Donner son opinion sur le milieu à partir de la périphérie

Pour une chronique dans un magazine littéraire, on me demande « Comment se porte le conte au Québec?  Qu’est-ce qui explique cet état de fait? »  Euh…  C’est à moi que vous demandez ça?

J’ai évidemment ma petite idée personnelle là-dessus, mais je ne suis pas organisateur, ni membre du C.A. du Regroupement du conte au Québec (RCQ) ou du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV).  Je ne gagne pas ma vie en contant ni ne vend des livres de contes…  Ce que j’essaie de dire, c’est que ma perspective est forcément très partielle, régionale, provenant d’un conteur du dimanche qui observe le milieu par sa très petite lorgnette.

Et puis d’abord, c’est qui le milieu? Les conteurs professionnels?  Les conteurs d’expérience?  Le bouillonnement des conteurs émergents?  Les membres en règle du RCQ?  Les organisateurs de festivals ou de soirées régulières?  Comment savoir où je me situe par rapport à quelque chose d’aussi mouvant?  Pour savoir si on est dans la marge, faudrait encore trouver le centre.  Tenez, ça fait penser à l’histoire de l’enfant qui lance ses flèches puis dessine les cibles autour et ainsi semble viser juste à tout coup…

En tous les cas, ça a donné le paragraphe suivant, farcis de plusieurs lieux communs.  Je vous invite évidemment à commenter, critiquer, préciser, corriger, etc.  D’ailleurs, auriez-vous fait mieux?  Qu’auriez-vous répondu à cette épineuse question?   Partagez, on en sera tous plus savants.

« Je dirais qu’il existe un dynamisme certain dans le milieu (multiplication des festivals, des soirées de contes, des cercles de conteurs), mais qu’il est miné par une extrême fragilité. Comme c’est le cas pour d’autres formes d’art, le public ne connait que certains aspects du conte et continue souvent de croire qu’il s’agit d’histoires qui ne servent qu’à faire rire les bûcherons ou à distraire les enfants.  Pourtant, comme chaque conteur ou conteuse porte sa parole de manière souvent très personnelle, il en résulte un foisonnement de styles (contes urbains, contes de création, contes militants, contes philosophiques, etc.).  À la limite, chacun est certain d’y trouver son compte (conte?). La tragédie est de voir que des conteurs qui bourlinguent depuis vingt-trente ans (Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert) ne sont que très peu reconnus pour leur apport artistique pourtant considérable.  Il me semble que les médias ont un rôle important à jouer dans la présentation d’un portrait plus juste de cet art complètement en phase avec notre époque où l’on s’interroge sur la mémoire, la transmission des connaissances, les relations interculturelles, intergénérationnelles, etc. »

De Brême à la Nouvelle-Orléans: le dosage des épices

Soirée de contes de Grimm samedi soir au profit de l’école « Les enfants de la Terre ».  Depuis le début du projet concocté par Hélène Normandeau (au printemps dernier?), j’avais choisi de raconter « Les musiciens de Brême » que j’avais fait quelques fois devant des enfants.  (Un jour, j’apprendrai « Le maître voleur » que j’adore aussi, mais ça fait quelque fois que je m’y essaie et je n’arrive pas à le rendre fluide.)  Sauf que plus nous approchions de la soirée, plus j’avais envie de faire quelque chose de différent avec ce conte tout de même assez connu des fameux frères folkloristes.

Il y a quelques semaines, j’avais décidé que, peu importe le public, je ferais participer les gens autant que lorsque je raconte devant les enfants.  Par exemple, à chaque animal présenté, je demande: « Quel bruit ça fait un âne? Un chien? Un chat? Un coq? »  À chaque instrument, je demande: « Il voulait jouer du tambour.  Qu’est-ce que ça fait un tambour? »  Déjà, pour moi ce niveau d’implication du public est assez nouveau (voir mon billet précédent).  J’avais déjà fait un travail préparatoire en 2007 où j’avais réfléchi à comment se comportait chaque animal, où il dormait la nuit, ce qu’il mangeait, etc.  Déjà, je prenais certaines libertés avec les instruments:  Le conte original fait rêver l’âne de jouer du luth et au chien de frapper les timbales.  On ne précise pas de quoi jouera le chat, mais on sait que le coq chantera.  Pour moi, un âne doit  jouer de quelque chose de percussif, alors que le chien peut avoir entre les pattes un accordéon ou un instrument à vent.  Cependant, il est clair que le chat doit « gratter » quelque chose…

Mais voilà que vendredi (moins de 48 heures avant de conter!), je me mets à avoir envie d’autre chose…  Le goût de repenser la recette, de faire différent.  C’est tard, mais c’est jouable…  Le spectacle est à 20 h.  Le public sera surtout composé d’adultes.  Je veux leur en donner « plus », sans trop savoir encore ce que ce sera.

