Se taire pour bien raconter

Comme la plupart de mes collègues conteuses et conteurs, il m’est assez facile pour raconter de m’appuyer sur des éléments oraux comme les personnages, leurs péripéties et les descriptions des histoires. Toutefois, la « parole conteuse » requiert aussi des pauses, des respirations, des moments d’intériorité où le public peut créer les images mentales et ressentir en communion les émotions qui rendent cette forme d’art si riche. Lors de ces silences, l’artiste doit maintenir un lien fort avec les spectateurs au moyen d’une efficace présence scénique, même lorsqu’il ne parle pas. J’aimerais améliorer cette présence, cette capacité de relation silencieuse avec les personnes de l’assistance, qui captive et touche en profondeur.

Mon spectacle solo précédent (Chevaucher les seuils, 2010) m’a permis de constater une difficulté à assumer les silences en scène, silences qui s’avèrent essentiels pour faire écrin à la parole. C’est notamment le cas lors des fins d’histoires et, plus particulièrement, à la toute fin d’un spectacle.

Lorsque j’ai commencé à donner le spectacle, c’est Mme G. qui m’a fait remarquer que j’avais de la difficulté à rester « avec les gens » à la fin pour accueillir les applaudissements ou à continuer à regarder le public entre les histoires. Depuis, je m’efforce de faire attention à cela, mais ça m’est encore très difficile. J’ai l’impression de faire semblant.

Dans un numéro spécial de la revue La grande oreille consacrée aux silences dans les contes (intitulé « La parole suspendue – à silences contés », automne 2005), la philosophe Alice Chalanset écrit :

« Débordement de présence de celui qui délibérément ou par insouciance se tait, nous laissant dans le dénuement et l’attente. Pouvoir infini de ce silence qui nous met sur la voie du mystère, et nous engage dans l’inépuisable jeu de l’interprétation. Opacité du silence qui me laisse seul face au vertige du sens. » (in « De l’angoisse à l’extase ou le plein du vide », La grande oreille, no. 25, octobre 2005, pp. 34 à 36)

Il n’est pas anodin que le travail sur les silences m’apparaisse important dans le cadre de la préparation d’un spectacle sur la paternité. Plusieurs d’entre nous savons que les relations entre pères et enfants sont faites de différents types de silence : ceux de la complicité partagée, ceux des moments inconfortables, ceux, souvent douloureux, de l’absence.

Je crois sincèrement à l’utilité et à l’efficacité des silences dans le contage. Je les ai vus en action. Je pense entre autres à l’histoire du « Chat et du chien » de Frank Sylvestre ou à la « Chèvre de M. Séguin » racontée par Olivier Robert. Seulement, comme j’ai la parole facile, j’ai tendance à meubler les silences de peur qu’ils deviennent inconfortables. J’ai l’impression de perdre le contrôle dans ce territoire « blanc » que je ne contrôle pas… J’ai très envie de réussir à bien raconter mes récits de paternité (avec tous les silences nécessaires), mais je suis vraiment angoissé de ne pas y parvenir.

Suivre les chemins du père… et du fils

Non, je ne suis pas entré en religion. Simplement, je reprends ma plume de carnetier / blogueur après… quasiment cinq ans d’absence (moins deux semaines). C’est que je suis en train de préparer mon second spectacle solo. Un deuxième en quinze ans, je ne sais pas ce que ça dit de mon assiduité artistique… Ou plutôt si: j’ai le luxe de prendre mon temps, parce que, dans mon cas, le conte reste un loisir.

J’ai depuis plusieurs années le projet d’un nouveau spectacle solo qui réunirait sous le titre Chemins de papas (allusion volontaire à la chanson popularisée par Joe Dassin) différents contes traditionnels touchant la thématique de la paternité. Ma fée-marraine m’a offert une plage pour présenter un premier exercice public. Ça se passera le 12 juin prochain (quelques jours avant la Fête des pères), au Parc Howard de Sherbrooke.

Après avoir travaillé sur des récits qui parlent des rapports que les humains entretiennent avec leur (im)mortalité (Chevaucher les seuils, 2010), après avoir creusé en collectifs des histoires d’animaux – les ursidés – qui semblent nos cousins (Les uns et les ours, 2012; Jean de l’ours à quatre voix, 2018), après avoir traité de la difficulté des gars à exprimer l’amour (Les gars aussi aiment les histoires d’amour, 2019-2024), il me semble cohérent d’aborder les relations pères-fils. Ce travail m’obligera forcément à aller puiser dans mes propres expériences de fils et de père pour nourrir ma sensibilité artistique. Si les expériences de paternité ne sont pas universelles, la filiation – heureuse ou malheureuse – l’est. Compte tenu de l’inconfort de nombreux hommes à exprimer leurs sentiments, nos relations avec nos pères sont faites de non-dits, de maladresses et de bonheurs secrets que les contes permettent de mettre en lumière.

