L’atelier de monsieur Bruno (collaboration spéciale)

L'atelier de M. Bruno
Photo: Marc Brazeau

Lors de son passage au Québec en décembre 2010, Bruno de La Salle a offert un atelier de formation le samedi 18 décembre dans la Maison Chevalier, à Québec.  L’atelier s’intitulait « Du texte à l’oral ». Le texte de présentation se lisait comme ceci :

« Le propos du stage est d’envisager l’oralité comme un art de l’investigation : mettre en jeu le texte écrit mis en parole, le corps, et la relation aux spectateurs pour mener une exploration sur toutes sortes de matériaux. Nous aborderons le souffle, le discours, le geste et le mouvement nécessaires pour faire du texte de départ, un récit totalement dans l’oralité, pour aboutir à une narration-exploration. »

J’aurais bien aimé y assister, mais j’étais malheureusement coincé par des obligations familiales. Heureusement pour moi – et maintenant pour vous, chers lecteurs – un ange y était qui nous a rapporté des notes de ce qu’il a vu et entendu… Tenir conte est donc heureux d’accueillir un premier collaborateur externe, soit M. Gabriel Grenier, membre du Cercle des conteurs des Cantons-de-l’Est. Merci à Gabriel pour son travail de reporter.  Le « je » dans le texte qui suit est donc le sien…

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Flying Coach 5: affiner le regard

À trois semaines de l’exercice public, les invitations sont lancées et le temps est venu de faire le point…

D’abord cette nouvelle façon de nommer cette « représentation-test d’évaluation »:  exercice public.  Ça vient de Mme G. qui a utilisé cette formule dans son propre travail…  Lorsque l’on prépare un exercice public, l’angle d’approche n’est plus le même.  Le travail ne se fait plus en fonction de la date de représentation.  Celle-ci devient une borne sur la route, un moment où recueillir des commentaires pour poursuivre la recherche.  D’un côté, ça peut sembler décourageant : Y’a encore tellement d’aspects à travailler.  On a l’impression qu’on n’y arrivera jamais.  D’un autre, ça dédramatise le tout : ce spectacle-là n’est pas l’aboutissement du processus.  En même temps, l’échéance du rendez-vous prochain avec les spectateurs créée une tension qui fouette et encourage à aller de l’avant.

Les rencontres avec Mme G. se poursuivent et amènent toujours de nouveaux apprentissages.  Dans les dernières semaines, il y a eu notamment une séance de travail sur la thématique du regard qui fût extrêmement féconde.

Le local où l’on travaille habituellement étant occupé, nous avons donc dû nous déplacer vers une salle beaucoup plus vaste.  Ça fait changement et c’était tout désigné pour le travail à faire :  Ça permettait de « voir loin et voir large » comme ils disent dans les cours de conduite.  Mme G. me demandait de me déplacer dans l’espace de repérer un détail, de le décrire, puis de m’en approcher où de m’en éloigner pour en changer la perspective et le décrire à nouveau. Dans les faits, je décrivais en « zoom avant » ou en « zoom out », ce qui m’a semblé très intéressant pour enrichir les descriptions.  Elle m’a fait raconter en marchant sur une ligne du plancher, tout en voyant la scène se déplacer autour de moi.  Cela créait de mon point de vue une impression de « traveling » pour poursuivre l’analogie cinématographique.  Ensuite, j’ai rebroussé chemin pendant la seconde partie du récit où le héros défait ses pas.  Compte tenu de la structure assez linéaire de plusieurs récits traditionnels, j’y ai vu un exercice particulièrement intéressant pour le contage.  Y’a eu aussi cet exercice mémorable où elle me « commandait » divers types de regards (« scruter », « dévorer des yeux », « darder du regard », etc.) et où je devais obtempérer rapidement.  Difficile, mais très riche.  Je vous mets au défi de communiquer par vos seuls yeux la différence entre « accompagner » et « suivre » du regard…

Y’a eu la semaine où, emportés par nos discussions après le travail, on n’est pas sorti de la salle avant minuit trente…  si bien que je me suis couché à 1 h du matin.  Difficile d’expliquer à ma conjointe que le travail sur le conte soit si… prenant!  Heureusement qu’il y avait congé le lendemain.

