Répertorier les tricoteurs

Le conteur trifluvien Steve Bernier (que je n’ai pas encore eu l’opportunité d’entendre) répertorie ces temps-ci sur son blogue plusieurs de ceux et celles qu’il nomme affectueusement les « tricoteurs de Toile ».  C’est à dire des conteuses et conteurs québécois qui ont une présence Web ou encore simplement de bonnes adresses de sites relatifs au conte qu’il semble apprécier.  Comme c’est malheureusement un phénomène trop rare et que je m’étais un peu donné cet objectif avec mon blogue, je ne peux que lui tirer mon chapeau.  Merci pour les découvertes! Je pense entre autres aux blogues des conteuses Isabelle St-Pierre et Évelyne Ménard.

J’ai pris connaissance du travail de Bernier lorsqu’il a fait récemment la couverture de la revue Québec Folklore pour son boulot avec le conteur français François Épiard, dont j’ai parlé ici.  J’espère vivement avoir la chance d’entendre Steve parler de son expérience en France à conter (notamment dans les hôpitaux) en mode « oralité pure » les aventures du personnage dénommé Martin-Martin.

Flying Coach 4: prendre conscience

Vendredi soir dernier, j’ai conté à un spectacle-bénéfice pour Haïti à Mont-St-Hilaire.  Voici quelques notes gribouillées le lendemain matin:

Encore une fois j’y étais… mais pas tout à fait.  J’ai de la difficulté à même me rappeler de comment je me sentais.  Pour moi, c’est déjà signe que je n’y étais pas complètement.  Pas assez présent.

C’est vrai que je suis passé à la fin de la soirée, le huitième conteur.  À ma demande, d’ailleurs.  Je ne me voyais pas conter ça ailleurs dans le show.  Marc-André m’a présenté.  Je me suis levé de ma place et, regardant par terre, je me suis rendu à l’avant.   Je suppose que j’avais les épaules voutées. Pas beaucoup de verticalité dans ma posture…

J’ai salué le public et, toujours en regardant par terre, j’ai tenté de justifier ce que j’allais conter.  Que, compte tenu de l’occasion, j’avais l’impression qu’il fallait que ce soit fait avec bonne humeur, mais aussi le respect.  J’ai fini par les regarder, leur ai souri, ai respiré, puis je me suis mis à conter « L’homme à la fin du monde et l’enfant », un conte qui me boulverse toujours autant.  [Surtout qu’il y avait le cheval blanc qui me trottait dans la tête depuis quelques jours…]

J’ai pris conscience encore une fois d’avoir accéléré vers la fin, d’avoir monté d’un octave et d’avoir senti que je manquais de souffle.  Le temps de m’en apercevoir, le conte se terminait et je n’avais pas eu le temps de me poser, le temps de respirer.  Je réalise maintenant que je respirais de la poitrine plutôt que du ventre.  J’étais un peu dans ma tête, mais surtout j’étais dépassé par l’émotion.

Ce n’était probablement pas trop désagréable à écouter, mais c’était désagréable pour moi de ne pas avoir pris le temps de savourer la fin de mon histoire.  Pas ma pire fois… Certainement pas ma meilleure.

Je pense que j’entre dans la phase où « tout ce que je faisais est assez déconstruit pour que je ne le fasse plus naturellement »…  J’ai perdu certains repères, mais je n’ai pas encore eût le temps de m’en bâtir de nouveaux.  Je suis « self-conscious ». Intimidé.  Il me semble être balourd, maladroit.  Mes gestes et ma tenue ne semblent pas naturels.  J’imagine que ça fait partie du processus pour s’améliorer, mais c’est pas évident à traverser…

Déjeuner avec un mème (La légende du Cheval blanc)

Je vais essayer de faire ça simple parce que c’est pas évident…

Point de départ: Dans mon spectacle, y’a une figure qui revient dans la plupart des contes, soit celle du cheval blanc. (J’ai pas fait exprès, ou si peu.) C’est le passeur, celui qui permet aux vivants de traverser vers divers au-delàs.

« Dans le chamanisme asiatique, le cheval est le symbole du pouvoir magique et le guide des morts qui passent dans l’autre monde. »

« [Le symbolisme du cavalier] est lié au cheval, qui est presque toujours un animal mystérieux, jaillissant des ténèbres souterraines pour renouveler les énergies vitales du monde. »

Vecoli, Fabrizio, Le petit livre des symboles, Éditions FIRST, 2007, p. 40.

