Le renouveau… littéraire du conte (2/2)

[Note: Cette entrée est la suite du billet « Le renouveau du conte… littéraire ». Pour lire la première partie, cliquer ici.]

Le Murmure des contes

L’entrée Wikipedia sur le « Renouveau du conte » en France et le rôle qu’y jouèrent BLS et Gougaud me semble un bon point de départ pour présenter ces « monuments » de notre discipline et l’ouvrage suivant:

« Deux artistes-conteurs encore en exercice, et par ailleurs formateurs de nombreux autres conteurs et conteuses, sont particulièrement importants dans cette période [années 1970-début des années 1980] : Henri Gougaud et Bruno de la Salle. Ils rendent compte de leur parcours, de leur réflexion sur le conte et de leur expérience artistique depuis 1960 dans l’ouvrage d’entretiens paru en 2002 : Le Murmure des Contes. »

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Le renouveau du conte… littéraire (1/2)

La visite de Bruno de La Salle au Québec en décembre 2010 m’a donné l’occasion de me replonger dans deux ouvrages qu’il a respectivement signé et co-signé.  Il s’agit du Conteur amoureux (Casterman, 1995) et du Murmure des contes (entretiens avec Henri Gougaud, recueillis par Isabelle Sauvage, Desclée de Brouwer, 2002). Je les avais déjà traversés, mais je crois que cette fois-ci je les ai réellement découverts; tant il est vrai qu’il y a des lectures ou des leçons que l’on ne reçoit pas si l’on n’est pas encore prêt à les accueillir.  Pour moi, ces livres devraient figurer dans toutes les bibliothèques de conteur ou conteuse, alors qu’on y trouve de nombreuses réflexions sur notre pratique.  En relisant, j’ai pris de nombreuses pages de notes qui viendront enrichir de futurs billets (notamment sur la formation des conteurs et la constitution d’un répertoire).  Je souhaite néanmoins en partager quelques extraits avec vous dès aujourd’hui…

Citation: conte et philo

J’aime bien collectionner des citations à propos du conte.  Celle-ci a été gentiment offerte par Mme Kateri Lemmens, professeure de littérature et humanités à l’Université du Québec à Rimouski:

«Le monde et la raison ne font pas problème; disons, si l’on veut, qu’ils sont mystérieux, mais ce mystère les définit, il ne saurait être question de le dissiper par quelque ‘solution’, il est en deçà des solutions. La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de profondeur qu’un traité de philosophie. »

M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. XVI.

Se laisser travailler par le conte (stage avec Marc Aubaret)

J’ai laissé plus d’une semaine passer pour tenter de donner sens à la vingtaine de pages de notes prises pendant la formation sur l’Histoire de la littérature orale offerte par Marc Aubaret, directeur du Centre méditerranéen de littérature orale, les 23 et 24 octobre derniers. Alors que mes notes ne rendraient pas justice à la somme d’information reçue, je m’essaie à tisser un fil conducteur auquel accrocher mes apprentissages.

Pour moi, cette formation aurait été celle où j’aurai acquis en concentré toutes sortes de pistes pour entrer dans de nouveaux contes (et approfondir ceux que je conte déjà).  En effet pour Aubaret, « le conteur n’explique pas, mais doit comprendre… »

  • Pistes « fonctionnelles » (par genres) : Parce que démêler ce qui tient du mythe (œuvres permettant de gérer la transcendance), de l’épopée (gestion des valeurs et du politique), de la légende (gestion du temps et de l’espace) et des contes (fonction initiatique pour les contes merveilleux et variable selon les genres) offre déjà des orientations importantes pour le contage.  J’ai ainsi appris que certains de mes récits tenaient probablement davantage du mythe que du conte…
  • Pistes historiques et anthropologiques : Cela permet d’être éveillé à ce que l’on a voulu faire dire aux contes selon les époques (ex : la montée des nationalismes au XIXe siècle qui récupèrent les contes comme « littératures nationales »).  D’ailleurs, en bon ethnologue, Aubaret nous rappelait régulièrement l’importance de connaître le contexte culturel dans lequel le conte est raconté.  Cela permet notamment de ne pas « dire le passé » ou de tomber dans le folklorisme.
  • Pistes typologiques : …Liées à la classification internationale Aarne-Thompson dont j’ai enfin mieux compris le fonctionnement et surtout l’utilité pour les conteurs : Faire gagner du temps lors de la recherche de multiples versions d’une même histoire.  Ainsi, j’ai découvert que plusieurs de mes Contes d’au-delàs et de Là-haut sont des 470 (Amis dans la vie et la mort), 470B (Le pays où l’on ne meurt pas) et 471 (Le voyage dans l’autre monde).  L’idée n’est pas de connaître ces numéros pas cœur ni de s’enfarger dans les chiffres, mais c’est vrai que devant ces catalogues on comprend mieux l’importance de toujours avoir consulté plusieurs variantes de nos contes avant de composer la sienne (dixit ma fée-marraine).
  • Pistes pour une lecture symbolique (notamment des contes merveilleux): Pour entrer dans un conte, Aubaret nous suggère de partir de versions collectées plutôt que de versions d’auteur (la « matière populaire brute »), nous recommande d’en faire une lecture attentive mot à mot, puis il nous invite à faire la cartographie des lieux, à en évaluer la temporalité (le passage du temps dans le conte, de quelques heures à quelques années), puis de bâtir des listes de personnages, d’animaux, de chiffres, de couleurs, d’objets, d’absents (Qui n’est pas là dans l’histoire? Un père? Une mère? C’est souvent très révélateur), etc.  L’idée étant que les symboles d’un conte s’influencent les uns les autres et ne peuvent être pris individuellement.

