Un conteur nu parmi les fringues

[Dans le cadre du Festival Les jours sont contés en Estrie, on a voulu souligner les dix ans du Cercle des conteurs des Cantons de l’est. En tant que membre fondateur du Cercle, je n’ai pas pu résister à l’envie de partager ce souvenir qui m’est cher…]

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Photo: Nicolas Grandmangin

Avant L’arbre à palabres, avant La brûlerie de café, il y avait Chez Yip! Trucs et fringues.  Pour leurs soirées micros libres, les conteurs du Cercle se réunissaient une fois par mois dans une petite friperie de la rue Frontenac. Tibi, le propriétaire, nous accueillait dans sa boutique digne des Mille et une nuits en tassant les supports à vêtements. Le (rare) public s’assoyait sur des chaises dépareillées, un vieux fauteuil, des coussins ou simplement sur le tapis persan.

 

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L’intérieur du Yip (en 2004)

Lors d’un stage en 2003, le conteur Guth Des Prèz, nous avait parlé du « conteur nu ». C’était la façon de Guth de nous décrire ces conteurs d’autrefois, sans entraînement scénique, qui vous captivaient avec la seule force de leurs récits.  Par un torride soir de juillet 2004, nous en avons rencontré un.

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Conter comme en strip-tease? Le rapport à la séduction

Pling!  Un courriel interlope reçu et lu à la dérobée.  Mme G., ma coach clandestine dont j’étais sans nouvelle depuis des mois, me recontacte secrètement avec une question comme une mission tout ce qu’il y a d’équivoque:

Que penses-tu du rapport à la séduction dans la relation que peut avoir une conteuse avec son public ? Moi je pense que si une conteuse arrive a se séduire elle-même par son propre conte, elle séduira son auditoire sans se trahir. Pas besoin de se poser milles questions…. Qu’en penses-tu ?

Évidemment, je ne peux résister.  La proposition est trop… séduisante.  Il y a longtemps que je n’ai pas été en service, dans l’action (ou dans la réflexion, si vous préférez).  Je ne serai que consultant sur cette affaire, donc le risque est modéré. J’accepte et un rendez-vous est fixé dans un obscur restaurant Thaï, grand comme ma main. Continuer la lecture de « Conter comme en strip-tease? Le rapport à la séduction »

Entrer dans le jeu

En écho à l’article de Jean-Sébastien sur le « conte aux petites oreilles », je voudrais dire à quel point conter pour les enfants est une discipline particulière, passionnante et fascinante tout à la fois (et parfois terrifiante).

Tout d’abord, je suis d’accord sur ce point : les enfants n’ont généralement pas les barrières de politesse (patiemment inculquées par l’éducation parentale et scolaire, entre autres), qui font que les adultes, même s’ils s’ennuient, ne se permettront pas de manifester cet ennui -ou rarement. Les enfants, eux, sont entiers : s’ils s’ennuient, ils le font savoir assez vite et assez fort…  D’un autre côté, cette absence de barrières leur permet aussi d’exprimer beaucoup plus fort et spontanément leur intérêt – voire leur passion – pour telle ou telle histoire ou séquence particulière… Ils sont immédiatement et naturellement DANS le jeu, DANS l’histoire, chose que les adultes ont beaucoup plus de mal à faire. Continuer la lecture de « Entrer dans le jeu »

La scatturlute de Michel Faubert et Karen Young (ou Le mariage anglais)

faubert_youngBonheur le vendredi 17 mai dernier de réentendre le spectacle a capella Le mariage anglais de Michel Faubert et Karen Young.  Je l’avais découvert une première fois en 1995 au Marché Maisonneuve à Montréal et j’en avais gardé une impression très nette jusqu’à m’en rappeler des années plus tard…

Il y a des moments de grâce dans la rencontre de ces deux-là…  Quand Faubert se met à turluter, ce qui créé une ligne de basse sur laquelle Young peut se mettre à chanter « scat ».  Avec le magnifique clin d’oeil de Faubert qui demande à la grande dame: « Connais-tu ça le jazz, toi?  Il me semble que ça t’irait bien… »  Et l’on s’émerveille de la parenté de ces deux modes d’improvisation vocale, soudainement rapprochés. Continuer la lecture de « La scatturlute de Michel Faubert et Karen Young (ou Le mariage anglais) »

Trouver la bonne distance pour conter aux petites oreilles (stage avec Françoise Diep)

Deux semaines après ma formation avec Christine Andrien (voire billet précédent), c’était reparti avec Françoise Diep.  À force, j’ai le cerveau un peu en gélatine, mais heureusement y’a quand même pas mal de congruence entre ces deux formatrices. Ici encore, je peux me fier sur le blogue de Geneviève Falaise pour la nomenclature des notions apprises et approfondir des aspects qui me sont plus personnels.

La formation Conte, livre et petite enfance m’a donné l’opportunité d’appréhender une zone d’ombre de mon art: raconter aux enfants. J’ai beau en avoir de tout jeunes à la maison, leur raconter des histoires ne va pas de soi pour moi (autrement que de lire un livre avant le coucher, de manière plutôt animée il est vrai).  Assez paradoxalement peut-être, c’est raconter aux grands que je préfère. Avec les petits, pas de filtre, pas d’écoute polie et donc le besoin de travailler fort pour éveiller, puis conserver leur intérêt.  Plusieurs conteurs d’expérience affirment combien il leur a été formateur de conter aux petits. Je n’en doute pas, j’ai juste eu peu l’occasion de le faire.  Et ça me terrorisait… Continuer la lecture de « Trouver la bonne distance pour conter aux petites oreilles (stage avec Françoise Diep) »

Il faut des fondamentaux (stage avec Christine Andrien)

Je n’ai pas blogué depuis un moment parce que deux formations suivies coup sur coup m’ont donné à réfléchir: la première sur L’oralité du conte avec Christine Andrien de L’école internationale du conte de Bruxelles (19 au 21 avril 2013), la seconde sur Conte, livre et petite enfance avec Françoise Diep (3 au 5 mai 2013, sujet de mon prochain billet).

