des autres points à travers ma présentation.

J’aurais voulu faire un conte pour chaque question et j’en avais préparé quelques uns:  « Nasr Eddine qui se chauffe à la lune », « Le dernier voeu du vieux Veilleux », « Le rite du Baal Shem Tov », « Le dernier homme sur terre et l’enfant »….

J’ai fini par faire un conte drôlatique en intro, ce que j’appelle « L’oncle conteur » : un bêta sans le sou veut épouser la fille du roi et sa mère, inquiète des suites de l’audience royale, envoie son frère conteur pour accompagné le jeune.  À chaque question posée par le roi, l’oncle « embellit » les réponses plutôt ordinaires de son neveu.  À la question, « Mais pourquoi te grattes-tu? » Le neveu répond simplement qu’il a un bouton qui le pique.  L’oncle, fidèle au penchant irrépressible des conteurs pour l’exaggération, ne peut s’empêcher d’en ajouter…

J’ai fait écouter « Marie-Tatou », conte du Déparnneur de mon ami Marc-André Caron.  D’abord parce qu’il est court (j’avais peu de temps) et que je connais par coeur les contes de Marc-André.  Je savais aussi que peu de gens l’aurait entendu.  Surtout, il me semble un parfait exemple de structure de conte facile à reconnaître dans une création contemporaine.

Finalement, j’ai raconté « Tea with the Devil » pour conclure.  Un de mes plus vieux contes, c’est un classique qui marche toujours bien.  Un anglais invoque involontairement le Diable alors qu’il cherche la pierre philosophale.  Le Diable lui offre la pierre en échange de son âme.  Il doit fixer une tâche au Malin, mais celui-ci sait tout et peut se rendre partout.   Par ruse, l’anglais réussira à obtenir le beurre et l’argent du beurre…

Y’a-t-il des choses que j’aie oubliées?  Des mythes encore à liquider?  Vous, comment parlez-vous du conte à ceux qui ne le connaissent pas?  Comment puis-je améliorer cette entrée en matière?

Passer à l’A.C.T.E m’a fait réaliser que l’enseignement me manque (j’ai dû choisir l’an dernier entre enseigner et conter).  Mais parler du conte va pour moi au-delà d’enseigner : C’est partager quelque chose que je trouve fondamental.  Merci aux gens de l’A.C.T.E.  J’espère bien qu’il y aura d’autres occasions similaires.

Fred et moi

Je n’avais pas particulièrement hâte d’écrire ce billet, même si je supposais bien qu’il me faudrait y arriver.  Croyez-le ou non, j’ai beau me poser des tas de questions, avoir des opinions souvent tranchées, prendre position (parfois avec véhémence), je n’aime pas particulièrement la controverse.  Je redoutais d’avoir à toucher à ce point sensible.  Autant l’aborder de front.

Ça a commencé lorsque j’ai reçu en cadeau de fête Silence, l’album de chansons « folk » de Fred Pellerin. Malaise. Un très beau cadeau, mais un disque que je m’étais dit que je n’achèterais pas.  À cause du « phénomène » Fred Pellerin…  Disons surtout, à cause de comment je me situe par rapport à ce phénomène.  Notez bien, pas la personne, mais le phénomène qui l’entoure.

Puis j’ai eu à parler du conte dernièrement à des gens qui le connaissaient peu.  Il m’a fallu rappeler que Fred Pellerin était parfois « l’arbre qui cache la forêt » selon le mot de ma fée-marraine.

Veut veut pas, conter au Québec en 2009 signifie travailler dans l’ombre de Fred Pellerin… ou du moins exercer son art en relation avec l’immense projection fantomatique de lui que les médias diffusent sur le mur public. Dans L’art du conte en dix leçons (2007), Michel Faubert résume bien le problème :

« Mais pour ce qui est du conte, j’avoue que je me sens un peu perdu. D’autant qu’il y a le succès de Fred (Pellerin) qui a quelque chose de particulier à cause de l’importante médiatisation; il est devenu LE conteur connu du Québécois moyen.  Et quand on dit qu’on fait du conte, on se fait demander si l’on fait comme Fred. Alors on doit se prononcer; il y a quelque chose de délicat, même pour lui sans doute… »

Dans le milieu du conte, il ne laisse personne indifférent. Certains l’encensent ou le défendent, d’autres le pourfendent.  Je l’ai entendu être accusé de plagiat, de facilité dans l’humour, de ne pas être un conteur, etc.