C’est que pour Aubaret, les symboles des contes sont autant de
« résonnateurs » qui « mettent en travail » si l’on est prêt et parfois à notre insu.  Ainsi, il a évoqué les motifs, ces super-symboles qui rendent mal à l’aise et qui frappent l’imagination (ex : la charité romaine, une femme qui, ayant accouchée, va nourrir au sein son père en prison pour lui éviter la mort).

Il ne s’agit pas ici de chercher à donner un sens définitif au conte, mais plutôt d’« ouvrir le plus grand nombre de questions possibles », de prendre conscience de la multiplicité des sens qui se cachent dans l’œuvre et qui peuvent toucher le public de différentes façons. « Ne pas se laisser berner par l’anecdote, mais chercher ce qui est sous-jacent. » Il nous rappelle avec justesse que ce travail est aussi utile pour la création de nouveaux contes que pour l’approfondissement de contes traditionnels.  Pour Catherine Zarcate, avec qui Aubaret collabore, conter c’est « faire écrin aux symboles ».

J’avais déjà abordé une partie de ces notions (sans nécessairement les avoir approfondies), mais j’ai pu revérifier pendant cette fin de semaine l’importance de se les faire dire et redire par différentes personnes qui emploieront des mots différents pour parler des mêmes concepts fondamentaux, chacune avec sa vision propre de ces derniers.

Par exemple, tout le discours de Marc Aubaret est, me semble-t-il, coloré par sa conviction de l’importance du rapport personnel des individus (conteurs ou auditeurs) face aux contes. Ces derniers seraient pour chacun des « miroirs de sa propre évolution ».  Par exemple, la maîtrise d’un nouveau conte se déroulerait en trois étapes : D’abord un temps d’acquisition, puis une période d’intégration et enfin, au moment propice, ce qu’il appelle le « jaillissement » où le conteur « témoigne de ce qui l’a traversé ».

Si les pistes de lectures discutées plus haut seront utiles lors de l’acquisition, c’est le « temps passé avec l’histoire », le temps de rêver son conte, de travailler sur les images , qui en permet l’intégration ou d’« en acquérir l’épaisseur ». En effet, pour Aubaret le conte est « art des images » plus que des mots. C’est ensuite que viennent les mots pour décrire les images dont s’est nourri le conteur : Le moins de mots possible, des mots qui évoquent directement les images, les mots du « sensitif » comme dirait Michel Hindenoch (avec qui Aubaret collabore aussi).

Outre ces outils d’analyse, je repars sur mon chemin de conte avec plusieurs idées qui alimenteront ma pratique : Celle de tenir un « carnet de trames » des contes que je lis, juste pour développer le sens de la structure et comparer des versions, celle de passer du temps dans un café, juste à regarder les gens et à noter mes impressions.  L’idée aussi d’avoir toujours un conte « en chantier », juste pour s’en nourrir et le laisser « nous travailler », quitte à ne jamais le conter.

Cette formation m’a aussi rappelé qu’avant de poursuivre mes études en communications à l’Université de Sherbrooke et à Concordia, je voulais devenir… ethnologue.

La nostalgie des jeux de donjons

Cet été, j’ai lu Fantasy Freaks and Gaming Geeks: An Epic Quest for Reality Among Role Players, Online Gamers, and Other Dwellers of Imaginary Realms de Ethan Gilsdorf. Mi-parcours personnel, mi-enquête journalistique, j’ai failli ne pas acheté le bouquin parce que je me disais que j’aurais pu l’écrire moi-même…  En effet, de douze à trente-trois ans, j’ai été un adepte – solide – de jeux de rôles de table (ou « avec papier, crayons et dés », ce qui les distinguent de leurs cousins informatisés).  Comme toujours, jouer ne me suffisait pas: il me fallait comprendre comment ça marchait, pourquoi on jouait. Mon mémoire de maîtrise a donc porté sur la question…

Quand j’ai réalisé que le père de Gilsdorf avait été mon patron à Concordia (il était responsable du Département de communications où j’ai fait ma maîtrise et donné ma première charge de cours) et surtout quand j’ai lu que la mère de cet auteur avait été « transformée » par un anévrisme, au point qu’il avait l’impression qu’elle était devenue quelqu’un d’autre…  J’ai trouvé que l’accumulation de coïncidences et de liens avec ma propre vie commençait à être troublante…  J’ai donc passé à la caisse et payé.

Finalement, le livre s’est avéré un excellent achat. Gilsdorf est touchant alors qu’il se présente comme un geek qui s’assume mal (ou que sa blonde assume mal, c’est selon) qui part en quête de son identité profonde à travers la visite de sous-cultures et fandoms connus et… moins connus (j’avoue que le wizard rock m’a laissé pour le moins troublé). Bien que l’image des geeks ait beaucoup changée dans les médias (la seule lecture de l’entrée Wikipédia sur le terme vaut la peine!), il est vrai qu’il me reste une certaine pudeur à parler de mon hobby d’adolescence, du temps, de l’énergie ou de l’argent que j’y ai consacré.  Je me souviens d’une autre étudiante à Concordia qui se scandalisait de tout ce talent et cette intelligence mis au service de « problèmes qui n’existent pas, alors qu’il y a plein de vrais problèmes autour de nous ».

