Croix de fer, crois de bois (Faut-il croire aux contes? 3/3)

modern-crossJe pense que, pour moi, la question a commencé à se poser il y a quelques années.  Comme j’expliquais à ma mère, très croyante, que le conte était pour moi devenu une forme de spiritualité.  Elle m’avait dit: « …Mais ce n’est que de la fiction. »  Sur le coup, je n’ai pas su quoi répondre.  Mais lorsque j’ai rapporté ces propos à ma fée-marraine, son regard s’est durci et elle a simplement dit: « Tu sais, les centres d’achat, la consommation, le mode de vie nord-américain… c’est aussi de la fiction. » Continuer la lecture de « Croix de fer, crois de bois (Faut-il croire aux contes? 3/3) »

Chasser le dragon (Faut-il croire aux contes? 2/3)

Ces discussions sur les croyances me ramènent assez souvent à un texte découvert dans le cadre d’un cours d’anthropologie, suivi pendant mes études de maîtrise.  Il s’agit de l’essai « Les  savoir_anthropologuescroyances apparemment irrationnelles » de Dan Sperber, dans Le savoir des anthropologues (Hermann, Paris, 1982) qui m’avait fait grande impression.  Le point de départ de ce texte aurait de quoi séduire Dany Plouffe (et la plupart des conteurs…).  Il y est question du vieux Filaté, un informateur éthiopien qui va voir Sperber un matin afin de lui demander, le plus sérieusement du monde, de tuer un dragon. Continuer la lecture de « Chasser le dragon (Faut-il croire aux contes? 2/3) »

– J’te cré pas! – Ben, j’te l’dis! (Faut-il croire aux contes? 1/3)

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Dany avec son dragon en boîte

Le jeudi 28 février dernier, je suis allé entendre une conférence du physicien Dany Plouffe, diplômé de l’Université de Sherbrooke, travaillant maintenant à McGill, prix Sceptique 2011 (attribué par l’Association des sceptiques du Québec).  La communication s’intitulait « Science, superstition et dragon magique« .  Je connaissais Dany déjà depuis le temps où il organisait des débats étudiants, mais c’est le descriptif de l’activité qui m’y avait attiré:

« Si quelqu’un vous abordait un beau matin, en vous disant qu’il possède un dragon magique, que seul lui peut voir, y croiriez-vous ? Probablement pas. Mais si ce même individu vous disait plutôt qu’il peut contacter des fantômes, ou voir votre aura, y croiriez-vous ? Possiblement. Cependant, est-ce que croire en un dragon magique est vraiment différent de croire aux fantômes et aux auras ? L’humain semble avoir une tendance naturelle à adopter toutes sortes de croyances. Comment fait-on pour discerner le réel des superstitions ? Continuer la lecture de « – J’te cré pas! – Ben, j’te l’dis! (Faut-il croire aux contes? 1/3) »

Un festival « tutti frutti »…

[Dernier article décrivant les aventures d’Alice en Martinique.  On a hâte à de nouvelles escapades…  JSD]

Durant le festival Martiniquais « Contes et musique dans la cité » étaient invités des artistes issus de cultures différentes : une québécoise (Patti Warnock, coucou Patti !!!), un Sénégalais lyonnais, un Nigérien, et trois français de la région Midi-Pyrénées de trois origines différentes. Avec deux conteurs Martiniquais, quatre musiciens Martiniquais itou et votre servante, cela formait un beau patchwork.

Bien sûr il y a eu quantité de conversations et de débats, de rencontres… Moments précieux et privilégiés  occasionnés par les festivals. Rencontres avec le public, rencontres entre artistes. L’un des artistes français, à un moment donné, a comparé la vitalité du créole en Martinique et celle de la langue occitane* dans son coin de pays. D’après lui, la culture occitane se portait moins bien que la culture créole en Martinique. Je me suis alors demandé si tous les petits occitans connaissaient des contes occitans, si tous les petits bretons connaissaient des contes bretons… Je pense que non. Pourquoi cela me donne-t-il un choc moins grand qu’avec la culture créole ? Est-ce-lié à l’éloignement géographique, à l’histoire qui relie la France aux Antilles ? Pourtant, la langue et la culture française sont aussi passées par-dessus les autres langues des différentes régions, avec la même autorité, le même écrasement parfois… (cela sans oublier mon amour pour ma propre langue maternelle, puisque je n’en ai pas d’autre !) Continuer la lecture de « Un festival « tutti frutti »… »

Textes Festival 2012 (2) : mes réponses aux quatre pourquois

[À l’occasion du 20e anniversaire du Festival, la fée-marraine a demandé à une dizaine personnes de répondre aux quatre questions suivantes…  Pour ma part, j’ai partagé ces réflexions le dimanche 14 octobre, avant le très beau spectacle de Christèle Pimenta. Le lecteur attentif  reconnaîtra probablement des bribes d’autres textes ayant déjà circulés sur ce blogue.]

