Ni elle ni lui

Elle (parfois ce sont des « lui », mais je rencontre plus souvent des « elle »).

Elle m’a probablement abordé après un spectacle ou un atelier.  Elle était très gentille et enthousiaste.  Elle s’est mise à me dire que mes histoires l’avaient touchée, ce qui est toujours agréable.  Elle m’a expliqué combien les contes étaient importants dans sa vie, qu’ils portaient des sagesses anciennes.  Difficile de ne pas être d’accord, mais le malaise s’est immiscé doucement dans la conversation…  Ma gorge s’est serrée.  J’ai senti un frisson désagréable me parcourir l’échine. Continuer la lecture de « Ni elle ni lui »

Des réflexions dans la bonne direction

Le conteur Marc-André Fortin me signale cette journée de réflexion de l’APAC (Association professionnelle des artistes conteurs) en France qui aura lieu le 6 mai prochain autour de la question de l’évaluation des pratiques.  Elle complète un cycle de trois rencontres sur l’exigence artistique.  Les questions posées par les organisateurs nous concernent tous, me semble-t-il: Continuer la lecture de « Des réflexions dans la bonne direction »

Mettre ses histoires dans des pots Masson ou la ‘liberté du conteur’ en conserve

affiche_imaginite-greytexturefinal-sans-info2Le 19 janvier dernier, j’ai vu le spectacle L’imaginite: contes absurdes et sensés du Baie-Comois Jérôme Bérubé. Je connaissais Jérôme pour avoir été l’un de ses collègues de stage et pour son implication au Conseil d’administration du Regroupement du conte au Québec.  Toutefois, je ne l’avais jamais entendu conter.  J’ai beaucoup aimé.

Puisque c’est illustré sur l’affiche qui annonce le spectacle, je ne crois pas révéler un trop grand punch en expliquant que le conteur nous présente d’entrée de jeu des pots Masson où il a entreposé ses différentes histoires.  Pendant le show, il ouvre un pot, fait « prendre l’air » à une histoire, la hume, la raconte, en choisit un autre…  Difficile de ne pas craquer pour cette candeur un peu flyée.

Outre la découverte d’un conteur qui promet, ce sont les réflexions que m’ont inspiré ce spectacle sur la notion de « liberté du conteur » qui intéresseront peut-être les lecteurs de ce blogue.

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Camille Perron ou le génie de la naïveté de Noël

camille_perronJ’ai déjà parlé ici de la difficulté à trouver des contes de Noël appropriés pour notre époque, intéressant à l’oral et où le mystère et la magie de Noël demeurent sans être trop teintés de religion…  Quelle ne fût pas ma joie de découvrir les contes de Noël écrits par le regretté Camille Perron [décédé en 1995], alias Pépère Cam, dans le recueil Le p’tit Rien-tout-neu’ et autres contes de Noël paru aux éditions Prise de parole en 1998.

Je pense avoir déjà mentionné mon intérêt pour le répertoire collecté en Ontario français par le père Germain Lemieux et dont les archives sonores sont toujours accessibles au Centre franco-ontarien de folklore (CFOF) à l’Université de Sudbury.  Le fait est que mon épouse vient de ces « lointaines contrées » et que mes enfants sont donc moitié franco-ontariens…  Comme je le suis un peu devenu par alliance!  Je me suis donc procuré le livre-disque de M. Perron en bouquinant au Centre FORA à Sudbury l’été dernier.  Je l’avais un peu mis de côté et je l’ai ressorti à l’approche des fêtes.  Je ne m’attendais à rien.  Mes beaux-parents m’avaient pourtant parlé de Pépère Cam, puis d’Ange-Émile Maheu, à sa suite…  Mais je n’avais pas réalisé l’imposant talent du bonhomme.  L’intérêt d’avoir la voix enregistrée sur disque, c’est que l’on prend la mesure de son aisance et de la convivialité qu’il réussit à créer avec son public. Continuer la lecture de « Camille Perron ou le génie de la naïveté de Noël »