Pourtant, ces jeux ont été à la base d’une partie de ma vie sociale à l’adolescence, au début de l’âge adulte et jusqu’à ce que je devienne père de famille (passage qu’observe d’ailleurs Gilsdorf).  Ils m’ont permis d’apprendre l’anglais, de mieux comprendre la politique et l’histoire (à partir de l’époque médiévale, mais il est certainement possible d’extrapoler…), de briser l’isolement une fois arrivé dans de nouvelles villes, etc.  Grâce à ces jeux, j’ai fréquenté des gens que je considère encore comme mes meilleurs amis (nous avons «virtuellement » tellement voyagé ensemble!).  Nous étions alors loin de soupçonner l’influence que cette forme de loisir allait avoir sur le développement de l’informatique, de la culture populaire, les jeux vidéos et, aujourd’hui, sur certaines expériences de pointe dans le domaine de la formation.

Surtout, la conception commune d’histoires alors que les joueurs incarnent des personnages qui interagissent avec l’univers qu’a conçu le maître de jeu reste une modalité de création collective qui ne m’apparaît pas avoir été égalée. Je crois pouvoir y retracer les germes de ma passion pour le conte qui s’y est nourrie d’archétypes de héros, de monstres provenant de toutes les cultures et de trésors magiques fabuleux.  Le niveau d’engagement et d’immersioimaginaires que l’on atteint dans les moments intenses de jeu est particulièrement puissant.  C’est ce que les spectateurs de conte recherchent quand ils disent « ne plus être assis dans la salle à écouter le conteur », mais bien « être très loin, dans l’histoire ».  De même, les joueurs de rôle oublient à certains moments le sous-sol, la pizza, les dés et les figurines qui traînent sur la table…  Ils sont un cyborg elf noir, un espion kender, un gnome illusionniste ou un moine karatéka dans les Royaumes oubliés, au confins de la galaxie, sur Athas, Tareh, Al Amarja, dans les rues de Vimary, Laelith ou Sanctuary…  Ethan Gilsdorf écrit:

…« If they won’t write the kinds of books we want to read, we shall have to write them ourselves, » Tolkien wrote to his buddy C.S. Lewis […] Like Tolkien and Lewis, JP and I and the rest of the gang told riddles in the dark – in person, every Friday night, in someone’s living room. […] Playing D&D we became bards, storytellers, and entertainers. We played roles – fighter, cleric, magic-user, thief – and we played face-to-face, and made a better place for us. We helped each other through […] « the labyrinth of being a teenage boy. »

Je n’ai pas abandonné le JdR [acronyme de « jeu de rôle »] parce que je me suis lassé de la formule.  Ou plutôt oui… Je me suis épuisé à cause du  temps de préparation considérable requis pour ce qui n’est souvent qu’une seule représentation/partie devant quelques personnes, si proches et engagées soient-elles  (C’est beau l’éphémère, mais tout de même…). Néanmoins, je m’ennuie du jeu et de la camaraderie qui l’entourait alors qu’il constituait des références juste assez hermétiques pour nous permettre de distinguer entre ceux que l’imaginaire rebutait et ceux qui nous ressemblaient.

J’ai encore plusieurs livres présentant différents jeux (des « mondes en boîte » comme quelqu’un l’a déjà écrit) et je me promets bien de faire connaître ce loisir à mes enfants un jour.  Ils décideront ce qu’ils font de cette découverte, alors que les jeux de leurs adolescences risquent d’être passablement plus numériques… [voir mon billet sur le storytelling transmédia]

S’il n’explore pas nécessairement de nouvelles avenues dans son livre, Gilsdorf offre des pistes pertinentes pour comprendre le besoin d’évasion des joueurs, adeptes de science-fiction ou de médiéval-fantastique qu’il est amené à côtoyer pendant sa rédaction.  Dans le chapitre « Being a hero ain’t what it used to be », il évoque le besoin de faire partie de quelque chose de plus grand que soi avant de mourir, ce que j’ai déjà appelé le « besoin de sens » [voir ma page « Pourquoi je conte »]:  « We do want to feel part of a larger narrative, which is to say, we fear death and want to be remembered. We desire immortality. »

Je me permets de citer et faire miennes quelques phrases de sa conclusion parce qu’elles font écho à ma situation et à mon désir de conter:

I will always struggle with some dissatisfaction with reality. Simple pursuits – folding laundry, mowing the lawn, watching American Idol – can seem paralyzingly dull when compared to the exploits of that parallel Ethan in a faraway land.  But that’s real life. I would always be a fantasy freak, even if I wouldn’t always indulge it. […]

But for most of us, it’s not mind-numbing escapism we seek. It’s a second chance. […] Perhaps storytelling would create that better kingdom.  Perhaps a world might be fashioned – in my mind, anyway – where my mother might make her saving throw [NDLR: littéralement « jet de survie », une règle de jeu qui permet à un personnage d’échapper à un sort funeste] and live again whole and complete. A new story to make up for past suffering.  A new realm where we all might have a second chance. Is this not the gift of imagination? »

Faire de sa parole une peau (Hindenoch)

[NDLR: Les vacances d’été me permettent finalement de compléter ce texte amorcé… en novembre 2009.]

Lors de la Rencontre internationale sur le conte d’octobre 2009, la conteuse Sophie Joignant a témoigné du fait qu’elle se servait beaucoup en atelier du poème « Conter » qui ouvre le livre Conter, un art? de Michel Hindenoch [un must, en passant].  Pour elle, « il y a tout là-dedans ».

Hindenoch, présent sur place, a donc accepté d’en faire la lecture, en expliquant qu’il l’avait préparé pour un colloque ayant eu lieu à Chevilly-Larue en 1994 et dont la thématique était « Qu’est-ce que conter? ».

Conter

C’est écouter à haute voix
Un rêve ancien, plus grand que soi.

