Le conteur indigène

Il y a plusieurs grandes injustices au panthéon de la chanson québécoise.  Une de celle qui m’attriste le plus est le peu de place réservée au regretté Sylvain Lelièvre.  Ses textes sont forts, sa voix suave, ses musiques jazzées, sa livraison et son propos très urbains.  Pour moi, « Marie-Hélène », « Les choses inutiles », « Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? » sont des bijoux trop peu connus…

J’en parle parce que Lelièvre a une chanson qui m’apparaît toucher un problème de relations interculturelles entre les conteurs québécois et les publics francophones du reste du monde.  À chaque fois que j’entends « Le chanteur indigène », j’ai envie de remplacer le mot « chanteur » par « conteur »… Continuer la lecture de « Le conteur indigène »

La scatturlute de Michel Faubert et Karen Young (ou Le mariage anglais)

faubert_youngBonheur le vendredi 17 mai dernier de réentendre le spectacle a capella Le mariage anglais de Michel Faubert et Karen Young.  Je l’avais découvert une première fois en 1995 au Marché Maisonneuve à Montréal et j’en avais gardé une impression très nette jusqu’à m’en rappeler des années plus tard…

Il y a des moments de grâce dans la rencontre de ces deux-là…  Quand Faubert se met à turluter, ce qui créé une ligne de basse sur laquelle Young peut se mettre à chanter « scat ».  Avec le magnifique clin d’oeil de Faubert qui demande à la grande dame: « Connais-tu ça le jazz, toi?  Il me semble que ça t’irait bien… »  Et l’on s’émerveille de la parenté de ces deux modes d’improvisation vocale, soudainement rapprochés. Continuer la lecture de « La scatturlute de Michel Faubert et Karen Young (ou Le mariage anglais) »

Clichés médiatiques du temps des fêtes

La même semaine où je découvre le dernier « Commando Trad » mettant en vedette le conteur Jocelyn Bérubé – ce qui répond à l’un des souhaits que j’avais formulé ici – la blogueuse Christiane Campagna des Chroniques Trad y va d’un « Message préventif aux médias qui parlent du trad une fois par année » bien senti.

C’est un petit condensé qui permet de revisiter certains de ses billets passés mais toujours aussi pertinents, que ce soit à propos des associations éculées entre musique trad et temps des fêtes,  musique trad et « goût du jour »musique trad et nostalgie…  Prenez donc le temps de cliquer sur chaque hyperlien !

Bien sûr, plusieurs de ces associations valent aussi pour le conte.  La faute à qui ?  Je m’étais posé la question cet été

Mme Campagna parle du rôle des médias qui ressassent les mêmes clichés.  Au fond, les gens des médias agissent comme des amplificateurs (mais c’est vrai qu’ils pourraient parfois être plus curieux et nuancés).  Comment pouvons-nous briser ce moule ?

Filer d’août

Par derrière chez mon père, il y a un pommier d’août
Les feuilles en sont vertes et le fruit en est doux… 

Par ces vers d’une version du « Grain de mil », je veux me rappeler le mois d’août 2011 plein de soleil, de rires d’enfants dans la piscine, d’expériences BBQ, de musiques et bien sûr d’histoires… J’ai donc surtout pris le temps de vivre parce que parfois c’est en engrangeant des sensations et des expériences que l’on nourrit nos contes. J’ai peu blogué, même si les occasions de le faire n’ont pas manqué. Pour mémoire, je tenais à en garder trace. Petite chronique d’un mois faste qui a filé trop vite :

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Compagnes et compagnons de la côte

Je reviens de La fête des chants de marins de St-Jean-Port-Joli où j’ai passé un week-en d’amoureux avec ma douce.  J’y ai notamment réentendu avec plaisir « Les souillés de fond de cale » (un groupe breton de Paimpol que nous avions découvert à Binic en 2000) et découvert le trio « Lemieux-Marchand » (le duo de père-fils violoneux des Lemieux complété par Paul Marchand à la guitare) et la comédienne et conteuse Valérie Lecoq qui animait une fort chouette randonnée « contée/jouée » (du « récit de vies théâtralisé », explique-t-elle) intitulée « Femmes de marins, compagnes de pêche ».

