Le renouveau… littéraire du conte (2/2)

[Note: Cette entrée est la suite du billet « Le renouveau du conte… littéraire ». Pour lire la première partie, cliquer ici.]

Le Murmure des contes

L’entrée Wikipedia sur le « Renouveau du conte » en France et le rôle qu’y jouèrent BLS et Gougaud me semble un bon point de départ pour présenter ces « monuments » de notre discipline et l’ouvrage suivant:

« Deux artistes-conteurs encore en exercice, et par ailleurs formateurs de nombreux autres conteurs et conteuses, sont particulièrement importants dans cette période [années 1970-début des années 1980] : Henri Gougaud et Bruno de la Salle. Ils rendent compte de leur parcours, de leur réflexion sur le conte et de leur expérience artistique depuis 1960 dans l’ouvrage d’entretiens paru en 2002 : Le Murmure des Contes. »

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Le renouveau du conte… littéraire (1/2)

La visite de Bruno de La Salle au Québec en décembre 2010 m’a donné l’occasion de me replonger dans deux ouvrages qu’il a respectivement signé et co-signé.  Il s’agit du Conteur amoureux (Casterman, 1995) et du Murmure des contes (entretiens avec Henri Gougaud, recueillis par Isabelle Sauvage, Desclée de Brouwer, 2002). Je les avais déjà traversés, mais je crois que cette fois-ci je les ai réellement découverts; tant il est vrai qu’il y a des lectures ou des leçons que l’on ne reçoit pas si l’on n’est pas encore prêt à les accueillir.  Pour moi, ces livres devraient figurer dans toutes les bibliothèques de conteur ou conteuse, alors qu’on y trouve de nombreuses réflexions sur notre pratique.  En relisant, j’ai pris de nombreuses pages de notes qui viendront enrichir de futurs billets (notamment sur la formation des conteurs et la constitution d’un répertoire).  Je souhaite néanmoins en partager quelques extraits avec vous dès aujourd’hui…

Des blogues cousins

Ces jours derniers, j’ai découvert via Facebook des cousins à Tenir conte.  D’abord, Jean-Pierre Mathias, conteur breton contact du chanteur, conteur et ethnologue Robert Bouthiller. En parallèle avec son site professionnel, M. Mathias anime un blogue fort chouette: Contes et merveilles.

Puis, via Jean-Pierre Mathias, j’ai découvert le blogue Arrête de faire des histoires !… du conteur vendéen Frédéric Mahé. (Si vous lui trouvez effectivement un air de famille avec mes carnets, c’est que Mahé et moi utilisons tous deux le thème Tarski de WordPress).  Ce blogue est une véritable mine de renseignements en conte, mais aussi en mythologie, domaine d’intérêt du blogueur.

Personnellement, j’y trouve des réflexions sur des thèmes qui me tiennent à coeur. Ainsi, ce billet sur le storytelling, sujet à propos duquel je planifiais écrire depuis un bon moment, tant ce phénomène de récupération de la narration m’inquiète.

Sur ce dernier site, suite à un billet de Mahé datant de 2009, une discussion bat son plein autour de la question de la liberté des conteurs en rapport avec la variabilité des récits issus de la tradition.  Les échanges m’ont suffisamment intéressés pour que je me jette à l’eau à mon tour…

Ça fait quand même du bien de se sentir partie d’une famille d’esprit!

L’atelier de monsieur Bruno (collaboration spéciale)

L'atelier de M. Bruno
Photo: Marc Brazeau

Lors de son passage au Québec en décembre 2010, Bruno de La Salle a offert un atelier de formation le samedi 18 décembre dans la Maison Chevalier, à Québec.  L’atelier s’intitulait « Du texte à l’oral ». Le texte de présentation se lisait comme ceci :

« Le propos du stage est d’envisager l’oralité comme un art de l’investigation : mettre en jeu le texte écrit mis en parole, le corps, et la relation aux spectateurs pour mener une exploration sur toutes sortes de matériaux. Nous aborderons le souffle, le discours, le geste et le mouvement nécessaires pour faire du texte de départ, un récit totalement dans l’oralité, pour aboutir à une narration-exploration. »

J’aurais bien aimé y assister, mais j’étais malheureusement coincé par des obligations familiales. Heureusement pour moi – et maintenant pour vous, chers lecteurs – un ange y était qui nous a rapporté des notes de ce qu’il a vu et entendu… Tenir conte est donc heureux d’accueillir un premier collaborateur externe, soit M. Gabriel Grenier, membre du Cercle des conteurs des Cantons-de-l’Est. Merci à Gabriel pour son travail de reporter.  Le « je » dans le texte qui suit est donc le sien…

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Voir BLS… et conter!