Mais ce personnage n’apparaît pas dans le dernier conte du spectacle…  Et je cherche depuis un certain temps comment l’y intégrer.

Le mercredi 17 février dernier, vers 5 h 45 du matin, je suis en train de faire un peu de recherche pour transcrire « Le ventre de l’enfant », conte qui justement clôt mon spectacle à venir et que j’appelle « L’homme à la fin du monde et l’enfant ».  Il s’agit d’un conte hindou que j’ai trouvé dans le  Cercle des menteurs de Jean-Claude Carrière.

De la façon dont moi je le raconte, c’est l’histoire du dernier homme sur terre qui marche dans un marécage.  Au moment où il va se laisser aller à mourir, épuisé, il rencontre un enfant blond et souriant.  L’enfant lui offre de se reposer… puis l’avale.  Dans le ventre de l’enfant, l’homme découvrira un monde (montagnes, prairie, ruisseau, village) et vivra toute une vie (mariage, deuils de proches, naissance, devenir grand-père).  En jouant avec son petit-fils dans ses vieux jours, il est avalé par ce dernier.  L’homme se retrouve dans un marécage, face à un petit garçon qui lui demande s’il s’est bien reposé.

En fouillant avec le véritable nom du héros (« Markandeya »; un bon mot-clé rare pour Google – mais que je n’emploie pas quand je conte), je parviens à retracer une version du « Livre de la forêt » du Mahabarata en français.  En cherchant dans le document PDF d’une quarantaine de pages, je retrouve le passage d’une vingtaine de lignes qui correspond à mon conte.

Par cette version du Mahabarata, j’apprends ce qui se passe après que j’aie terminé ma narration.  L’homme (Markandeya) découvre que l ‘enfant dont il est question dans le conte n’est nul autre qu’un des avatars du dieu Vishnu.  Ce dernier enseigne à l’homme qu’il est en Toute chose et que, lorsque Brahma se repose, il avale l’univers (donc Tout est en lui?) et en prend soin jusqu’à ce que Brahma se réveille.  Alors, il n’a qu’à restituer le Tout…

Je me mets à lire un peu sur la mythologie hindoue.  Je découvre que si, pour eux, le temps est cyclique (ce que je savais), il se divise en quatre grandes périodes appelés Yugas (ce que j’ignorais) qui durent chacune plusieurs milliers d’années.  Il s’agirait en quelque sorte de l’été (Satya ou Krita Yuga), du printemps (Treta Yuga), de l’automne (Dvapara Yuga) et de l’hiver (Kali Yuga) de la moralité.  Après les calamités de Kali Yuga, alors que l’humanité se vautre dans le péché, le monde s’éteint.  Mon conte se déroule après cette fin, mais avant que le cycle ne recommence.  Dans un No Man’s Age, en quelque sorte…

« Yudhisthira interroge Markandeya, lui qui reste seul vivant entre un âge et l’autre, sur la fin du monde. C’est Visnu qui crée les éléments d’où sortira le monde. Les quatre âges durent douze mille ans, ils forment un éon, mille éons un jour de Brahma. À la fin d’un éon, dans l’âge Kali, tout se dégrade. »
Puis, plus loin:
« Yudhisthira demande à Markandeya de décrire les signes du retour de l’âge d’or. Markandeya décrit comment le monde se dégrade âge après âge. Lorsque la fin d’un âge s’approche, c’est la décadence, la loi ne prévaut plus. Description de l’âge kali et des destructions de la fin d’un âge. Mais le monde renaît à partir des brâhmanes, et c’est de nouveau l’âge krta. La prochaine ère sera celle de Kalki. »

Je m’empresse d’aller lire sur Kalkî et ce que je trouve me laisse pantois.  Je passe les dix minutes suivantes devant mon ordinateur à dire tout haut: « Ben voyons donc… » « T’es pas sérieux… » « C’est pas possible… »

Kalki, c’est l’ultime avatar de Vishnu (le dixième ou le vingt-deuxième, selon les versions).  Celui-là – et lui seul – par qui l’âge d’or du Satya Yuga peut revenir.  La forme de Kalki, je vous le donne en mille: un cheval blanc (ou un cavalier sur un cheval blanc).