Pour moi, les « Musiciens » parlent de notre société qui met à l’écart les aînés qui n’apparaissent plus « productifs » selon une étroite vision consumériste.  Chacun des animaux est mis de côté par son maître parce qu’il ne parvient plus à accomplir la tâche pour laquelle on l’a domestiqué (l’âne ne porte plus de lourdes charges, le chien ne court plus assez vite, le chat ne chasse plus les souris, le coq ne réveille plus la basse-cour).  En même temps, j’admire le caractère visionnaire (utopiste?) de l’âne qui donne à ses amis l’espoir qu’une nouvelle vie est possible au-delà de l’obsolescence qu’on a décrété pour eux.

J’avais donc eu envie de souligner ce message en racontant l’histoire de personnes âgées dont on ne veut plus dans différents secteurs où l’âgisme m’apparait criant (travail manuel, sport, sexe/beauté, showbizz).  Ces aînés laissaient tout derrière eux pour descendre en Floride, leur El Dorado (déjà, quel stéréotype!).  Chacune ayant une personnalité qui n’aurait pas laissé de doute quant à la correspondance avec un animal du conte original.

En même temps, je sentais confusément qu’en jouant ainsi avec l’histoire, je perdais la magie de la métaphore, le côté fabuleux qui permet d’effectuer des rapprochements sans moraliser.  J’avais donc eu la bonne idée de m’en abstenir…  Plus récemment, je m’étais dit que je pouvais conserver les animaux, mais leur attribuer des maîtres avec des métiers plus modernes.  C’est ainsi que le chien de chasse est devenu participant dans une course de lévriers (allusion au monde du sport professionnel où l’on brûle les jeunes athlètes et où l’on est « vieux » avant quarante ans).

D’autre part, le stage de création que j’ai suivi avec Bernadète Bidaude au printemps dernier m’avait inspiré une histoire bizarre où un jeune taggeur rencontre dans un wagon de train le fantôme d’un hobo noir qui joue de l’harmonica et se souvient de la Grande Dépression de 1929.  J’aime bien le jazz et le blues, mais je ne suis même pas un amateur éclairé.  J’ai lu un peu de Kérouac et de Steinbeck, mais pas assez pour que la figure de l’Itinérant ait prise sur mon imaginaire à ce point (du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à tout récemment).

Pourtant, allez savoir pourquoi (les voies de l’inspiration sont impénétrables), je décide à moins de deux jours d’avis que mes animaux à moi ne se rendraient pas à Brême, mais à New Orleans (qui me parle davantage comme Mecque de la musique, personnellement).  Ils formeraient un Dixieland Quartet (le chat jouera du banjo et le chien de la trompette, c’est tout) et voyageraient à travers le Sud des États-Unis en pleine Crise.

Du coup, j’ai des images de bâteaux à aubes sur le Mississipi, de vagabonds dans des trains, de maisons closes luxueuses (qu’on appelle des cathouses, ai-je découvert), de marécages, etc.  Je pense à la conteuse estrienne Ann Rothfels qui fait une version de « Peau d’Âne » intitulée MossGown et qui se déroule aussi dans le Sud des États-Unis, mais sur les plantations de tabac et de coton Antebellum (XIXe siècle).

J’ai donc passé une partie de mon après-midi de samedi sur Wikipedia (les définitions de « Nouvelle-Orléans », « Mississipi », « Jazz », « Radio »,
« Greyhound Race », etc. ) et sur YouTube (pour des scènes du film Showboat de 1951, des extraits de Louis Armstrong chantant « When the Saints Go Marching In »). Vive Internet pour les conteurs à la dernière minute!  Évidemment, l’idéal serait d’y être allé, mais j’ai bien nourri mon imaginaire devant mon écran…

D’après les réactions du public (où il y avait finalement pas mal d’enfants) et les commentaires reçus, ça semble avoir bien fonctionné.  Je n’ai pas fait participer les gens autant que je l’espérais (je voulais les voir chanter « When the Saints… » en imitant le bruit des instruments des divers animaux), mais je pense que le récit a gagné de cette adaptation.  Contrairement à ma première idée qui l’eût appauvri, je pense que le décor contrasté (misère/ richesse; rêve musical/ réalité poussièreuse) et l’ambiance moite du Sud états-uniens conviennent à merveille aux « Musiciens ».   Traverser un marécage la nuit est bien plus inquiétant qu’une « simple » forêt.  Et le rêve de la Nouvelle-Orléans catalyse le tout.  En tous les cas, je m’y retrouve davantage et j’ai hâte de le raconter à nouveau.