Quelques mots sur qui est Bruno de La Salle – ou BLS comme j’ai entendu des gens du milieu l’appeler – et sur les raisons pour lesquelles je tenais absolument à la voir conter… jusqu’à braver des conditions routières pas évidentes un peu plus d’une semaine avant Noël 2010.  (Merci à la fée Mirage, notre conductrice, et à l’ange Gabriel avec qui j’ai fait le voyage!)

Déjà, sa présence au Québec tenait pour moi de l’inespéré, alors que je m’étais résolu à ne jamais le voir et l’entendre en personne.  (Le voyage en France est difficilement envisageable pour moi dans le moment.) Tout au plus, j’espérais me rabattre sur ses livres et ses enregistrements.  Merci à Sylvi Belleau (Théâtre de l’Esquisse), Jacques Falquet, Dominique Renaud et à tous ceux qui ont rendu sa visite possible…

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Citation: conte et philo

J’aime bien collectionner des citations à propos du conte.  Celle-ci a été gentiment offerte par Mme Kateri Lemmens, professeure de littérature et humanités à l’Université du Québec à Rimouski:

«Le monde et la raison ne font pas problème; disons, si l’on veut, qu’ils sont mystérieux, mais ce mystère les définit, il ne saurait être question de le dissiper par quelque ‘solution’, il est en deçà des solutions. La vraie philosophie est de rapprendre à voir le monde, et en ce sens une histoire racontée peut signifier le monde avec autant de profondeur qu’un traité de philosophie. »

M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p. XVI.

Merci Mme et M. Soupault

Elle était photographe et traductrice.  Il était journaliste et poète.  Il co-fondra le surréalisme avec André Breton.  Elle sera formée au Bauhaus avec Kadinsky, Klee et Munch.  Ensemble, ils parcourront le monde.  Pour notre bonheur, ils aimaient les belles histoires.  Plus d’une centaine de contes, récoltés principalement en Amérique du Sud et en Europe méridionale et orientale, mais aussi en Asie, Océanie, un peu en Amérique.

J’ai découvert ce couple fascinant en même temps que leurs collectes.  Belle collection que ces Histoires merveilleuses des cinq continents, trouvées chez un éditeur jeunesse (Pocket Junior, mais ils existent aussi chez Seghers, sauf que la brique date de 1975).  Si les auteurs nous donnent les pays d’origine des contes, on aurait aimé disposer également de l’identité des informateurs et des conditions de collectes, tant la trouvaille d’un conte est une histoire en soi.  Bien sûr, cela aurait été au-delà d’un recueil de contes que l’on destine aux enfants…  Pourtant, ces récits n’ont rien d’enfantin.  On s’y assassine et on s’y passionne à qui mieux mieux, sans compter que la symbolique y est souvent d’une grande richesse.

Parfois un peu artificiellement séparés en thématiques par l’éditeur, les contes ont bénéficié d’une transposition à l’écrit qui reste directe, sans ornementation, respectant l’essentiel de la trame de chaque récit. Parfois, on a aussi droit à des chutes extrêmement rapides.  Mais cette sobriété est bienvenue puisqu’elle permet au conteur de se mettre aisément en bouche les histoires, sans devoir faire un travail « d’extraction » pour se les réapproprier (comme c’est souvent le cas à partir des contes réécrits magnifiquement par Henri Gougaud, par exemple).

  • Histoires merveilleuses des cinq continents, Au temps où les bêtes parlaient, Tome 1, Pocket junior, 2000
  • Histoires merveilleuses des cinq continents, Sur les routes, l’aventure, Tome 2, Pocket junior, 2000
  • Histoires merveilleuses des cinq continents, Amours et jalousies, Tome 3, Pocket junior, 2000

Si ces livres sont malheureusement épuisés, ils se trouveront sans doute en occasion ou dans les bibliothèques.

Flying Coach 8: Rendre personnel

À quelques jours d’un spectacle solo qui conclura une seconde vague de travail sur Chevaucher les seuils – Contes d’au-delàs et de Là-haut, un nouveau bilan s’impose.  Il m’est difficile de parler de manière générique des séances de coaching de cet automne tant l’« entraînement » s’est personnalisé (Dictionnaire Robert : « rendre personnel »). Je vais tout de même essayer d’en dégager du matériel d’intérêt général.

