Les leçons d’un cas de Figures (de proue)

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Crédit photo: Maïa Pons

La 24e édition du Festival Les jours sont contés en Estrie vient de se terminer…  Mais elle avait commencé sur des chapeaux de roue!  Le spectacle d’ouverture du 13 octobre 2016 s’appelait Figures de proue. Il y avait assez longtemps qu’un spectacle de contes ne m’avait pas enthousiasmé à ce point. Continuer la lecture de « Les leçons d’un cas de Figures (de proue) »

Les rapports entre le conteur et son conte, selon Jihad Darwiche

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J’ai lu cet automne Le conte oriental de Jihad Darwiche (coll. « L’espace du conte », éditions Édisud, 2001) .  Si le livre contient de l’information intéressante sur la place du conte dans la culture libanaise, ainsi que plusieurs jolies histoires (dont celle, très belle, de « Antara ibn Chaddad » qui me touche particulièrement…) ce sont surtout les dernières pages que j’ai retenues.  Il est beaucoup question de la relation entre le conteur et ses contes. Continuer la lecture de « Les rapports entre le conteur et son conte, selon Jihad Darwiche »

Êtes-vous « trad » ou « spec »? Quiz bidon pour réfléchir à la variété de nos pratiques

En novembre 2012, le Regroupement du conte au Québec (RCQ) m’a demandé d’animer une discussion autour des recommandations de ce que nous avons appelé entre nous le « rapport Crustin ».  Le conteur Bernard Crustin, qui dispose d’une formation en anthropologie, y constatait notamment la diversité des pratiques ou « créneaux » parmi les conteurs québécois, de la tradition à la spectacularisation.  M’est alors venu l’idée, pour mettre le feu aux poudres et lancer la discussion, de ce petit quiz pas sérieux du tout.  Je vous invite aujourd’hui à l’essayer.

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Textes Festival 2012 (3) : le Cercle des conteurs des Cantons de l’est

[Ce texte est en fait la reprise et l’adaptation d’une contribution au numéro d’octobre-novembre 2009 du Bulletin du RCQ.  Dans le cadre du Festival, il visait à présenter le Cercle des conteurs des Cantons de l’est en lien avec les archives de l’évènement.  Le reprendre ici est un peu une façon de souligner l’importance que le Cercle – que j’ai contribué à fonder – a eu et continue d’avoir dans ma pratique.

Né en 2003 du besoin de casser des contes et d’expérimenter avec filet , le Cercle des conteurs des Cantons de l’Est se réunit tous les premiers mardis du mois. Généralement, une période où sont échangées des nouvelles est suivie d’un temps où ceux qui le souhaitent peuvent raconter et recevoir des commentaires de leurs pairs.  Cette rétroaction amicale leur permet de peaufiner leurs histoires avant d’affronter le « vrai » public.

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Des nouvelles des ours (5 en 5 / 2)

Quelques mots pour vous reparler du travail sur le spectacle Les uns et les ours que j’évoquais dans un billet en mai dernier.  Nous le présenterons mardi le 16 octobre prochain, à la Maison des arts de la parole (anciennement Productions Littorale), dans le cadre du Festival Les jours sont contés en Estrie.

D’abord, un coup de chapeau à mes collègues Ours cordialOurs insolite et Boucles d’or.  Vous avez fait de cette aventure de création collective une véritable fête où les références communes (inside jokes), les contributions spécifiques de chacun, le sérieux de la démarche (enrobé d’humour) m’ont permis de goûter à nouveau un certain idéal de communauté artistique.  C’est rarement aussi joyeux et aussi simple.  Si je peux revendiquer d’avoir lancé l’idée et de vous avoir recrutés, vous vous êtes complètement approprié le projet et nous porterons tous ensemble la réussite ou non du spectacle. Continuer la lecture de « Des nouvelles des ours (5 en 5 / 2) »

Préparer ses contes : les bonheurs de l’immersion

Une fois le conte choisi, avant de l’amener à la scène, la conteuse ou le conteur passe du temps avec son histoire.  S’il s’agit d’abord d’un exercice de mémorisation, c’est souvent beaucoup plus.

