Jan Blake, une maîtresse-femme raconte…

 J’ai fait ma maîtrise à l’Université Concordia de Montréal.  J’ai donc reçu il y a environ un mois une invitation de mon alma mater pour assister à la prestation de la conteuse britannique d’origine jamaïcaine Jan Blake.  Un peu surpris que cette institution offre à ses diplômés d’assister à des spectacles de contes, j’ai d’abord pensé ne pas y aller. Lorsque Stéphanie Bénéteau et d’autres m’ont dit à quelle point il s’agissait d’une conteuse exceptionnelle qu’il ne fallait absolument pas manquer, j’ai pris des arrangements pour être dans la métropole le 14 novembre dernier, soir de la performance de la dame.

Et quel spectacle !  Des histoires puissantes (de la Côte d’ivoire, du Kenya) livrées avec brio par une conteuse charismatique et toujours juste.   Des images claires et directes comme des flèches.  Des mots recherchés, choisis, mais jamais pompeux.  Une aisance dans le jeu et dans la voix qui trahissent à peine les heures de travail requises pour que « ça ait l’air aussi facile ».  

Dans le conte de ce pêcheur malchanceux qui ramène dans son filet une vieille grand-mère édentée et flasque – qui fera pourtant sa fortune – , elle devenait la vieille, y prenant clairement plaisir.  Dans le conte de la fille du zébu, lorsque la vache délaissée et furibonde arrache le visage de sa fille à coups de sa langue râpeuse, la conteuse explique posément ce qui arrive, décrivant la scène avec calme, avec juste ce qu’il faut de gravité.  Dans l’assistance, on est scié par la violence du geste et la portée symbolique de l’image qui nous rentre dans le ventre.  Une mère jalouse qui retire le visage, l’identité de sa fille?  Si on n’est pas dans ce que Marc Aubaret appelle un motif, un super-symbole qui nous met instantanément « en travail », je ne sais pas ce qui en est…

Et cette facilité que Mme Blake a de créer de la connivence avec le public.  Très sympathique, visiblement heureuse d’être là et nous donnant le goût d’y être avec elle. Elle nous a fait chanter des chants africains pour recréer un sentiment de communauté… et parce que la salle où elle s’exécutait était étrange (une salle de réception dans un hôtel du centre-ville de Montréal, avec une colonne au milieu).  Nous permettre de quitter ce lieu bizarre et d’entrer dans les histoires…

Mais, surtout, un aplomb rare.  Du culot, du chien dans le regard.  Le genre de personne de qui, si elle gardait un trésor, on n’oserait même pas paraître devant elle, de peur qu’elle nous foudroie sur place en nous dévisageant.  Une maîtresse-femme qui raconte…

Et qui, heureusement pour nous, partage ce trésor avec générosité.

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