C’est un acte magique, une poésie :
C’est faire de sa parole une peau,
Un oeil, une monture.
Faire d’un rêve un souvenir,
D’un souvenir une jeune aventure,
D’un mensonge un aveu, une vérité vraie.

C’est ouvrir son jardin et en faire un navire.
Voyager. Rien de plus.
Jusqu’à offrir à l’autre un souvenir nouveau,
Risquer de faire de lui un témoin, lui aussi :

Un conteur à venir.

Cela m’a donné l’occasion de retourner à ce texte pour voir ce que j’y trouve pour alimenter ma propre réflexion.  Je ne sais pas si « il y a tout », mais en tous les cas j’y trouve beaucoup de matériel…

De la façon dont je le lis, le texte peut se diviser en cinq parties qui m’amènent à des leçons fondamentales:

Section 1: Le rêve ancien

C’est écouter à haute voix
Un rêve ancien, plus grand que soi.

C’est un acte magique, une poésie :

Ici, Hindenoch me rappelle le côté sacré du conte. Je suis depuis un certain temps partisan de l’idée que les contes seraient issus des rêves que les premiers hommes se seraient racontés sans nécessairement les comprendre, tellement les images y sont fortes et touchent à l’inconscient.  Il y a donc un respect que l’on doit avoir pour ces histoires, mais qui nous manque parfois…

Section 2: Conter par les sens

C’est un acte magique, une poésie :
C’est faire de sa parole une peau,
Un oeil, une monture.

Là, on entre dans certaines maximes de la « théorie hindenochienne » si j’ose dire…  Dans ses formations, Michel nous enjoint à choisir les « mots de l’affect » (sensitifs) plutôt que de l’« intellect » pour raconter nos histoires. Pour lui, le narrateur doit être « l’espion de l’histoire » et la décrire de l’extérieur.  Déjà l’allusion chamanique à la parole comme « monture » est prélude à la quatrième section, véritable invitation au voyage.

[D’un point de vue plus personnel, ayant été incommodé par de l’eczéma/ dermatite atopique pour l’essentiel de ma jeunesse, alors que mon anxiété et les émotions fortes que je vis se manifestent par des démangeaisons, « faire de sa parole une peau » (ou de sa « peau une parole », dans mon cas) me parle directement.]

Section 3: Il faut y croire

Faire d’un rêve un souvenir,
D’un souvenir une jeune aventure,
D’un mensonge un aveu, une vérité vraie.

Ici, Hindenoch me rappelle le processus par lequel le conteur se « convainc » de son histoire afin de la rendre crédible au public.  On escamote souvent cette étape de rêverie éveillée.  C’est une autre maxime de la « théorie hindenochienne »: Dès que l’on a un moment de libre, prendre le temps de rêver ses contes, de les imaginer en détail.  Qui sont les acteurs à qui l’on confierait le rôle du héros?  De la princesse?  Dans quels lieux connus se déroule l’action?  Quelles sont les odeurs de chaque scène? Etc.

Section 4:  L’invitation au voyage

C’est ouvrir son jardin et en faire un navire.
Voyager. Rien de plus.

C’est la plus belle, selon moi.  De l’intérieur du conteur vers les autres… et l’infini des possibles.  Je pense que Hindenoch y parle de l’implication personnelle du conteur dans sa narration.  Mais aussi de l’objectif, sans prétention et pourtant fondamental des récits:  « Voyager.  Rien de plus.  »  C’est tout simple.  C’est immense.

Du coup, ça me rappelle une phrase lue sur un poster inspirant où l’on voyait un navire sur les flots sous un coucher de soleil éblouissant: « A ship in a harbor is safe.  But then, this is not why ships are built. » (« Un navire au port est en sécurité, mais ce n’est pas pour cela que l’on construit des navires. »).  De l’audace dans le choix des histoires… donc de l’implication personnelle.

Section 5:  Donner

Jusqu’à offrir à l’autre un souvenir nouveau,
Risquer de faire de lui un témoin, lui aussi :

Un conteur à venir.

Enfin, je comprends que Hindenoch nous parle ici du don que doivent faire les conteurs: Nous avons reçu les histoires en cadeau (oui, même celles que nous avons écrites).  Elles ne nous appartiennent pas et par conséquent nous devons les partager.  Nous n’en sommes que les médiateurs, des interprètes, des « espions » d’un « rêve ancien » (et l’on revient au chamanisme).

Mais finalement, Hindenoch nous présente un objectif profond: réussir à toucher suffisamment le public pour l’émouvoir.  Il manque tellement de
« témoins », de personnes rendues meilleures, plus heureuses, plus humaines, etc. par le contact du beau et du bon.

Puisse notre parole les toucher.

Répondre au courrier 5: l’ancien n’aliène pas l’humble (création vs. tradition)

  • Le 22 février dernier, toujours dans son commentaire en réaction à un billet sur ma difficulté à définir le milieu du conte, Nicolas Rochette abordait aussi le rapport entre conte de création et conte de tradition. Je le cite:

« Parce que nous faisons de la création. Sus aux visions muséales du conte où le conteur est réduit à un colporteur de patrimoine et l’auditeur à un spectateur passif et aliéné dans un récit dont il est captivé…

[…]

Je ne crois pas aux histoires de Ti-Jean… comme tout le monde. Mais je crois encore moins que les histoires de Ti-Jean m’en apprennent sur le monde. Il me sort du monde. C’est ok, mais quand, dans ma discipline, il n’y a que ça comme proposition, j’ai peur. Peur que le conte devienne un moyen d’évasion qui ne confronte rien ni personne et, encore moins, lui-même. »

En tant que passionné du conte traditionnel (qui fait un ti-peu de création de son bord, quand même), je dois m’objecter avec véhémence!