Quelle différence entre apprendre une histoire par coeur et l’incarner jusqu’à la connaître « par corps » ? Entre retenir les péripéties dans le bon ordre séquentiel et maîtriser complètement une trame narrative jusqu’à saisir la pertinence du moindre détail sur la signification profonde du récit ?  Et est-ce vraiment nécessaire pour bien conter? Continuer la lecture de « Préparer ses contes : les bonheurs de l’immersion »

Dessert amer

[NLR : Dans le cadre d’une récente formation avec Bernadète Bidaude, cette dernière nous a proposé de pasticher une recette pour exprimer un sentiment ou dénoncer quelque chose.  Le jeu étant trop tentant, je m’y suis laissé prendre.  Alors que mes collègues y sont allé de Bouillon de colère, Caresses de soleil, Gigot de nostalgie, Tsunamitsu de la peur et autres Gâteau Blockbuster (façon Hollywood),  j’ai choisi de me défouler d’une frustration latente en concoctant un dessert dont je préférerais pourtant que l’on se passe collectivement.  À noter avant qu’on ne me jette des pierres : Il m’est sans doute arrivé de le cuisiner à l’occasion, mais je tente désormais de l’exclure de mon régime…] Continuer la lecture de « Dessert amer »

Le maître-artisan

Il est de bon ton dans notre milieu de parler du contage comme d’un artisanat (voir notamment le chapitre « Patience de l’arrosage » de Luidgi Rignanese dans L’art du conte en dix leçons), mais qu’est-ce que ça veut dire au juste?  Au-delà du temps à prendre, du savoir-faire à développer, je crois que les processus de travail et les rapports à la matière se ressemblent.

En préparant mon intervention du 13 novembre dernier lors du colloque annuel du Regroupement du conte au Québec (RCQ), à propos de la formation des conteurs, j’ai repensé à un conte chinois.  C’est un texte qu’avait présenté en 2007 la conteuse et intellectuelle brésilienne Regina Machado lors d’une rencontre autour des thèmes « mission/transmission » organisé par les Productions Littorale.  Le texte était en anglais et j’ai tenté, bien modestement, de le traduire.  Je le reproduis ici, parce qu’il m’apparaît nommer plusieurs éléments que des conteurs-artisans devraient développer lorsqu’ils ont le souci d’améliorer leur art:

Autrefois, nous dit Zhuang Zhou, il était un maître artisan qui créait de si beaux objets de bois que le roi lui-même demanda à connaître le secret de son art.

« Votre majesté, dit le menuisier, il n’y a pas de secret… mais il y a bien quelque chose.  Voici comment je procède :

Lorsque je m’apprête à faire une table, je rassemble d’abord mes énergies et je calme mon esprit afin de parvenir à une paix absolue.

Je deviens indifférent à toute récompense que je puisse gagner ou à quelque gloire à conquérir.  Quand je suis libre de l’influence de toutes ces considérations extérieures, je peux écouter la voix intérieure qui me dit clairement ce que je dois faire.

Quand mon habileté est ainsi concentrée, je prends ma hache.  Je m’assure qu’elle soit parfaitement affilée, qu’elle tienne confortablement dans ma main et qu’elle devienne le prolongement de mon bras.  Alors, j’entre dans la forêt.

Je cherche le bon arbre : l’arbre qui attend de devenir ma table.  Et lorsque je le trouve, je demande : « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? »

Alors, j’abats l’arbre et je me mets au travail.

Je me souviens comment mes maîtres m’ont enseigné à mettre mon talent et ma pensée en relation avec les qualités naturelles du bois. »

Le roi dit alors : « Lorsque la table est terminée, elle a sur moi un effet magique.  Je ne peux la traiter comme n’importe quelle autre table.  Quelle est la nature de cette magie? »

« Votre majesté, répondit le menuisier, ce que vous appelez ‘magie’ provient de ce que je viens de vous expliquer. »

Les éléments dont il est question dans ce conte m’apparaissent tous des fondamentaux: l’importance de développer une éthique du travail et du conte, d’affûter ses outils (corps, voix, prestance) et de découvrir comment ils peuvent servir le conte, se souvenir des enseignements des maîtres, travailler à mettre en valeur les « qualités naturelles » de l’histoire, etc.  Mais c’est encore et toujours la question du rapport au répertoire qui m’avait interpellé et m’interpelle encore.

Comment « entrer en forêt » dans le foisonnement des contes (déjà le stage avec Marc Aubaret m’a donné des pistes…) et savoir choisir le « bon arbre » (le bon conte) celui « qui attend de devenir [notre] table » (de se laisser approprier par le conteur)? Il s’agit, en quelque sorte, de savoir identifier le diamant brut qu’il faudra ensuite travailler et polir.  Faire des choix; décider de ne pas conter certaines histoires pour en privilégier d’autres…

Je suis reconnaissant à Regina Machado – et à Zhuang Zhou, je supposepour cette idée d’entrer en dialogue avec un conte que l’on a trouvé et que l’on a envie de conter: « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? » Comment, avec ma couleur et ma personnalité de conteur, vais-je refléter sur cette histoire?  Que puis-je apporter de classique ou d’original, de réinterprétation, d’hybride et de contemporain à la manière de la raconter? Comment est-ce que le fait d’introduire ce conte dans mon répertoire va colorer mes autres contes et me transformer, moi, comme conteur?

