Dessert amer

[NLR : Dans le cadre d’une récente formation avec Bernadète Bidaude, cette dernière nous a proposé de pasticher une recette pour exprimer un sentiment ou dénoncer quelque chose.  Le jeu étant trop tentant, je m’y suis laissé prendre.  Alors que mes collègues y sont allé de Bouillon de colère, Caresses de soleil, Gigot de nostalgie, Tsunamitsu de la peur et autres Gâteau Blockbuster (façon Hollywood),  j’ai choisi de me défouler d’une frustration latente en concoctant un dessert dont je préférerais pourtant que l’on se passe collectivement.  À noter avant qu’on ne me jette des pierres : Il m’est sans doute arrivé de le cuisiner à l’occasion, mais je tente désormais de l’exclure de mon régime…] Continuer la lecture de « Dessert amer »

Brèches pour une continuité (stages avec Bernadète Bidaude)

Le week-end dernier, j’ai vécu mon second stage avec la conteuse française Bernadète Bidaude (« Construire un récit à partir de son propre bagage » les 30 septembre, 1er et 2 octobre 2011).  Comme il s’agissait à peu de choses près du même atelier que la première fois (« Chantier d’histoires » du 1er au 3 mai 2009), je présenterai conjointement ce que j’ai appris à ces deux occasions.

À la décharge des organisateurs qui avait prévu ce deuxième atelier comme une suite du premier (qui n’était cependant pas pré-requis), j’étais le seul participant à m’être réinscrit.  Ajoutons à cela le fait que cette fois-ci plusieurs participants n’étaient pas des conteurs.  Difficile de véritablement pousser plus loin…

Cela écrit, c’est une expérience assez curieuse mais pas déplaisante que cette répétition.  À faire essentiellement les mêmes exercices avec des participants différents, à aller collecter des idées d’histoires aux mêmes endroits sous une pluvieuse grisaille automnale (2011) plutôt que sous un soleil printanier (2009), on est forcément amener à comparer.  En même temps, il y a là-dedans à trouver comment conserver un regard neuf, un peu comme de raconter la même histoire à des publics différents, ou encore aux mêmes personnes, mais dans des occasions différentes.  J’ai certainement bénéficié d’un rafraîchissement quant à la conception du conte de notre formatrice.  Cela me permettra, je l’espère, de vous en faire part avec plus de justesse. Continuer la lecture de « Brèches pour une continuité (stages avec Bernadète Bidaude) »

Pourquoi tu contes?

La conteuse Alice Duffaud[NDE: Ces jours-ci, c’est l’anniversaire de Tenir conte qui a deux ans.  Pour l’occasion, je publie un texte de mon amie la conteuse Alice Duffaud, qui me l’avait envoyé en réaction à mon propre texte « Pourquoi je conte ».  Pour ceux qui voudrait en savoir plus sur qui est Alice, vous êtes invités à lire le billet précédent.  JSD]

Au-delà de la grande bleue, je découvre les pages de ton blog et je me souviens… Que nous avons partagé ensemble une formation (avec Didier Kowarsky) où je me suis sentie tout du long suspendue par un fil, comme marchant sur une arête de montagne, précipice des deux côtés, pas le choix de marcher de travers.

Et que j’ai rarement autant appris en si peu de temps. Et qu’aucune autre formation ne m’a rendue aussi heureuse.

Ce danger, ce précipice, cette excitation de funambule, ça me plaît. je m’y sens bien. Je me sens forte, décidée, je n’ai pas peur. C’est même le seul moment et le seul endroit du monde où je n’ai peur de rien, où j’oublie ma tristesse, où je me sens confiante, où je sais avoir ma place, mon utilité (Le reste du temps, je suis plutôt timorée, peureuse, lâche parfois (bin oui). Avec mon fils ? Tétanisée de trouille devant sa vivacité, son énergie, son intelligence. Un peu jalouse aussi. On ne peut pas être un enfant toute sa vie. Avec mon homme, mes parents, mes amis: toujours un peu soumise, pas très sûre de mes choix, évitant le conflit. Avec toujours l’impression de devoir quelquechose – des dettes contractées par automatisme, comme on chope une crampe. Inconfortable. Fatigant.).

Allumer les yeux. Noyer les larmes. (Res)susciter les sourires. Passer les siècles comme on prend une marche, par pur plaisir, avec évidence, avec facilité. Convaincre les plus réticents, travailleurs le nez dans le guidon, ados boutonneux, malades qui s’emmerdent, anciens trop vieux traités comme des légumes, bébés, quidams brisés par la vie, qu’il y a encore des choses à partager, et que le partage signifie la vie, le vivant, l’espoir du demain. Que le conte ne snobe personne, qu’il est à tous et à chacun, que c’est un peu le pain de l’âme. (Je m’emballe un peu, mais ton texte sur le « pourquoi ? » m’a secouée). Que nous autres, les conteurs (et par extension les artistes au complet), on est les garde-fous des sociétés. La mémoire, les racines, n’importe quel sédentaire vous le dira, ça n’a pas de prix (heureux nomades ?!). Voyez qui « saute » en premier quand une société déraille !