Par ailleurs, après plusieurs expériences de collectifs, je me sens prêt à assumer de nouveau un spectacle solo. Ce travail ne manquera pas de susciter de nouvelles réflexions sur ma pratique qui contribueront à relancer ces carnets sur Tenir conte. Voici un descriptif préliminaire de ce spectacle en chantier :

« En grimpant l’arbre généalogique pour y trouver sa place, Jean-Sébastien Dubé s’est accroché le pied dans une souche remplie d’histoires de filiation: celle du pêcheur qui perd son fils puis cherche à le retrouver, celle du marchand qui veut noyer le sien ou celle du paysan qui sauve son père de la folie d’un prince… Maillant récits de famille et contes traditionnels, ce spectacle tisse ensemble fils et fibres paternelles sur la trame du rapport filial. »

Je constate qu’assez peu de conteuses et conteurs contemporains effectuent le travail – qui m’apparaît essentiel – d’aller exhumer des récits traditionnels pour éclairer des questions actuelles de la richesse de symboles et de sens qui traversent ces histoires millénaires. Ce patrimoine de l’humanité se perdra si on n’en montre pas la beauté et l’actualité en racontant au présent ces histoires d’avant.

Il y a évidemment des choix délicats à faire pour souligner ce qui est encore pertinent et adapter ce qui ne fonctionne plus, cela sans trahir ou dénaturer les contes. C’est un travail que j’aime faire et pour lequel je me reconnais une certaine compétence. Alors que certains préfèrent écrire de nouvelles histoires pour parler de la maternité ou de la masculinité toxique (et c’est très bien comme ça), j’ai envie d’aborder la paternité d’aujourd’hui en m’appuyant sur la puissance d’histoires celte, méditerranéenne et orientale qui remontent à l’Antiquité, mais qui ont sues me toucher, moi, fils du XXe et père du XXIe siècle.

Ni elle ni lui

Elle (parfois ce sont des « lui », mais je rencontre plus souvent des « elle »).

Elle m’a probablement abordé après un spectacle ou un atelier.  Elle était très gentille et enthousiaste.  Elle s’est mise à me dire que mes histoires l’avaient touchée, ce qui est toujours agréable.  Elle m’a expliqué combien les contes étaient importants dans sa vie, qu’ils portaient des sagesses anciennes.  Difficile de ne pas être d’accord, mais le malaise s’est immiscé doucement dans la conversation…  Ma gorge s’est serrée.  J’ai senti un frisson désagréable me parcourir l’échine. Continuer la lecture de « Ni elle ni lui »

Un cadeau de conteur pour réenchanter le quotidien

Alors, pour l’anecdote: le chef des animateurs scouts de mon fils de 9 ans me demande de raconter un conte de Noël.  J’ai déjà expliqué mon inconfort avec ce type d’histoires

Dans un premier temps, je m’aperçois que je n’ai aucun conte de Noël pour enfants!  C’est quand même un comble. Continuer la lecture de « Un cadeau de conteur pour réenchanter le quotidien »

Pourquoi les récits favorisent-ils l’apprentissage?

[Ahem…  Tousse!  Tousse!  Atchoum!]

Ouf!  Il y a de la poussière ici.  Et des toiles d’araignées…

Ça fait plus de deux ans que je n’ai pas mis les pieds virtuellement ici.  Normal que le temps fasse son oeuvre.  Je m’ennuies pas mal de ce blogue.  On y est bien.  Je crois bien que je vais y revenir plus souvent…

Bon, je continue à réfléchir… et à écrire… sur le conte.  Mais sur d’autres plateformes.

Par exemple, dans mon autre vie, je viens de commettre deux articles cet automne sur l’utilisation du conte en enseignement universitaire. Ça aura vraiment été une chance unique de réunir mes intérêts pour le conte et la pédagogie.

J’ai pensé que ça pourrait vous intéresser.

Dans le premier article, j’expose les raisons qui rendent l’intégration d’histoires intéressante pour les enseignants, ainsi que ce que les neurosciences nous apprennent des impacts des récits sur le cerveau humain.