Dans Mythologie du monde celte (Marabout, 2009) que je suis en train de lire (brillant! Notamment sur la conception de l’au-delà qu’avaient ces peuples…), Claude Strerckx évoque l’utilité de revenir sur les textes anciens pour comprendre le monde tel que le voyait nos ancêtres.  J’ai bien envie de m’approprier son explication, tant je crois qu’il y a dans le patrimoine mondial une richesse insoupçonnée à re-connaître et à conter:

« Au premier degré, les mythes qui constituent la matière de ce livre proposent de belles histoires… […]

Au second degré, ces légendes s’avèrent aussi porteuses sens et même d’un sens très profond. Elles n’étaient pas que des contes. À l’origine, elle racontaient une histoire sacrée conduite par des dieux et des déesses tenus pour aussi réels et aussi vénérables que celui auquel croient aujourd’hui ceux qui ont la foi.

Aussi bien que les grandes religions actuelles, elles se targuaient de révéler le sens de la vie et même davantage car, si de nos jours les religions se réservent le « pour quoi » mais acceptent de laisser à la science objective le « comment » du fonctionnement du monde, les temps archaïques ne distinguaient pas les deux questions et répondaient à la première par la seconde…

[…]

C’est dès lors une quête des plus passionnantes que d’essayer de retrouver et de comprendre cette logique archaïque. D’abord comme jeu de l’esprit, mais aussi parce que cette recherche éclaire des facettes oubliées du génie humain, nourrit sainement la modestie – nos temps éclairés ne sont pas plus intelligents, seulement mieux informés sur le plan des sciences objectives – et parfois aussi permet de mieux comprendre certains gestes, préjugés, coutumes ou tournures d’esprit encore très intégrées dans nos personnalités sans que nous ayons gardé le souvenir de leur raison d’être ni de leur sens premier. » [p.11-12]

Je crois profondément que les contes nous ont fait.  Ils constituent le terreau de notre culture.  Les revisiter, les redire aujourd’hui, avec notre sensibilité contemporaine – impossible de faire autrement – nous permet de nous rebrancher sur là d’où nous venons, ce qui m’apparaît essentiel pour choisir ensemble là où nous allons.  Et, oui, ça peut redonner un peu de modestie, sinon d’humilité, que de réaliser que nous ne sommes pas les premiers à avoir rêver nos angoisses et nos espoirs.

Je suis évidemment d’accord avec Nicolas que les contes peuvent et devraient souvent être davantage qu’évasion et divertissement.  Mais je ne peux croire que les contes créés aujourd’hui soient nécessairement plus signifiants et pertinents pour nos contemporains que ceux d’hier.  En fait, les contes qui ont survécu, traversés les siècles et même les millénaires, ne sont-ils pas parvenus jusqu’à nous précisément parce que, à chaque époque où ils ont été contés, ils ont touché des gens suffisamment pour que ces derniers aient envie de les transmettre à nouveau et de les perpétuer?  Est-ce que cette persistance dans le temps n’est pas garante de quelque chose de plus profond?

Moi, j’ai bien envie d’écouter ce qui est arrivé à Ti-Jean. Je suis persuadé qu’il a deux ou trois choses à m’apprendre sur le monde qui m’entoure, mes semblables et moi-même.  Et je crois que cela me permettra de me sentir al-lié – en relation avec d’autres humains – plutôt qu’aliéné (littéralement « rendu autre », « vendu » à d’autres humains)... À condition qu’on me respecte assez comme spectateur pour me le raconter avec l’intelligence et la sagesse que ces contes véhiculent toujours.  Cela demande évidemment un travail d’approfondissement, une curiosité face à la matière même avant qu’on se l’approprie pour la livrer.

Cela écrit, j’ai aussi envie qu’on me raconte les dépanneurs, les plages de pays impossibles ou les quêteux qui traînent sur Mont-Royal…

Ton histoire est une épopée…(stage avec Martine Tollet)

Quelques notes sur mon stage sur les Grands récits et les épopées avec la conteuse Martine Tollet, offert les 9-10-11 avril derniers et organisé par les Productions Littorale, avec le soutien du Conseil de la culture de l’Estrie et du Conseil des arts du Canada.

D’entrée de jeu, il faut bien le dire, la dame m’impressionnait beaucoup avant même de l’avoir rencontrée… J’ai encore à me pincer pour réaliser que j’ai la chance d’avoir été formé par quelqu’un qui travaille régulièrement avec Bruno de La Salle, peut-être le dernier des bardes.  Martine Tollet conte depuis vingt ans et a abordé des oeuvres comme Le chevalier à la Peau de tigre (épopée géorgienne), Inanna et Dumuzzi (récit mythologique sumérien) ou Le merveilleux voyage de Nils Holgersson (à partir du roman de Selma Lagerlöf) que nous avons eu la chance d’entendre le samedi soir.

J’avoue avoir été quelque peu inquiété par les dix premières minutes de la formation, alors que j’ai eu l’impression que nous allions rester assis pendant trois jours à écouter discourir une spécialiste européenne très savante.  Rapidement, elle éclata d’un grand rire et nous mis au travail, expliquant qu’on n’allait pas faire la théorie de l’épopée…

Toute la fin de semaine, elle démontra une grande sensibilité, une culture très large, une impressionnante humilité sur fond d’ouverture et de générosité.  Cela se sent, cette femme aime profondément le conte et a bien aimé les conteurs québécois, je crois.  Il faut dire que nous formions un groupe de stagiaires très forts, tant chez les nouveaux venus que chez les conteurs un peu plus expérimentés.  Toutes ses connaissances qu’elle partageait sans compter étaient autant de cadeaux de Noël pour qui savait les apprécier, qu’il s’agisse de la bibliographie des ouvrages recommandés par le CLiO (Conservatoire contemporain de littérature orale), de la consultation de sa copie du catalogue Delarue-Ténèze sur Le conte populaire français (pratiquement introuvable) ou des exercices de réchauffement spécifiquement développés à l’intention des conteurs.