Jan Blake, une maîtresse-femme raconte…

 J’ai fait ma maîtrise à l’Université Concordia de Montréal.  J’ai donc reçu il y a environ un mois une invitation de mon alma mater pour assister à la prestation de la conteuse britannique d’origine jamaïcaine Jan Blake.  Un peu surpris que cette institution offre à ses diplômés d’assister à des spectacles de contes, j’ai d’abord pensé ne pas y aller. Lorsque Stéphanie Bénéteau et d’autres m’ont dit à quelle point il s’agissait d’une conteuse exceptionnelle qu’il ne fallait absolument pas manquer, j’ai pris des arrangements pour être dans la métropole le 14 novembre dernier, soir de la performance de la dame.

Et quel spectacle !  Des histoires puissantes (de la Côte d’ivoire, du Kenya) livrées avec brio par une conteuse charismatique et toujours juste.   Des images claires et directes comme des flèches.  Des mots recherchés, choisis, mais jamais pompeux.  Une aisance dans le jeu et dans la voix qui trahissent à peine les heures de travail requises pour que « ça ait l’air aussi facile ».   Continuer la lecture de « Jan Blake, une maîtresse-femme raconte… »

Dessert amer

[NLR : Dans le cadre d’une récente formation avec Bernadète Bidaude, cette dernière nous a proposé de pasticher une recette pour exprimer un sentiment ou dénoncer quelque chose.  Le jeu étant trop tentant, je m’y suis laissé prendre.  Alors que mes collègues y sont allé de Bouillon de colère, Caresses de soleil, Gigot de nostalgie, Tsunamitsu de la peur et autres Gâteau Blockbuster (façon Hollywood),  j’ai choisi de me défouler d’une frustration latente en concoctant un dessert dont je préférerais pourtant que l’on se passe collectivement.  À noter avant qu’on ne me jette des pierres : Il m’est sans doute arrivé de le cuisiner à l’occasion, mais je tente désormais de l’exclure de mon régime…] Continuer la lecture de « Dessert amer »

Filer d’août

Par derrière chez mon père, il y a un pommier d’août
Les feuilles en sont vertes et le fruit en est doux… 

Par ces vers d’une version du « Grain de mil », je veux me rappeler le mois d’août 2011 plein de soleil, de rires d’enfants dans la piscine, d’expériences BBQ, de musiques et bien sûr d’histoires… J’ai donc surtout pris le temps de vivre parce que parfois c’est en engrangeant des sensations et des expériences que l’on nourrit nos contes. J’ai peu blogué, même si les occasions de le faire n’ont pas manqué. Pour mémoire, je tenais à en garder trace. Petite chronique d’un mois faste qui a filé trop vite :

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Du dur défi de re-définir indéfiniment

Un mot en réponse à certaines réactions d’inconfort face à cette­ « manie » que j’ai (avec d’autres) de toujours chercher à définir et à mieux cerner les contours de notre art.  On me reprochera qu’en tentant de déterminer « ce qui en est », j’exclus d’office le reste… qui n’aurait plus droit de citer. Or, pour moi, affirmer que certaines manifestations artistiques correspondent moins à ma définition du conte (comme pratique, pas comme genre littéraire), ne signifie certainement pas qu’elles n’ont pas leur place dans toutes sortes d’amalgames et d’expériences de métissage qui peuvent enrichir tous les arts.   Continuer la lecture de « Du dur défi de re-définir indéfiniment »

Flying Coach 7: Et après…

Je suis très conscient de ne pas avoir donné de nouvelles sur ce blogue quant au résultat de mon exercice public dont j’ai amplement parlé au printemps dernier.  Je ne savais pas trop quoi écrire:  Comment témoigner d’un spectacle dont on est le principal interprète? « Score final: 3-2.  Après une première période difficile, Dubé se ressaisi et parvient à conter efficacement en deuxième demie.  Il a néanmoins commis plusieurs erreurs qu’il devra corriger s’il espère se rendre en séries finales… »

Avec le recul de quelques mois, il m’est plus facile de me faire une tête.  Alors que Mme G. et moi nous remettons à l’ouvrage, je peux désormais partager un peu des éléments sur lesquels nous allons nous attarder lors de nos prochaines rencontres.  Notons d’abord que l’exercice a atteint son but, soit celui de récolter un maximum de commentaires pour orienter la suite du travail.  Le spectacle ayant été filmé, j’ai maintenant en main la vidéo.  Un fois passé le malaise de regarder quelqu’un qu’on connait trop bien, elle devient un outil précieux.  J’en ai déjà parlé ici.

