La classe de madame Mirage ou le bushido des conteurs

La fée Mirage donne son premier atelier de conte. Il s’agit d’une « classe de maître » sur les « outils et techniques du conte » qui s’échelonnera sur dix semaines. Comme elle nous l’a bien expliqué, « classe de maître » ne signifie pas que la formation soit donnée par un maître (elle ne se considère pas comme telle), ni qu’elle s’adresse à des personnes ayant atteint ce statut (quel intérêt alors de se former? Quoiqu’un véritable Maître dirait qu’il y a toujours à apprendre…). Pour Mirage, il s’agit plutôt d’un type de formation où l’on part des problématiques apportées par les personnes participantes qui s’y impliquent davantage. Pour ma part, je travaillerai sur les silences dans le contage.

C’est une formule qui emprunte à la fois au séminaire de maîtrise et au codéveloppement professionnel. Voici un extrait de la description de cette formation:

« …[L]es conteurs et conteuses seront appelés à travailler sur un conte qu’ils désirent s’approprier, revisiter ou solidifier. C’est en fonction des besoins des uns et des autres que seront choisis les outils et techniques de conte travaillés en groupe […]. Les participants devront réaliser un travail complémentaire entre les rencontres, afin d’assurer une intégration optimale des apprentissages. »

Bien que cette « formation s’adresse à des artistes professionnels ou émergents ayant déjà complété au minimum une formation d’Initiation au conte, et ayant une pratique active du conte », nous sommes, mes sept collègues et moi de niveaux très différents. De celle qui se dit encore « bébé conteuse », mais qui s’appuie déjà sur une importante expérience littéraire, aux personnes qui cherchent à vivre de leur art et sont allées conter à l’étranger… Avec entre les deux des personnes qui content depuis plus de vingt ans par pur plaisir (comme votre humble serviteur). Nous avons cependant certains objectifs communs : nous voulons nous améliorer, « quitte à se casser la gueule » métaphoriquement entre nous pour y parvenir.

Je cherchais comment parler de celles et ceux qui partageront avec moi ces moments de défis et de découvertes, en leur laissant un minimum d’anonymat (qu’ils n’ont pas réclamé – c’est surtout un jeu…). Bon, notre formatrice s’appelle déjà la fée Mirage depuis que je témoigne de certaines de ses activités sur ce blogue. Puisque que nous sommes un groupe de huit, les autres personnes qui partagent avec moi cette formation sont donc sept. J’ai tout de suite pensé aux sept vertus chrétiennes (humilité, générosité, charité, patience, tempérance, chasteté et zèle… Mais avouons que « tempérance », « chasteté », « humilité » et « conteurs », ça serait un peu tiré par les cheveux…).

Finalement, j’ai trouvé que les sept vertus du code du Bushido – un ensemble de règles morales que les guerriers japonais devaient suivre à l’époque du Japon médiéval – correspondaient davantage à l’état d’esprit d’artistes en perfectionnement. C’est aussi un reflet de notre volonté de faire de cet atelier tant un espace sécuritaire (safe space), qu’un espace d’audace (brave space). Bienveillance n’a pas à rimer avec complaisance. Ajoutons que je trouve que ces mots japonais forment de magnifiques prénoms. Ainsi, dans les prochaines semaines, je vais travailler avec…

  • GI (la rigueur),
  • YU (le courage),
  • JIN (la compassion),
  • REI (le respect),
  • MAKOTO (la sincérité),
  • MEIYO (l’honneur) et
  • CHUGI (la loyauté).

Attendu que toutes ces personnes disposent d’un mélange de toutes ces vertus, je les ai nommé à partir de ma perception absolument subjective de leurs qualités principales. Du reste, je crois que nous serons collectivement en quête de toutes ces vertus… Ce sera une belle aventure.

Saurez-vous deviner qui est qui?

Ni elle ni lui

Elle (parfois ce sont des « lui », mais je rencontre plus souvent des « elle »).

Elle m’a probablement abordé après un spectacle ou un atelier.  Elle était très gentille et enthousiaste.  Elle s’est mise à me dire que mes histoires l’avaient touchée, ce qui est toujours agréable.  Elle m’a expliqué combien les contes étaient importants dans sa vie, qu’ils portaient des sagesses anciennes.  Difficile de ne pas être d’accord, mais le malaise s’est immiscé doucement dans la conversation…  Ma gorge s’est serrée.  J’ai senti un frisson désagréable me parcourir l’échine. Continuer la lecture de « Ni elle ni lui »

Les leçons d’un cas de Figures (de proue)

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Crédit photo: Maïa Pons

La 24e édition du Festival Les jours sont contés en Estrie vient de se terminer…  Mais elle avait commencé sur des chapeaux de roue!  Le spectacle d’ouverture du 13 octobre 2016 s’appelait Figures de proue. Il y avait assez longtemps qu’un spectacle de contes ne m’avait pas enthousiasmé à ce point. Continuer la lecture de « Les leçons d’un cas de Figures (de proue) »