Pourquoi conter?

Certains content par amour des histoires, d’autres pour être reconnus par leur communauté. Certains content pour que leur communauté se rappelle ses propres histoires et s’y reconnaisse. D’autres content pour que la communauté s’en inspire et ait envie de… plus.

J’ai souvent pensé que les contes étaient les premiers rêves de l’humanité que s’étaient raconté nos lointains ancêtres. On a conté pour expliquer l’orage, le soleil, la lune, la mort du monde à l’hiver et sa renaissance au printemps. À chacun ses raisons, mais personnellement je conte pour donner du sens au monde; donner du sens à un monde qui en a de moins en moins à mes yeux. Continuer la lecture de « Textes Festival 2012 (2) : mes réponses aux quatre pourquois »

Si la sérendipité m’était contée

[Je vous rassure, il ne sera pas question ici de la bluette américaine Serendipity, traduit au Québec par Un heureux hasard (et plus platement en France par Un amour à New York) avec John Cusack et Kate Beckinsale… qui marchaient assez bien ensemble.]

Bernard Grondin m’écrit, à propos de mon dernier billet : « Mon travail utilise à satiété la sérendipité, terme que je ne connaissais pas ».  Et je dois bien avouer que je n’utilise moi-même cette expression que depuis peu, surtout en lien avec mon travail de veille. Je constate évidemment aussi que le travail de créativité, a fortiori en conte, bénéficie de l’apport de découvertes « sérendipiteuses » (l’adjectif est plus douloureux, non?).  J’en ai parlé lorsque j’évoquais mon « syndrome du cheval blanc« .

Calque de l’anglais, le terme serait pourtant attesté dès 1954 en français, du moins si on en croit (la passionnante entrée) Wikipédia.  Il semble que l’utilisation du Web et du zapping entre plusieurs sources d’information, où les occasions de « de réaliser une découverte inattendue grâce au hasard et à l’intelligence » se multiplient, est partiellement responsable d’une meilleure visibilité du concept.  J’aime aussi la notion d’ « accident heureux » (happy accident) ou celle du « don de faire des trouvailles » de certaines définitions. Dans d’autres cas, on parle même de « sérendipité systématique » et on flirte avec l’oxymore…

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Une génération de géants ? De l’impact du conte télévisuel

Le conteur et père de famille formé à l’études des médias que je suis (téléphage de surcroît) n’a pas manqué de s’apercevoir qu’on lançait en grande pompe, au mois d’avril dernier, une nouvelle série télé destinée aux enfants d’âge préscolaire: 1, 2, 3… Géant, souvent décrite comme un conte télévisuel. Du reste, il était difficile de ne pas le savoir, avec trois ministres (Éducation, Culture, Famille) qui s’étaient déplacées pour l’occasion et toute la presse média et télé qui en parlait alors.  Tout le monde voulait s’associer au projet.

Les attentes sont… gigantesques.  Il faut dire que derrière l’émission on retrouve certains des concepteurs de plusieurs succès de la télévision jeunesse québécoise : Pin-pon, Cornemuse, Toc-toc-toc et, bien sûr, Passe-Partout.  Notamment Mme Carmen Bourassa, co-conceptrice et co-productrice, que j’ai eu la chance de rencontrer (mais j’y reviendrai). Continuer la lecture de « Une génération de géants ? De l’impact du conte télévisuel »

Brèches pour une continuité (stages avec Bernadète Bidaude)

Le week-end dernier, j’ai vécu mon second stage avec la conteuse française Bernadète Bidaude (« Construire un récit à partir de son propre bagage » les 30 septembre, 1er et 2 octobre 2011).  Comme il s’agissait à peu de choses près du même atelier que la première fois (« Chantier d’histoires » du 1er au 3 mai 2009), je présenterai conjointement ce que j’ai appris à ces deux occasions.