Donc, si l’enfant de la fin du monde de mon conte est en fait un avatar de Vishnu qui s’incarnera en cheval blanc Kalki pour que le monde renaisse…  C’est donc que le cheval blanc est dans mon conte depuis le début.

Bon, je suis croyant (en un Dieu pas très bien défini) et surtout je crois à la puissance évocatrice des contes.  Je crois certainement qu’ils portent des messages qui nous échappent.  Je crois que les contes – du moins plusieurs contes – sont sacrés.  Une fois cela établi, je reste très inconfortable avec ceux qui tentent de faire de la religion avec les contes.  C’est généralement de la récupération de symboles.  Comme le dit Guth Desprèz ces histoires sont sacrées… mais profanes (pro-fanum; hors du Temple).

En même temps, j’ai entendu trop d’histoires de conteuses et de conteurs mis face à des coïncidences de la sorte: Dan Yachinsky qui découvre que le lutin « inventé » par les animateurs d’un camp de vacances pour réconforter les enfants a d’étranges parentés avec un esprit amérindien du coin.  Fred Pellerin qui rencontre un parent d’Ésimésac Gélinas qui se dénude le bras pour lui montrer une marque ressemblant à la rivière Saint-Maurice… Marque que Pellerin avait imaginée sur le bras de son héros.  Ainsi de suite.  Lorsqu’on fabule le monde, il nous le rend bien.

Mais là, ma propension à choisir sans même m’en rendre compte des histoires avec des messagers célestes dedans, ça commence à ressembler sérieusement à un abonnement.  Je suis pas paranoïaque, mais est-ce que je devrais y voir un signe?  J’ai déjà dit à ma très religieuse mère que les contes, c’était ma spiritualité à moi.  Disons que c’est en train de prendre un nouveau sens…

Si on exclut ce caractère sacré, il faut bien admettre que le cheval blanc apparaît dans de nombreux mythes.  Pour moi, il est clair que je suis face à un mème, l’une de ces unités minimales qui composent l’ADN de la culture, selon Richard Dawkins.  Elles ont la capacité de muter et de se transformer pour se transmettre.  Au sens le plus strict, le motif du cheval blanc est viral.

*******

Il est 6 h 30 du matin.  Mes enfants se réveillent.  Je m’en vais m’habiller et préparer leur déjeuner.  Tout le long du repas, je suis particulièrement silencieux.   À travers les boîtes de céréales, y’a comme un cheval blanc qui me fixe entre les deux yeux.

______________

MAJ:  Pour écrire ce billet, je découvre ce document qu’il me faudra bien lire un jour…

MAJ2:  Asteur, j’ai tout le temps ça dans la tête…

Sur un cheval blanc je t’emmènerai
Défiant le soleil et l’immensité
Dans des marais inconnus des Dieux
Loin de la ville
Uniquement nous deux

(Claude Léveillée)

Des filles à l’amer

J’ai négligé ce carnet.  Et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à dire…

D’abord, spectacle de Nadine Walsh, auquel j’assistais le 13 février dernier.  Il y est question de corps féminins (qu’on révèle ou qu’on camouffle) sous l’emprise des regards masculins, de désir, d’honneur, de déceptions aussi…  De filles qui se jettent à l’amer de l’amour pour échapper à la condition qu’on veut leur imposer.  Un spectacle dont l’intensité reflète celle de sa conceptrice et interprète qui nous émeut de plusieurs prouesses.

Prouesse de l’écriture d’un spectacle de création.  Pour Nadine, dont c’était une première tentative  en ce sens (selon son blogue), le pari est gagné à mon avis.

Prouesse d’avoir conservé l’énergie, parce qu’elle doit finir ce show-là en lavette.  Ou du moins vidée émotionnellement (Intense, je vous ai dit…).  C’est le mot en anglais qui me vient: swashbuckling.  Ça swash et ça buckle en titi…  Cela écrit, j’ai toujours mon même questionnement  sur la durée et le rythme. Y’aurait-il fallu une pause?  Le show ne m’a semblé ni trop long ni trop court, mais j’aurais pris une respiration… avant de replonger plus attentif.  Surtout qu’il m’est apparu qu’une accalmie dans l’histoire le permettait bien.  Cela écrit, plusieurs autres spectateurs n’étaient pas d’accord avec moi.  Et c’est vrai qu’après la pause, il faut repartir la machine…

