J’ai déjà évoqué ici ma fascination et mes réserves face au slam. Mardi le 20 septembre dernier, à l’invitation du slamestre Frank Poule, je me suis rendu à la galerie Art Focus pour y entendre le fondateur du mouvement slam, Marc Kelly Smith, slampapi en personne. Un gamin de 61 ans avec une extinction de voix… Je me disais que si quelqu’un pouvait m’aider à comprendre ce qui m’allumait et me questionnait en même temps dans cette forme d’art, c’était bien celui qui l’avait mise au monde. Par ailleurs, je cherchais toujours à identifier des éléments qui « fonctionnent » dans le slam et qui pourraient être transposés au conte…
Étiquette : relation
Du dur défi de re-définir indéfiniment
Un mot en réponse à certaines réactions d’inconfort face à cette « manie » que j’ai (avec d’autres) de toujours chercher à définir et à mieux cerner les contours de notre art. On me reprochera qu’en tentant de déterminer « ce qui en est », j’exclus d’office le reste… qui n’aurait plus droit de citer. Or, pour moi, affirmer que certaines manifestations artistiques correspondent moins à ma définition du conte (comme pratique, pas comme genre littéraire), ne signifie certainement pas qu’elles n’ont pas leur place dans toutes sortes d’amalgames et d’expériences de métissage qui peuvent enrichir tous les arts. Continuer la lecture de « Du dur défi de re-définir indéfiniment »
Voir BLS… et conter!
Quelques mots sur qui est Bruno de La Salle – ou BLS comme j’ai entendu des gens du milieu l’appeler – et sur les raisons pour lesquelles je tenais absolument à la voir conter… jusqu’à braver des conditions routières pas évidentes un peu plus d’une semaine avant Noël 2010. (Merci à la fée Mirage, notre conductrice, et à l’ange Gabriel avec qui j’ai fait le voyage!)
Déjà, sa présence au Québec tenait pour moi de l’inespéré, alors que je m’étais résolu à ne jamais le voir et l’entendre en personne. (Le voyage en France est difficilement envisageable pour moi dans le moment.) Tout au plus, j’espérais me rabattre sur ses livres et ses enregistrements. Merci à Sylvi Belleau (Théâtre de l’Esquisse), Jacques Falquet, Dominique Renaud et à tous ceux qui ont rendu sa visite possible…
Flying Coach 8: Rendre personnel
À quelques jours d’un spectacle solo qui conclura une seconde vague de travail sur Chevaucher les seuils – Contes d’au-delàs et de Là-haut, un nouveau bilan s’impose. Il m’est difficile de parler de manière générique des séances de coaching de cet automne tant l’« entraînement » s’est personnalisé (Dictionnaire Robert : « rendre personnel »). Je vais tout de même essayer d’en dégager du matériel d’intérêt général.
J’entendais récemment Mme G. mentionner à quelqu’un : « Moi, je connais bien Jean-Sébastien et il ne voudra pas ceci… Il préférera cela. ». C’est vrai. Elle me connaît bien mieux, me devine, sait quand elle peut me pousser plus loin (ou pas), même si je ronchonne au début.
Réalisant dès septembre que nous avions peu de temps, Mme G. et moi avons convenu de travailler certains aspects précis de ma manière de conter. Outre les problèmes propres au spectacle (transitions et difficultés avec certains contes, dont j’ai parlé ici), nous voulions :
- éliminer des tics qui parasitent le contage;
- maintenir mon niveau d’énergie de base de manière plus constante tout au long du spectacle;
- développer ma présence, mon contact avec le public
Continuer la lecture de « Flying Coach 8: Rendre personnel »
Faire de sa parole une peau (Hindenoch)
[NDLR: Les vacances d’été me permettent finalement de compléter ce texte amorcé… en novembre 2009.]
Lors de la Rencontre internationale sur le conte d’octobre 2009, la conteuse Sophie Joignant a témoigné du fait qu’elle se servait beaucoup en atelier du poème « Conter » qui ouvre le livre Conter, un art? de Michel Hindenoch [un must, en passant]. Pour elle, « il y a tout là-dedans ».
Hindenoch, présent sur place, a donc accepté d’en faire la lecture, en expliquant qu’il l’avait préparé pour un colloque ayant eu lieu à Chevilly-Larue en 1994 et dont la thématique était « Qu’est-ce que conter? ».
Conter
C’est écouter à haute voix
Un rêve ancien, plus grand que soi.C’est un acte magique, une poésie :
C’est faire de sa parole une peau,
Un oeil, une monture.
Faire d’un rêve un souvenir,
D’un souvenir une jeune aventure,
D’un mensonge un aveu, une vérité vraie.C’est ouvrir son jardin et en faire un navire.
Voyager. Rien de plus.
Jusqu’à offrir à l’autre un souvenir nouveau,
Risquer de faire de lui un témoin, lui aussi :Un conteur à venir.