Dans le second article, je me demande comment intégrer des récits à l’enseignement et je donne des exemples d’interventions auprès d’enseignants. Je montre qu’il y a néanmoins certains risques à le faire, en plus d’examiner ce qui distingue les discours scientifiques et narratifs. Je conclus sur la place des récits parmi d’autres stratégies pédagogiques.

À bientôt! (Ça devrait être dans moins de deux ans…)

Et pendant que je ne bloguais pas… (vidéo)

Dans le cadre du projet de recherche « Des avant-textes au spectacle / recueil de contes : étude des processus créateurs de trois conteurs contemporains québécois » (FIR, UQAR), on interroge une conteuse (Marie Lupien-Durocher) et un conteur (Éric Gauthier) d’aujourd’hui pour connaître la manière dont ils choisissent leurs histoires, les apprennent et se les approprient jusqu’à se préparer à les livrer en spectacle.

Chercheure principale: Camille Deslauriers
Assistante de recherche: Marise Belletête
Scénario, production, animation: Jean-Sébastien Dubé
Caméra, réalisation, montage: Patrick Gélinas

©Copyright Université du Québec à Rimouski (UQAR) 2016

Les leçons d’un cas de Figures (de proue)

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Crédit photo: Maïa Pons

La 24e édition du Festival Les jours sont contés en Estrie vient de se terminer…  Mais elle avait commencé sur des chapeaux de roue!  Le spectacle d’ouverture du 13 octobre 2016 s’appelait Figures de proue. Il y avait assez longtemps qu’un spectacle de contes ne m’avait pas enthousiasmé à ce point. Continuer la lecture de « Les leçons d’un cas de Figures (de proue) »

5 journées pour se baigner dans 1001 nuits

genie_lampDu 15 au 19 août 2016, j’ai eu l’immense chance de suivre un stage sur les 1001 nuits en compagnie de l’exceptionnel Jihad Darwiche.  Voici comment le propos nous avait été présenté:

« Par leur diversité, les Mille et Une Nuits proposent une palette extrêmement large qui va du conte merveilleux au conte de sagesse en passant par le conte facétieux, le conte fantastique, le récit, la poésie, le proverbe etc.Leur richesse et l’universalité des thèmes qu’elles abordent expliquent leur forte présence, encore aujourd’hui, dans la bouche des conteurs de toute origine et de toute culture.

Les Mille et Une Nuits, c’est aussi un univers spécifique : Ce sont des contes citadins. C’est l’Orient avec ses parfums, ses rythmes et sa musique, sa poésie, sa façon de vivre et de respirer et c’est surtout une parole importante, grave, à la frontière de la vie et de la mort.

Car, Shéhérazade raconte dans l’urgence et la nécessité pour sauver l’humanité d’un roi devenu fou de jalousie et de vanité. Ce cadre va donner un poids spécifique à chaque conte et l’installer dans une stratégie qui vise à l’éducation du roi et à son initiation.»

Donc une belle semaine.  Un très beau groupe aussi. Nous étions installé dans la « Maison bleue » au Domaine Howard à Sherbrooke.  Un lieu magnifique et il a fait beau.

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« C’est pour mieux t’approcher, mon enfant ! » – Le déguisement dans les contes

masquaradeLe 16 janvier 2016 dernier, de 5 h à 6 h du matin, j’ai offert un atelier dans le cadre de la quatrième nuit d’écriture organisée par des étudiants en lettres et création de l’Université du Québec à Rimouski.  Comme le thème de la nuit portait sur « La masquarade », j’ai proposé de travailler autour du rôle du déguisement dans les contes.  Le descriptif allait comme suit:

« Le loup en grand-mère, le sultan en marchand, la princesse en servante… Pourquoi se déguise-t-on dans les contes ?  Qu’est-ce que ça apporte aux histoires ?  Après un bref exposé, les participants à cet atelier seront invités à produire leur propre récit d’identité camouflée puis dévoilée, à partir de certaines contraintes. »

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Pourquoi monter des classiques au théâtre? (Tous les arts se posent les mêmes questions)

Le mardi 23 février 2016 dernier, entendu cette discussion à l’émission radiophonique Plus on 585-96-etset-0304-prodphoto1-2est de fous, plus on lit, entre Philippe Couture, critique de théâtre, Yves Desgagnés, metteur en scène, et Anne-Marie Olivier, directrice artistique du Trident.  Je ne pouvais faire autrement que d’y voir écho à nos querelles entre tradition et création.  De très intéressantes réflexions, dont je retiens ceci:  Continuer la lecture de « Pourquoi monter des classiques au théâtre? (Tous les arts se posent les mêmes questions) »