Il y a longtemps que je me pose la question de l’adaptation et de la modernisation des récits:  Quand et surtout comment le faire?  Comment savoir quand il ne faut surtout pas toucher à une histoire polie par le temps?  Une des réponses est certainement liée à ce que les nouvelles épices apportent à la sauce (comme le dirait mon ami Marc-André Caron) ou à voir si elles n’en gâchent pas plutôt le goût original.

Les contes, c’est aussi pour les enfants…

Dimanche dernier, 1er novembre, 10 h 30 (le lendemain de la soirée d’Halloween et d’un changement d’heure!), je suis allé voir Philippe Sizaire et Zmala (duo de musique tzigane) avec toute la famille.

Le « toute » est important parce que depuis que mes enfants sont nés, j’avais bien hâte de les initier à cette passion qu’est la mienne.  Je leur ai bien sûr raconté des histoires, mais de ce côté là je suis loin d’être un papa-conteur modèle:  Les contes que je leur transmets sont le plus souvent écrits et je leur fais la lecture.  J’y mets l’intonation qu’il faut et je change ma voix de personnage en personnage, mais du point de vue des conteurs de tradition orale, ça n’est pas exactement ce que l’on a en tête quand on parle de « raconter des histoires à nos enfants »…  J’ai vu bien des conteurs (et c’est mon cas) éprouver un certain malaise devant les « Heures du conte » proposées dans les Bibliothèques municipales.  Pourquoi pas « L’heure de la lecture » puisque c’est bien de cela qu’il s’agit…

Je me suis risqué quelques fois, surtout avec mon plus vieux, à raconter (sans livre; ce que mon fils appelle « une histoire dans ta tête ») « Les musiciens de Brême » ou « Le taureau rouge » (un conte merveilleux pigé dans les collectes du Père Germain Lemieux en Ontario français) et même « Le grand-père marieur » une fois.  Par ailleurs, j’ai inventé sur le champs de nouveaux exploits de Bill-le-chat-bleu-qui-mange-des-biscuits-aux-pépites-de-chocolat.  Mais je ne suis pas à l’aise avec un public d’enfants, même s’il s’agit des miens.  Le fait est que depuis les six ans que je raconte, je peux compter sur les doigts les fois où la moyenne d’âge de mon auditoire était inférieure à vingt ans.  Je conte d’abord pour les grands.  Les thématiques des contes de mon répertoire, le niveau de langue j’essaie d’utiliser, l’aspect symbolique ou introspectif des péripéties ne me semblent pas convenir aux moins de douze ans.

Pourtant, Michel Faubert (et d’autres) nous disait bien que conter devant des enfants était extrêmement formateur.  Pas de fausse-politesse qui vient mitiger la « vraie » réaction.  Si tu ne captives pas ton jeune public, il va te le faire sentir assez vite merci…

Par ailleurs, je n’avais pas encore réussi à trouver un spectacle de conte qui s’adressait à aussi jeunes que mes enfants (ils ont tous deux moins de cinq ans).  Souvent, dans le milieu, on recommande de raconter à des publics de sept ans et plus.  Moins que cela et ils ont de la difficulté à garder l’attention.  Je connais cependant des conteuses qui content aux 3 à 5 ans avec des comptines, beaucoup de gestes, etc.

Donc en ce beau samedi matin, on sacrifie une partie des émissions de télé réglementaires et toute la troupe monte (en retard) dans la voiture en direction de l’Auberge La Caravane à North Hatley.  J’avoue avoir été nerveux…  Et s’ils n’aimaient pas ça?  Allais-je m’en remettre?