Cela m’a donné l’occasion de retourner à ce texte pour voir ce que j’y trouve pour alimenter ma propre réflexion. Je ne sais pas si « il y a tout », mais en tous les cas j’y trouve beaucoup de matériel…
De la façon dont je le lis, le texte peut se diviser en cinq parties qui m’amènent à des leçons fondamentales:
Section 1: Le rêve ancien
C’est écouter à haute voix
Un rêve ancien, plus grand que soi.C’est un acte magique, une poésie :
Ici, Hindenoch me rappelle le côté sacré du conte. Je suis depuis un certain temps partisan de l’idée que les contes seraient issus des rêves que les premiers hommes se seraient racontés sans nécessairement les comprendre, tellement les images y sont fortes et touchent à l’inconscient. Il y a donc un respect que l’on doit avoir pour ces histoires, mais qui nous manque parfois…
Section 2: Conter par les sens
C’est un acte magique, une poésie :
C’est faire de sa parole une peau,
Un oeil, une monture.
Là, on entre dans certaines maximes de la « théorie hindenochienne » si j’ose dire… Dans ses formations, Michel nous enjoint à choisir les « mots de l’affect » (sensitifs) plutôt que de l’« intellect » pour raconter nos histoires. Pour lui, le narrateur doit être « l’espion de l’histoire » et la décrire de l’extérieur. Déjà l’allusion chamanique à la parole comme « monture » est prélude à la quatrième section, véritable invitation au voyage.
[D’un point de vue plus personnel, ayant été incommodé par de l’eczéma/ dermatite atopique pour l’essentiel de ma jeunesse, alors que mon anxiété et les émotions fortes que je vis se manifestent par des démangeaisons, « faire de sa parole une peau » (ou de sa « peau une parole », dans mon cas) me parle directement.]
Section 3: Il faut y croire
Faire d’un rêve un souvenir,
D’un souvenir une jeune aventure,
D’un mensonge un aveu, une vérité vraie.
Ici, Hindenoch me rappelle le processus par lequel le conteur se « convainc » de son histoire afin de la rendre crédible au public. On escamote souvent cette étape de rêverie éveillée. C’est une autre maxime de la « théorie hindenochienne »: Dès que l’on a un moment de libre, prendre le temps de rêver ses contes, de les imaginer en détail. Qui sont les acteurs à qui l’on confierait le rôle du héros? De la princesse? Dans quels lieux connus se déroule l’action? Quelles sont les odeurs de chaque scène? Etc.
Section 4: L’invitation au voyage
C’est ouvrir son jardin et en faire un navire.
Voyager. Rien de plus.
C’est la plus belle, selon moi. De l’intérieur du conteur vers les autres… et l’infini des possibles. Je pense que Hindenoch y parle de l’implication personnelle du conteur dans sa narration. Mais aussi de l’objectif, sans prétention et pourtant fondamental des récits: « Voyager. Rien de plus. » C’est tout simple. C’est immense.
Du coup, ça me rappelle une phrase lue sur un poster inspirant où l’on voyait un navire sur les flots sous un coucher de soleil éblouissant: « A ship in a harbor is safe. But then, this is not why ships are built. » (« Un navire au port est en sécurité, mais ce n’est pas pour cela que l’on construit des navires. »). De l’audace dans le choix des histoires… donc de l’implication personnelle.
Section 5: Donner
Jusqu’à offrir à l’autre un souvenir nouveau,
Risquer de faire de lui un témoin, lui aussi :
Un conteur à venir.
Enfin, je comprends que Hindenoch nous parle ici du don que doivent faire les conteurs: Nous avons reçu les histoires en cadeau (oui, même celles que nous avons écrites). Elles ne nous appartiennent pas et par conséquent nous devons les partager. Nous n’en sommes que les médiateurs, des interprètes, des « espions » d’un « rêve ancien » (et l’on revient au chamanisme).
Mais finalement, Hindenoch nous présente un objectif profond: réussir à toucher suffisamment le public pour l’émouvoir. Il manque tellement de
« témoins », de personnes rendues meilleures, plus heureuses, plus humaines, etc. par le contact du beau et du bon.
Puisse notre parole les toucher.
Répondre au courrier 5: l’ancien n’aliène pas l’humble (création vs. tradition)
- Le 22 février dernier, toujours dans son commentaire en réaction à un billet sur ma difficulté à définir le milieu du conte, Nicolas Rochette abordait aussi le rapport entre conte de création et conte de tradition. Je le cite:
« Parce que nous faisons de la création. Sus aux visions muséales du conte où le conteur est réduit à un colporteur de patrimoine et l’auditeur à un spectateur passif et aliéné dans un récit dont il est captivé…
[…]
Je ne crois pas aux histoires de Ti-Jean… comme tout le monde. Mais je crois encore moins que les histoires de Ti-Jean m’en apprennent sur le monde. Il me sort du monde. C’est ok, mais quand, dans ma discipline, il n’y a que ça comme proposition, j’ai peur. Peur que le conte devienne un moyen d’évasion qui ne confronte rien ni personne et, encore moins, lui-même. »
En tant que passionné du conte traditionnel (qui fait un ti-peu de création de son bord, quand même), je dois m’objecter avec véhémence!
Dans Mythologie du monde celte (Marabout, 2009) que je suis en train de lire (brillant! Notamment sur la conception de l’au-delà qu’avaient ces peuples…), Claude Strerckx évoque l’utilité de revenir sur les textes anciens pour comprendre le monde tel que le voyait nos ancêtres. J’ai bien envie de m’approprier son explication, tant je crois qu’il y a dans le patrimoine mondial une richesse insoupçonnée à re-connaître et à conter:
« Au premier degré, les mythes qui constituent la matière de ce livre proposent de belles histoires… […]
Au second degré, ces légendes s’avèrent aussi porteuses sens et même d’un sens très profond. Elles n’étaient pas que des contes. À l’origine, elle racontaient une histoire sacrée conduite par des dieux et des déesses tenus pour aussi réels et aussi vénérables que celui auquel croient aujourd’hui ceux qui ont la foi.