La rencontre avec Christine aura été un véritable coup de coeur professionnel. Non seulement est-elle une redoutable animatrice de groupe (nous étions une douzaine de participants et ça n’a pas causé de retards ou de frustrations!), dotée d’un sens de l’humour décapant, d’un rare esprit d’organisation et d’une grande rigueur dans le plaisir, c’est aussi une fabuleuse pédagogue.  Elle sait simplifier, reformuler, chercher l’expression qui fait image pour que les stagiaires saisissent.  À force de jouer à la maîtresse d’école (à l’instit, dirait-elle), on finit par y croire quand elle s’écrie « Gommette! » (un collant dans notre cahier, dirait-on au Québec) pour souligner un succès ou quand elle nous fait répéter à l’unisson que le public, il est « MALIN! » (pour nous rappeler qu’on n’a pas besoin de tout expliquer). Mais avec le panache de l’auto-dérision, elle ne nous laisse jamais oublier que c’est « pour faire comme si… », « on dirait que… »  On est là pour apprendre en s’amusant, à mille lieux d’un cours ennuyant. Continuer la lecture de « Il faut des fondamentaux (stage avec Christine Andrien) »

Croix de fer, crois de bois (Faut-il croire aux contes? 3/3)

modern-crossJe pense que, pour moi, la question a commencé à se poser il y a quelques années.  Comme j’expliquais à ma mère, très croyante, que le conte était pour moi devenu une forme de spiritualité.  Elle m’avait dit: « …Mais ce n’est que de la fiction. »  Sur le coup, je n’ai pas su quoi répondre.  Mais lorsque j’ai rapporté ces propos à ma fée-marraine, son regard s’est durci et elle a simplement dit: « Tu sais, les centres d’achat, la consommation, le mode de vie nord-américain… c’est aussi de la fiction. » Continuer la lecture de « Croix de fer, crois de bois (Faut-il croire aux contes? 3/3) »

Chasser le dragon (Faut-il croire aux contes? 2/3)

Ces discussions sur les croyances me ramènent assez souvent à un texte découvert dans le cadre d’un cours d’anthropologie, suivi pendant mes études de maîtrise.  Il s’agit de l’essai « Les  savoir_anthropologuescroyances apparemment irrationnelles » de Dan Sperber, dans Le savoir des anthropologues (Hermann, Paris, 1982) qui m’avait fait grande impression.  Le point de départ de ce texte aurait de quoi séduire Dany Plouffe (et la plupart des conteurs…).  Il y est question du vieux Filaté, un informateur éthiopien qui va voir Sperber un matin afin de lui demander, le plus sérieusement du monde, de tuer un dragon. Continuer la lecture de « Chasser le dragon (Faut-il croire aux contes? 2/3) »

– J’te cré pas! – Ben, j’te l’dis! (Faut-il croire aux contes? 1/3)

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Dany avec son dragon en boîte

Le jeudi 28 février dernier, je suis allé entendre une conférence du physicien Dany Plouffe, diplômé de l’Université de Sherbrooke, travaillant maintenant à McGill, prix Sceptique 2011 (attribué par l’Association des sceptiques du Québec).  La communication s’intitulait « Science, superstition et dragon magique« .  Je connaissais Dany déjà depuis le temps où il organisait des débats étudiants, mais c’est le descriptif de l’activité qui m’y avait attiré:

« Si quelqu’un vous abordait un beau matin, en vous disant qu’il possède un dragon magique, que seul lui peut voir, y croiriez-vous ? Probablement pas. Mais si ce même individu vous disait plutôt qu’il peut contacter des fantômes, ou voir votre aura, y croiriez-vous ? Possiblement. Cependant, est-ce que croire en un dragon magique est vraiment différent de croire aux fantômes et aux auras ? L’humain semble avoir une tendance naturelle à adopter toutes sortes de croyances. Comment fait-on pour discerner le réel des superstitions ? Continuer la lecture de « – J’te cré pas! – Ben, j’te l’dis! (Faut-il croire aux contes? 1/3) »

Sortir des cases

EPSON scanner imageM’y voilà donc. Je dois avouer que j’ai le trac. Je suis émue aussi, forcément, d’autant que j’ai résolu de parler de quelqu’un qui a plus que probablement contribué à m’ouvrir les yeux et les portes de mes deux passions : les histoires et le dessin.

Il s’agit de Fred.

Fred était un dessinateur de bandes dessinées français, d’origine grecque. Il vient de s’éteindre, le 2 avril dernier, à 82 ans, au terme d’une vie bien remplie. Sa présence et son travail ont marqué le petit monde de la bande dessinée comme personne et il va manquer à bien des gens.

Vous me direz : pourquoi parler du travail d’un auteur de bandes dessinées dans un blog portant sur l’oralité et le conte ? N’est-ce-pas contradictoire ? Continuer la lecture de « Sortir des cases »