Dès lors, le rapport artistique entretenu avec la matière contée devient plus viscéral qu’intellectuel.  Assez proche de celui du sculpteur, de la tisserande, de l’ébéniste ou de l’orfèvre, finalement.

Festivalier comblé

N’ayant ni à conter, ni même à être bénévole cette année, j’ai complètement profité du Festival Les jours sont contés en Estrie pour être le meilleur spectateur possible.  Je me suis généralement (ahem!) couché tôt, suis allé voir plusieurs spectacles mais pas tous (ah, les choix difficiles) et j’ai appris en observant.  Il faut dire que le fait d’être moi-même en processus de création aiguise le regard…

De Michèle Nguyen, je retiendrai la grâce, l’intensité qui fait vibrer toute l’assistance, les silences justes, porteurs, une écriture magnifique, brillante. Je la voyais pour la troisième fois et il me semble qu’elle a encore « grandi » dans l’efficacité de sa présence, la force de son contact avec le public.  Je retiendrai aussi la question d’un ami néophyte au conte: « Est-ce que ce n’était pas du théâtre? » Avec une marionnette (qu’elle manipule merveilleusement), quelques accessoires, une trame sonore, je pense que la question mérite d’être posée.  Conte ou théâtre, j’ai bien hâte de la revoir et de la réentendre.

De Jean-Claude Botton, je conserverai sa finesse à raconter tant aux adultes qu’aux enfants.  Son habileté à « mettre le public dans sa poche » par de très courts récits pour accrocher, établir le contact.  Les ritournelles, les jeux de mots et répétitions. Et puis la force des images qu’il se créé et qu’il nous donne à voir.  À un moment, il avait vraiment une lune dans l’oeil.

D’une conversation privilégiée avec Jihad Darwiche, j’ai bien compris que l’on peut toujours retravailler une histoire, la polir davantage et en retirer les entraves afin qu’elle « passe » mieux.   Retravailler un conte toute sa vie et même quand on est convaincu que la version collectée est sacrée. « Nous sommes des passeurs, il faut que nos histoires passent… » et « Si tu nourris souvent tes histoires, elles continueront à te nourrir ».  Et comme j’ai aimé réentendre les différentes versions des « Babouches d’Abou Kacem ».  Vive les contes gigognes des Mille et une nuits avec leurs emboîtements qui rendent intelligents!

De Naomi Steinberg, je retiendrai la voix grave, hypnotisante, enveloppante, qui m’a bercé par des histoires pleine de brume vancouveroise, dont une version coréenne magnifique de « L’oiseau de toutes les couleurs » et une « Fille curieuse » en visite chez une Baba Yaga nordique.

De Jean-Claude Bray, je constate l’importance de se connaître et de conter ce qui nous colle à la peau.  Comment ce petit homme à la voix nasillarde et à l’air (mais seulement l’air) absent parvient-il à choisir des histoires qui lui vont aussi bien et à dégager un tel charisme?  Il y a là un mystère et une ruse qui me mystifient.

D’Agnès Chavanon, je garde la construction de son spectacle sur les loups où elle mêle histoires traditionnelles, anecdotes imaginaires et véridiques, de même que récits contemporains qui rejoignent tous la même thématique.  J’ai bien aimé ce mélange de narrations autour d’un même thème.  C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon spectacle sur les au-delàs, mais j’aurais aimé aller encore plus loin.

De Serge Valentin, je me souviendrai longtemps d’une conversation à bâtons rompus où nous avons chacun défendu nos positions et découverts des points d’accord.  Je retiendrai son besoin d’être « farouchement libre » qui l’amène à se former en autodidacte et à se méfier des écoles artistiques.  Après cet échange, aux petites heures du matin, j’ai écris pendant une demie-heure.  Un texte sur la formation des conteurs a commencé à prendre forme.

Un beau festival, une édition que je vais chérir pour longtemps.