Aussi bien que les grandes religions actuelles, elles se targuaient de révéler le sens de la vie et même davantage car, si de nos jours les religions se réservent le « pour quoi » mais acceptent de laisser à la science objective le « comment » du fonctionnement du monde, les temps archaïques ne distinguaient pas les deux questions et répondaient à la première par la seconde…
[…]
C’est dès lors une quête des plus passionnantes que d’essayer de retrouver et de comprendre cette logique archaïque. D’abord comme jeu de l’esprit, mais aussi parce que cette recherche éclaire des facettes oubliées du génie humain, nourrit sainement la modestie – nos temps éclairés ne sont pas plus intelligents, seulement mieux informés sur le plan des sciences objectives – et parfois aussi permet de mieux comprendre certains gestes, préjugés, coutumes ou tournures d’esprit encore très intégrées dans nos personnalités sans que nous ayons gardé le souvenir de leur raison d’être ni de leur sens premier. » [p.11-12]
Je crois profondément que les contes nous ont fait. Ils constituent le terreau de notre culture. Les revisiter, les redire aujourd’hui, avec notre sensibilité contemporaine – impossible de faire autrement – nous permet de nous rebrancher sur là d’où nous venons, ce qui m’apparaît essentiel pour choisir ensemble là où nous allons. Et, oui, ça peut redonner un peu de modestie, sinon d’humilité, que de réaliser que nous ne sommes pas les premiers à avoir rêver nos angoisses et nos espoirs.
Je suis évidemment d’accord avec Nicolas que les contes peuvent et devraient souvent être davantage qu’évasion et divertissement. Mais je ne peux croire que les contes créés aujourd’hui soient nécessairement plus signifiants et pertinents pour nos contemporains que ceux d’hier. En fait, les contes qui ont survécu, traversés les siècles et même les millénaires, ne sont-ils pas parvenus jusqu’à nous précisément parce que, à chaque époque où ils ont été contés, ils ont touché des gens suffisamment pour que ces derniers aient envie de les transmettre à nouveau et de les perpétuer? Est-ce que cette persistance dans le temps n’est pas garante de quelque chose de plus profond?
Moi, j’ai bien envie d’écouter ce qui est arrivé à Ti-Jean. Je suis persuadé qu’il a deux ou trois choses à m’apprendre sur le monde qui m’entoure, mes semblables et moi-même. Et je crois que cela me permettra de me sentir al-lié – en relation avec d’autres humains – plutôt qu’aliéné (littéralement « rendu autre », « vendu » à d’autres humains)... À condition qu’on me respecte assez comme spectateur pour me le raconter avec l’intelligence et la sagesse que ces contes véhiculent toujours. Cela demande évidemment un travail d’approfondissement, une curiosité face à la matière même avant qu’on se l’approprie pour la livrer.
Cela écrit, j’ai aussi envie qu’on me raconte les dépanneurs, les plages de pays impossibles ou les quêteux qui traînent sur Mont-Royal…
Qu’est-ce qui fait courir les orignaux?
Dimanche soir dernier je suis allé assister à la dernière partie d’un spectacle donné par le conteur témiscabitibien Guillaume Beaulieu. J’étais dans un état d’esprit particulier, mais je tenais à l’entendre pour me forger ma propre opinion. Il faut dire que la réputation de Beaulieu l’avait précédée… Dans les cercles de conteuses et conteurs que je fréquente – cercles où la formation est très valorisée, il faut le dire –, il est devenu un peu l’archétype de celui qui « cherche la reconnaissance avant d’avoir obtenu la connaissance » selon le mot de Christian-Marie Pons. Il n’est certainement pas le seul, mais disons qu’avec un CD, un DVD, un coffret de 5 CD, un site Web promotionnel et transactionnel à son actif, alors qu’il conte régulièrement depuis 2004, il est devenu plus visible que les autres.
Avant qu’on ne m’accuse de casser du sucre publiquement sur le dos d’un collègue par blogue interposé, laissez-moi expliquer ma démarche. Me positionner par rapport aux autres me permet de mieux me connaître moi-même comme conteur, de préciser mes valeurs, mes choix artistiques. Aussi j’essaierai d’être un critique honnête, quitte à sembler parfois dur ou prétentieux.
Guillaume Beaulieu a d’indéniables qualités: C’est un beau jeune homme dynamique à la voix puissante (dont il nous fera la démonstration à plusieurs reprises). Il est très allumé, notamment parce qu’il semble véritablement aimer sa région et ses habitants. Il a d’ailleurs exercé le métier d’agent de développement rural. C’est ainsi je crois qu’il a acquis une passion pour la ruralité et des convictions politiques en lien avec cette question qui transparaissent souvent dans son travail. Il est à l’aise sur scène et communique bien, entrant facilement en lien avec le public… quitte à se faire parfois plus animateur que conteur (ce qui n’est pas nécessairement un défaut). Son niveau de langue est très correct et il ne se complaît pas dans l’humour comme plusieurs, bien que cet élément soit très présent dans ses histoires.