À la décharge des organisateurs qui avait prévu ce deuxième atelier comme une suite du premier (qui n’était cependant pas pré-requis), j’étais le seul participant à m’être réinscrit.  Ajoutons à cela le fait que cette fois-ci plusieurs participants n’étaient pas des conteurs.  Difficile de véritablement pousser plus loin…

Cela écrit, c’est une expérience assez curieuse mais pas déplaisante que cette répétition.  À faire essentiellement les mêmes exercices avec des participants différents, à aller collecter des idées d’histoires aux mêmes endroits sous une pluvieuse grisaille automnale (2011) plutôt que sous un soleil printanier (2009), on est forcément amener à comparer.  En même temps, il y a là-dedans à trouver comment conserver un regard neuf, un peu comme de raconter la même histoire à des publics différents, ou encore aux mêmes personnes, mais dans des occasions différentes.  J’ai certainement bénéficié d’un rafraîchissement quant à la conception du conte de notre formatrice.  Cela me permettra, je l’espère, de vous en faire part avec plus de justesse. Continuer la lecture de « Brèches pour une continuité (stages avec Bernadète Bidaude) »

Pourquoi tu contes?

La conteuse Alice Duffaud[NDE: Ces jours-ci, c’est l’anniversaire de Tenir conte qui a deux ans.  Pour l’occasion, je publie un texte de mon amie la conteuse Alice Duffaud, qui me l’avait envoyé en réaction à mon propre texte « Pourquoi je conte ».  Pour ceux qui voudrait en savoir plus sur qui est Alice, vous êtes invités à lire le billet précédent.  JSD]

Au-delà de la grande bleue, je découvre les pages de ton blog et je me souviens… Que nous avons partagé ensemble une formation (avec Didier Kowarsky) où je me suis sentie tout du long suspendue par un fil, comme marchant sur une arête de montagne, précipice des deux côtés, pas le choix de marcher de travers.

Et que j’ai rarement autant appris en si peu de temps. Et qu’aucune autre formation ne m’a rendue aussi heureuse.

Ce danger, ce précipice, cette excitation de funambule, ça me plaît. je m’y sens bien. Je me sens forte, décidée, je n’ai pas peur. C’est même le seul moment et le seul endroit du monde où je n’ai peur de rien, où j’oublie ma tristesse, où je me sens confiante, où je sais avoir ma place, mon utilité (Le reste du temps, je suis plutôt timorée, peureuse, lâche parfois (bin oui). Avec mon fils ? Tétanisée de trouille devant sa vivacité, son énergie, son intelligence. Un peu jalouse aussi. On ne peut pas être un enfant toute sa vie. Avec mon homme, mes parents, mes amis: toujours un peu soumise, pas très sûre de mes choix, évitant le conflit. Avec toujours l’impression de devoir quelquechose – des dettes contractées par automatisme, comme on chope une crampe. Inconfortable. Fatigant.).

Allumer les yeux. Noyer les larmes. (Res)susciter les sourires. Passer les siècles comme on prend une marche, par pur plaisir, avec évidence, avec facilité. Convaincre les plus réticents, travailleurs le nez dans le guidon, ados boutonneux, malades qui s’emmerdent, anciens trop vieux traités comme des légumes, bébés, quidams brisés par la vie, qu’il y a encore des choses à partager, et que le partage signifie la vie, le vivant, l’espoir du demain. Que le conte ne snobe personne, qu’il est à tous et à chacun, que c’est un peu le pain de l’âme. (Je m’emballe un peu, mais ton texte sur le « pourquoi ? » m’a secouée). Que nous autres, les conteurs (et par extension les artistes au complet), on est les garde-fous des sociétés. La mémoire, les racines, n’importe quel sédentaire vous le dira, ça n’a pas de prix (heureux nomades ?!). Voyez qui « saute » en premier quand une société déraille !

Quand je sens cette complicité, cette confiance qui s’installe, alors, oui, je suis heureuse. Je suis seule sur scène pourtant, sans filets, sans partenaire. Mais libre, et en grande compagnie, celle du public. Je me fais poreuse à l’extrême, je tâche d’être à l’écoute de tout et de tous en même temps que je raconte, je me colle des yeux partout, comme tu dis, je reçois les gens sur toute la surface de ma peau, dont chaque pore devient un capteur d’émotions.

On partage tout. Je leur tends un miroir où ils se voient capables d’écouter, ils me le renvoient montrant que je suis capable d’émouvoir, on s’entr’aide, c’est touchant. Rester maître de soi-même et de la situation devient alors un beau challenge. Narcissisme? Je ne sais pas. Dans la mesure où l’on se fait simultanément exister les uns les autres… Peut-être. Mais est-ce un défaut que de se sentir exister dans les yeux des autres, quand on arrive si peu à exister pour soi-même? Dangereux, en tous cas. Je m’en souviendrai.