Y’a eu celle où, ayant reçu une mauvaise nouvelle un peu assommante au bureau, je n’avais pas le cœur à la pratique.  Si bien qu’on s’est assis et qu’on a jasé toute la soirée. On a surtout parlé de conte tout de même (notamment de la position délicate où je me trouve pour critiquer le travail des autres, alors que je suis moi-même en plein processus de création), mais on a aussi réinventé le monde.

J’ai pris l’habitude d’arriver à nos rencontres une heure avant Mme G. pour me réchauffer : des étirements, quelques pas de danse (vive Paul Simon!), un peu de taï chi, des vocalises.  Bref, pour me reconnecter avec mon corps. Parce qu’il est devenu clair que « mieux conter » passe d’abord pour moi par mieux habiter cette « maison de la parole » comme l’appelle Mme G.

À cet égard, il m’apparaît important de mentionner l’apport indéniable de la vidéo à notre travail.  Mme G. me filme racontant.  Maintenant que l’on commence à enchaîner le spectacle, nous visionnons ensemble ce qu’elle a capturé et en discutons. Passé le malaise de se regarder à l’écran, les images du travail sont un révélateur puissant.  Dès le début du processus, j’ai parlé du coaching comme d’un travail en miroir, alors que la coach nous renvoie les points positifs de ce que l’on présente, mais également ce qui est moins flatteur.  Ses commentaires pendant que je pratique sont toujours aidants, mais je suis justement en train de faire et ne peux y accorder toute mon attention.  De même, les commentaires a posteriori se butent souvent à la mémoire qui a déjà oublié ou au fait qu’on n’était pas suffisamment attentif à ce que l’on faisait au moment où ça s’est passé. De voir la même chose que Mme G., assis à ses côtés, me permet de me concentrer sur ses commentaires et facilite ma compréhension de ce qu’il faut améliorer.  Il faut dire que j’ai sous les yeux ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, notamment au niveau de la posture et des gestes.  Ce qui est juste ou ne l’est pas crève l’écran.

Ainsi, je dois briser cette immobilité des pieds et des jambes qui me fixe sur scène.  Je veux « habiter » ma gestuelle afin d’éliminer les parasites (par exemple, cette tendance à « hacher » de la main droite ou gauche quand je conte), mais aussi de prendre le temps de dessiner les gestes, de les compléter.  J’aimerais aussi développer une meilleure conscience de mon corps dans l’espace parce que, dans le moment, je ne m’aperçois même pas que je change peu à peu de place en contant.  Par exemple, si je fais un pas vers l’avant pendant une histoire, je ne reviens pas nécessairement en arrière, si bien que je finis par me retrouver dans le public…  De même, j’aimerais conter davantage à partir de mes tripes (moins de la tête), afin de mieux respirer et de baisser ma voix haut-perchée d’un demi-ton.

Tout cela d’ici trois semaines?  D’où la nécessité de voir l’exercice public comme une étape parmi d’autres du work-in-progress

Qu’est-ce qui fait courir les orignaux?

Dimanche soir dernier je suis allé assister à la dernière partie d’un spectacle donné par le conteur témiscabitibien Guillaume Beaulieu.  J’étais dans un état d’esprit particulier, mais je tenais à l’entendre pour me forger ma propre opinion.  Il faut dire que la réputation de Beaulieu l’avait précédée…  Dans les cercles de conteuses et conteurs que je fréquente – cercles où la formation est très valorisée, il faut le dire –, il est devenu un peu l’archétype de celui qui « cherche la reconnaissance avant d’avoir obtenu la connaissance » selon le mot de Christian-Marie Pons.  Il n’est certainement pas le seul, mais disons qu’avec un CD, un DVD, un coffret de 5 CD, un site Web promotionnel  et transactionnel à son actif, alors qu’il conte régulièrement depuis 2004, il est devenu plus visible que les autres.

Avant qu’on ne m’accuse de casser du sucre publiquement sur le dos d’un collègue par blogue interposé, laissez-moi expliquer ma démarche.  Me positionner par rapport aux autres me permet de mieux me connaître moi-même comme conteur, de préciser mes valeurs, mes choix artistiques. Aussi j’essaierai d’être un critique honnête, quitte à sembler parfois dur ou prétentieux.