Rassurez-vous (pour moi), tout s’est très bien passé.  Les contes de Philippe n’étaient pas trop longs, mais très dynamiques, la présence de Zmala assurait qu’il y avait beaucoup d’ambiance et d’intermèdes musicaux.  Philippe faisait souvent interagir la salle.  Mon fils s’est montré on ne peut plus sceptique: « Non! » L’homme plus petit qu’un microbe ne pourra pas apprendre à voler.  « Non! » Il ne parviendra pas au bout de sa quête…  Mais au moins, on avait su capter son intérêt assez pour qu’il ait envie de participer.  Quant à ma fille, la musique l’a enchanté et elle s’est mise à danser.  Évidemment, ils gigotaient au bout d’une demi-heure, mais comme le spectacle ne dépassait pas l’heure, c’était tout à fait jouable.  Sur le coup, ils n’avaient pas l’air convaincus d’avoir aimé, mais depuis ils m’ont reparlé de certains contes.  Une graine de semée donc…

Outre la satisfaction paternelle de savoir qu’il y a de l’espoir pour ma progéniture, cette expérience m’a fait réfléchir sur cette qualité de relation avec le public.  Dans un autre régistre, Serge Valentin avec qui je contais pendant le Festival avait cette facilité d’« embarquer l’monde » que Philippe Sizaire déployait bien avec les enfants.  J’aimerais bien avoir ce talent…  Le plus souvent, je suis tellement dans mon histoire que je ne suis pas beaucoup avec le public.  Un idéal est bien sûr d’être à la fois dans l’histoire « il y a bien longtemps dans un pays fort lointain » ET « ici et maintenant » avec les gens qui nous écoutent.   Ce travail « relationnel » est quelque chose que je veux développer davantage.  Didier Kowarsky nous faisait travailler à être extrêmement conscient de tout ce qui se produisait autour de nous pendant le contage.  Ça demande de développer des yeux tout le tour de la tête…  Du reste, c’est pratique avec des enfants.

Brutal retour à la normale post-festival

L’aterrissage est toujours difficile, mais on dirait que c’est pire cette année.  Parce que j’ai dû combattre une grippe juste avant la 17ième édition du Festival Les jours sont contés en Estrie?  Parce qu’entre la Rencontre internationale (16 au 18 octobre) et le Festival (22 au 25 octobre), j’ai dû me taper un colloque à Québec (20-21 octobre) pour le boulot?  Parce que j’ai conté la dernière journée un conte difficile et que ça m’a vidé?  Parce que j’avais du rattrapage à faire au travail et avec la famille après deux week-ends d’absence?  Parce qu’ayant été très présent à la Rencontre, je l’ai été moins pendant le Festival?

Toujours est-il que cela m’a pris jusqu’à aujourd’hui avant de m’arrêter pour effectuer un certain retour sur les spectacles vus, l’ambiance, les discussions avec ces passionnés de la Parole…

Il m’en reste d’abord l’immense gentillesse et délicatesse de Serge Valentin avec qui Josée Courtemanche et moi étions jumelés pour notre « Friandise » (formule apéro-conte).  Talentueux, humble, chaleureux et généreux avec ses co-conteurs comme avec le public.  Il y a une époque où on appelait ces gens-là des gentlemen…  Tant Serge que sa conjointe Christine sont de cette visite qui met ses hôtes complètement à l’aise, si bien qu’on les réinviterait n’importe quand.

Il me reste des discussions poignantes mais très pertinentes avec Sophie Joignant sur son spectacle « Le mystère des Alyscamps » et l’importance de parler de la mort avec légerté.  En effet, « Le mystère » évoque la nécropole romaine des Alyscamps, près de la ville d’Arles.  Les histoires qui composent le spectacle sont drôles, modernes, tout en étant situées dans l’Antiquité et mettant en scène les rapports entre vivants et morts.  Sophie qui me conseille gentiment (mais fermement) de laisser les formations et de travailler à trouver ma voix propre…  Sophie qui m’a fait de chouettes commentaires après que j’aie eue conté l’histoire de Cormac MacArt lors de la Friandise du dimanche.

Il me reste des instants de bonheur à entendre trop brièvement conter la suisse Lorette Andersen et Dale Jarvis de Terre-Neuve.  Alors que la première sait déployer une énergie impressionnante, le second dispose d’un charisme exceptionnel et d’une voix puissante.  Bonheur aussi que les petits récits tout ciselés de Philippe Sizaire, des textes très écrits qu’il prend un visible plaisir à dire.