Ainsi, plusieurs spectateurs-commentateurs ont souligné un problème avec les transitions entre les contes.  Avec éloquence, la vidéo leur donne raison… Ce sera donc un de nos principaux chevaux de bataille.  La bande montre notamment que j’ai tendance à « laisser tomber » le public entre mes histoires.  Je ne les accompagne pas suffisamment pour rester avec eux dans une émotion, un silence.  Mon regard fuit alors que je suis déjà ailleurs en train de préparer le conte suivant.

Par ailleurs, j’ai souvent tendance à ajouter un commentaire, une pensée philosophique, une morale à la fin de mes histoires.  Je comprends mieux maintenant en quoi ce n’est pas très intéressant à regarder, ni même toujours à entendre.  Surtout, je réalise aussi que c’est manquer de confiance en mon public qui est bien capable de se faire sa propre idée à la suite d’une histoire.  Sous prétexte de « protéger » mon public (ou est-ce plutôt parce que j’ai peur de ne pas pouvoir en supporter la charge émotive), j’atténue le caractère percutant de certaines finales.  D’autre part, parce que j’en rajoute, cela créé une seconde (et parfois même une troisième) fin, si bien qu’on ne sait pas toujours qu’un conte est terminé.  Re-problème au niveau des transitions…

Il y a aussi un des contes dont personne n’a parlé (le dernier de la première partie que j’appelle « Le prophète et le berger ») pas plus pour en dire du bien que pour en souligner les défauts.  Pour Mme G. et moi, c’est symptomatique: celui-là a raté sa cible…  On travaillera donc à lui redonner du corps.  S’il ne s’améliore pas, on coupera.

La vidéo est évidement impardonnable quant aux gestes qui « sonnent » faux, aux descriptions trop longues (ça m’arrive parfois, quelle surprise!), aux tics, aux changements de niveau de langage, aux phrases moins bien articulées.  Mais elle permet également de voir que du chemin a été parcouru, qu’il y a des moments où « ça marche vraiment ».  Ces instants là sont à garder et on a donc moins besoin de s’y attarder.  Et cela aussi, c’est très précieux.  Ça permet de gagner du temps.

C’est donc une seconde étape du travail qui s’amorce, alors que l’automne sera ponctué de vraies représentations de ce spectacle (sans le filet des amis critiques) qui viendront elles aussi nourrir la réflexion et les rencontres de pratique.

Des livres de contes d’alentours entre liberté et respect


Je viens de compléter la lecture de Lieux de légendes et de mystère du Québec de Henri Dorion, avec photographies de Pierre Lahoud (Éditions de l’homme, 2009), et de L’amérique en contes et légendes de Michel Savage et Germaine Adolphe (Modus Vivendi, 2009).  N’ayant pas reçu ces bouquins à Noël dernier, je me suis finalement décidé à les emprunter en bibliothèque…

Dans les deux cas, il s’agit de très beaux livres, magnifiquement illustrés. Par les photos de Lahoud et les aquarelles d’Anik Dorion-Coupal dans un cas et par celles de Marc Mongeau dans l’autre.  Des ouvrages de référence sans aucun doute.  Les 33 sites présentés dans Lieux… et les 62 histoires racontées dans L’amérique… sont des « must know » pour tous les conteurs québécois (et d’ailleurs), me semble-t-il. Ça fait partie d’une « culture générale » de l’imaginaire de nos alentours et c’est bien utile de les trouver ainsi rassemblés…

Que l’on s’intéresse à la façon dont le fantastique a affecté la toponymie dans les différentes régions du Québec ou que l’on veuille se réconcilier avec le légendaire américain généralement pas mal moins connu que celui d’Europe (chez les francophones), il s’agit là d’ouvrages importants dans une bibliographie sur le conte.