Guillaume Beaulieu a d’indéniables qualités: C’est un beau jeune homme dynamique à la voix puissante (dont il nous fera la démonstration à plusieurs reprises).  Il est très allumé, notamment parce qu’il semble véritablement aimer sa région et ses habitants.  Il a d’ailleurs exercé le métier d’agent de développement rural. C’est ainsi je crois qu’il a acquis une passion pour la ruralité et des convictions politiques en lien avec cette question qui transparaissent souvent dans son travail.  Il est à l’aise sur scène et communique bien, entrant facilement en lien avec le public… quitte à se faire parfois plus animateur que conteur (ce qui n’est pas nécessairement un défaut). Son niveau de langue est très correct et il ne se complaît pas dans l’humour comme plusieurs, bien que cet élément soit très présent dans ses histoires.

De mon point de vue, ce n’est pas que Beaulieu manque de talent : Il en a à revendre, plus que bien d’autres conteurs que j’aie entendus.  Le problème, c’est qu’il est pressé.  Pressé d’arriver où?  Ça c’est moins clair.  Il se présente comme « chevaucheur d’orignal »…  Mais quelle mouche a donc piqué les bêtes qu’il chevauche pour qu’elles foncent ainsi à toute allure au travers des forêts imaginaires?

Conter, et apprendre à conter habilement, j’en suis convaincu, prend du temps. « C’est en disant qu’on devient conteur.  En dix ans, rarement moins », écrit Christian-Marie Pons en préface de L’art du conte en dix leçons. Le rythme auquel Beaulieu fait les choses est extrêmement rapide. D’où cette perception qu’il donne de ne pas se poser : Il a gagné des concours de menteries, conté au Sénégal, fait plusieurs fois le tour de sa région, donne des ateliers dans les écoles, siège sur des jurys, etc.  Il a passé quatre mois à faire la tournée des villages de l’Abitibi-Témiscamingue pour collecter des histoires. Belle recherche… de laquelle il a tiré 65 histoires!  En quatre mois!

Sur son site, il se présente comme ayant « près de 22 contes longs (de 10 à 30 minutes) et 120 contes courts (de 4 à 7 minutes) » dans son répertoire.  Cela se comprend quand il explique son rythme de création:

« D’ordinaire, faire un nouveau conte prend une ou deux journées, avec le soutien de mon fidèle magnétophone pour préserver le caractère oral des contes. » (extrait de la section ‘Biographie’ du site Web)

Une à deux journées!  Pour écrire, mémoriser et se mettre en bouche une nouvelle histoire?  Quand on pense que Michel Hindenoch, dans Conter, un art?, rappelle que les conteurs d’expérience maîtrisent rarement à la fin de leur vie plus de 24 heures de contage, de quoi conter un jour et une nuit…

Pourquoi ce foisonnement?  Quel est cet attrait pour la vitesse et la quantité? Est-ce que cela répond seulement à des impératifs économiques?  Et, si oui, n’y a-t-il pas danger d’y sacrifier la qualité?

Les histoires qu’il a collectées et travaillées – il a aussi un talent d’auteur, je crois – sont souvent très chouettes avec des flashs vraiment brillants (par exemple, ce bébé que l’on met à incuber dans un fourneau et qui découvre les goûts et les recettes qui s’imprègnent littéralement dans les pores de sa peau).  Néanmoins, le choix de se limiter à de courtes anecdotes m’apparaît problématique.  Pas le temps d’entrer de plein pied dans une histoire, de s’y perdre en imagination, de s’attacher aux personnages – qui pourtant seraient attachants (Le bébé deviendra cuisinière et fera d’extraordinaires tartes au sucre… C’est déjà tout? J’en aurais pris davantage.).

Sur son site, Beaulieu avoue s’être spécialisé dans ce type d’histoires courtes avec une chute rapide:

« …Mon expérience dans la création de contes courts m’a amené à bien maîtriser les méthodes conduisant à capter l’attention vite et à conclure rapidement, avec un dénouement inattendu et souvent humoristique. »

De telles histoires courtes sont fort utiles dans un répertoire. Elles donnent du rythme à un spectacle. Toutefois, lorsque le spectacle n’est composé que d’histoires courtes, il risque de manquer d’une certaine profondeur, me semble-t-il.  Or, le spectacle Une chaise pour tous dont j’ai entendu des extraits, sera composé de 18 histoires (selon la vidéo disponible sur son site Web).  Seront-elles toutes courtes (autrement, difficile d’en faire 18)?  Si oui, pas le temps de respirer. Comme spectateur, je suis essoufflé.