Mais il me reste beaucoup l’impossibilité d’aller à la soirée d’ouverture ou aux autres « Friandises » pour entendre mes collègues, le choix de ne pas aller à la nuit où Jihad Darwiche en a fait vivre milles et unes autres jusqu’à l’aube (lorsque j’y suis allé dans le passé, j’ai été trop crevé pour finir le Festival).  Il me reste ce qu’on m’a raconté du spectacle magique de Mathieu Lippé à St-Camille.  Il me reste le regret des spectacles en anglais où je n’ai pas pu courrir cette année.

Il me reste une unique soirée le samedi après les spectacles où plusieurs y sont allés de chansons traditionnelles de chez eux et où l’on a voyagé entre Terre-Neuve, le Québec anglophone et francophone, l’Argentine, la Bretagne, la Pologne et les Cévennes en l’espace d’une demi-heure…  Il me reste une discussion toujours aussi passionnante avec Christian-Marie, l’oeil qui brille de mille projets et de connivence.

Il me reste toutes ces réminiscences du Festival mais, une fois dégrisé (pas tellement d’alcool cette fois-ci), il reste surtout l’attente de la prochaine édition.  Le Festival aura l’âge de la majorité, mais il est déjà pour moi un événement majeur depuis longtemps.  Majeur à échelle humaine, il va sans dire.  Pourvu qu’il ne devienne pas trop sage…  Merci à tous les bénévoles qui le rendent possible, à l’équipe de Littorale et à la Mer Supérieure qui le porte et l’enfante chaque année.

Rencontre internationale sur le conte: impressions en rafale

Difficile de parler de tout ce qui s’est dit ou même de ce que j’ai réussi à capter de toute la richesse de cette fin de semaine… à travers la mauvaise grippe que j’ai traîné et qui a certainement nuit à mon écoute et à ma participation (désolé d’avance pour ceux que j’aurais contaminé).  Nécessité de laisser du temps de décantation.  Tout de même, quelques bulles qui remontent à la surface:

En introduction, un témoignage passionnée de la marraine de l’événement, Micheline Lanctôt qui a préféré pour ses enfants les contes de Grimm à la « littérature de CLSC » (les livres du type « Papa fait le marché » ou « Pierrot fait ses devoirs »);

– Une conférence d’ouverture fort instructive de Marc Aubaret qui permet de replacer le conte au milieu de toute la famille de l’art oral (mythes, épopées, légendes, fables, formes courtes);

Samedi matin, les raisons de raconter encore en 2009 avec Marc Aubaret, Mike Burns, Jihad Darwiche et Regina Machado.  Simplement, le monde en a de besoin plus que jamais. Besoin de repères, besoin de communauté, besoin d’imaginaires faces aux horreurs du monde, besoin d’espoir…  Plus personnellement, je découvre par ces les témoignages de ces conteurs à quel point le conte peut enseigner… subtilement.  À approfondir;

Samedi midi, des bribes du Piège d’Issoudun, film où Mme Lanctôt intègre le conte du Génévrier des Grimm.  Heureusement que je savais la fin, ça m’a moins troublé;

Samedi après-midi, lors d’une table ronde sur les pratiques, ce que Jocelyn Bérubé a appelé à posteriori le « Code Falquet »:  Une grille proposée par Jacques Falquet pour décrire la diversité des pratiques de conte.  J’aurai l’occasion d’y revenir parce que la grille de Jacques – sans doute imparfaite – a le mérite de nous permettre de sortir de la sempiternelle question du « C’est-tu du conte, ce qu’il fait lui? ».  D’autre part, le témoignage bouleversant de Regina Sommer qui a parlé de la coupure des allemands d’avec leur tradition orale depuis la seconde guerre.  J’ai versé plusieurs larmes sur ce peuple orphelin de ses propres mythes ensevelis sous les fantômes et les squelettes de placard.

Samedi soir, très chouette spectacle.  Je découvre Regina Sommer comme conteuse.  Je connais tous les autres et les apprécient tous avec leurs couleurs si distinctes, mais j’ai encore un faible pour Hindenoch et Darwiche.  Des plaisirs personnels: Mike Burns qui raconte l’histoire de Fionn Mac Cumhaill et du saumon de la sagesse (qui apparaît dans un conte que je prépare), Hindenoch qui raconte l’histoire du moine que l’extase mystique fait se perdre dans les méandres du temps (un de mes favoris) et Yachinsky qui raconte la très belle fable du Léopard et de la tortue qui prépare sa légende avant de se faire trucider (l’illustration même que le conte permet la résistance)…

Dimanche matin, des perspectives tantôt optimistes, tantôt pessimistes avec Marc Aubaret, Jocelyn Bérubé, Michel Hindenoch et Dan Yachinsky.  Ma fronde affectueuse contre Dan qui se demandait « Si les histoires nous choisissent, comment cela se fait-il? ».  Belle question s’il en est une!  Mais du même souffle, il prétendait que c’était une question pour les conteurs d’expériences, que les jeunes conteurs étaient trop occupés à amasser des histoires pour se questionner sur le répertoire.  Je suis donc aller au front pour revendiquer le droit pour les conteurs émergents de se poser la question du répertoire.  Je pense simplement que Dan a été surpris que cela puisse autant intéresser un « jeune ».  Suis-je le seul?