Quand je sens cette complicité, cette confiance qui s’installe, alors, oui, je suis heureuse. Je suis seule sur scène pourtant, sans filets, sans partenaire. Mais libre, et en grande compagnie, celle du public. Je me fais poreuse à l’extrême, je tâche d’être à l’écoute de tout et de tous en même temps que je raconte, je me colle des yeux partout, comme tu dis, je reçois les gens sur toute la surface de ma peau, dont chaque pore devient un capteur d’émotions.

On partage tout. Je leur tends un miroir où ils se voient capables d’écouter, ils me le renvoient montrant que je suis capable d’émouvoir, on s’entr’aide, c’est touchant. Rester maître de soi-même et de la situation devient alors un beau challenge. Narcissisme? Je ne sais pas. Dans la mesure où l’on se fait simultanément exister les uns les autres… Peut-être. Mais est-ce un défaut que de se sentir exister dans les yeux des autres, quand on arrive si peu à exister pour soi-même? Dangereux, en tous cas. Je m’en souviendrai.

Le théâtre ne m’a pas procuré cela – cette capacité à l’échange (il a d’autres qualités – l’oeuvre commune reposant sur l’équilibre et les bonnes volontés associées d’un groupe, entre autres – et d’autres émotions), non plus que l’impro. Le théâtre de rue, le chant, déjà un peu plus. Toujours cette notion de partage immédiat. J’ai pas essayé le cinéma mais je ne sais pas si ça me plairait ou bien si, plus sommairement, ça m’intéresserait.

Sur la question du répertoire, je suis comme toi : Je ne parle que des histoires qui m’ont parlé à l’oreille ou directement au coeur – quand ce sont des reprises.

Pour les contes écrits avec ma seule plume et venant de mes tréfonds personnels, c’est plus complexe. Nul doute que bon nombre d’images et de fantômes d’autres histoires viennent s’y emmêler pour troubler la sauce. Que d’autres voix – celles de conteurs entendus et aimés – viennent se superposer à la mienne, c’est sûr. On ne fait pas de gâteau sans farine! Mais ça aide, même s’il faut épurer par la suite, pour trouver ses propres mots.

Ce qui est sûr, c’est qu’on n’en sait jamais assez. Ce qui est certain, c’est qu’il faut avoir confiance. Bien sûr qu’il est légitime pour tout conteur de se poser la question du répertoire. Trop jeune? Tu parles! On se pose la question de ce qui nous va le mieux à la voix, à la bouche, au geste. C’est normal : comme tu le dis, on a loupé le stade de la transmission directe, on s’est faits tout seuls, nous autres. Alors pas le choix.

Pour la confiance, c’est au niveau de la mémoire que je la place. J’aime imaginer qu’on a tous une mémoire comme une passoire à nouilles, ou un tamis pour les délicats. Chacun son grain, son calibre. Elle passe, elle tamise, elle fait le tri. Seuls restent les morceaux intéressants, les farfalles ou les spaghettis pour les uns, les pépites (en or ou en chocolat ?) pour les autres. Reste ensuite à remonter le filon: qu’est-ce-qui m’a tant plu ici ? Une fois qu’on a identifié la chose, on vérifie qu’on s’y sent à l’aise, on tente un petit tour de reconnaissance… Parfois, on plonge et ça baigne. Parfois, on se trompe. Pas grave, cherchons encore…

Là où je rejoins les « routards » du conte (Dan, Jocelyn, Mike…), c’est qu’un répertoire ne se créé pas en un jour ni en un an. Qu’il faut d’abord vivre pour raconter. On n’attrape pas trente ans de contes comme on prend une bière ! Là aussi, question de confiance… Laisser du temps au temps… Tout en continuant sainement à travailler et à se poser des questions (sans se torturer trop le cervelet, quand même).

Alors, pourquoi je conte ? Pfouuu…

Pour moi-même, c’est sûr. Pour le plaisir et parce que ça m’aide à vivre. La scène, c’est mon monde. Le conte, c’est ma route. Empêchez-moi de conter, je crève. De tristesse, de doute, d’angoisse. C’est le seul endroit où je me sente bien.*

Pour les autres, parce que ça m’aide à les aimer, à aimer l’humain, qui n’est pas bien beau, qui fait tant de conneries, plus laides les unes que les autres… C’est beau de les rendre beaux, tu ne trouve pas ? Les étoiles dans les yeux…

