Du dur défi de re-définir indéfiniment

Un mot en réponse à certaines réactions d’inconfort face à cette­ « manie » que j’ai (avec d’autres) de toujours chercher à définir et à mieux cerner les contours de notre art.  On me reprochera qu’en tentant de déterminer « ce qui en est », j’exclus d’office le reste… qui n’aurait plus droit de citer. Or, pour moi, affirmer que certaines manifestations artistiques correspondent moins à ma définition du conte (comme pratique, pas comme genre littéraire), ne signifie certainement pas qu’elles n’ont pas leur place dans toutes sortes d’amalgames et d’expériences de métissage qui peuvent enrichir tous les arts.  

Ce à quoi j’aspire, c’est d’en arriver à être capable d’appeler un chat un chat :  Que l’on reconnaisse le conte comme une forme d’art particulière, avec ses caractéristiques propres, qui le distinguent d’autres formes d’art.  Du reste, la « pureté » d’une démarche qui correspondrait en tous points à cette définition recherchée ne serait aucunement gage de qualité.  Ce peut être du mauvais conte, même si ça en est effectivement.  De même, il y aura des métissages heureux et moins heureux avec le théâtre, la performance, l’improvisation, le stand-up, etc.

J’ai trouvé un peu par hasard cette citation de Maela Paul, une spécialiste de l’accompagnement dont je reparlerai sans doute en lien avec le coaching ou le compagnonnage. Mme Paul tente pour sa part de définir les limites de son sujet, mais je trouve que cela s’applique aussi bien à notre situation :

C’est l’absence de « bords » qui conduit à la perception de l’illimité : un monde sans limite est semblable à une forêt sans chemins, une mer sans rivages, un fleuve sans berges… L’espace n’est pas limité une fois pour toutes : c’est en coulant que le fleuve négocie sans cesse ses rives.  (Paul, 2011)

J’aime cette idée de la définition qui se renégocie constamment, à chaque nouvelle itération.  Voilà l’Art !  C’est le doute.  Il y a une norme collectivement reconnue, mais elle est challengée par les praticiens qui jouent avec ces limites.  Un jour, la limite change.

Cependant, une architecte de ma connaissance a fait sa maîtrise autour de l’idée que « la limite définit le lieu ». C’est devenu presqu’un leitmotiv pour moi.  Pas de logis, de famille, de travail, de cercle d’amis, de temps libre, d’espace vital tant que les contours n’en ont pas été tracés.  Pas de contage non plus… si on ne peut s’entendre sur ce qui le rend distinct des autres formes d’art.  C’est d’avoir clarifié ces balises qui permettra de s’en affranchir.

Ainsi, je rapportais récemment sur mon profil Facebook un article concernant le travail de Fabien Cloutier, auteur des pièces Scotstown et Cranbourne.  Je n’ai pas vu ces spectacles (j’aimerais bien, cependant).  En ce qui me concerne, à partir du moment où l’on utilise un personnage pour s’adresser au public, on n’est plus dans le contage, comme forme artistique.  Les journalistes auront beau faire les parallèles qu’ils voudront avec Fred Pellerin et il est très possible que M. Cloutier soit inspiré par l’univers du conte urbain (il cite Michel Faubert comme référence, ce qui mérite déjà mon respect).  À partir du moment où l’on incarne quelqu’un d’autre, on est en pleine mimesis, un mécanisme théâtral.  Ce peut être un excellent show !  (Et Cloutier explique bien comment il se sert de ce personnage, comment ce dernier lui permet de dire des choses qu’il ne pourrait dire autrement.) Il est possible qu’il traverse le quatrième mur, que son récit ait une trame narrative avec un mandataire, une quête, des adversaires, des épreuves…  Si ce n’est pas Fabien Cloutier qui raconte, ce n’est plus du contage.  Pour moi.

Et pour le moment.