Jalousie?  Je ne sais pas pour les autres, mais pour moi oui, certainement.  Parce que Fred Pellerin c’est aussi et beaucoup le miroir déformant tendu aux conteurs, la possibilité que nos rêves de toucher le public à large échelle puissent se réaliser… quitte à y perdre un peu d’âme.  Nous avons notre succes story, notre conte de fées à nous (Et c’est qu’on a tendance à croire à ces choses-là, nous autres!). Quel autre conteur a des problèmes de vedettariat? On n’a peut être pas tous envie de conter dans d’immenses salles et d’être booké jusqu’en 2015,  mais qui, honnêtement, cracherait sur de tels moyens de communiquer ses idées?  De transcender les genres? De vivre de son art?

La première fois que j’ai entendu Fred Pellerin, c’était à un spectacle bénéfice pour les Productions Littorale qui s’était donné à la Sala Rossa à Montréal.  En 2003 je crois, pas longtemps après la sortie d’Il faut prendre le taureau par les contes.  J’avais entendu son nom et sa réputation déjà le précédait, mais je n’avais pas d’a priori.  Je me souviens qu’alors il m’avait retourné comme une crêpe.  En l’espace de dix minutes, il m’avait fait rire aux larmes et il m’avait touché au point de me faire pleurer (en parlant de la boîte à silence de sa grand-mère).  Je me souviens d’avoir été sidéré qu’un artiste soit capable de me tordre ainsi l’intérieur…

Je l’ai revu quelques fois à Sherbrooke, Théâtre Léonard-St-Laurent (300 places), au Granada (500 places), à la salle Maurice O’Bready (1726 places) avant un spectacle de Mes Aïeux. Une bonne constance, mais peu de renouvellement.  Reste que j’étais assez séduit et que « ça passait » malgré la distance qui augmentait…

Il y a aussi eu ses « Chroniques de village » à Indicatif Présent, l’émission de Marie-France Bazzo, sur les ondes de la Première chaîne et j’ai compris que, pour les médias de la métropole, Fred Pellerin n’était plus vraiment un conteur.  Il était devenu l’archétype du jeune amoureux de sa région, au point qu’il ne s’expatrie pas à Montréal comme les autres artistes « normaux » le font… Les gens des médias font ça : ils créent des vedettes, ils aplatissent la réalité à quelques figures de proue, quelques représentants/ représentations qui « passent bien ».  S’intéresser à la complexité des choses, c’est moins rentable.  Et ça, je ne peux en tenir rigueur à Fred Pellerin.

Puis,  j’ai assisté à l’une des premières représentations de Comme une odeur de muscles au Vieux clocher de Magog.  Bon, le show n’était peut-être pas rodé et peut-être que c’était juste un moins bon soir… Peut-être que j’étais trop fatigué ou pas de bonne humeur, mais toujours est-il que je n’ai vraiment pas aimé ça.  Je ne retrouvais plus les histoires dans les jeux de mots et les gags. Et évidemment, le reste de la salle en redemandait : J’étais pris avec les ovations debout, les vivas, alors que moi je rongeais mon frein… À la fin du spectacle, il a chanté « Moi je raconte des histoires » de Paul Piché. C’était très beau et, bien sûr, les paroles lui allaient comme un gant, mais ça m’a dérangé que ça ne soit pas de la chanson traditionnelle. (Je ne sais pas pourquoi.  Que je sache, il n’est écrit nulle part que les conteurs ne doivent chanter que du trad…) Là, j’ai senti que la cote d’amour de cet artiste là (je ne savais déjà plus si je devais parler de « conteur ») était telle qu’il pourrait faire n’importe quoi et que les gens suivraient.  Ça m’a beaucoup troublé.  C’est ce que j’appelle le phénomène.

Pour moi, dans son créneau (le sien justement, quelque chose d’autre que le conte ou l’humour), il demeure un génie. Et c’est un mot que je refuse d’employer à la légère. Son aisance à jouer avec les mots est stupéfiante. Son charisme, au-delà du simple talent.  Sa sensibilité et son authenticité troublent en cette époque de faux-semblants. Je l’ai entendu être comparé à Sol, Yvon Deschamps, Raymond Devos.  Devos, je ne sais pas… Mais pour ce qui est des deux autres, il y a des parentés, c’est sûr.  Le retour à un temps où faire de l’humour ne signifiait pas tout à fait la même chose qu’aujourd’hui… (J’en reparlerai bientôt.)