Le théâtre ne m’a pas procuré cela – cette capacité à l’échange (il a d’autres qualités – l’oeuvre commune reposant sur l’équilibre et les bonnes volontés associées d’un groupe, entre autres – et d’autres émotions), non plus que l’impro. Le théâtre de rue, le chant, déjà un peu plus. Toujours cette notion de partage immédiat. J’ai pas essayé le cinéma mais je ne sais pas si ça me plairait ou bien si, plus sommairement, ça m’intéresserait.

Sur la question du répertoire, je suis comme toi : Je ne parle que des histoires qui m’ont parlé à l’oreille ou directement au coeur – quand ce sont des reprises.

Pour les contes écrits avec ma seule plume et venant de mes tréfonds personnels, c’est plus complexe. Nul doute que bon nombre d’images et de fantômes d’autres histoires viennent s’y emmêler pour troubler la sauce. Que d’autres voix – celles de conteurs entendus et aimés – viennent se superposer à la mienne, c’est sûr. On ne fait pas de gâteau sans farine! Mais ça aide, même s’il faut épurer par la suite, pour trouver ses propres mots.

Ce qui est sûr, c’est qu’on n’en sait jamais assez. Ce qui est certain, c’est qu’il faut avoir confiance. Bien sûr qu’il est légitime pour tout conteur de se poser la question du répertoire. Trop jeune? Tu parles! On se pose la question de ce qui nous va le mieux à la voix, à la bouche, au geste. C’est normal : comme tu le dis, on a loupé le stade de la transmission directe, on s’est faits tout seuls, nous autres. Alors pas le choix.

Pour la confiance, c’est au niveau de la mémoire que je la place. J’aime imaginer qu’on a tous une mémoire comme une passoire à nouilles, ou un tamis pour les délicats. Chacun son grain, son calibre. Elle passe, elle tamise, elle fait le tri. Seuls restent les morceaux intéressants, les farfalles ou les spaghettis pour les uns, les pépites (en or ou en chocolat ?) pour les autres. Reste ensuite à remonter le filon: qu’est-ce-qui m’a tant plu ici ? Une fois qu’on a identifié la chose, on vérifie qu’on s’y sent à l’aise, on tente un petit tour de reconnaissance… Parfois, on plonge et ça baigne. Parfois, on se trompe. Pas grave, cherchons encore…

Là où je rejoins les « routards » du conte (Dan, Jocelyn, Mike…), c’est qu’un répertoire ne se créé pas en un jour ni en un an. Qu’il faut d’abord vivre pour raconter. On n’attrape pas trente ans de contes comme on prend une bière ! Là aussi, question de confiance… Laisser du temps au temps… Tout en continuant sainement à travailler et à se poser des questions (sans se torturer trop le cervelet, quand même).

Alors, pourquoi je conte ? Pfouuu…

Pour moi-même, c’est sûr. Pour le plaisir et parce que ça m’aide à vivre. La scène, c’est mon monde. Le conte, c’est ma route. Empêchez-moi de conter, je crève. De tristesse, de doute, d’angoisse. C’est le seul endroit où je me sente bien.*

Pour les autres, parce que ça m’aide à les aimer, à aimer l’humain, qui n’est pas bien beau, qui fait tant de conneries, plus laides les unes que les autres… C’est beau de les rendre beaux, tu ne trouve pas ? Les étoiles dans les yeux…

Pour préserver des petits bouts précieux de mondes anciens et déjà morts, aussi, qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Et qu’on ne retombe pas, nous, dans nos erreurs. Parce que la sagesse du monde ne s’est pas non plus faite en un jour ni en un an, parce que d’autres que nous, depuis longtemps, se sont creusés le ciboulot, et que la moindre des choses est de s’en souvenir. Parce qu’à l’époque des mémoires électroniques grosses comme une sucrette et à la contenance aussi vaste qu’un paquebot, ça peut valoir quelquechose de rappeler que l’humain, lui aussi, est capable de mémoire, que la sienne est tout aussi bonne et digne de confiance qu’un réseau électronique ultraminiaturisé, et que s’il ne la fait pas fonctionner, il risque tout bonnement la déshumanisation… À quoi ça sert, bon sang, les circonvolutions, si c’est pas à travailler du chapeau !

Je conte parce que j’ai l’impression que je sais le faire.

Parce que ça fait du bien.

Parce que j’y crois.