Dimanche après-midi: Un atelier sur la transmission du répertoire où je prends conscience du fossé entre conteurs d’expérience qui seraient heureux de partager leur répertoire mais croient que ça n’intéresse pas les jeunes et conteurs émergents trop mal à l’aise pour aborder ces grands.  Sans compter que les « vieux loups » ont leurs propres problèmes.  Comme l’illustrait bien Jocelyn Bérubé, « Ils veulent enseigner ce qu’ils savent de la forêt aux petits loups, mais la forêt a été coupée.  Leur monde a changé.  Ils ont peine à se répérer dans le territoire. »  C’est décidé, si un jour je fais un doctorat, ce sera sur l’élaboration par les conteurs contemporains (n’ayant pas bénéficié de la transmission traditionnelle) d’un répertoire de conte.

Par ailleurs, quel plaisir d’entendre Jocelyn Bérubé évoquer ses premières collectes en 1973 auprès d’un monsieur Desrosiers, violoneux et conteux, sous les questions toujours très justes de Dan Yachinsky.  Un moment que je chérirai longtemps…

En résumé, une belle fin de semaine dont je sors fort satisfait!

À la fin, il me reste tout de même un petit malaise, soit  l’impression très personnnelle que le milieu du conte est tellement pris dans ses propres problèmes et son propre besoin de définitions qu’il a de la difficulté à laisser de la place aux préoccupations de gens de l’extérieur, intéressés par le conte, mais qui l’abordent sous l’angle d’autres formes d’art, de vélléités thérapeutiques, de questionnements ethnologiques, etc.  Je sais que c’était le souhait des organisateurs que ce colloque s’ouvre à toute personne intéressée par le conte, mais de mon point de vue cela s’est terminé en réunion de famille.  Ça n’est pas triste et ça n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce n’est la faute de personne et il y a amplement à discuter entre nous pour que ce soit passionnant.  Pourtant, il me semble qu’on se prive d’apports externes qui pourraient nous permettre de sortir de nos lieux communs, de nos problèmes qui apparaissent souvent insolubles de l’intérieur.  Évidemment, ça veut dire accepter qu’on n’irait pas aussi loin ni aussi vite parce qu’il faudrait expliquer à ces gens le B-A-BA du contage (au sens où nous l’entendons) et possiblement lasser les initiés.  Comment en sortir?

Félicitations à Mathieu

Je n’avais pas encore pris le temps de féliciter publiquement Mathieu Lippé pour sa médaille d’or (dans la catégorie conte – conteur) gagnée aux VIe Jeux de la francophonie qui se déroulaient au Liban du 27 septembre au 6 octobre derniers.  Mais je tenais à le féliciter aussi pour un autre motif…

À l’émission Je l’ai vu à la radio de samedi dernier 10 octobre (se rendre à 42 min 14) sur les ondes de Radio-Canada, il a non seulement offert un extrait (slammé, il est vrai) fort convaincant de son conte lauréat, mais surtout il a profité de cette tribune pour rappeler qu’il y avait des festivals de conte un peu partout au Québec et inviter le public à aller entendre ses collègues.  Bien sûr, il a plogué ses propres dates de spectacle (ce qui est tout à fait légitime), mais il a surtout permis que cette visibilité personnelle rejaillisse sur d’autres artistes qui partagent la même discipline que lui.

Puissent tous les conteurs et conteuses faire de même lorsqu’ils bénéficient de trop rares moments d’attention médiatique…

La chenille de Julie

Il y avait déjà un moment que je cherchais une image plus personnelle comme en-tête à Tenir conte.  Une visite chez ma collègue conteuse Julie Turconi m’a permis de prendre acte de son talent de photographe (parmi combien d’autres?). 