Homo homini lupus est


wolf_photoLe Regroupement du conte au Québec a proposé un concours d’écriture où l’on demandait de traiter de la fonction du Grand Méchant Loup dans les contes. La date limite pour y participer était le 30 janvier 2016.  Je l’ai manqué, mais le sujet était trop beau pour que je ne tente pas d’écrire à ce propos.  Dans les règlements du concours, on précisait:
« Le loup est un symbole important de la littérature orale, étant donné la charge qu’il projette : un prédateur cruel et sanguinaire, qui n’hésitera pas à dévorer le premier venu. Son rôle comporte également une dimension morale et punitive. Dans un monde que l’on tente d’aseptiser et d’édulcorer, surtout pour ce qui est de l’univers des enfants, le loup a-t-il toujours sa place dans les contes? »

Voici donc ce que tout ça m’a inspiré.  Ce n’est pas très long, ni transcendant, mais c’est vraiment ce à quoi je crois…

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Le conteur indigène

Il y a plusieurs grandes injustices au panthéon de la chanson québécoise.  Une de celle qui m’attriste le plus est le peu de place réservée au regretté Sylvain Lelièvre.  Ses textes sont forts, sa voix suave, ses musiques jazzées, sa livraison et son propos très urbains.  Pour moi, « Marie-Hélène », « Les choses inutiles », « Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? » sont des bijoux trop peu connus…

J’en parle parce que Lelièvre a une chanson qui m’apparaît toucher un problème de relations interculturelles entre les conteurs québécois et les publics francophones du reste du monde.  À chaque fois que j’entends « Le chanteur indigène », j’ai envie de remplacer le mot « chanteur » par « conteur »… Continuer la lecture de « Le conteur indigène »

Transfuges de l’humour: intéressants pour les conteurs?

Article intéressant paru dans La Presse ce week-end en marge du Gala des Oliviers.  La journaliste Chantal Guy a eu la bonne idée d’interviewé trois comédiens (Valérie Blais, Emmanuel Bilodeau et Fabien Cloutier) qui fréquentent désormais les scènes du milieu de l’humour.  Il me semble que pour nous conteuses et conteurs qui avons un rapport inconfortable avec l’humour, qui rêvons (ou cauchemardons, c’est selon) d’une École de conte et qui cherchons notre place souvent entre la tradition théâtrale et la machine du rire, il a matière à réflexion.

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Semer à tous vents

logo_semeursJe pense que c’est tranquillement en train de devenir officiel, donc je peux maintenant en parler ici: je ferai partie de l’édition 2014 de la Grande Virée des Semeurs de contes. Nous marcherons de Lévis à Rivière-du-loup du 8 au 18 septembre prochains en racontant nos histoires en échange du gîte et du couvert. Continuer la lecture de « Semer à tous vents »

Êtes-vous « trad » ou « spec »? Quiz bidon pour réfléchir à la variété de nos pratiques

En novembre 2012, le Regroupement du conte au Québec (RCQ) m’a demandé d’animer une discussion autour des recommandations de ce que nous avons appelé entre nous le « rapport Crustin ».  Le conteur Bernard Crustin, qui dispose d’une formation en anthropologie, y constatait notamment la diversité des pratiques ou « créneaux » parmi les conteurs québécois, de la tradition à la spectacularisation.  M’est alors venu l’idée, pour mettre le feu aux poudres et lancer la discussion, de ce petit quiz pas sérieux du tout.  Je vous invite aujourd’hui à l’essayer.

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Un conteur relit _Comme un roman_ de Pennac

comme_un_romanJe l’avais déjà lu dans les années 1990, un peu pour faire comme tout le monde.  C’était alors la mode et je suivais des cours de littérature…  Mais ma douce a eu la bonne idée de me l’offrir pour Noël (après que j’eue laissé traîner un feuillet publicitaire où je l’avais entouré – on a la subtilité qu’on peut…).  Ça se dévore: trois petites heures et ça y était.  Mais j’ai surtout réalisé cette fois-ci à quel point Pennac parlait aux conteurs…  Pas qu’aux professionnels, s’entend, plutôt aux conteurs en chacun de nous.  Mais, de là, il devient facile d’extrapoler.  En fait, Pennac parle de comment naît l’amour des livres chez les jeunes lecteurs.

Son propos général est de faire aimer les livres, soit.  Sauf que l’amour des livres dont il parle passe par l’amour des récits.  J’y vois l’occasion idéale de se mettre dans la peau de notre public. Qu’est-ce qui nous touche, nous conteurs, lorsque nous sommes, à notre tour, auditeurs? …Et de nous mettre à chercher comment toucher ce public pour le voir se multiplier.  Nous avons clairement un rôle à jouer dans la transmission de cet amour des histoires… Continuer la lecture de « Un conteur relit _Comme un roman_ de Pennac »