Je conte parce c’est viscéral, antique, parce que je l’ai toujours fait. J’ai toujours raconté des tas de trucs, sûrement soûlé mes parents et quantité de copains (les pauvres). Mon fils est encore plus bavard que moi. Suit-il le même chemin que sa mère (pauvre de nous !)?

Je conte parce qu’un jour, quand j’avais seize ans, j’ai vu pleurer un copain à moi, dans un recoin paumé du lycée où j’étudiais. On était dans la même classe. Il s’appelait Gwenaël, il était très beau garçon et estropié: une jambe paralysée à 80 %, l’autre à 10%, par une mauvaise opération de la colonne vertébrale. Il ne se déplaçait qu’avec des béquilles, et habituellement toujours très gai, fanfaron même. Ce jour-là, j’ai voulu le consoler, et je lui ai raconté à qui il m’avait fait penser, la première fois que je l’avais vu. Il m’avait fait penser à un personnage de conte, un forgeron, estropié de force par un seigneur cupide qui le voulait à son service exclusif. Enfermé sur une île déserte, ne pouvant pas s’enfuir à la nage, le forgeron se forge des ailes en or et s’envole. Et là, j’ai vu mon copain s’allumer de l’intérieur. Aussi nettement que si j’avais appuyé sur un interrupteur. J’avais jamais vu ça, j’en suis restée muette (pas tout à fait). Puis, le temps a fait son boulot, et on s’est perdus de vue. J’ai appris longtemps après qu’il avait repris la rééducation, et savait marcher sans béquilles. Qu’il parlait encore de cette histoire que je lui avais contée… Je découvrais le poids des mots…  Leur pouvoir incroyable. Cette histoire est si belle qu’il m’arrive de n’être plus tout à fait sûre de l’avoir vécue en vrai. Je l’ai portée en moi, comme un secret, pendant neuf ans (coïncidence ?), avant d’arriver à la mettre en mots. Elle est devenue mon premier conte, « Gwen le boîteux ».

C’est comme ça que je suis devenue conteuse. Les larmes d’un copain… Puis le soleil. Ce jour-là, j’en ai vu de toutes les couleurs… Un vrai arc-en-ciel. Elle doit être là, la vraie réponse. Quelque part dans le temps de mes seize ans.

Après, il y a eu beaucoup de choses et de rencontres (dont celle des conteurs québécois n’est pas la moindre), qui m’ont aidée à construire le reste, pierre à pierre… Et c’est loin d’être fini! Mais le point de départ est bien là: tout dans l’échange, l’émotion, la confiance.

Je sais même pas si j’ai répondu à la question. En tous cas, ça m’a fait causer.

C’est ça qu’est ça !

(ou comme on dit en équivalent breton : « Voilà-voilà-voilà ! »)

Salut et belle route (en espérant que les nôtres se recroisent bientôt !)

Alice

*P.S.:  Pour m’empêcher de conter, cela dit, faudra se lever de bonne heure : Quand je n’ai pas de public, je me raconte mes histoires à moi-même…

Écouter la vieille dame sage au fond des bois – Atelier avec Michèle Rousseau

Je viens d’avoir la chance de passer deux journées – les samedi 19 et dimanche 27 mars 2011 – avec une doyenne parmi les conteuses au Québec, madame Michèle Rousseau. À l’initiative des Productions Littorale, grâce au Conseil de la culture de l’Estrie et en compagnie d’autres conteurs du Cercle des Cantons de l’est, j’ai reçu un cadeau.  Portrait impressionniste et impressions impressionnées.

Michèle est une fée, une « femme-sage », une adolescente de « 80 ans cet été ».  Des bras interminables qui s’ouvrent au monde comme des rayons de soleil et, quand on croit qu’ils s’arrêtent enfin, des doigts si longs qui s’étirent à leur tour ; des rayons au cœur des rayons.  Et combien elle rayonne…  Tout un charisme et un tel amour des gens qu’on se sent submergé en sa présence.  D’autant plus qu’elle était visiblement ravie d’être là, alors que trop peu de jeunes conteurs vont la trouver au fond de sa campagne pour solliciter sa sagesse.  Lorsqu’elle incarne une vieille guérisseuse qui aide l’héroïne au cœur d’une de ses histoires, on n’a pas de mal à se laisser prendre au jeu.  Cette rencontre revêtait donc un caractère extrêmement précieux pour moi et, sans doute, pour les autres. Continuer la lecture de « Écouter la vieille dame sage au fond des bois – Atelier avec Michèle Rousseau »