J’aime plusieurs des images de son exposition Fractales, mais la chenille de sa photo intitulée « Mantra » m’apparaît tout à fait en lien avec la démarche réflexive, humble, lente et progressive qui caractérise ce blogue (c.-à-d. le derrière – la réflexion critique – qui avance pour donner une impulsion au devant – la pratique du conte). 

Et, qui sait?  Peut-être qu’un jour arrivera où je me pourrai me faire papillon…

En attendant, merci à Julie pour l’autorisation d’utiliser cette image.

Assumer de s’assumer

Depuis quelques jours, je me débats avec le verbe « assumer ».  Selon le Robert, « prendre à son compte; se charger de » (du latin as-sumere, littéralement « prendre sur soi »), mais aussi « Accepter consciemment (une situation, un état psychique et leurs conséquences) ». « Synonymes: endosser, supporter ».  C’est un verbe que j’entends souvent dans le milieu du conte, comme dans « assume la fin de ton histoire » ou « assume la gravité de ton conte », etc.

En préparation de la Rencontre internationale sur le conte le week-end prochain, je visionne certains films de la marraine de l’événement, Micheline Lanctôt.  Pour comprendre la filiation avec le conte dans son oeuvre, bien sûr, mais plus simplement comme une occasion d’élargir ma culture cinématographique québécoise.   Or, tant dans Suzie (2009) que dans Le piège d’Issoudun (2003), il est question d’« assumer » son rôle de parent.  Une fois qu’on a donné vie à un enfant, on ne revient plus en arrière.  En est-il de même pour les artistes et les oeuvres qu’ils mettent au monde?  Est-ce qu’un conteur devient en quelque sorte le « parent » des contes qu’il adopte (ou des contes qui l’adoptent)?

Lorsqu’on me conseille d’assumer ma parole ou un choix artistique, y traverse me semble-t-il une notion de responsabilité associée à une décision prise. Toutefois, ce qui pourrait sembler un fardeau doit s’accomplir dans la légerté de l’aisance…

Une décision ou un choix se prend à un moment précis dans le temps.  Ensuite, le fil des jours, les circonstances, nos humeurs variables viennent constamment fournir de nouveaux paramètres qui influent sur cette décision initiale.  Pourtant, on devrait assumer ce choix jusqu’au bout.  Mes finales doivent être contées avec la même fougue que mes entrées en matière.  L’ordre des contes de mon spectacle ne peut constamment être remis en question, pas plus que je ne dois « adoucir » un sujet plus lourd dans une de mes histoires lorsque je sens un malaise dans le public ou dévier du choix de rester de marbre même si une péripétie peut paraître saugrenue.

Est-ce trop rigide? Y manque-t-il une flexibilité liée à cet art du conte que l’on veut « vivant », « dans le moment présent »?

Pourtant, il m’apparaît enrichissant de contempler cette idée de « supporter » le conte, de l’« endosser » avec conviction et assiduité au fil du temps et parfois envers les valeurs de l’époque.  Une autre dimension au titre de ce blogue?  J’aime à le penser.

À propos de plaisirs gustatifs…

L’idée du « régal » suggérée par Gigi Bigot m’a ramené à ce texte que j’avais écrit il y a un peu moins de deux ans (le 2 décembre 2007):

«Je suis hédoniste, esthète, épicurien…

En discutant avec des amis, j’ai réalisé que ma façon d’apprécier les contes avait probablement assez à voir avec façon de déguster un vin.  De fait, je dis parfois qu’il faut qu’un vin me parle, me raconte une histoire pour que j’en jouisse!  De même, il me faut avoir un coup de coeur pour un conte, qu’il m’ait frappé, touché, boulversé quelque part.

J’ai eu l’expérience récente de boire un excellent vin mais qui ne m’offrait pas de « prise ».  Il avait un nez court, pour ne pas dire absent; il était bien construit et mature, mais aucune saveur ne s’imposait.  Sa couleur était profonde, mais sans caractéristique particulière.  Malgré son évidente qualité, je suis resté déçu.