Évidemment, dans nos sociétés contemporaines, il y a désormais peu de moments ou d’espaces pour raconter de tels récits imaginaires qui se déroulent parfois sur plusieurs heures et qui sont souvent à la base de la culture même de différents peuples.  Mais la sauvegarde de ce patrimoine mondial et la beauté de ces textes essentiels s’étaient imposés à moi lorsque j’ai eu la chance d’entendre Jihad Darwiche raconter Mamé Alan (épopée kurde) ou Michel Hindenoch raconter Astérios, la légende du Minotaure.  Personnellement, j’y allais pour trouver des clés afin de travailler l’histoire du voyage de Cormac Mac Art au royaume de Féérie (Echtrae Cormaic).  J’ai en effet rapidement été confronté au fait que ce héros apparaît dans de nombreuses histoires celtes et que le conte est chargé d’un important contenu symbolique qui me dépasse.  Comment alors raconter cette histoire qui m’habite sans la trahir?

Pour Martine Tollet, il s’agit souvent de récits qui « brûlent » et dont on doit s’approcher avec précaution.  On est porté à les regarder avec une certaine distance puisqu’ils ne sont pas des récits de l’intime, mais des trésors de l’humanité.  Dans le cas de mythes comme Inanna, on peut même parler de textes rituels qu’il faut « célébrer ».  Elle expliquait qu’il y a tout un travail physique à faire pour supporter un tel « voltage », la vibration de l’oeuvre.  Il faut « se donner à ça », « lâcher le mental ».  Si les épopées sont souvent versifiées, c’est que le rythme (« quelque chose qui chante à l’intérieur ») permet de créer une transe Alpha – un endormissement…  Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir un lien avec le travail de François Épiard pour qui les histoires servent à apaiser l’esprit qui cherche réponses aux questions insolubles de l’univers.

Pour Martine, 70 % du message de ces récits passe « hors du rationnel du texte », par l’énergie, la « foi » [je n’ai pas vérifié avec elle, mais je ne crois pas qu’elle entendait ce mot dans son sens religieux] que l’on déploie en les livrant.  Elle nous encourageait à « montrer plutôt qu’expliquer » et à laisser de côté les adjectifs abstraits (ex: le mot « irréel ») afin de raconter « comme si le public était dans une caverne et que le conteur est le seul qui voit à l’extérieur par une fente dans la pierre.  Lui seul peut décrire aux autres ce qu’il voit ».

C’est en ce sens qu’elle nous a parlé d’un exercice intriguant (et exigeant) sur les mémoires sensitives.  L’idée est de s’entraîner quotidiennement (pendant une quarantaine de jours) à faire remonter à la surface des souvenirs olfactifs, gustatifs, tactiles, auditifs et visuels agréables afin d’y avoir plus facilement accès lors de descriptions.  Une dizaine de minutes par jour…  Une seule mémoire par sens.  Et si on manque une journée, on recommence au début!

Elle croit que ces récits sont des « cartes pour une géographie intérieure ». Nous nous sommes d’ailleurs exercé à cartographier « Peau-d’Ours » des Frères Grimm.  Pour elle, les contes merveilleux sont des formes courtes qui permettent de se familiariser avec le vocabulaire symbolique qui est le même que celui des formes plus longues.  Compte tenu des travaux de Vivian Labrie sur la mémorisation des contes et à la suite d’un stage avec Alberto Garcia où j’ai appris à topographier l’espace de mes histoires, je n’ai pas de peine à la suivre dans ce raisonnement.

Le samedi nous a fait connaître Martine-la-scénariste (elle a scénarisé pour la télévision pendant une douzaine d’années), alors qu’elle nous enjoignait à bien comprendre la structure des récits en les décortiquant par verbes d’action.  Elle utilisait comme outil les douze étapes du « Voyage du héros » de Joseph Campbell, tandis que j’avais davantage étudié Vladimir Propp ou le schéma actanciel de Greimas à l’université.   Le dimanche matin nous révélait davantage Martine-l’adaptatrice, alors qu’elle expliqua son travail pour parvenir à faire des spectacles ramassés avec les histoires touffues de Nils Holgersson et d’Innana.

Avec Martine Tollet, j’ai saisi l’importance de revenir aux sources premières des récits.  Par exemple, elle insistait sur la nécessité de se familiariser avec plusieurs versions d’un conte merveilleux pour l’apprivoiser (et non « s’y attaquer » comme nous avions tendance à dire au début du stage…).  De même, elle s’est rendu en Géorgie et en Suède pour son travail sur certains textes.  Fouiller les fragments, effectuer ses recherches…

Ainsi, les deux versions sur lesquelles je me base pour Cormac Mac Art sont des réécritures datant respectivement de 1894 (Joseph Jacob) et de 1904 (Lady Augusta Gregory)… pour un roi ayant vraisemblablement vécu au 3e siècle et dont l’histoire mythique qui m’intéresse a été racontée dans des manuscrits datant du 12e siècle…  Pour toucher davantage à ce conte, j’ai maintenant envie de consulter ces manuscrits ou du moins d’en lire des transcriptions: le Book of Ballymote, le Yellow Book of Lecan, le Book of Fermoy, etc.