La poutine

J’ai moins écrit cet été  parce que j’ai été un peu happé par ce que j’appelle « la poutine » (en mai-juin surtout)…  Ici, je n’ai de leçon à donner à personne.  La plupart des conteuses et conteurs connaissent cet aspect des choses bien mieux que moi qui suis néophyte en la matière.  L’idée ici est davantage de témoigner d’un côté du métier dont on ne parle que trop rarement entre nous: soit le fait de devoir se mettre en marché.  Je reste songeur quant à la raison de ce silence.  Parce que ça fait mercantile et que nous sommes des artistes?  Parce qu’on est tous un peu en compétition les uns avec les autres?  Moi-même, j’avoue avoir attendu avant de prendre le temps de rédiger ce billet.  Malaise ou pudeur?

« La poutine », ce sont ces moments où, plutôt que de lire, d’écrire ou de laisser s’envoler la créativité (et la théorie dans mon cas), on rédige une demande de subvention, on réchauffe des contacts avec des diffuseurs, etc.  Pour la Xième fois, on explique à un quidam anonyme le sens de notre démarche et le pourquoi notre projet est si important, si nouveau et différent, fondamental…

Pour moi, cette fois « la poutine » s’est traduite par une première demande de sub, la rédaction d’un premier C.V. de conteur (bien différent de mon « autre » C.V. professionnel) et surtout d’une « carte de visite » (je n’ai pas encore de quoi constituer un « dossier de presse ») présentant mon spectacle et mon travail de conteur.  Bien sûr, j’ai trouvé ça gazant, difficile, alambiqué…  Mais, vous savez quoi?  Je suis assez content de la démarche.

Je suis certain que si je me mets à produire régulièrement (annuellement?) ce genre de documents, je vais trouver ça pénible au possible.  Cependant, ce coup-ci cela m’a permis un retour en arrière et un exercice de recul face à mon parcours qui n’était pas inintéressant.  Plaisir peut-être narcissique, mais je réalise qu’en sept ans, j’en ai fait des affaires en lien avec le conte.  Bilan: une quinzaine de formation (au-delà de deux par années – merci RCQ, Productions Littorale et Conseil de la culture de l’Estrie), une vingtaine de « prestations marquantes » (en Estrie bien sûr, à Montréal, Québec, Rimouski, Mont-St-Hilaire), des textes de réflexion (notamment dans L’art du conte en dix leçons), ce blogue…  Et surtout, des contacts un peu partout au Québec et en France qui constituent un réseau de collègues et d’amis auprès de qui je peux m’informer de ce qui se passe dans le milieu et approfondir ma réflexion…

En cette ère de marketing de soi-même, j’avoue avoir particulièrement trouvé difficile l’exercice de rédiger des textes vendeurs où je devais me présenter sous mon meilleur jour.  Et je ne pense pas que ce soit de la fausse modestie.  Je sais que j’ai des forces et je suis prêt à les mettre de l’avant, mais d’arriver à le faire sans que cela ne sonne trop… pesant.  C’est un tour de force. Quand on pense à tous les conteurs de tous les styles, avec souvent plus d’expérience que moi qui pratiquent leur métier avec brio…  Qu’est-ce que je peux bien avoir d’exceptionnel?

En fait, c’est l’ami Éric Gauthier qui m’a encouragé à développer ce que son agente appelle une U.S.P. (ma Unique Selling Proposition).  Au fond, c’est de se demander ce qui nous distingue.  J’en suis arrivé à conclure que tout le temps que je prennais à me former, à choisir et à préparer mes contes pouvait être tourné à mon avantage.  J’ai donc développé cette idée que j’étais un « polisseur d’histoires précieuses » et j’ai surfé sur cette métaphore de bijoutier. Jugez vous même:

« Pour lui, chaque conte est une pierre précieuse trésor du passé; un cristal de l’air du temps qu’il faut traiter avec respect. Drôles, fascinantes ou touchantes, ses histoires-gemmes sont donc choisies avec minutie. Prospecteur, il déniche plusieurs spécimens des mêmes contes afin d’en développer des versions toutes personnelles. Puis, il les taille pour en faire briller les images fortes, l’éclat de sagesses et de symboles toujours actuels. On admire la précision de son vocabulaire et la verve qu’il emploie à le manier lors de performances simples mais intenses. Sensible à la beauté de la langue, il polit les mots jusqu’à les faire chanter. »

Ouais, ça semble un peu poussé, comme ça, dans le vide…  Mais avec un photo et des commentaires de spectateurs, ça ne passe pas trop mal.  La preuve?  À la suite des conseils d’Éric et de collègues graphiste et réviseure, ma « carte de visite »  m’a permis de décrocher un premier contrat dans un musée et d’entrer en pourparlers pour d’autres spectacles à venir…

Finalement, lorsque mangée avec modération, la poutine, ça a du bon.

Bon, ce n’est pas tout, me faudrait un démo maintenant…