Ce que j’essaie de dire quelque part, c’est que si le conteur doit être amoureux de ses contes (dixit Bruno de La Salle, mais aussi Jyhad Darwiche, etc.), ceux-ci doivent lui faire du charme, doivent s’imposer à lui d’une manière ou de l’autre.  Que ce soit par leur structure équilibrée, une image forte, un personnage attachant, une péripétie spécifique, un objet poétique… »

Ainsi, pour que je tombe amoureux d’un conte au point d’avoir le feu, l’urgence de le dire, il faut que quelque chose en dépasse, fasse saillie.  Il faut que je puisse en dire: « Ah oui! Lui je l’aime parce que (tel motif) » ou encore « Quel belle trame a cette histoire! »  Je lis des centaines de contes par année, mais la plupart sont lisses à mes yeux, ne ressortent pas du lot.  Comme un parfum capiteux qui enivre, des yeux d’une profondeur inusitée, ce sont les détails notables qui séduisent…

Des cailloux dans la tête

On m’a demandé de parler aussi de ma rencontre récente (en compagnie d’Éric Gauthier) avec le conteur François Épiard, dit « le passeur d’histoires », le samedi après-midi du 19 septembre dernier.  Voici mes commentaires, inspirés de ce que j’ai déjà écrit sur la liste du Cercle des conteurs des Cantons de l’est:

« Un étrange personnage.  Très gentil, plutôt marginal (et qui semble en souffrir, compte tenu de la situation en France).  Évidemment, en quatre heures, nous n’avons pu aller très loin, mais en même temps il y a des pistes intéressantes.

Intéressant pour moi de rencontrer quelqu’un qui combine un parti pris très tranché pour l’oralité (qui se positionne contre la spectacularisation et qui se méfie du passage des contes par l’écrit), tout en affirmant que nous sommes lettrés et favorisant le travail création.  Ça fait différent de l’équation habituelle: oralité = répertoire traditionnel.

Pour lui, les contes sont destinés à « endormir » au sens d’ « apaiser ».  Ce sont eux qui, lorsque la science n’y parvient pas,  fournissent des réponses – même fantaisistes – qui permettent aux humains de ne pas s’endormir avec des questions.  Un travail d’intériorité qui prend forcément du temps est nécessaire à la création menant au contage: « Je conte bien parce que j’entends bien. »  Même devant un conte existant, on essaiera de retrouver cet état de création, quitte à être malhabile.

Par exemple, afin de matérialiser le travail de création, Épiard choisit des cailloux qu’il distribue aux participants (Autant de jalons qui permettent de passer dans l’histoire… comme à gué).  Les « joueurs » déterminent ce que représentent leurs cailloux («une bataille », « un perroquet », « un arbre », « la sortie », « ni plus ni moins que le bonheur », etc.) et les présentent au groupe.  « Au commencement, il n’y avait rien… » Et la surface de jeu est vide.  Au fur et à mesure de la création de l’histoire, les cailloux s’ajoutent (sont « mis en jeu »).  Cependant, « à la fin, il ne doit rien avoir », tout doit être résolu.  Il faut donc aussi faire ressortir les éléments (mort, disparition, conclusion logique) pour compléter l’histoire.  Pour François Épiard, il faut ramasser TOUS les éléments amenés avant de conclure une histoire.

Qu’on choisisse de l’appliquer ou non dans nos contes, l’intérêt pour moi est de réfléchir à ce concept de « résolution complète » et de voir où cette réflexion nous amène.  Ainsi pour Épiard, la légende se distingue du conte parce qu’il reste des éléments, des traces tangibles du récit (une pierre levée, une église, une grotte).  Pour que le conte fonctionne, tout doit être évanescent (ex: « Et le lendemain matin, la porte était ouverte.  Il était parti. »)

J’ai déjà joué aux « Cailloux dans la tête » quelques fois avec ma famille, ce qui a donné des histoires assez bien construite, notamment avec une banane, une fenêtre, du chocolat, un chat, une bulle, une canne à pêche, des vagues et un Magli (sorte de vaisseau spatial tiré de la série télé Toc-toc-toc).

Je pense que j’adorerais assister à une conférence sur la démarche de créer des histoires à partir d’objets, en relation avec le public qu’a mené François Épiard.  Mais une conférence systématique où l’on expliquerait le projet, montrerait des photos des objets, parlerait de divers lieux de performance, du genre d’histoires créées, etc.  En même temps, je conçois bien que la démarche est forcément plus artistique (brouillonne?) que cela…  Nous avons eu droit à quelques bribes, mais je reste sur ma faim.

Personnellement, je suis content de la rencontre avec François Épiard, au sens d’avoir découvert un nouvel individu avec une nouvelle approche du conte.  Est-ce que j’en retirerai immédiatement quelque chose pour mon travail? Difficile à dire pour le moment.  Pour le moment, je suis satisfait d’avoir pu élargir mes horizons…  »