De mon point de vue, ce n’est pas que Beaulieu manque de talent : Il en a à revendre, plus que bien d’autres conteurs que j’aie entendus. Le problème, c’est qu’il est pressé. Pressé d’arriver où? Ça c’est moins clair. Il se présente comme « chevaucheur d’orignal »… Mais quelle mouche a donc piqué les bêtes qu’il chevauche pour qu’elles foncent ainsi à toute allure au travers des forêts imaginaires?
Conter, et apprendre à conter habilement, j’en suis convaincu, prend du temps. « C’est en disant qu’on devient conteur. En dix ans, rarement moins », écrit Christian-Marie Pons en préface de L’art du conte en dix leçons. Le rythme auquel Beaulieu fait les choses est extrêmement rapide. D’où cette perception qu’il donne de ne pas se poser : Il a gagné des concours de menteries, conté au Sénégal, fait plusieurs fois le tour de sa région, donne des ateliers dans les écoles, siège sur des jurys, etc. Il a passé quatre mois à faire la tournée des villages de l’Abitibi-Témiscamingue pour collecter des histoires. Belle recherche… de laquelle il a tiré 65 histoires! En quatre mois!
Sur son site, il se présente comme ayant « près de 22 contes longs (de 10 à 30 minutes) et 120 contes courts (de 4 à 7 minutes) » dans son répertoire. Cela se comprend quand il explique son rythme de création:
« D’ordinaire, faire un nouveau conte prend une ou deux journées, avec le soutien de mon fidèle magnétophone pour préserver le caractère oral des contes. » (extrait de la section ‘Biographie’ du site Web)
Une à deux journées! Pour écrire, mémoriser et se mettre en bouche une nouvelle histoire? Quand on pense que Michel Hindenoch, dans Conter, un art?, rappelle que les conteurs d’expérience maîtrisent rarement à la fin de leur vie plus de 24 heures de contage, de quoi conter un jour et une nuit…
Pourquoi ce foisonnement? Quel est cet attrait pour la vitesse et la quantité? Est-ce que cela répond seulement à des impératifs économiques? Et, si oui, n’y a-t-il pas danger d’y sacrifier la qualité?
Les histoires qu’il a collectées et travaillées – il a aussi un talent d’auteur, je crois – sont souvent très chouettes avec des flashs vraiment brillants (par exemple, ce bébé que l’on met à incuber dans un fourneau et qui découvre les goûts et les recettes qui s’imprègnent littéralement dans les pores de sa peau). Néanmoins, le choix de se limiter à de courtes anecdotes m’apparaît problématique. Pas le temps d’entrer de plein pied dans une histoire, de s’y perdre en imagination, de s’attacher aux personnages – qui pourtant seraient attachants (Le bébé deviendra cuisinière et fera d’extraordinaires tartes au sucre… C’est déjà tout? J’en aurais pris davantage.).
Sur son site, Beaulieu avoue s’être spécialisé dans ce type d’histoires courtes avec une chute rapide:
« …Mon expérience dans la création de contes courts m’a amené à bien maîtriser les méthodes conduisant à capter l’attention vite et à conclure rapidement, avec un dénouement inattendu et souvent humoristique. »
De telles histoires courtes sont fort utiles dans un répertoire. Elles donnent du rythme à un spectacle. Toutefois, lorsque le spectacle n’est composé que d’histoires courtes, il risque de manquer d’une certaine profondeur, me semble-t-il. Or, le spectacle Une chaise pour tous dont j’ai entendu des extraits, sera composé de 18 histoires (selon la vidéo disponible sur son site Web). Seront-elles toutes courtes (autrement, difficile d’en faire 18)? Si oui, pas le temps de respirer. Comme spectateur, je suis essoufflé.
De même, la mise en scène n’est pas étrangère à cette impression de vertige. Guillaume se démène, bouge beaucoup, occupe tout l’espace et un peu plus. C’en est parfois étourdissant (À sa décharge, il contait dans une alcôve quand je l’ai écouté. Ça restreint pas mal les mouvements.). Il se retrouve souvent sur le plancher, à quatre pattes ou les quatre fers en l’air. Évidemment, sitôt qu’on est assis à la seconde rangée ou derrière, on perd ce qu’il fait dans ces moments-là. Je m’interrogeais sur ce choix quand tout à coup cela m’a frappé : La mise en scène est faite pour une scène surélevée! On me présentait un spectacle pour la scène… dans un bar. Le problème, c’est que le circuit de diffusion du conte au Québec compte plus de bars et de cafés que de scènes à l’italienne.
Par ailleurs, le fait d’avoir systématiquement recours à cette « chaise pour tous » n’est pas sans poser de question. Pourquoi ce besoin d’un accessoire? Les histoires ne sont-elles pas assez fortes en elles-mêmes? Il y a de belles trouvailles dans l’utilisation de la chaise, mais cela semble parfois forcé, comme s’il s’agissait d’une performance en soi (« Regarder tout ce que l’on peut faire avec une chaise! »). En définitive, cela distrait souvent des contes. De manière générale, la mise en scène prend beaucoup de place, ce qui fait qu’on sent souvent « la cassette »: Tout y est très placé et on perd de la spontanéité qui fait souvent l’intérêt du contage, selon moi. D’après le mot d’un autre spectateur, on est parfois plus près du sketch que du conte.