La principale chose que je lui reproche au fond (à la personne, pas au phénomène), c’est de ne pas assez témoigner publiquement de la filiation de ce qu’il fait avec la grande tradition du conte, puisqu’il persiste et signe à se dire « conteux ».  Je suis déçu qu’il ne choisisse pas d’aller à contre-courant médiatique en répondant à une question de Marie-France Bazzo, de Guy A. Lepage, en disant haut et fort : « Vous savez, y’a pas que moi qui conte. Ils sont plus de deux cents qui s’y essaient au Québec, d’une manière ou d’une autre. Y’en a probablement dans vos régions aussi.  Y’en a qui faisaient ça avant je sois une idée dans la cervelle de mes parents. Allez les écouter… » ou « Ça fait plus de deux mille ans qu’on se raconte des histoires.  Les miennes sont pas mal, mais y’en a d’autres, vous savez. »  Est-ce à lui de faire ça?  Est-ce que les médias voudraient seulement entendre ce discours-là?

Pour moi, il aurait pu être une locomotive qui aurait servi à donner de la visibilité à tout le milieu, à une forme d’art qui se cherche… Au fond, il aurait pu faire pour le conte ce qu’il a choisi de faire pour St-Élie-de-Caxton : dynamiser une richesse méconnue, la mettre sur la mappe. Quelqu’un qui le connaît, et à qui je faisais ce commentaire, m’a déjà dit qu’il était « au-delà de tout ça ».  C’était avant le film, avant Tout le monde en parle, avant les disques de chansons et le DVD…  Imaginez aujourd’hui.

À ce jour, je n’ai toujours pas acheté Comme une odeur de muscles, ni sur livre-CD ni sur DVD.  Pas plus que L’arracheuse de temps (le livre troué). Je ne suis pas retourné voir de spectacles de Fred. J’ai payé trop cher pour le sympathique Bois du thé fort, tu vas pisser drette, offert en cadeau à mon père. Je me suis procuré Fred et Nicolas Pellerin, un disque de musique traditionnelle que j’adore au demeurant. Je suis allé voir Babine. Seul. Presque gêné. Mais c’était surtout pour voir si le conte se transposait bien au cinéma (Je n’en suis pas encore convaincu, essentiellement parce que, pour moi, les dialogues du film tombaient souvent à plat… Superbes images cependant. J’en reparlerai peut-être.).

Peut-être que je me prive d’un artiste d’une classe à part… Peut-être que j’ai été trop dur avec lui? À cause de la jalousie? De l’amour inconditionnel qu’on lui porte? Reste que j’ai de la misère à accepter toute l’attention qu’il monopolise, alors qu’il y a des conteuses et conteurs merveilleux qui restent dans l’ombre que son phénomène contribue maintenant aussi à leur porter.  Mon attention à moi, je la réserve pour ces derniers.

Chronique musique trad I: Les grands hurleurs et La part du feu

J’avais prévenu d’entrée de jeu que je consacrerais de l’espace de ce blogue à la musique traditionnelle.  Précisons seulement que je ne suis ni musicien, ni connaisseur, mais un amateur éclairé, tout au plus.  Reste que je parlerai volontiers de ce qui m’accroche l’oreille.

Lors d’une de mes dernières visites chez un disquaire pas particulièrement reconnu pour l’espace de rayonnage qu’il consacre à la musique traditionnelle, je tombe pourtant avec bonheur et surprise sur La part du feu du Vent du nord, Nicolas Pellerin et les Grands hurleurs, La tuque bleue et le dernier album du groupe Mauvais sort.  S’il y a un signe certain de l’approche des Fêtes, c’est bien quand les groupes de musique trad sortent des disques.  J’ai acheté les deux premiers.

Cinquième CD pour Le vent du nord, ce groupe qui est en train de compétitionner sérieusement avec La bottine souriante comme meilleur produit d’exportation du folklore québécois à l’étranger.  Puissent-ils être davantage connu chez eux!  Mais nul n’est prophète…

La part du feu m’apparaît un album plus exigeant que Dans les airs (2007), précédent opus studio du groupe qui s’écoute tout seul avec des pièces comme « Rosette », « Le vieux cheval », « La fille et les dragons ».  J’aime particulièrement « Tour à bois », une composition très habile de Nicolas Boulerice.

