Répondre au courrier 4: les forces centrifuges

J’ai déjà moi aussi déploré le fait que l’on se retrouve souvent seul devant son miroir à pratiquer ses histoires.

Il m’est cependant difficile de parler de la solidarité du milieu ou non, notamment parce que je connais relativement peu la situation à Montréal et à Québec (des lieux où le « milieu » compte assez de personnes pour qu’il y ait solidarité ou non).  Je ne peux que déplorer la situation que je constate de l’externe : il y a des « gangs »… et pas toujours beaucoup d’échanges entre ces clans.  Ce réflexe clanique est assez naturel quand on y pense.  Qui s’assemble se ressemble et l’on fraie plus volontiers vers ce qui nous est connu et familier.  C’est vrai que l’on y perd tout ce que les uns et les autres pourraient s’apporter.

En Estrie, j’ai déjà écrit que le Cercle des conteurs des Cantons de l’est formait un groupe serré, dont les rapports débordent souvent ceux reliés strictement au conte (on se visite, nos familles se côtoient, etc).  Il faut probablement nuancer ce portrait: Y’a ceux qui se sentent exclus, ceux qui choisissent de s’exclure eux-mêmes, ceux qui viennent nous voir et repartent parce que « ça ne colle pas ».  Même dans le « noyau », le fait est que l’implication des uns et des autres reste assez variable, notamment selon les responsabilités et occupations de tous et chacun.

Vrai que souvent l’on compte sur les autres conteurs pour être spectateurs des spectacles de conte…  (Et je reste convaincu qu’il est sain et nécessaire d’en voir beaucoup, de voir évoluer nos collègues, de découvrir de nouveaux talents.  Ça fait partie intégrante de l’auto-formation!).  Sauf que les activités de conte se multiplie et il devient difficile d’être présent à tout.  Je sais pour ma part que j’ai manqué cette année seulement au moins deux spectacles que je tenais absolument à voir, et ce pour des raisons bêtes de synchronisation avec d’autres obligations personnelles.

Constatons enfin que différentes personnes font du conte pour différentes raisons, avec des niveaux de priorité changeants, ce qui explique parfois ce degré d’implication variable, la participation ou non à des activités de pratique ou de formation.  J’ai plus d’une fois été déçu parce qu’un ou une collègue préférait une autre activité de loisir ou « mettait le conte de côté pour un certain temps ».  Ainsi va la vie, difficile de reprocher à un coeur d’aimer… puis d’aimer moins et de voler vers d’autres cieux.

En Estrie, notamment, plusieurs conteurs sont également parents de jeunes familles…  La conciliation travail-loisir-famille, ça se vit aussi dans le milieu du conte.  Cela n’excuse pas tout, mais ça permet de relativiser et d’être philosophe.

Pour moi, une partie de la solution au problème du manque de participation passe par la formation de jeunes conteurs (de niveau collégial et universitaire, disons) et celles de conteurs aînés (pré-retraités et retraités).  D’abord, il y a là une diversité d’expériences et une richesse intergénérationnelle à exploiter.  Par ailleurs, ce sont des gens avec davantage de temps à consacrer à une passion nouvelle…  La contrepartie: ces gens ont souvent beaucoup de passions nouvelles!

Répondre au courrier 3: le sacre allège

  • À propos de ce que j’appelais «sacré» dans « Déjeuner avec un mème», le 1er mars dernier, Alice Duffaud s’interrogeait: « Je me demande, à ce propos, si on n’attire pas tout simplement les choses (dont les histoires) et les gens qui sont capables de nous toucher d’une façon ou d’une autre, un peu à la manière d’un aimant… »

Dans Illusions – Le Messie récalcitrant de Richard Bach (1977; excellent bouquin – traduction pitoyable) , il y a cette citation:

« Chaque personne, tous les événements de ta vie, sont là parce que tu les as attirés là.  Ce que tu choisis de faire avec eux n’appartient qu’à toi. »

Voilà pour l’aimant.  Quant au type de récits que j’attire…

Une amie conteuse dont le conjoint est décédé il y a quelques années me confiait qu’elle est convaincue qu’il est toujours là avec elle, tout près, à l’écoute et qui lui envoie des signes.  S’intéressant au fait que plusieurs de mes histoires traitent du voyage vers l’ « aut’ bord », elle était d’avis que j’avais un rôle particulier à jouer comme conteur parce que selon elle se sont habituellement les femmes qui ont cette sensibilité.