Prouesse d’avoir vraiment su conservé l’unité malgré la multiplicité des voix qui s’entrecroisent dans le spectacle.  Et ça n’allait pas de soi!  À travers la pléiade de personnages, d’accents, de niveaux de discours – de la narration au récit épistolaire en passant par le monologue -, vous me voyez satisfait et ravi que l’artiste reconnaisse volontiers qu’elle a « un pied dans le théâtre et un autre dans le conte ». Je m’assume comme puriste, mais j’aime surtout qu’une artiste soit très consciente des choix qu’elle fait et qu’elle les assume justement.

Unité, donc.  Quelqu’un disait: « On arrive bien à suivre les récits des deux femmes… »  J’ai ajouté, « il me semble que l’on arrive bien à suivre le récit des trois femmes ».  Parce qu’avec Anne Bonny et Mary Read, y’a Nadine Walsh sur le pont.  Y’a sa voix à elle qui résonne bien claire à travers tout le tumulte du spectacle.  Si les histoires des deux autres sont passionnantes, c’est celle de Nadine que je cherchais, traquais…  Voyeurisme?  Je pencherais plutôt vers une soif de comprendre la démarche.  Ce serait l’histoire d’une femme d’aujourd’hui qui cherche la résolution de la sempiternelle guerre des sexes dans des récits de capes et d’épées?

La voix de Nadine que j’aurais voulu entendre me raconter davantage… tout!  Son enfance, sa révolte face au machisme, pourquoi les destins de ces deux femmes – que l’on n’a pas pendues immédiatement avec leurs camarades parce qu’elles étaient enceintes (Brrr! J’en frissonne!) – la  fascinent autant…

Elle le fait, bien sûr.  Et avec ce panache, ce chien sans vergogne qui lui va si bien.  Mais à travers le fracas des sabres et le tonnerre des canons, avec de la fragilité aussi…  Y’a des moments de grâce, comme celui où, dans le non-dit de la cellule, on sent transparaître l’amitié entre ces deux femmes fortes qui ont tout perdu. C’est de ce ton intimiste dont j’aurais pris encore plus.  Le fait que l’on s’adresse à moi, particulièrement.  Que l’histoire devienne la mienne… par la conteuse.

Dis, Nadine?  Y’a de la houle qui monte.  Tu m’en raconterais une autre?  Juste pour moi?

___________

MAJ: Bon… Un autre toune qui ne veut plus partir (Troublant, compte tenu de la provenance).

Aux sombres héros [héroïnes?] de l’amer
Qui ont su traverser les océans du vide
A la mémoire de nos frères [de nos soeurs?]
Dont les sanglots si longs faisaient couler l’acide

Always lost in the sea

(Noir Désir)

Des petits rien…

Rien de transcendant ces jours-ci.  D’où mon silence radio…

…Quoique la vie a de ces petits riens qui font sourire.

  • Quand on pratique ses contes en marchant dans la neige en raquettes, ils n’ont pas le même rythme que quand on les pratique en marchant « en pieds ».  C’est logique, mais ça m’a frappé aujourd’hui.
  • Ces chouettes mots d’André Croteau en épilogue au magnifique livre d’art Québec, Légendes… et conteurs (2007; cadeau de Noël que je me suis fait):
    « Le conte, c’est un mensonge en habit de sortie. Le conte n’est pas un divertissement, c’est une réjouissance. Le spectateur est un convive. Il n’écoute pas, il participe.Le conteur fait le conte. L’artiste est l’oeuvre. Mais sans auditoire, le conteur est démuni. C’est la règle de l’oralité. Vieil art. Art très exigeant. Qui nécessite un constant retour sur soi, une réflexion profonde, une fine observation de l’être humain. Afin de trouver la corde sensible qu’il faut pincer pour faire le vibrer. »

  • Ma fille de trois ans qui insiste qu’elle veut une « vraie » histoire.  C’est à dire une histoire dans un livre…

Flying Coach 3: pratiquer seul ses contes

Il m’est arrivé quelques fois ces derniers temps d’entendre ou de lire des collègues affirmer que, maintenant qu’ils avaient appris leurs contes par coeur, ils étaient prêts à les conter…

Quand est-ce qu’on est prêt à conter un conte? Sitôt qu’on l’a lu quelques fois? Dès qu’on maîtrise la trame du récit? Quand on n’en peut plus et qu’il nous « brûle la langue »?