La nouvelle galette demande plus d’attention, ne serait-ce que parce que les textes sont souvent plus graves (« Octobre 1837 », « La mine », « Rossignolet ») et parce que les arrangements sont souvent particulièrement riches.  La vielle à roue de Boulerice est toujours omniprésente, pour notre plus grand bonheur.  Cela confère une sonorité exceptionnelle au groupe, un fond sur lequel violon, accordéon et bouzouki s’envolent avec brio.

Il y a bien des pièces plus joyeuses comme l’excellente « Lanlère » qui ouvre le bal avec un Simon Beaudry très en voix et que j’aurais d’ailleurs aimé entendre davantage chanter (Il n’a qu’un autre solo avec « Écris-moi », pièce romantique qui clôt l’album).  On découvre aussi avec bonheur « Montcalm », où le grand général – qui écrit à sa mère en 1758 – fait montre d’une poésie pour le moins « martiale »:

Ce sont des chiens à coups de pied, à coup de poing
Faut leur casser la gueule et la mâchoire
Ce sont des chiens à coups de pied à coup de poing
Nous auraient cassé la gueule et la mâchoire

(Je reste curieux de comprendre comment on peut épargner la mâchoire de quelqu’un tout en lui cassant la gueule…  Intérêt purement spéculatif, s’entend.)

D’excellentes pièces instrumentales complètent le disque.  Du nombre, j’aime particulièrement « Mamzelle Kennedy ».

J’avais vu Nicolas Pellerin et ses grands hurleurs en spectacle au Festival des Traditions du monde l’été dernier.  Indépendamment du brillant album réalisé avec son célébrissime frère, j’avais tout de suite été séduit.  Il me semblait qu’il y avait là d’excellents instrumentistes avec une énergie que j’avais hâte d’entendre sur disque.  Le résultat en studio me semble plus mitigé.  Ici aussi, un album exigeant.

Par exemple, je ne suis pas convaincu par le choix d’avoir trois pièces instrumentales sur les six premières de l’album, bien qu’elles soient toutes réussies.  Le violon de Pellerin, la basse de Lepage et la guitare de Marion ont beau être joués avec virtuosité, il me semble que cela ne permet pas de prendre autant contact avec les artistes.  La relation que crée la voix humaine me semble plus… directe.  Bon, c’est vrai que je suis d’abord conteur.

Plusieurs pièces sont très puissantes avec des arrangements résolument modernes qui, là encore, demandent quelques écoutes avant de couler à l’oreille.  Je pense à « Rossignolet » où l’on fleurte allégrement avec le jazz et même un certain funk ou à « Malmariée » tout en pizzicato et en gravité.  D’autre part, la pièce-maîtresse du disque demeure selon moi la magnifique « Corsaire » (6 min 13 !) qui convient à la voix particulière de Pellerin et où tout un vocabulaire maritime s’exprime avec vigueur.  Que j’aime ces histoires de combats navals…  Je n’arrive juste pas à concilier ce texte très littéraire avec le refrain de « Zimbala zim boum boum tralala… »  La beauté des paradoxes de la culture populaire!

Toujours à titre plus personnel, je suis ravi de la double version des « Marches du palais » parce qu’elle m’a permis de reprendre contact avec cette chanson que je connaissais tout jeune.  (Et une berceuse de plus pour mes enfants…)  Ou encore « L’orme », une version de la Côte Nord d’une chanson « allégorico-grivoise » que j’aime beaucoup.  La version que je connaissais s’intitule « La pomme » et a été endisquée par Serre l’écoute qui l’a tiré du répertoire de Jean-Paul Guimond de Wotton.

Somme toute, une assez bonne récolte.  Quand je parle d’exigeance, ce n’est pas un défaut.  Ça demande une écoute plus attentive et de l’apprivoisement.  C’est, me semble-t-il, un juste prix à payer pour que la musique traditionnelle devienne plus qu’une simple trame sonore de partys et qu’elle acquière ses lettres de noblesse aux yeux d’un public de plus en plus large.  C’est aussi assez naturel que les musiciens trad aient envie d’expérimenter et de devenir créatifs avec ce fabuleux matériau de base… Ce que nous, conteurs, ne nous gênons pas pour faire!