Je suis un gars de la ville et je me sens plus proche du feu que de l’eau, mais y’a quelque chose qui me bouleverse profondément à être ainsi près de la mer et des bateaux.

Ce fût l’occasion d’une passionnante discussion avec Mme Lecoq justement sur l’appellation « arts du récit » vs. « conte » (associé au spectacle pour enfants selon elle), l’utilisation d’accessoires en soutien à son spectacle (notamment un drap que l’on prend dans un lieu pour finalement le plier plus tard avec un membre du public) et le travail d’intégration du spectacle dans de nouveaux lieux chaque fois (la partie « randonnée » du show).

Bien sûr, son spectacle est théâtralisé, mais elle n’en fait pas de mystère.  Elle fait d’abord un travail de comédienne.  Si le spectacle commence au « elle » en parlant d’Henriette, un personnage fictif de femme de marin composé de plusieurs témoignages véritables, dès la troisième station on passe au « je » alors que Valérie interprète Henriette.  Pour elle, « il me serait impossible ou difficile de refaire du conte de manière traditionnelle, assise sur une chaise.  Je connais peu de gens qui le font encore de cette façon ».  Point de vue intéressant…  Qu’il m’est évidemment difficile de partager complètement.

De mon côté, j’ai particulièrement apprécié que le spectacle soit basé sur des documents ethnographiques et donne une voix à ces femmes dont on a très peu raconté l’histoire.  Bien joué, le personnage est fort attachant et le caractère authentique des répliques les rend d’autant plus poignantes (notamment ce moment où Henriette calcule n’avoir passé que trois ans avec son mari… sur dix-sept ans de mariage et « ne pas avoir aimé cette vie-là »).  Cependant, le texte très écrit me paraît peut-être perdre une souplesse qui pour moi doit caractériser le conte…  Surtout quand Mme Lecoq m’explique qu’elle doit toujours faire le récit dans le même ordre, alors que pourtant celui-ci se permet bien des sauts dans le temps entre jeunesse et vieillesse du personnage…

Par ailleurs, les retrouvailles avec les « souillés » ont été l’occasion de se retrouver en Bretagne (dans nos têtes et dans nos coeurs) et d’ajouter deux chansons traditionnelles à mon répertoire: L’archi-connue mais magnifique « Isabeau » (« Isabeau s’y promène/ Le long de son jardin… ») dont ils font une très belle version a capella (« sans les mains » comme dirait Philippe Noirel, chanteur principal du groupe) et « C’est dans la ville de Larochelle » dont la mélodie et les paroles me hantent toujours: « La beauté, à quoi nous sert-elle?

Après trois jours au bord du fleuve à m’emplir les yeux et les oreilles, je peux affirmer qu’elle permet de faire le plein de moments qui aident à supporter l’ordinaire.

Mémoire vive

Hommage très bref à Christiane Campagna, blogueuse derrière les très utiles Chroniques Trad (pour tout savoir ce qui se trame dans ce milieu).  Elle vient d’entreprendre sur son site une nouvelle série intitulée « Tradition-Net »: « des billets à caractère techno pour les amateurs, artisans et producteurs d’arts traditionnels. »  « Parce que l’amour des traditions et la maîtrise des nouveaux médias sont compatibles… », explique-t-elle.  Ayant souvent constaté que les conteurs étaient aussi loin d’être tous confortables avec la technologie, je dois saluer son initiative.  J’ai beau me servir souvent de la techno, je ne suis pas sûr que je serais capable de la vulgariser aussi bien.  Or, je suis convaincu de l’apport d’Internet et des nouveaux médias au travail de collecte, de recherche et de diffusion du conte.  Dans ce premier segment, elle s’attaque à la démystification des flux RSS.  Il ne me reste qu’à espérer qu’un jour tous les sites de contes que je suis permettront la « syndication »…

Chansons du fond de l’enfance

J’ai (re?)commencé à chanter « Au chant de l’alouette » à mes enfants depuis que je l’ai réentendue d’un chansonnier à la St-Jean (Jérôme Fortin, du groupe Galarno, mais que je connaissais des Musique à bouches). C’est archi-connu, mais je l’avais complètement oubliée.