Une des choses que je suis en train de réapprendre de Mme G., c’est qu’une fois le conte appris, le travail de création du conteur peut commencer.  En formation, Jihad Darwiche évoquait déjà le fait qu’une histoire choisie et mémorisée, c’est l’arbre que l’on est allé trouver et couper dans la forêt.  Avant qu’il ne devienne la sculpture – l’oeuvre – que l’on veut en faire, il reste pas mal de travail…  Et ça, c’est sans compter le sablage et le polissage afin d’adoucir les imperfections, puis les multiples couches de vernis pour faire briller!

C’est donc que des contes choisis et retenus par coeur ne sont pas encore « créés ».  Mme G. parle de se réserver des « espaces de création ».  Michel Hindenoch mentionnait l’importance de se donner des moments « perdus » pour « rêver son conte », en créer les images dans sa tête, jusqu’à ce qu’elles deviennent très nettes.  Mais je crois qu’il y a plus…

Il s’agit de répéter inlassablement ses histoires seul dans son salon – ou, dans mon cas, en marchant dans le bois – jusqu’à faire corps avec elles, jusqu’à ce quelles deviennent une seconde nature.  Puis, il faut expérimenter, tenter de nouveaux mouvements, des manières de dire différentes, essayer d’appuyer de différentes façons sur certains mots, avec différentes formules.  Qu’est-ce qui coule en bouche?  Qu’est-ce qui a le plus d’effet?  Tout cela, bien sûr, en évitant « la cassette » ou le récit figé qui sonnerait faux.

Oui, mais voilà, la conteuse ou le conteur qui pratique seul ne reçoit pas la rétroaction du public qui lui laisse connaître l’impact de ses paroles.  Il ou elle ne bénéficie pas de la relation avec l’auditeur, si essentielle à son art.  Comment palier?  Personnellement, je ne crois pas beaucoup à s’exercer devant le miroir…

Serait-ce qu’il faut devenir diseur… et son propre auditeur à la fois?  Les cercles de conteur aident à conter « avec filet », mais les rencontres sont encore trop espacées dans le temps.  Les micros-libres sont un banc d’essai intéressant, mais on est déjà en représentation et l’on doit assez respecter son public pour ne pas lui servir quelque chose qui ne soit pas encore « à point ».

Ce qui me ramène au coaching qui permet un accompagnement individualisé, à condition de pouvoir se le permettre.  Sauf qu’il y a aussi tout un travail à faire seul, entre les rencontres, afin de maximiser l’impact de ces dernières.  On n’en sort pas.  C’est ce travail supplémentaire, ces « devoirs », que je n’avais pas vu venir et qui me font apprécier d’autant plus ce qu’il faut de temps et d’énergie pour bien conter.  J’étais fier de consacrer un temps hebdomadaire à mon hobby, avec une personne que je « me payais » pour m’entendre et me relancer.   Me voilà confronté au fait que, dans un monde idéal, mon art devrait être nourri quotidiennement. Et que je dois le faire seul, encore.

Et vous, comment vous y prenez vous pour travailler seuls vos contes?

Flying Coach 2: l’ampleur du labeur

Je pense que commence à réaliser ce qui est en jeu.  Le travail à faire…

Je savais que ce ne serait pas une simple promenade, mais c’est seulement en découvrant de quoi il allait être question dans ces ateliers de coaching que j’ai perçu l’ampleur du labeur qui m’attend.  Et pas seulement pour ce projet de spectacle-ci.  Pour toute ma vie de conteur…

On nous parle souvent qu’il faut conter mieux, qu’il faut être davantage présent.  Porter l’histoire à chaque mot…  Au fond, quand est-ce qu’on va vérifier ce que ça veut réellement dire?  Mme G. est en train de me le faire vivre.

Et c’est là qu’on voit vraiment jusqu’où ça peut aller.

De l’extérieur, ça peut sembler zinzin : conter ses histoires en courant dans tous les sens, conter avec la spectatrice dans le dos, conter en illustrant tout au maximum avec les mains.