J’entendais récemment Mme G. mentionner à quelqu’un : « Moi, je connais bien Jean-Sébastien et il ne voudra pas ceci… Il préférera cela. ».  C’est vrai.  Elle me connaît bien mieux, me devine, sait quand elle peut me pousser plus loin (ou pas), même si je ronchonne au début.

Réalisant dès septembre que nous avions peu de temps, Mme G. et moi avons convenu de travailler certains aspects précis de ma manière de conter.  Outre les problèmes propres au spectacle (transitions et difficultés avec certains contes, dont j’ai parlé ici), nous voulions :

  • éliminer des tics qui parasitent le contage;
  • maintenir mon niveau d’énergie de base de manière plus constante tout au long du spectacle;
  • développer ma présence, mon contact avec le public

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En filant sur la Toile

Quelques découvertes Web (plus et moins) récentes qui valent la peine d’être partagées, bien qu’il ne s’agisse pas a priori de nouveautés (i.e. celles et ceux qui suivent l’actualité du conte sont probablement déjà au courant, mais pour les autres…):

  • Le site de l’Association professionnelle des artistes conteurs (APAC), nouveau regroupement de conteurs français qui effectue un travail de réflexion intéressant. La conteuse Alice Duffaud (commentatrice régulière de ce blogue) m’en avait parlé en septembre dernier, mais je ne l’avais regardé qu’en diagonal à l’époque (désolé, Alice!).  Comme il en a été plusieurs fois question lors de rencontres de réflexion récentes et du colloque du Regroupement du conte au Québec (RCQ), j’ai pris le temps de le visiter plus en détail.Il faut notamment consulter leur définition de l’art du conteur dont les divers éléments qui la composent (filiation, répertoire, mise en oeuvre, représentation) donnent à réfléchir et ne pourront qu’alimenter les discussions dans le milieu.À noter aussi, le fait que l’association soit réservée aux conteurs professionnels (pas de diffuseurs ou d’« amis du conte » comme le RCQ).  Leur définition de « conteur professionnel », soit « le fait de gagner la majorité de ses revenus par le conte et activités apparentées », a le mérite d’être claire.  Selon ce critère, une APAC québécoise aurait donc peu de membres…  Voilà qui repose toute la question de la professionnalisation des conteurs et des conditions économiques de leur pratique ici et ailleurs.

    Un site important donc.  On ne peut que regretter – même si l’on comprend – que davantage de leur matériel ne soit pas (encore?) rendu public.  À suivre.

  • Le jardin d’Hinden, blogue du conteur, chanteur et formateur Michel Hindenoch.  L’influence de Hindenoch sur ma vision du conte est importante (voir notamment ceci), aussi ai-je été ravi de trouver d’autres textes de sa plume.  Il s’agit essentiellement de poésies et de réflexions – souvent touchantes! – sur la vie et l’art.  Cela écrit, la section « Gloses » regroupe quelques textes importants de son cru (qui datent des années 1980 et 1990 cependant).
  • De même, le conteur torontois Dan Yashinsky dont j’ai parlé à diverses reprises (ici et ici) anime The Tellery.  Il s’agit d’un site auto-promotionnel qui compte néanmoins certains éléments réflexifs et plusieurs contes (voir notamment la section « Downloads/Videos », incluant une conférence donnée par Yashinsky en souvenir de Joan Bodger et qui reprend une partie de la conclusion de Suddenly, They Heard Footsteps).  Il inclut aussi un espace de blogue.  Comme celui d’Hindenoch, il n’est mis à jour qu’occasionnellement mais les valeurs et les choix artistiques de Yashinsky traversent ses billets.  La lecture en vaut donc souvent la peine.
  • De même, pour les chercheurs d’histoires (qui lisent la langue de Shakespeare), les recensions très complètes du professeur retraité D.L. Ashliman (classées par thèmes, pays d’origine ou cote Aarne-Thompson!) ou l’archive nouvelle-âgeuse Sacred Texts (merci Éric Gauthier!), surtout la section sur les légendes et sagas.
  • En terminant, et parce que je ne peux m’en empêcher, ceux qui n’auraient pas encore découvert le magnifique site d’Apple-paille, notamment la section consacrée aux formulettes de conteurs, courrez-y!