De même, la mise en scène n’est pas étrangère à cette impression de vertige. Guillaume se démène, bouge beaucoup, occupe tout l’espace et un peu plus.  C’en est parfois étourdissant (À sa décharge, il contait dans une alcôve quand je l’ai écouté.  Ça restreint pas mal les mouvements.).  Il se retrouve souvent sur le plancher, à quatre pattes ou les quatre fers en l’air.  Évidemment, sitôt qu’on est assis à la seconde rangée ou derrière, on perd ce qu’il fait dans ces moments-là.  Je m’interrogeais sur ce choix quand tout à coup cela m’a frappé : La mise en scène est faite pour une scène surélevée!  On me présentait un spectacle pour la scène… dans un bar.  Le problème, c’est que le circuit de diffusion du conte au Québec compte plus de bars et de cafés que de scènes à l’italienne.

Par ailleurs, le fait d’avoir systématiquement recours à cette « chaise pour tous » n’est pas sans poser de question.  Pourquoi ce besoin d’un accessoire?  Les histoires ne sont-elles pas assez fortes en elles-mêmes?  Il y a de belles trouvailles dans l’utilisation de la chaise, mais cela semble parfois forcé, comme s’il s’agissait d’une performance en soi (« Regarder tout ce que l’on peut faire avec une chaise! »).  En définitive, cela distrait souvent des contes. De manière générale, la mise en scène prend beaucoup de place, ce qui fait qu’on sent souvent « la cassette »: Tout y est très placé et on perd de la spontanéité qui fait souvent l’intérêt du contage, selon moi.  D’après le mot d’un autre spectateur, on est parfois plus près du sketch que du conte.

Guillaume Beaulieu et moi avons pris des chemins fondamentalement différents.  Il a choisi de conter professionnellement (sur une base hebdomadaire apparemment), ce qui ne doit pas toujours aller de soi et oblige sans doute parfois à des compromis difficiles, de longues heures sur la route et bien des soirées loin des siens. J’ai choisi d’exercer le conte en « amateur éclairé » comme un loisir où je m’investis autant que je le peux et avec toute l’exigence dont je suis capable.  J’ai investi le gros de ces dernières années à me former. J’ai eu accès à des formations d’une qualité exceptionnelle. D’aucuns diront que j’aurais dû conter davantage et me former moins.  J’avais besoin de ce temps pour réfléchir ma démarche. Aujourd’hui, j’en arrive peu à peu à la pratique, mais la réflexion n’est jamais bien loin.

Il me semble que le choix même d’exercer l’art du conte suppose de s’inscrire en faux face à l’accélération de la société actuelle. Autrement, pourquoi ne pas scénariser des vidéo-clips ou des jeux de console?  Dans la conception que j’en ai, conter, c’est de l’artisanat. Cela suppose de la patience et des temps de rêverie, d’apprivoisement, de finesse, de rigueur, de partage dont notre monde a bien de besoin. Les conteuses et conteurs doivent-ils nécessairement entrer dans ce moule?  Peuvent-ils être autres choses que des apôtres et prosélytes de la lenteur? Cette conception est héritée de mes maîtres Pons, Van Dijk, Desprèz, Darwiche, Hindenoch, Rignanese, Faubert, Bouthiller, etc., j’en suis très conscient.  Compte tenu de la qualité du travail de ces gens, j’en suis fort aise et me trouve privilégié de m’inscrire dans ce courant.

Il n’y a pas vraiment d’école de conte au Québec et apprendre cette discipline en autodidacte demande beaucoup d’audace et de motivation, ce qu’il faut applaudir.  Néanmoins, des activités de formations s’offrent et on peine à les remplir!  J’avoue mal comprendre les conteuses et conteurs émergents qui s’évertuent à pratiquer leur art sans en connaître l’histoire et la tradition, comme s’il n’y avait jamais rien eu avant eux.  Comme si ceux qui pratiquent ce métier depuis dix, vingt, trente ans n’avaient rien à leur apprendre. Comme si le conte n’était pas aussi vieux que la roue et qu’il fallait constamment le réinventer.  Il y a une naïveté du débutant qui est belle parce que quelqu’un s’ouvre à un art qu’il ne connaît pas.  Il y a une autre naïveté qui est moins jolie parce que le manque d’humilité freine l’effort d’apprendre.