Mais quand l’on découvre qu’à chaque nouvelle direction vers laquelle on court, il faut que le regard soit dirigé, que l’intention soit précise.  Que quand on ne voit pas son public et qu’elle nous dit dans le dos « Je te perds », on se rend d’autant compte de ce qui arrive « en nous » quand la présence manque et que « ça ne passe plus ». Qu’à travers toutes ces gesticulations s’invitent des mouvements parasites qui sont là en tout temps… et qu’on commence à les remarquer!

De l’intérieur même, ça apparaît parfois zinzin au cube : Debout, sans forcer, se bercer très doucement d’avant (futur)-arrière (passé) pour retrouver son point central dans le présent.  Tanguer subtilement de gauche (yin) à droite (yang) pour retrouver sa totalité entre le féminin et le masculin.  Osciller délicatement en spirale jusqu’à ressentir le principe d’énergie. En ouvrant successivement les « trois portes » (nuque, plexus, bassin), onduler à la manière d’une algue pour réapprendre la fluidité

Mais quand l’on finit par comprendre qu’on est à la recherche d’une verticalité pour le corps, d’un lien fort entre ciel et terre qui permet d’être solide dans ses histoires, de s’ancrer pour mieux les incarner (et je ne parle pas d’en interpréter les personnages). Que lorsque l’on se tient droit, le regard à l’horizontal et les membres dégagés, l’histoire passe mieux vers le public, le message circule plus directement.  Que cette fluidité, elle permet de raconter en souplesse le drôle comme le dramatique…

On dit « Merci, Mme G. », on ferme sa gueule et on repart à courir.

Chansonneur autonome

On est loin de la musique trad, mais ces temps-ci à la maison on écoute beaucoup l’album Homme autonome de l’auteur-compositeur-interprète franco-ontarien Damien Robitaille.  Les rythmes funky sont excellents, mais (comme d’habitude) ce sont beaucoup les textes qui m’interpellent…

Mon mentor et ami, Christian-Marie Pons, m’a souvent dit être fasciné par l’habileté de certains auteurs à raconter toute une histoire en quelques vers. Je dois dire que Robitaille me semble y parvenir admirablement.  L’intérêt supplémentaire, c’est que certains thèmes qu’il aborde touche la science-fiction ou du moins l’imaginaire.

Outre la pièce-titre, « Homme autonome », où l’on parle d’un solitaire extrême, j’apprécie particulièrement la chanson « Mon nom » qui fait entendre la complainte d’un personnage qui n’a jamais été nommé:

« De mon avenue, je suis envieux
Elle a un nom, elle est connue.   

[...]

J'suis l'homme qui ne se nomme pas
Le synonyme de l'anonymat

[...]

Sur ma carte d'identité
Il n'y a rien de marqué... »
D’autre part, dans « Le touriste du temps », on a carrément affaire à un voyageur spatio-temporel!
« Le touriste du temps
S’promène sur le calendrier
Hier, vers le futur
Demain, vers le passé
S’il passe par mon époque, qu’il vienne frapper à ma porte
Qu’on jase de ma jeunesse
Et de ma destinée.
[...]

Visionnaire nostalgique
Sans sens chronologique.
Ta présence manque au présent
Repose-toi un instant... »
Je continue à chercher à comprendre la recette d’une pareille efficacité…  Outre
les superbes allitérations pleines de sens (« synonyme de l’anonymat »,
« ta présence manque au présent »), je pense que dans les deux cas la situation
imaginaire absurde (un homme qu’on n’a pas baptisé, un autre qui fait du 
tourisme dans les différentes époques) a néanmoins une dimension métaphorique
qui renvoie à des angoisses bien réelles auxquelles tous peuvent s’identifier
(c.-à-d. le besoin d’être connu, la difficulté à vivre le moment présent).

J’aime bien quand la fantaisie nous confronte ainsi au réel.

Après les « Commandos Trad », la guérilla contée?

Robert Bouthiller a récemment affiché cette vidéo sur son profil Facebook.  J’adore ça!  (Y’a parfois décalage (lag), mais écoutez jusqu’à la fin pour voir les « noms de code » des « agents » séditieux…)

Ça conforte une idée que j’ai depuis un certain temps, à l’effet qu’il faudra probablement que les conteurs exposent le public au conte « de force » pour lui rappeler qu’ils sont bien vivants et actifs en 2010…