Guillaume Beaulieu et moi avons pris des chemins fondamentalement différents. Il a choisi de conter professionnellement (sur une base hebdomadaire apparemment), ce qui ne doit pas toujours aller de soi et oblige sans doute parfois à des compromis difficiles, de longues heures sur la route et bien des soirées loin des siens. J’ai choisi d’exercer le conte en « amateur éclairé » comme un loisir où je m’investis autant que je le peux et avec toute l’exigence dont je suis capable. J’ai investi le gros de ces dernières années à me former. J’ai eu accès à des formations d’une qualité exceptionnelle. D’aucuns diront que j’aurais dû conter davantage et me former moins. J’avais besoin de ce temps pour réfléchir ma démarche. Aujourd’hui, j’en arrive peu à peu à la pratique, mais la réflexion n’est jamais bien loin.
Il me semble que le choix même d’exercer l’art du conte suppose de s’inscrire en faux face à l’accélération de la société actuelle. Autrement, pourquoi ne pas scénariser des vidéo-clips ou des jeux de console? Dans la conception que j’en ai, conter, c’est de l’artisanat. Cela suppose de la patience et des temps de rêverie, d’apprivoisement, de finesse, de rigueur, de partage dont notre monde a bien de besoin. Les conteuses et conteurs doivent-ils nécessairement entrer dans ce moule? Peuvent-ils être autres choses que des apôtres et prosélytes de la lenteur? Cette conception est héritée de mes maîtres Pons, Van Dijk, Desprèz, Darwiche, Hindenoch, Rignanese, Faubert, Bouthiller, etc., j’en suis très conscient. Compte tenu de la qualité du travail de ces gens, j’en suis fort aise et me trouve privilégié de m’inscrire dans ce courant.
Il n’y a pas vraiment d’école de conte au Québec et apprendre cette discipline en autodidacte demande beaucoup d’audace et de motivation, ce qu’il faut applaudir. Néanmoins, des activités de formations s’offrent et on peine à les remplir! J’avoue mal comprendre les conteuses et conteurs émergents qui s’évertuent à pratiquer leur art sans en connaître l’histoire et la tradition, comme s’il n’y avait jamais rien eu avant eux. Comme si ceux qui pratiquent ce métier depuis dix, vingt, trente ans n’avaient rien à leur apprendre. Comme si le conte n’était pas aussi vieux que la roue et qu’il fallait constamment le réinventer. Il y a une naïveté du débutant qui est belle parce que quelqu’un s’ouvre à un art qu’il ne connaît pas. Il y a une autre naïveté qui est moins jolie parce que le manque d’humilité freine l’effort d’apprendre.
Je ne veux pas insinuer que Guillaume Beaulieu a davantage besoin de formation qu’un autre conteur (en fait, je crois que nous en avons tous de besoin). Il est le meilleur juge de sa démarche et de ses objectifs artistiques. Seulement, Beaulieu se sent assez solide pour donner des ateliers aux enfants par le biais du programme Artistes à l’école. Il faut bien vivre, sauf qu’il va forcément transmettre à de nombreux enfants cette perception du « conte en accéléré », du « conte vidéo-clip » qu’il pratique lui-même. Ceux qui comme lui chevauchent des orignaux et foncent avec panache à travers les bois ne risquent-ils pas d’arracher de jeunes pousses encore fragiles sur leur passage?
Le conte décrypté à l’aide du « Code Falquet »
Dans le dernier numéro du Bulletin du RCQ, le conteur Jacques Falquet de Gatineau – que j’ai eu le plaisir de côtoyer à plusieurs reprises lors de formations – nous présente la grille qu’il a élaborée pour tenir compte de la multiplicité des formes que peut prendre le conte au Québec. C’est cette grille qu’il avait présentée à la Rencontre internationale sur le conte tenue à Sherbrooke en octobre dernier. Jocelyn Bérubé l’avait alors malicieusement baptisée le « code Falquet », en clin d’oeil à un autre code plus médiatisé…
Postulant avec générosité que toute personne qui affirme faire du conte en fait effectivement, Jacques remarque néanmoins que ce même vocable regroupe plusieurs pratiques extrêmement diverses. Il propose que ces pratiques peuvent se placer sur 9 intervalles regroupés en trois grandes catégories, soit la matière, la manière et la connivence. Je reproduis ici la grille pour en faciliter la consultation en lien avec mon propos, mais aussi pour participer à sa diffusion parce que suis convaincu qu’il s’agit d’un jalon important dans la réflexion critique en vue de mieux comprendre nos pratiques.