Je ne sais pas si un tel rôle existe ou m’est dévolu, mais j’ai ma petite explication très prosaïque sur la question de la synchronicité (d’aucuns diront de l’apophénie – qu’est-ce que j’aime ce mot!) dont j’ai parlé en termes d’«abonnement» dans le billet auquel Alice réagissait.  Du moins, cette explication vaut en ce qui concerne ma fascination pour les histoires
« spirituelles ».

J’ai peu connu la mort.  Je n’ai peu ou pas vécu de deuils.  J’ai vu au loin son grand manteau passer, l’éclat de sa faux brillant sous la lune à bonne distance.  Mais jamais je ne l’ai sentie près de moi, à en avoir les veines glacées.  Quand mon grand-père maternel est mort, j’avais douze ans.  Il est parti en voyage vers le sud… et n’est jamais revenu.  Parfois, je me dis qu’il est encore là-bas sur une île merveilleuse à manger de ces ananas sucrés dont il était friand.  Ma grand-mère paternelle est décédée il y a deux ans, j’en avais 37 bien comptés.  Elle était si malade et absente que ce fût réellement une délivrance tant pour elle que ses proches de savoir qu’elle reposait désormais « en paix ». Je n’ai pas connu mes autres grand-parents et j’ai la chance d’avoir encore mes parents, mon frère et mes amis proches.

Ce que je connais de la mort, ce sont les sanglots déchirants des vivants.  L’aberration de la mort subite, violente ou du suicide de certaines personnes croisées au hasard des rencontres… jamais des proches, heureusement. Aberration à cause du gaspillage d’autant de talent et de beauté alors que, malgré les horreurs de la vie, je crois sincèrement le monde magnifique et la vie un cadeau.

Je ne connais pas la mort.  Je me sens dépourvu face à sa fatalité.  Pas tant pour moi, mais pour ceux que j’aime.  Alors je vis dans la terreur, notamment de perdre mon amoureuse et mes enfants.

Pour ne pas que cette terreur prenne toute la place, pour pouvoir m’endormir le soir, j’apprivoise la mort en racontant des histoires.  J’apaise mes craintes en imaginant des mondes merveilleux où je retrouverai tout ceux qui me sont chers après la vie.  J’aime bien cet autre passage d’Illusions de Richard Bach:

« Si tu veux t’exercer à être fictif pour quelques temps, tu comprendras que des personnages fictifs sont parfois plus réels que les gens possédant des corps et des coeurs battants. »

Je n’ai pas nécessairement envie de devenir le « conteur-psychopompe »de service, mais j’ai déjà affirmé que je contais pour donner un sens aux choses et à la vie.  Or, dans À chacun sa mission – Découvrir son projet de vie (1999), Jean Monbourquette estime que « la poursuite de sa mission donne une raison de vivre et confère un sens à la vie ».  Il entend « mission » comme
« une orientation inscrite dans l’être de chacun en vue d’une action sociale. »  Pour Monbourquette (un prêtre et psychologue, il faut le noter), suivre sa mission nous fait entrer dans « le mouvement de co-création de l’univers » et participer à « une sagesse et une intelligence universelles appelées Providence ».  Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai bien envie d’y croire.

Peut-être que, pour qui se sent conteur, le seul fait de conter donne sens à l’existence, simplifie la vie.