Il m’apparaît important de chanter ces chansons à nos enfants. Quand ils les chanteront à leur tour, ces pièces n’auront pas la même résonance émotive que les autres…

Avec « Aux marches du palais » (redécouvert grâce à Nicolas Pellerin et ses Grands hurleurs) et « Fendez le bois, chauffez le four », c’est le tout petit héritage de chansons qui me vient de ma prime-jeunesse (je ne sais même plus d’où). J’aime bien les autres chants trad que j’ai appris à l’âge adulte, mais ceux-là me touchent « ailleurs » quand je les chante

Après les « Commandos Trad », la guérilla contée?

Robert Bouthiller a récemment affiché cette vidéo sur son profil Facebook.  J’adore ça!  (Y’a parfois décalage (lag), mais écoutez jusqu’à la fin pour voir les « noms de code » des « agents » séditieux…)

Ça conforte une idée que j’ai depuis un certain temps, à l’effet qu’il faudra probablement que les conteurs exposent le public au conte « de force » pour lui rappeler qu’ils sont bien vivants et actifs en 2010…

Chronique musique trad I: Les grands hurleurs et La part du feu

J’avais prévenu d’entrée de jeu que je consacrerais de l’espace de ce blogue à la musique traditionnelle.  Précisons seulement que je ne suis ni musicien, ni connaisseur, mais un amateur éclairé, tout au plus.  Reste que je parlerai volontiers de ce qui m’accroche l’oreille.

Lors d’une de mes dernières visites chez un disquaire pas particulièrement reconnu pour l’espace de rayonnage qu’il consacre à la musique traditionnelle, je tombe pourtant avec bonheur et surprise sur La part du feu du Vent du nord, Nicolas Pellerin et les Grands hurleurs, La tuque bleue et le dernier album du groupe Mauvais sort.  S’il y a un signe certain de l’approche des Fêtes, c’est bien quand les groupes de musique trad sortent des disques.  J’ai acheté les deux premiers.

Cinquième CD pour Le vent du nord, ce groupe qui est en train de compétitionner sérieusement avec La bottine souriante comme meilleur produit d’exportation du folklore québécois à l’étranger.  Puissent-ils être davantage connu chez eux!  Mais nul n’est prophète…

La part du feu m’apparaît un album plus exigeant que Dans les airs (2007), précédent opus studio du groupe qui s’écoute tout seul avec des pièces comme « Rosette », « Le vieux cheval », « La fille et les dragons ».  J’aime particulièrement « Tour à bois », une composition très habile de Nicolas Boulerice.

La nouvelle galette demande plus d’attention, ne serait-ce que parce que les textes sont souvent plus graves (« Octobre 1837 », « La mine », « Rossignolet ») et parce que les arrangements sont souvent particulièrement riches.  La vielle à roue de Boulerice est toujours omniprésente, pour notre plus grand bonheur.  Cela confère une sonorité exceptionnelle au groupe, un fond sur lequel violon, accordéon et bouzouki s’envolent avec brio.

Il y a bien des pièces plus joyeuses comme l’excellente « Lanlère » qui ouvre le bal avec un Simon Beaudry très en voix et que j’aurais d’ailleurs aimé entendre davantage chanter (Il n’a qu’un autre solo avec « Écris-moi », pièce romantique qui clôt l’album).  On découvre aussi avec bonheur « Montcalm », où le grand général – qui écrit à sa mère en 1758 – fait montre d’une poésie pour le moins « martiale »:

Ce sont des chiens à coups de pied, à coup de poing
Faut leur casser la gueule et la mâchoire
Ce sont des chiens à coups de pied à coup de poing
Nous auraient cassé la gueule et la mâchoire

(Je reste curieux de comprendre comment on peut épargner la mâchoire de quelqu’un tout en lui cassant la gueule…  Intérêt purement spéculatif, s’entend.)

D’excellentes pièces instrumentales complètent le disque.  Du nombre, j’aime particulièrement « Mamzelle Kennedy ».