Dimension | Définition | De | À | En passant par |
La matière | Du proche | Au lointain | ||
La source | L’origine du récit | Bouche à oreille | Création | Archives sonores et écrites, livres, films, etc. |
Le genre | Le type de récit | Récit de vie | Mythe | Nouvelle, épopée, roman courtois, légende, conte |
Le matériau | La véracité du récit | Documentaire | Fiction | Docudrame, etc. |
La manière | Du peu défini | Au fixé | ||
L’appui | La base de l’expression | Uniquement des images | Uniquement un texte écrit | Toute combinaison des deux |
La mise en scène | Mouvements et scénographie choisis d’avance | Absente | Élaborée | Dépouillée |
La langue | Le niveau de langue | Populaire | Littéraire | Tout ce qu’il y a entre les deux |
La connivence | Du proche | Au lointain | ||
La relation | La connivence narrateur-public | Familière | Solennelle | Tout ce qu’il y a entre les deux |
Le lieu | La spécialisation du lieu | Convivial (salon, café, bibliothèque) | Scénique | Tout ce qu’il y a entre les deux |
Les choix de récits | Qui choisit le récit à quel moment | Par le conteur sur place | Par le public d’avance | Par le conteur d’avance ou par le public sur place |
Source: Falquet, Jacques, « Comment parler du conte au Québec, aujourd’hui », Bulletin du RCQ, no.17, mars-avril 2010, Montréal, pp. 9 à 11)
Dans l’article, pour illustrer l’utilisation de sa grille, Jacques donne en exemples les « profils codés » des pratiques de Jocelyn Bérubé, Fred Pellerin, Stéphanie Bénéteau et Renée Robitaille. Je prendrai cette occasion pour auto-analyser ma propre pratique de conte à l’aide de la grille:
Du côté de la matière, mes contes sont essentiellement puisés dans les livres et sur Internet (où j’effectue des recherches pour trouver plusieurs versions d’une même histoire avant de conter) et parfois dans les archives sonores du Centre franco-ontarien de folklore à Sudbury. Le plus souvent, j’adapte et fini par créer ma propre version à partir d’éléments provenant d’un peu partout. J’ai également quelques contes de création « purs ». Voilà pour la source. La plupart de mes récits s’inscrivent dans le genre du conte merveilleux, mais j’ai flirté avec le conte contemporain et même certains mythes. C’est pratiquement toujours un matériau fictif, mais certaines images peuvent être tirées de mon vécu.
En ce qui a trait à la manière, je suppose que mes récits « s’appuient sur des images » comme dirait Jacques, puisque le texte n’est pas appris par coeur et que je conte à partir de canevas. Néanmoins, j’effectue souvent un travail d’écriture (en amont ou en aval) pour structurer et mémoriser le récit. La mise en scène du spectacle que je prépare actuellement est minimale, mais avec Mme G., ma coach chorégraphe, nous avons un souci d’éviter les gestes parasites et de choisir ceux qui parlent le plus, tout en me permettant d’investir davantage l’espace scénique. La scénographie se limitera à un banc, alors que je m’habille en noir. J’ai plus de difficulté à qualifier mon niveau de langue. Je dirais que c’est probablement un langage familier mais châtié, en ce qu’on me fait souvent des compliments sur la qualité de mon vocabulaire, mais que j’évite le passé simple et que j’utilise des expressions populaires lorsque je les trouve savoureuses.
La connivence est probablement l’aspect de la grille avec lequel je me débats le plus actuellement. J’essaie d’entrer davantage en relation avec le public, parce que je suis souvent plus dans ma tête avec mes histoires que dans la salle avec les gens. Les lieux où je conte sont souvent conviviaux, mais il n’y a pas nécessairement toujours plusieurs possibilités qui me sont offertes. Il est vrai que j’aime moins conter sur une scène très élevée. Enfin, je choisis pas mal toujours d’avance les contes que je vais interpréter, en me donnant la possibilité d’en changer sur place si je m’aperçois que l’ambiance commande un récit vraiment différent.
Flying Coach 3: pratiquer seul ses contes
Il m’est arrivé quelques fois ces derniers temps d’entendre ou de lire des collègues affirmer que, maintenant qu’ils avaient appris leurs contes par coeur, ils étaient prêts à les conter…
Quand est-ce qu’on est prêt à conter un conte? Sitôt qu’on l’a lu quelques fois? Dès qu’on maîtrise la trame du récit? Quand on n’en peut plus et qu’il nous « brûle la langue »?
Une des choses que je suis en train de réapprendre de Mme G., c’est qu’une fois le conte appris, le travail de création du conteur peut commencer. En formation, Jihad Darwiche évoquait déjà le fait qu’une histoire choisie et mémorisée, c’est l’arbre que l’on est allé trouver et couper dans la forêt. Avant qu’il ne devienne la sculpture – l’oeuvre – que l’on veut en faire, il reste pas mal de travail… Et ça, c’est sans compter le sablage et le polissage afin d’adoucir les imperfections, puis les multiples couches de vernis pour faire briller!
C’est donc que des contes choisis et retenus par coeur ne sont pas encore « créés ». Mme G. parle de se réserver des « espaces de création ». Michel Hindenoch mentionnait l’importance de se donner des moments « perdus » pour « rêver son conte », en créer les images dans sa tête, jusqu’à ce qu’elles deviennent très nettes. Mais je crois qu’il y a plus…
Il s’agit de répéter inlassablement ses histoires seul dans son salon – ou, dans mon cas, en marchant dans le bois – jusqu’à faire corps avec elles, jusqu’à ce quelles deviennent une seconde nature. Puis, il faut expérimenter, tenter de nouveaux mouvements, des manières de dire différentes, essayer d’appuyer de différentes façons sur certains mots, avec différentes formules. Qu’est-ce qui coule en bouche? Qu’est-ce qui a le plus d’effet? Tout cela, bien sûr, en évitant « la cassette » ou le récit figé qui sonnerait faux.