Dorion évoque l’origine du Cap-chat, des Méchins, de la Forêt enchantée de Ville-Marie, de Memphré le monstre du « loch Magog », etc.  Savage et Adolphe s’attaquent quant à eux au jackalope, à John Henry, Paul Bunyan et même aux mythes de Roswell ou d’Elvis.  Ce sont donc des livres fort complets quant aux univers qu’ils abordent, suffisamment denses pour rassasier les passionnés, mais assez légers pour constituer de bonnes introductions.  Lieux… se démarque sur le plan de la forme, alors qu’il est présenté comme un guide touristique et qu’il inclut des explications géographiques, ainsi que la manière d’aller visiter soi-même les lieux légendaires.  Les sites sont d’ailleurs réunis en onze groupes de trois, par unités thématiques (revenants, végétaux, paysages, etc.).  Par comparaison, les contes de L’amérique… ne semblent pas avoir été organisés dans un ordre précis, alors que l’on saute dans le temps, l’espace et les cultures autochtones, francos, anglos, états-uniennes, espagnoles (quoi que les récits canadiens sont en début d’ouvrage).  Ce désordre est sans doute plus intéressant qu’une structure trop cartésienne, remarquez.

Me reste une réserve générale qui touche les deux livres:  Alors que l’on explique de manière toute scientifique les légendes entourant chacun des sites de Lieux… et que L’amérique… nous « convie à un voyage dans le temps » se voulant « un livre d’histoire et de géographie qui a pour but de faire rire, pleurer ou peur », n’aura-t-il pas tout de même été possible de traiter avec respect la matière première folklorique qui a permis de mettre au monde ces ouvrages?

Je n’ai rien contre le fait de prendre des libertés avec le matériau légendaire pour adapter ou moderniser le conte, mais il me semble important de trouver une façon d’indiquer où se situe la dimension patrimoniale et où l’on tricote de la nouvelle légende avec sa propre créativité.  Il ne s’agit pas de multiplier les notes de bas de page ou de fournir les codes Aarne-Thompson des contes-types employés.  Mais, tout en conservant le caractère populaire et non-scientifique d’un tel livre, il y a moyen d’être un peu précis et de montrer le travail de recherche derrière les niveaux de fiction.

Des exemples? Dorion présente le rocher du pin solitaire, une légende sherbrookoise que je creuse pas mal ces temps-ci.  Il évoque le fait que le pin serait tombé et aurait repoussé à plus d’une reprise.  De toutes les sources que j’ai consultées, il est le seul à avancer cela.  J’aurais bien aimé savoir d’où il tient cette information…  S’il s’agit d’une liberté qu’il a prise (après tout, le pin est symbole de vitalité), comment ensuite ne pas me demander s’il n’a pas fait la même chose avec toutes les autres légendes des sites évoqués dans le livre? Quant à Savage et Adolphe, c’est au niveau des ruptures de ton que l’on sent la coupure entre folklore et « dentelle » contemporaine:  Par exemple, dans la tragique et terrifiante histoire de la Llorona infanticide, on mentionne un personnage secondaire du nom de… Jos Bine!  Il n’y avait vraiment pas moyen de l’appeler John ou Pedro? D’autres tentatives de « faire léger » parsèment les deux ouvrages et ratent également leur cible.

Ces livres restent des sommes importantes d’information. Ils contribuent à donner de la visibilité à des contes et légendes méconnus de chez nous, et ce, à l’intention d’un public de plus en plus large.  Ils sont bien présentés, faciles et agréables à consulter.  Je me dois d’en féliciter les auteurs.

Malheureusement, je ne peux me détacher de l’impression que, sous prétexte qu’il s’agisse de patrimoine d’origine orale et d’oeuvres imaginaires, on se sente autorisé à les manipuler sans un certain souci de rigueur.  Il me semble que la solidité que ces livres gagnerait n’enlèverait rien au plaisir ludique de leur découverte.  Ces histoires si belles peuvent enchanter notre quotidien. On leur doit bien ça, non?