Je ne veux pas insinuer que Guillaume Beaulieu a davantage besoin de formation qu’un autre conteur (en fait, je crois que nous en avons tous de besoin).  Il est le meilleur juge de sa démarche et de ses objectifs artistiques.  Seulement, Beaulieu se sent assez solide pour donner des ateliers aux enfants par le biais du programme Artistes à l’école. Il faut bien vivre, sauf qu’il va forcément transmettre à de nombreux enfants cette perception du « conte en accéléré », du « conte vidéo-clip » qu’il pratique lui-même. Ceux qui comme lui chevauchent des orignaux et foncent avec panache à travers les bois ne risquent-ils pas d’arracher de jeunes pousses encore fragiles sur leur passage?

Flying Coach 4: prendre conscience

Vendredi soir dernier, j’ai conté à un spectacle-bénéfice pour Haïti à Mont-St-Hilaire.  Voici quelques notes gribouillées le lendemain matin:

Encore une fois j’y étais… mais pas tout à fait.  J’ai de la difficulté à même me rappeler de comment je me sentais.  Pour moi, c’est déjà signe que je n’y étais pas complètement.  Pas assez présent.

C’est vrai que je suis passé à la fin de la soirée, le huitième conteur.  À ma demande, d’ailleurs.  Je ne me voyais pas conter ça ailleurs dans le show.  Marc-André m’a présenté.  Je me suis levé de ma place et, regardant par terre, je me suis rendu à l’avant.   Je suppose que j’avais les épaules voutées. Pas beaucoup de verticalité dans ma posture…

J’ai salué le public et, toujours en regardant par terre, j’ai tenté de justifier ce que j’allais conter.  Que, compte tenu de l’occasion, j’avais l’impression qu’il fallait que ce soit fait avec bonne humeur, mais aussi le respect.  J’ai fini par les regarder, leur ai souri, ai respiré, puis je me suis mis à conter « L’homme à la fin du monde et l’enfant », un conte qui me boulverse toujours autant.  [Surtout qu’il y avait le cheval blanc qui me trottait dans la tête depuis quelques jours…]

J’ai pris conscience encore une fois d’avoir accéléré vers la fin, d’avoir monté d’un octave et d’avoir senti que je manquais de souffle.  Le temps de m’en apercevoir, le conte se terminait et je n’avais pas eu le temps de me poser, le temps de respirer.  Je réalise maintenant que je respirais de la poitrine plutôt que du ventre.  J’étais un peu dans ma tête, mais surtout j’étais dépassé par l’émotion.

Ce n’était probablement pas trop désagréable à écouter, mais c’était désagréable pour moi de ne pas avoir pris le temps de savourer la fin de mon histoire.  Pas ma pire fois… Certainement pas ma meilleure.

Je pense que j’entre dans la phase où « tout ce que je faisais est assez déconstruit pour que je ne le fasse plus naturellement »…  J’ai perdu certains repères, mais je n’ai pas encore eût le temps de m’en bâtir de nouveaux.  Je suis « self-conscious ». Intimidé.  Il me semble être balourd, maladroit.  Mes gestes et ma tenue ne semblent pas naturels.  J’imagine que ça fait partie du processus pour s’améliorer, mais c’est pas évident à traverser…

L’amour de la route

Commentaire d’une animatrice de Taï Chi sur la trop grande rapidité des mouvements de ses élèves (dont je suis): « Il y a des personnes qui n’aiment pas faire de la route et qui ne veulent qu’arriver à destination.  Prenez votre temps.  Respirez. La manière d’exécuter le mouvement est aussi importante que de le compléter.  En Taï Chi, il faut aimer faire de la route. »

En conte aussi, je crois.

On répète souvent que le trajet est aussi important que la destination.  Quand je constatais avoir de la difficulté à assumer la fin de mes histoires, j’ai l’impression que c’est parce que je vois la ligne d’arrivée poindre à l’horizon et que je sprinte pour m’y rendre.  Pourtant, après avoir travaillé si fort pour tout installer, il faudrait goûter chaque instant et chaque mot…

Du coup, je comprends mieux pourquoi plusieurs formateurs nous enjoignaient à pratiquer un art martial, yoga ou technique de relaxation quelconque.  Au-delà de l’entraînement physique et mental (déjà non-négligeable), y’a une philosophie sous-jacente qui peut apporter beaucoup à notre art.