Oui, mais voilà, la conteuse ou le conteur qui pratique seul ne reçoit pas la rétroaction du public qui lui laisse connaître l’impact de ses paroles. Il ou elle ne bénéficie pas de la relation avec l’auditeur, si essentielle à son art. Comment palier? Personnellement, je ne crois pas beaucoup à s’exercer devant le miroir…
Serait-ce qu’il faut devenir diseur… et son propre auditeur à la fois? Les cercles de conteur aident à conter « avec filet », mais les rencontres sont encore trop espacées dans le temps. Les micros-libres sont un banc d’essai intéressant, mais on est déjà en représentation et l’on doit assez respecter son public pour ne pas lui servir quelque chose qui ne soit pas encore « à point ».
Ce qui me ramène au coaching qui permet un accompagnement individualisé, à condition de pouvoir se le permettre. Sauf qu’il y a aussi tout un travail à faire seul, entre les rencontres, afin de maximiser l’impact de ces dernières. On n’en sort pas. C’est ce travail supplémentaire, ces « devoirs », que je n’avais pas vu venir et qui me font apprécier d’autant plus ce qu’il faut de temps et d’énergie pour bien conter. J’étais fier de consacrer un temps hebdomadaire à mon hobby, avec une personne que je « me payais » pour m’entendre et me relancer. Me voilà confronté au fait que, dans un monde idéal, mon art devrait être nourri quotidiennement. Et que je dois le faire seul, encore.
Et vous, comment vous y prenez vous pour travailler seuls vos contes?
Passage à l’A.C.T.E. (parler du conte)
Le 9 décembre dernier, référé par Productions Littorale, j’ai été reçu dans un atelier de conte offert à l’Association des accidentés Cérébro-vasculaires et Traumatisés crâniens de l’Estrie (A.C.T.E.). L’objectif de leur animatrice, « reçevoir un conteur » qui leur « parle du conte ». Durée: 1 h. Première « conférence contée » pour moi ou du moins première expérience à témoigner de ma passion.
Bon, je leur dis quoi? Par où commencer? Et quoi raconter? J’ai eu diverses idées, consulté ma fée-marraine qui m’a suggéré de « liquider les mythes » d’emblée (le conte n’est pas que pour les enfants, le conte n’est pas que de l’humour, etc.) pour pouvoir ensuite parler de ce qui nous passionne.
J’ai fini par choisir d’aborder ce vaste domaine par les questions journalistiques classiques: Qui? Quand? Quoi? Où? Comment? Pour qui? Pourquoi? Je parlerais de l’art tel que je le connais, mais pour chacune des questions, je ferais un parallèle avec ma démarche personnelle. J’en profiterais pour déboulonner un ou deux mythes en passant…
[Par la suite, je me suis aperçu que c’est un peu ce que fait Dan Yashinsky dans le premier chapitre de son excellent livre Suddenly, They Heard Footsteps (2004) alors qu’il imagine rencontrer son lecteur dans l’avion et le genre de questions que supposerait une conversation avec lui… Le livre a été traduit chez Planète Rebelle en 2007. Je le relis souvent et ne peux que le recommander.]
- Qui? Selon une étude du RCQ (2004), il y aurait plus de 300 personnes au Québec de tous niveaux, de l’amateur au professionnel, qui se disent « conteurs » ou « conteuses ». Ils sont hommes, femmes, jeunes, vieux, proviennent du théâtre, de la littérature, de l’ethnologie, de l’animation, moins des bibliothèques contrairement à la France. Mais il y a de tout, du professionnel au manuel… Je me suis présenté et j’ai rappelé que, non, il n’y avait pas que Fred Pellerin qui contait.
- Quand? On conte depuis toujours. Il y a bien dû avoir quelqu’un qui a fait des récits de chasse sous les dessins des grottes de Lascaux… Seulement, une coupure apparaît au cours du vingtième siècle avec l’électrification, puis la radio, la télévision et maintenant Internet. Le conte effectue un retour en Europe dans les années 70 avec les mouvements de retour à la terre et aux régions. Au Québec, il faut attendre le début des années 90 pour vraiment observé une telle résurgence, bien que Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert et d’autres portaient le flambeau auparavant. Non, le conte n’est pas que du folklore (voir point suivant) et je conte depuis 2003.
- Quoi? Qu’est-ce qu’on conte? Les répertoires sont extrêmement variés, allant justement du traditionnel merveilleux au conte urbain trash, en passant par les contes drôles, dramatiques, philosophiques (contes de sagesse) ou plus militants, des récits de vie, les légendes, les mythes, les contes amérindiens ou de différentes cultures. Donc, non, le conte n’est pas destiné qu’à faire rire, mais on rit souvent. Je raconte quelques histoires que j’ai écrites, mais surtout des contes traditionnels de tous les pays. J’ai une filiation par alliance avec les contes franco-ontariens (mon épouse est originaire de Sudbury). Et, c’est pas de ma faute, j’ai une prédilection pour les contes où il est question de la vie après la mort.
- Où? On conte partout: Pour la plupart des pays industrialisés, on conte dans les garderies, les écoles, mais aussi les foyers pour personnes âgées, les prisons, en famille, dans des appartements, dans les fêtes populaires, les musées, mais beaucoup dans les bars et les cafés. Le conte contemporain est sensiblement urbain. Non, les spectacles de conte n’ont pas lieu seulement ou tellement sur scène. J’ai conté surtout en Estrie, quelques fois à Montréal (dont aux Dimanches du conte du défunt bar Le Sergent recruteur), deux fois à Québec, une à Rimouski, dans des restaurants, des bars, et même en plein air.