Le travail sur ces longs récits dure souvent plusieurs années et des périodes de découragement surviendront assurément.  Dans ces moments, Martine Tollet se demande « Et si je ne fais pas, qui va le faire? » et elle se retrousse les manches.  Je trouve cette détermination, ce courage-là admirable.  D’autant plus qu’il tient essentiellement à l’amour de belles histoires.

Micheline Lanctôt raconte… le conte

Je découvre avec bonheur les chroniques « Il était une fois… le conte » que présente Micheline Lanctôt à l’émission La tête ailleurs, animée par Jacques Bertrand, les samedis à 16 h, à la première chaîne de Radio-Canada.

Micheline Lanctôt, comédienne, réalisatrice et scénariste bien connue, avoue d’emblée ne pas être une experte de la question.  Néanmoins, elle a été marraine de la Rencontre internationale sur le conte organisée par les Productions Littorale en octobre dernier, à Sherbrooke.  Lors de sa présentation d’ouverture, on avait été à même de constater sa fascination pour le genre – depuis sa tendre enfance, selon ses dires.  Ses chroniques sont de la même veine…  C’est dense, jouissif et touffu d’érudition.

Chronique du 9 janvier: « Les origines du conte »(et leur fonction).  Pour elle (et je suis assez d’accord), le conte a permis aux premiers hommes de « gérer » leur instinct animal.  Les contes seraient des « mèmes à forte inertie » qui nous ont permis de nous reprogrammer au moyen de la culture.

Chronique du 16 janvier: « Comprendre l’incompréhensible » (de la notion de sacré dans les contes) qui tentent d’expliquer l’univers, la naissance, la mort, etc.  Elle clôt avec le point de vue de la physique quantique sur la Création, rien de moins.

Et ça continue la semaine prochaine avec le conte gothique et ses précepts moraux.  Génial!

Passage à l’A.C.T.E. (parler du conte)

Le 9 décembre dernier, référé par Productions Littorale, j’ai été reçu dans un atelier de conte offert à l’Association des accidentés Cérébro-vasculaires et Traumatisés crâniens de l’Estrie (A.C.T.E.).  L’objectif de leur animatrice, « reçevoir un conteur » qui leur « parle du conte ».  Durée: 1 h.  Première « conférence contée » pour moi ou du moins première expérience à témoigner de ma passion.

Bon, je leur dis quoi?  Par où commencer?  Et quoi raconter?  J’ai eu diverses idées, consulté ma fée-marraine qui m’a suggéré de « liquider les mythes » d’emblée (le conte n’est pas que pour les enfants, le conte n’est pas que de l’humour, etc.)  pour pouvoir ensuite parler de ce qui nous passionne.

J’ai fini par choisir d’aborder ce vaste domaine par les questions journalistiques classiques: Qui? Quand? Quoi? Où? Comment? Pour qui? Pourquoi? Je parlerais de l’art tel que je le connais, mais pour chacune des questions, je ferais un parallèle avec ma démarche personnelle.  J’en profiterais pour déboulonner un ou deux mythes en passant…

[Par la suite, je me suis aperçu que c’est un peu ce que fait Dan Yashinsky dans le premier chapitre de son excellent livre Suddenly, They Heard Footsteps (2004) alors qu’il imagine rencontrer son lecteur dans l’avion et le genre de questions que supposerait une conversation avec lui…  Le livre a été traduit chez Planète Rebelle en 2007.  Je le relis souvent et ne peux que le recommander.]