Pour préserver des petits bouts précieux de mondes anciens et déjà morts, aussi, qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Et qu’on ne retombe pas, nous, dans nos erreurs. Parce que la sagesse du monde ne s’est pas non plus faite en un jour ni en un an, parce que d’autres que nous, depuis longtemps, se sont creusés le ciboulot, et que la moindre des choses est de s’en souvenir. Parce qu’à l’époque des mémoires électroniques grosses comme une sucrette et à la contenance aussi vaste qu’un paquebot, ça peut valoir quelquechose de rappeler que l’humain, lui aussi, est capable de mémoire, que la sienne est tout aussi bonne et digne de confiance qu’un réseau électronique ultraminiaturisé, et que s’il ne la fait pas fonctionner, il risque tout bonnement la déshumanisation… À quoi ça sert, bon sang, les circonvolutions, si c’est pas à travailler du chapeau !

Je conte parce que j’ai l’impression que je sais le faire.

Parce que ça fait du bien.

Parce que j’y crois.

Je conte parce c’est viscéral, antique, parce que je l’ai toujours fait. J’ai toujours raconté des tas de trucs, sûrement soûlé mes parents et quantité de copains (les pauvres). Mon fils est encore plus bavard que moi. Suit-il le même chemin que sa mère (pauvre de nous !)?

Je conte parce qu’un jour, quand j’avais seize ans, j’ai vu pleurer un copain à moi, dans un recoin paumé du lycée où j’étudiais. On était dans la même classe. Il s’appelait Gwenaël, il était très beau garçon et estropié: une jambe paralysée à 80 %, l’autre à 10%, par une mauvaise opération de la colonne vertébrale. Il ne se déplaçait qu’avec des béquilles, et habituellement toujours très gai, fanfaron même. Ce jour-là, j’ai voulu le consoler, et je lui ai raconté à qui il m’avait fait penser, la première fois que je l’avais vu. Il m’avait fait penser à un personnage de conte, un forgeron, estropié de force par un seigneur cupide qui le voulait à son service exclusif. Enfermé sur une île déserte, ne pouvant pas s’enfuir à la nage, le forgeron se forge des ailes en or et s’envole. Et là, j’ai vu mon copain s’allumer de l’intérieur. Aussi nettement que si j’avais appuyé sur un interrupteur. J’avais jamais vu ça, j’en suis restée muette (pas tout à fait). Puis, le temps a fait son boulot, et on s’est perdus de vue. J’ai appris longtemps après qu’il avait repris la rééducation, et savait marcher sans béquilles. Qu’il parlait encore de cette histoire que je lui avais contée… Je découvrais le poids des mots…  Leur pouvoir incroyable. Cette histoire est si belle qu’il m’arrive de n’être plus tout à fait sûre de l’avoir vécue en vrai. Je l’ai portée en moi, comme un secret, pendant neuf ans (coïncidence ?), avant d’arriver à la mettre en mots. Elle est devenue mon premier conte, « Gwen le boîteux ».

C’est comme ça que je suis devenue conteuse. Les larmes d’un copain… Puis le soleil. Ce jour-là, j’en ai vu de toutes les couleurs… Un vrai arc-en-ciel. Elle doit être là, la vraie réponse. Quelque part dans le temps de mes seize ans.

Après, il y a eu beaucoup de choses et de rencontres (dont celle des conteurs québécois n’est pas la moindre), qui m’ont aidée à construire le reste, pierre à pierre… Et c’est loin d’être fini! Mais le point de départ est bien là: tout dans l’échange, l’émotion, la confiance.

Je sais même pas si j’ai répondu à la question. En tous cas, ça m’a fait causer.

C’est ça qu’est ça !

(ou comme on dit en équivalent breton : « Voilà-voilà-voilà ! »)

Salut et belle route (en espérant que les nôtres se recroisent bientôt !)

Alice

*P.S.:  Pour m’empêcher de conter, cela dit, faudra se lever de bonne heure : Quand je n’ai pas de public, je me raconte mes histoires à moi-même…

Le miroir d’Alice ou l’écho d’un blogue

Elle s’appelle Alice.  Elle est conteuse française (québécoise de coeur) et, sur mon chemin de conte, elle m’a plus d’une fois donné des coups de pouce… Ou tendu des miroirs plutôt.  M’a aidé à réfléchir.

La première fois qu’elle m’a tendu le miroir, c’était dans un atelier donné par Didier Kowarsky.  Pour un exercice, j’avais improvisé une histoire à partir d’idées d’un ami à moi…  Elle m’avait dit : « Continue à la raconter cette histoire-là.  Elle est ronde. »   Je n’ai jamais vraiment compris ce qu’elle avait alors voulu dire, mais je la raconte encore.  Lors d’un apéro-conte, elle me l’a redemandé.  Ma première fois au défunt Sergent recruteur, en ouverture de soirée, c’était avec cette histoire-là. Continuer la lecture de « Le miroir d’Alice ou l’écho d’un blogue »