- Comment? La question est déjà plus complexe, donc difficile de parvenir à une réponse simple. Je dirais d’abord qu’on conte par coeur – Luidgi Rignanese dirait « par corps ». On n’apprend pas un texte, mais on mémorise un canevas, des images. Le plus souvent, on conte simplement, assis ou debout. Selon sa tradition, on conte parfois avec accessoires ou costumes. Surtout, il n’y a pas de « quatrième mur »: On s’adresse directement à l’auditoire, sans faire comme s’il n’était pas là. C’est pour cela qu’on dit souvent que le conte est « art de la relation ». Donc, non, pour nous « jouer un texte » ou lire une histoire à un public (dans une bibliothèque, par exemple), ce n’est pas vraiment « conter ». Pour ma part, j’ai des rituels. J’ai une formulette d’entrée (j’en cherche une de clôture). Je m’habille tout en noir, essentiellement pour ne pas distraire les gens de ce que je raconte, mais ça correspond aussi à un certain dépouillement qui colle à mon répertoire. J’ai besoin de m’isoler avant de conter (pour repasser mes histoires ou juste en humer le « parfum » (dixit Michel Hindenoch), me retrouver, etc.).
- Pour qui? Je dis souvent que, théoriquement, dans un tel foisonnement de styles, tout le monde devrait y « trouver son conte ». Et on conte effectivement pour tous les publics. J’imagine que quelqu’un qui serait complètement fermé à tout ce qui est imaginaire risque de s’ennuyer un peu. Encore qu’il y a des conteurs qui font du récit de vie ou de guerre, des histoires poignantes, complètement ancrées dans la réalité des choses. Alors, non, on ne conte pas que pour les enfants. D’ailleurs, je conte surtout et plus facilement aux adultes.
- Pourquoi? Euh… C’est LA question. Mon ami Éric Gauthier prétend qu’il conte à chaque pleine lune parce qu’il a été mordu par un autre conteur pendant une bataille dans un bar. (J’aime bien utilisé cette citation – en l’attribuant à Éric, bien sûr). Il y a probablement autant de motivations qu’il y a de conteurs. Plusieurs disent ne pas pouvoir faire autrement. Simplement, ils sont amoureux des contes et des gens, veulent donc partager leur passion. Dans le milieu du conte, on dit que ce sont les contes qui nous choisissent. Certains enseignent, rapprochent, apaisent, guérissent. J’ai déjà tenté de répondre à cette question ici. J’y résumais différentes motivations de conter: reconnaissance, appartenance, accessibilité, patrimoine, mobilisation. De mon côté, je conte pour « donner du sens ».
Évidemment, j’avais trop de matériel et j’ai manqué de temps. En fait, je ne me suis rendu qu’au « Où? », mais je pense avoir parlé des autres points à travers ma présentation.
J’aurais voulu faire un conte pour chaque question et j’en avais préparé quelques uns: « Nasr Eddine qui se chauffe à la lune », « Le dernier voeu du vieux Veilleux », « Le rite du Baal Shem Tov », « Le dernier homme sur terre et l’enfant »….
J’ai fini par faire un conte drôlatique en intro, ce que j’appelle « L’oncle conteur » : un bêta sans le sou veut épouser la fille du roi et sa mère, inquiète des suites de l’audience royale, envoie son frère conteur pour accompagné le jeune. À chaque question posée par le roi, l’oncle « embellit » les réponses plutôt ordinaires de son neveu. À la question, « Mais pourquoi te grattes-tu? » Le neveu répond simplement qu’il a un bouton qui le pique. L’oncle, fidèle au penchant irrépressible des conteurs pour l’exaggération, ne peut s’empêcher d’en ajouter…
J’ai fait écouter « Marie-Tatou », conte du Déparnneur de mon ami Marc-André Caron. D’abord parce qu’il est court (j’avais peu de temps) et que je connais par coeur les contes de Marc-André. Je savais aussi que peu de gens l’aurait entendu. Surtout, il me semble un parfait exemple de structure de conte facile à reconnaître dans une création contemporaine.
Finalement, j’ai raconté « Tea with the Devil » pour conclure. Un de mes plus vieux contes, c’est un classique qui marche toujours bien. Un anglais invoque involontairement le Diable alors qu’il cherche la pierre philosophale. Le Diable lui offre la pierre en échange de son âme. Il doit fixer une tâche au Malin, mais celui-ci sait tout et peut se rendre partout. Par ruse, l’anglais réussira à obtenir le beurre et l’argent du beurre…
Y’a-t-il des choses que j’aie oubliées? Des mythes encore à liquider? Vous, comment parlez-vous du conte à ceux qui ne le connaissent pas? Comment puis-je améliorer cette entrée en matière?
Passer à l’A.C.T.E m’a fait réaliser que l’enseignement me manque (j’ai dû choisir l’an dernier entre enseigner et conter). Mais parler du conte va pour moi au-delà d’enseigner : C’est partager quelque chose que je trouve fondamental. Merci aux gens de l’A.C.T.E. J’espère bien qu’il y aura d’autres occasions similaires.