Apprentissages

C’est avec Petronella Van Dijk, lors d’un stage d’initiation, que j’ai fait ma « re-découverte » du conte, alors qu’on s’aperçoit que les histoires ne servent pas qu’à endormir les enfants ou à désennuyer un camp de bûcherons… C’est là que j’ai réalisé combien cet univers était vaste: contes traditionnels merveilleux, contemporains dramatiques, érotiques, de création, etc. J’y ai aussi appris que, contrairement à ma présomption initiale, des gens pouvaient effectivement nous apprendre à conter… du moins nous apprendre à parfaire notre savoir, notre savoir-faire, notre savoir-être comme conteurs. Les histoires, elles, doivent devenir les nôtres. Petronella est évidemment demeuré ma marraine en matière de conte. Exigeante, mais provoquant des rencontres et ouvrant des opportunités que je n’ai qu’à saisir…

De Guth Desprèz, j’ai appris d’abord que de prendre la parole en public ne devait jamais être un geste innocent: Le conteur a une responsabilité face à ceux qui l’écoutent. L’attention que les autres lui portent doit être respectée. Ainsi, dans la planification d’un spectacle, on s’assurera de ramener les spectateurs dans un état voisin de celui où ils y sont venus. J’ai aussi appris que, pour ceux qui le souhaitent, la vie peut être un « chemin de contes » où les histoires et le contage nourrissent le quotidien et réciproquement. Les deux stages que j’ai suivis avec Guth ont été parmi les plus exigeants (surtout qu’il s’agissait de mes premiers) tant ils étaient denses – de véritables leçons d’historiographie, de théorie et d’éthique du conte – mais ils sont de ceux qui marquent. Guth m’a transmis tout un vocabulaire et des notions de base que j’utilise couramment dans ma pratique, mais dont j’approfondis encore le sens aujourd’hui, plusieurs années après mes stages auprès de lui.

Avec Didier Kowarsky, je me suis ouvert à l’idée que, comme un chanteur qui livrerait sa version d’un air connu, le conteur « interprète » une histoire. Il doit donc entraîner son esprit et son corps à être complètement dans le moment présent afin de « saisir l’instant » et de pouvoir en colorer son conte. C’est extrêmement exigeant et j’avoue rarement y parvenir, mais c’est toujours présent pour moi comme un idéal vers lequel tendre. Didier nous a aussi transmis une bonne dose d’humilité et de détachement alors qu’il nous rappelait continuellement pendant le stage que ce que nous faisions était « sans importance » et qu’il était souvent utile de « se payer une dégringolade » (c’est-à-dire de relâcher nos muscles contractés par le trac) avant d’entrer sur scène et de conter. Penser à lui lorsque je me remémore ce « mantra » et que je pratique cette technique avant un spectacle me ramène vers un état de simplicité et de plaisir auquel j’aspire pendant une prestation publique et qui, je crois, doit être l’apanage du conte.

Pendant le spectacle que Didier avait donné la veille de la formation, il racontait une histoire où trois moines se rendent dans une église abandonnée où dansent des démons lors d’un sabbat épouvantable. Si je ne me rappelle plus des détails de l’histoire, je me souviens clairement que le récit de Didier nous apprenait ce qu’il advenait du premier et second moine, mais restait muet sur le destin du troisième. Ce genre de « fil qui pend » sans avoir été rattaché à la trame narrative révoltait mon esprit cartésien. Lorsque j’en interrogeai Didier le lendemain, il me répondit simplement – mais plein de sous-entendus : « Ah oui, moi aussi le troisième moine c’est mon préféré. » Pour lui, ce personnage dont on taisait les pérégrinations devenait le plus intéressant pour le spectateur qui complétait l’histoire à sa guise. Plus encore, je pense qu’il prend un malin plaisir à créer ces « vides », ces « trous » dans la trame, précisément pour que le spectateur soit déstabilisé, travaille et réfléchisse… Il venait de me donner une liberté non négligeable : Celle de laisser des portes ouvertes dans mes contes, portes que les personnes qui m’écoutent sont libres elles aussi de franchir ou non.