  • Qui? Selon une étude du RCQ (2004), il y aurait plus de 300 personnes au Québec de tous niveaux, de l’amateur au professionnel, qui se disent « conteurs » ou « conteuses ».  Ils sont hommes, femmes, jeunes, vieux, proviennent du théâtre, de la littérature, de l’ethnologie, de l’animation, moins des bibliothèques contrairement à la France.  Mais il y a de tout, du professionnel au manuel…  Je me suis présenté et j’ai rappelé que, non, il n’y avait pas que Fred Pellerin qui contait.
  • Quand? On conte depuis toujours.  Il y a bien dû avoir quelqu’un qui a fait des récits de chasse sous les dessins des grottes de Lascaux…  Seulement, une coupure apparaît au cours du vingtième siècle avec l’électrification, puis la radio, la télévision et maintenant Internet.  Le conte effectue un retour en Europe dans les années 70 avec les mouvements de retour à la terre et aux régions.  Au Québec, il faut attendre le début des années 90 pour vraiment observé une telle résurgence, bien que Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert et d’autres portaient le flambeau auparavant.  Non, le conte n’est pas que du folklore (voir point suivant) et je conte depuis 2003.
  • Quoi? Qu’est-ce qu’on conte? Les répertoires sont extrêmement variés, allant justement du traditionnel merveilleux au conte urbain trash, en passant par les contes drôles, dramatiques, philosophiques (contes de sagesse) ou plus militants, des récits de vie, les légendes, les mythes, les contes amérindiens ou de différentes cultures.  Donc, non, le conte n’est pas destiné qu’à faire rire, mais on rit souvent.  Je raconte quelques histoires que j’ai écrites, mais surtout des contes traditionnels de tous les pays.  J’ai une filiation par alliance avec les contes franco-ontariens (mon épouse est originaire de Sudbury).  Et, c’est pas de ma faute, j’ai une prédilection pour les contes où il est question de la vie après la mort.
  • Où? On conte partout: Pour la plupart des pays industrialisés, on conte dans les garderies, les écoles, mais aussi les foyers pour personnes âgées, les prisons, en famille, dans des appartements, dans les fêtes populaires, les musées, mais beaucoup dans les bars et les cafés.  Le conte contemporain est sensiblement urbain.  Non, les spectacles de conte n’ont pas lieu seulement ou tellement sur scène.  J’ai conté surtout en Estrie, quelques fois à Montréal (dont aux Dimanches du conte du défunt bar Le Sergent recruteur), deux fois à Québec, une à Rimouski, dans des restaurants, des bars, et même en plein air.
  • Comment? La question est déjà plus complexe, donc difficile de parvenir à une réponse simple.  Je dirais d’abord qu’on conte par coeur – Luidgi Rignanese dirait « par corps ».  On n’apprend pas un texte, mais on mémorise un canevas, des images.  Le plus souvent, on conte simplement, assis ou debout.  Selon sa tradition, on conte parfois avec accessoires ou costumes.  Surtout, il n’y a pas de « quatrième mur »: On s’adresse directement à l’auditoire, sans faire comme s’il n’était pas là.  C’est pour cela qu’on dit souvent que le conte est « art de la relation ».  Donc, non, pour nous « jouer un texte » ou lire une histoire à un public (dans une bibliothèque, par exemple), ce n’est pas vraiment « conter ».  Pour ma part, j’ai des rituels.  J’ai une formulette d’entrée (j’en cherche une de clôture).  Je m’habille tout en noir, essentiellement pour ne pas distraire les gens de ce que je raconte, mais ça correspond aussi à un certain dépouillement qui colle à mon répertoire.  J’ai besoin de m’isoler avant de conter (pour repasser mes histoires ou juste en humer le « parfum » (dixit Michel Hindenoch), me retrouver, etc.).
  • Pour qui? Je dis souvent que, théoriquement, dans un tel foisonnement de styles, tout le monde devrait y « trouver son conte ».  Et on conte effectivement pour tous les publics.  J’imagine que quelqu’un qui serait complètement fermé à tout ce qui est imaginaire risque de s’ennuyer un peu.  Encore qu’il y a des conteurs qui font du récit de vie ou de guerre, des histoires poignantes, complètement ancrées dans la réalité des choses.  Alors, non, on ne conte pas que pour les enfants.  D’ailleurs, je conte surtout et plus facilement aux adultes.
  • Pourquoi? Euh… C’est LA question.  Mon ami Éric Gauthier prétend qu’il conte à chaque pleine lune parce qu’il a été mordu par un autre conteur pendant une bataille dans un bar. (J’aime bien utilisé cette citation – en l’attribuant à Éric, bien sûr). Il y a probablement autant de motivations qu’il y a de conteurs.  Plusieurs disent ne pas pouvoir faire autrement.  Simplement, ils sont amoureux des contes et des gens, veulent donc partager leur passion.  Dans le milieu du conte, on dit que ce sont les contes qui nous choisissent.  Certains enseignent, rapprochent, apaisent, guérissent.  J’ai déjà tenté de répondre à cette question ici.  J’y résumais différentes motivations de conter: reconnaissance, appartenance, accessibilité, patrimoine, mobilisation.  De mon côté, je conte pour « donner du sens ».

Évidemment, j’avais trop de matériel et j’ai manqué de temps.  En fait, je ne me suis rendu qu’au « Où? », mais je pense avoir parlé des autres points à travers ma présentation.

J’aurais voulu faire un conte pour chaque question et j’en avais préparé quelques uns:  « Nasr Eddine qui se chauffe à la lune », « Le dernier voeu du vieux Veilleux », « Le rite du Baal Shem Tov », « Le dernier homme sur terre et l’enfant »….

J’ai fini par faire un conte drôlatique en intro, ce que j’appelle « L’oncle conteur » : un bêta sans le sou veut épouser la fille du roi et sa mère, inquiète des suites de l’audience royale, envoie son frère conteur pour accompagné le jeune.  À chaque question posée par le roi, l’oncle « embellit » les réponses plutôt ordinaires de son neveu.  À la question, « Mais pourquoi te grattes-tu? » Le neveu répond simplement qu’il a un bouton qui le pique.  L’oncle, fidèle au penchant irrépressible des conteurs pour l’exaggération, ne peut s’empêcher d’en ajouter…

J’ai fait écouter « Marie-Tatou », conte du Déparnneur de mon ami Marc-André Caron.  D’abord parce qu’il est court (j’avais peu de temps) et que je connais par coeur les contes de Marc-André.  Je savais aussi que peu de gens l’aurait entendu.  Surtout, il me semble un parfait exemple de structure de conte facile à reconnaître dans une création contemporaine.

Finalement, j’ai raconté « Tea with the Devil » pour conclure.  Un de mes plus vieux contes, c’est un classique qui marche toujours bien.  Un anglais invoque involontairement le Diable alors qu’il cherche la pierre philosophale.  Le Diable lui offre la pierre en échange de son âme.  Il doit fixer une tâche au Malin, mais celui-ci sait tout et peut se rendre partout.   Par ruse, l’anglais réussira à obtenir le beurre et l’argent du beurre…

Y’a-t-il des choses que j’aie oubliées?  Des mythes encore à liquider?  Vous, comment parlez-vous du conte à ceux qui ne le connaissent pas?  Comment puis-je améliorer cette entrée en matière?

Passer à l’A.C.T.E m’a fait réaliser que l’enseignement me manque (j’ai dû choisir l’an dernier entre enseigner et conter).  Mais parler du conte va pour moi au-delà d’enseigner : C’est partager quelque chose que je trouve fondamental.  Merci aux gens de l’A.C.T.E.  J’espère bien qu’il y aura d’autres occasions similaires.