L’amour de la route

Commentaire d’une animatrice de Taï Chi sur la trop grande rapidité des mouvements de ses élèves (dont je suis): « Il y a des personnes qui n’aiment pas faire de la route et qui ne veulent qu’arriver à destination.  Prenez votre temps.  Respirez. La manière d’exécuter le mouvement est aussi importante que de le compléter.  En Taï Chi, il faut aimer faire de la route. »

En conte aussi, je crois.

On répète souvent que le trajet est aussi important que la destination.  Quand je constatais avoir de la difficulté à assumer la fin de mes histoires, j’ai l’impression que c’est parce que je vois la ligne d’arrivée poindre à l’horizon et que je sprinte pour m’y rendre.  Pourtant, après avoir travaillé si fort pour tout installer, il faudrait goûter chaque instant et chaque mot…

Du coup, je comprends mieux pourquoi plusieurs formateurs nous enjoignaient à pratiquer un art martial, yoga ou technique de relaxation quelconque.  Au-delà de l’entraînement physique et mental (déjà non-négligeable), y’a une philosophie sous-jacente qui peut apporter beaucoup à notre art.

Conter sans compter

Spectacle de Michel Faubert, samedi le 14 novembre dernier à la salle des Productions Littorale.  Bon public, l’artiste est en forme et la petite salle créée un contact privilégié avec lui.  Très belle complicité toute discrète de Daniel Roy à la musique.  Bon usage de la vidéo, qui n’est pas trop appuyé et qui ne distrait pas des contes.

Pourquoi ai-je l’impression que c’était trop court?  Il a pourtant donné 1 h 15 de spectacle sans pause.  Quand est-ce trop peu? Parce que je connaissais déjà certaines histoires?  Que j’ai toutes les chansons sur disques?  J’ai pourtant été ravi de les réentendre live et accoustiques.  Quant aux quelques nouveautés pour moi, c’était du bonbon…  Quand est-il préférable de terminer le show et de donner envie aux spectateurs de revenir? Il m’a semblé qu’il aurait fallu un ou deux éléments de plus pour que j’atteigne une certaine satiété…

Ou juste jaser avec Faubert.  Qu’il explique le pourquoi, le comment de ses histoires.  …Ou qu’il parle de n’importe quoi d’autre.  Juste écouter encore sa voix.  Sa voie.   Mais l’artiste semble fatigué.  Besoin de retourner à l’intimité. Il a son spectacle dans le corps.  Combien de fois l’a-t-il fait déjà?  Combien de fois le fera-t-il encore?  Trop?  Trop peu aussi, sans doute.

Une semaine plus tard, c’est moi qui s’y colle.  Un premier véritable spectacle solo à Québec à l’invitation des AmiEs imaginaires.  On me demande une heure sans pause.  Mon projet de spectacle en dure 1 h 30 sans compter la pause.  Bon, c’était probablement trop de matériel de toute façon (Quand est-ce trop? D’après qui?).

Je réorganise le tout, j’ai à peu près une heure.  J’ai pas fait ça souvent, conter une heure sans arrêt.  Avoir la responsabilité de capter l’attention des gens aussi longtemps avec mes histoires…  (J’ai déjà donné des charges de cours, mais ce n’est pas la même chose).  La responsabilité de ne pas les ennuyer;  d’être plus pertinent que le silence…  J’ai peur de manquer de jus, de ne plus être intéressant après deux ou trois histoires.  (Ça, malheureusement, ça m’est déjà arrivé…)

Voilà, la soirée arrive.  Je raconte mes histoires, fais mes liens.  Les gens écoutent bien.  On dirait même qu’ils (m’)aiment!  Il fait très chaud dans le petit restau où la veillée se tient.  Je termine mon dernier conte.  Ils applaudissent, semblent contents.  Ils se lèvent, mettent leurs manteaux.  Mais moi, je suis sur ma lancée, sur un high.  J’ai encore de l’énergie.  Je leur en ferais bien une autre… Et une autre encore, s’ils le veulent.

Ils viennent me saluer, me remercier:  « C’était une belle soirée. »  Ben oui, justement.  Ça ne vous tenterait pas de rester?  On pourrait jaser après.  Juste une autre histoire?  Après, c’est votre tour si vous voulez…

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Réflexion très pertinente de Yolaine, l’organisatrice:  « La capacité d’écoute est extrêmement variable.  D’une personne à l’autre, mais même d’une fois à l’autre pour la même personne. » La capacité de captiver aussi, semblerait.