Michel Faubert nous a livré avec beaucoup de pudeur et d’honnêteté son parcours et les influences qui l’ont marqué et en ont fait l’artiste qu’il est devenu. Par cet aperçu de ce qu’il appelle « les greniers parallèles » de son imaginaire, Faubert a contribué à libérer ma créativité alors que je me donne désormais le droit de puiser dans mon histoire personnelle et dans les méandres de mon inconscient pour nourrir mes contes. Sa définition de ce qu’est un artiste – quelqu’un qui s’assume dans la création – m’habite profondément.

Outre l’introduction à la foisonnante richesse des Archives de folklore de l’Université Laval, Robert Bouthiller a su nous transmettre son amour de la parole des vieux et des vieilles, l’importance du collectage, mais aussi de se former l’oreille à l’écoute de cette parole parfois hermétique. Il s’y cache une rythmique particulière et les trésors du parler des anciens (j’ai en tête le mot « enlumièré » utilisé par une conteuse). Sur une note plus personnelle, c’est Bouthiller qui, comparaison entre enregistrements de deux conteuses différentes à l’appui, m’a finalement fait comprendre viscéralement ce qu’on m’avait maintes fois expliqué intellectuellement : le conte s’accommode mal de détails psychologiques ou descriptifs inutiles. Le conte est d’abord action, action, action. Selon les mots de Bouthiller, « le conte, y va tout droit ».

Jihad Darwiche m’a rappelé que le conteur qui trouve une histoire est semblable au sculpteur qui trouve en forêt le morceau de bois à partir duquel il veut travailler. Tandis que le sculpteur élague sa pièce pour lui donner forme, le conteur apprend par cœur la structure du conte. Et, alors qu’il pourrait croire que le tour est joué, c’est là que le gros de son travail commence… S’ensuit un difficile labeur de ciselage et de polissage où la compréhension de « l’histoire entre les lignes », la visualisation des images (non dites lors du contage), le choix des mots à dire et surtout de ceux à taire donne véritablement au conte son statut d’« artisanat » au sens noble du terme : un métier dont les produits finis ne prennent forme qu’au prix de nombreuses heures de travail. Jihad m’a aussi fait le cadeau de m’accompagner dans la préparation d’un de mes contes (« Le grand-père marieur ») et cela reste un des bijoux de mon répertoire.

Très courts (une seule journée chacun), les ateliers avec Alberto Garcia Sanchèz et Luidgi Rignanese n’ont qu’entrouvert les portes d’univers aussi vastes que fascinants, respectivement le travail de mise en scène corporel et la musique associés aux contes.

Du premier (Alberto), je retiens l’importance de chaque geste utilisé pendant le contage, mais également celle de l’absence de mouvement, aussi lourde de sens qu’un silence bien placé. Me reste aussi l’idée de créer par le mouvement un univers cohérent pour le spectateur: Par exemple, si j’incarne mon héros qui se présente devant le roi en regardant vers la gauche, je devrai toujours regarder vers la gauche à chaque fois que le héros s’adresse au roi.

Quant au second (Luidgi), moi qui n’entends rien à la musique, je me suis pourtant bien rendu compte de tout ce qu’elle pouvait apporter au conte, pour autant qu’on intègre les deux et qu’on soit prêt à ce que l’histoire en soit profondément transformée. Il ne s’agissait pas ici d’ajouter un bruit de fond à une histoire déjà figée, mais au contraire de la laisser être « contaminée » par la musique pour y découvrir l’hybride qui en résulterait. En un après-midi et avec du travail sur quelques extraits des contes des participants, nous avions sous les yeux – et dans les oreilles – la preuve vivante du « oumph » que peut donner cette fusion entre les deux formes d’art.

 

Note:  Ce texte date de 2007.  Depuis, j’ai également eu la chance d’avoir une autre formation avec Alberto Garcia Sanchèz (de trois jours cette fois), une formation sur le souffle et la voix avec Danielle Carpentier, une formation avec Michel Hindenoch (que je considère comme l’un des meilleurs conteurs qu’il m’ait été donné d’entendre et dont le livre, Conter, un art?, m’avait passionné), une avec Alexis Roy sur le « corps conteur » et finalement une plus récente avec Bernadète Bidaude.  Oui, je sais, je suis un peu « abonné » aux formations.  Que voulez-vous, j’en mange…

Tout ça pour dire que ce texte sera bonifié dès que j’aurai un peu de temps pour mettre de l’ordre dans mes notes de stages…

Une réflexion sur « Apprentissages »

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