J’avais vu Nicolas Pellerin et ses grands hurleurs en spectacle au Festival des Traditions du monde l’été dernier.  Indépendamment du brillant album réalisé avec son célébrissime frère, j’avais tout de suite été séduit.  Il me semblait qu’il y avait là d’excellents instrumentistes avec une énergie que j’avais hâte d’entendre sur disque.  Le résultat en studio me semble plus mitigé.  Ici aussi, un album exigeant.

Par exemple, je ne suis pas convaincu par le choix d’avoir trois pièces instrumentales sur les six premières de l’album, bien qu’elles soient toutes réussies.  Le violon de Pellerin, la basse de Lepage et la guitare de Marion ont beau être joués avec virtuosité, il me semble que cela ne permet pas de prendre autant contact avec les artistes.  La relation que crée la voix humaine me semble plus… directe.  Bon, c’est vrai que je suis d’abord conteur.

Plusieurs pièces sont très puissantes avec des arrangements résolument modernes qui, là encore, demandent quelques écoutes avant de couler à l’oreille.  Je pense à « Rossignolet » où l’on fleurte allégrement avec le jazz et même un certain funk ou à « Malmariée » tout en pizzicato et en gravité.  D’autre part, la pièce-maîtresse du disque demeure selon moi la magnifique « Corsaire » (6 min 13 !) qui convient à la voix particulière de Pellerin et où tout un vocabulaire maritime s’exprime avec vigueur.  Que j’aime ces histoires de combats navals…  Je n’arrive juste pas à concilier ce texte très littéraire avec le refrain de « Zimbala zim boum boum tralala… »  La beauté des paradoxes de la culture populaire!

Toujours à titre plus personnel, je suis ravi de la double version des « Marches du palais » parce qu’elle m’a permis de reprendre contact avec cette chanson que je connaissais tout jeune.  (Et une berceuse de plus pour mes enfants…)  Ou encore « L’orme », une version de la Côte Nord d’une chanson « allégorico-grivoise » que j’aime beaucoup.  La version que je connaissais s’intitule « La pomme » et a été endisquée par Serre l’écoute qui l’a tiré du répertoire de Jean-Paul Guimond de Wotton.

Somme toute, une assez bonne récolte.  Quand je parle d’exigeance, ce n’est pas un défaut.  Ça demande une écoute plus attentive et de l’apprivoisement.  C’est, me semble-t-il, un juste prix à payer pour que la musique traditionnelle devienne plus qu’une simple trame sonore de partys et qu’elle acquière ses lettres de noblesse aux yeux d’un public de plus en plus large.  C’est aussi assez naturel que les musiciens trad aient envie d’expérimenter et de devenir créatifs avec ce fabuleux matériau de base… Ce que nous, conteurs, ne nous gênons pas pour faire!

Contes et complaintes

Qu’est-ce que j’ai hâte! Je suis énervé comme un ti-gars… Je vais jeter un oeil sur le site de Planète Rebelle pour en savoir plus sur Feu blanc, le livre-CD à paraître du collègue Éric Gauthier et, sur quoi je tombe? Contes et complaintes. Deux voix contemporaines. Soit l’enregistrement du spectacle Faubert-Hindenoch d’il y a deux ans au Festival Les jours sont contés en Estrie! C’est déjà Noël!

Quel beau cadeau nous font les Productions Littorale et les éditions Planète Rebelle! Quel beau cadeau nous avait fait les deux Michel à l’époque! J’ai eu le plaisir d’être dans la salle ce soir-là et j’ai hâte de voir ce qu’ils en ont conservé. Pour moi en tous les cas, c’est un achat incontournable.

Juste d’entendre « La ville de Sarlat » chanté à deux voix sur l’extrait sonore disponible sur le site, j’en ai des frissons (faut dire que depuis la formation avec Hindenoch, « Sarlat » fait partie des berceuses à mes enfants, tout comme « Pour l’amour d’une fille » depuis une formation avec Faubert). Pendant le spectacle, Hindenoch a fait notamment un magnifique conte d’origine géorgienne « L’histoire du chasseur ». J’espère – je présume – qu’il est sur le disque.

Si vous n’y étiez pas, tendez l’oreille, vous ne le regretterez pas. Si vous y étiez, avouez que ça fera de chouettes souvenirs. Sortie prévue le 9 octobre, selon un libraire…