3 réflexions sur « Du dur défi de re-définir indéfiniment »

  1. Bien sûr, des hybrides sont possibles ! Un animateur historique peut prendre la peau d’un personnage d’une autre époque et lui faire raconter des histoires. Mais, ce faisant, il crée une distance avec le spectateur, me semble-t-il. Et il a une bonne raison de le faire : il convie son public à un voyage dans le temps. Soit il veut que le spectateur se sente transporté dans l’époque d’origine du personnage, soit on imagine que le personnage historique a pris une mauvaise porte et s’est retrouvé au XXIe siècle. En fait de distance, c’est quand même significatif… Il amalgame donc des techniques de théâtre, d’improvisation, peut-être de clown et de contage pour développer son animation. Est-ce du conte ? Si oui, pas seulement en tous les cas…

    1. C’est une tendance qui surgit dans bien des domaines d’activités, la re-re-re-définition et la re-réactualisation… Par exemple, la reconstitution historique, particulièrement médiévale, cherche à se distinguer de l’évocation historique et du grandeur nature. Pourtant, de la tradition orale, du conte, on peut refaire surgir les mystères religieux, qu’on mettait en scène pendant le Moyen âge sur les parvis d’Église. Un mix de mystères divins et de théâtre, où les spectateurs s’improvisaient personnages du narateur.. J’imagine les anciens scaldes norois conter leur sagas, ils devaient sûrement mettre en scène quelques éléments, alors que les serpents géants ornaient déjà leurs navires, Églises et architectures. À mon avis, il n’y a pas d’aspect « générique » au caractère humain comme il ne peut y en avoir dans la manière de conter. On peut distinguer des genres de contes (traditionnels, fables, farces, facies, etc) commes des manières de conter, mais reste que le choix de la méthode revient au conteur et au sens qu’il cherche à donner à sa démarche. L’important étant le contenu, le conte en lui-même, il ne peut y avoir de « contenant », méthode, mieux qu’un autre, tant que l’histoire garde son sens de départ.

      Dès qu’on rythme, qu’on pause des silences dans notre conte, qu’on change des voix, place des « liens comiques » aux mêmes moments, nous scénarisons le conte. Nous entrons alors dans la même démarche que le comédien, l’acteur, sans pour autant utiliser ses outils, le personnage et le costume. Nous usons d’une démarche artistique et le conte prend le sens du « spectacle », dans le sens d’événement préparé et répété, ayant des gestes calculés et placés.

      Personnellement, je conte en échasses, en personnages, avec des accessoires, comme au naturel. Tout dépend des contextes, mais aussi de la demande, donnée qu’on tend à négliger dans la réflexion, l’attente des spectateurs.

      1. De mon côté, le travail de définition, de théorisation est certainement un exercice que je trouve palpitant.
        Mais, j’ai un froid avec la volonté de définir le conte. Et ce n’est pas du tout dû la peur de restreindre le conte, de lui mettre un carcan, etc.
        S’il y a une peur, c’est celle de tourner en rond. Après combien de tables rondes, de livres, de discussions sur le sujet, personne n’est plus avancé sur une définition potentielle. Pour moi, il y a une cause bien simple à cela: la définition d’un art est extrêmement contextuelle et éphémère (comme tu le dis JS avec ta citation de Maela Paul).

        La première chose que l’on m’a apprise en littérature est qu’il n’existe aucune définition de la littérature. Même chose, je le pense bien, pour tous les arts.

        Le conte est au mieux un amalgame d’éléments dont aucun ne lui ait particulier. Sinon, il est un terme générique que l’on attache à une oeuvre et qui pose une tension entre notre horizon d’attente de l’oeuvre par rapport au genre dont elle est qualifiée. Je pense à ce roman, dont je ne me rappelle plus le nom, qui est de la taille d’une nouvelle (pourquoi l’avoir appelé nouvelle ?) ou le texte Novenceto pianiste (qui ressemble à une longue nouvelle) de Baricco qui est appelé « pièce de théâtre » par l’auteur. Le genre d’une oeuvre oriente le regard du spectateur. Si untel, appelle son spectacle dans lequel il y a un personnage narrateur, du conte, c’est qu’il aspire à ce que l’on regarde son oeuvre à travers la lorgnette du conte. On peut ensuite dire que l’oeuvre n’est pas bonne, intéressante, pertinente en tant que conte, qu’elle utilise de façon bien pauvre les usages du conte. Dire que ce n’est pas du conte, c’est sortir une oeuvre d’un champ d’observation et soustraire l’un des éléments de l’oeuvre décidé par son artiste et qui fait partie de ses décisions créatives: le genre.

        On peut toutefois définir des angles d’approches théoriques, étudier ce qu’on trouve dans les oeuvres de nos contemporains, dégager des tendances, comprendre notre approche du conte en fonction de la société qui est la nôtre, fonder des systèmes d’analyse, etc. Et j’ai particulièrement hâte que l’on planche sur ces questions et qu’on cesse de se quereller sur la question, très vicieuse, du genre.

        Je suis bien intéressé à vous entendre là-dessus!

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