Et vous, avez-vous des « adresses conte » à partager?

    Le maître-artisan

    Il est de bon ton dans notre milieu de parler du contage comme d’un artisanat (voir notamment le chapitre « Patience de l’arrosage » de Luidgi Rignanese dans L’art du conte en dix leçons), mais qu’est-ce que ça veut dire au juste?  Au-delà du temps à prendre, du savoir-faire à développer, je crois que les processus de travail et les rapports à la matière se ressemblent.

    En préparant mon intervention du 13 novembre dernier lors du colloque annuel du Regroupement du conte au Québec (RCQ), à propos de la formation des conteurs, j’ai repensé à un conte chinois.  C’est un texte qu’avait présenté en 2007 la conteuse et intellectuelle brésilienne Regina Machado lors d’une rencontre autour des thèmes « mission/transmission » organisé par les Productions Littorale.  Le texte était en anglais et j’ai tenté, bien modestement, de le traduire.  Je le reproduis ici, parce qu’il m’apparaît nommer plusieurs éléments que des conteurs-artisans devraient développer lorsqu’ils ont le souci d’améliorer leur art:

    Autrefois, nous dit Zhuang Zhou, il était un maître artisan qui créait de si beaux objets de bois que le roi lui-même demanda à connaître le secret de son art.

    « Votre majesté, dit le menuisier, il n’y a pas de secret… mais il y a bien quelque chose.  Voici comment je procède :

    Lorsque je m’apprête à faire une table, je rassemble d’abord mes énergies et je calme mon esprit afin de parvenir à une paix absolue.

    Je deviens indifférent à toute récompense que je puisse gagner ou à quelque gloire à conquérir.  Quand je suis libre de l’influence de toutes ces considérations extérieures, je peux écouter la voix intérieure qui me dit clairement ce que je dois faire.

    Quand mon habileté est ainsi concentrée, je prends ma hache.  Je m’assure qu’elle soit parfaitement affilée, qu’elle tienne confortablement dans ma main et qu’elle devienne le prolongement de mon bras.  Alors, j’entre dans la forêt.

    Je cherche le bon arbre : l’arbre qui attend de devenir ma table.  Et lorsque je le trouve, je demande : « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? »

    Alors, j’abats l’arbre et je me mets au travail.

    Je me souviens comment mes maîtres m’ont enseigné à mettre mon talent et ma pensée en relation avec les qualités naturelles du bois. »

    Le roi dit alors : « Lorsque la table est terminée, elle a sur moi un effet magique.  Je ne peux la traiter comme n’importe quelle autre table.  Quelle est la nature de cette magie? »

    « Votre majesté, répondit le menuisier, ce que vous appelez ‘magie’ provient de ce que je viens de vous expliquer. »

    Les éléments dont il est question dans ce conte m’apparaissent tous des fondamentaux: l’importance de développer une éthique du travail et du conte, d’affûter ses outils (corps, voix, prestance) et de découvrir comment ils peuvent servir le conte, se souvenir des enseignements des maîtres, travailler à mettre en valeur les « qualités naturelles » de l’histoire, etc.  Mais c’est encore et toujours la question du rapport au répertoire qui m’avait interpellé et m’interpelle encore.

    Comment « entrer en forêt » dans le foisonnement des contes (déjà le stage avec Marc Aubaret m’a donné des pistes…) et savoir choisir le « bon arbre » (le bon conte) celui « qui attend de devenir [notre] table » (de se laisser approprier par le conteur)? Il s’agit, en quelque sorte, de savoir identifier le diamant brut qu’il faudra ensuite travailler et polir.  Faire des choix; décider de ne pas conter certaines histoires pour en privilégier d’autres…

    Je suis reconnaissant à Regina Machado – et à Zhuang Zhou, je supposepour cette idée d’entrer en dialogue avec un conte que l’on a trouvé et que l’on a envie de conter: « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? » Comment, avec ma couleur et ma personnalité de conteur, vais-je refléter sur cette histoire?  Que puis-je apporter de classique ou d’original, de réinterprétation, d’hybride et de contemporain à la manière de la raconter? Comment est-ce que le fait d’introduire ce conte dans mon répertoire va colorer mes autres contes et me transformer, moi, comme conteur?

    Dès lors, le rapport artistique entretenu avec la matière contée devient plus viscéral qu’intellectuel.  Assez proche de celui du sculpteur, de la tisserande, de l’ébéniste ou de l’orfèvre, finalement.