Le conte réputé incontable

Si les histoires sont « vivantes », comme plusieurs le prétendent, elles finissent par avoir une réputation dans le milieu du conte. Des personnes les ont rencontrées, côtoyées, ont cherché à les apprivoiser… parfois sans succès. Elles parlent de ces rencontres à d’autres et le jeu de la rumeur fait le reste. C’est l’histoire d’une histoire qui inspirait le respect, voire la crainte. Pas par son propos, mais par son niveau de difficulté. Un peu comme un maître d’arts martiaux misanthrope qu’il faut convaincre que l’on mérite son enseignement…

« Très tôt un matin, un homme riche réveilla son fils. Ensemble, ils gravirent la montagne la plus proche. Une fois parvenus au sommet, regardant la vallée qui s’étirait devant eux avec sa rivière, ses champs, ses forêts, ses villages, l’homme riche dit: « Regarde, mon fils, un jour tout cela sera à toi. »

Très tôt un matin, un homme pauvre réveilla son fils. Ensemble, ils gravirent la montagne la plus proche. Une fois parvenus au sommet, regardant la vallée qui s’étirait devant eux avec sa rivière, ses champs, ses forêts, ses villages, l’homme pauvre dit: « Regarde, mon fils. »

Dans le cadre de notre « classe de maître », la fée Mirage nous a demandé de choisir un récit pour travailler notre problématique. Le récit que j’ai choisi pour aborder la question des silences en conte est celui des Deux pères sur une montagne, l’un riche et l’autre pauvre, qui montrent chacun le paysage à leurs fils. J’ai prévu de raconter cette histoire au début et à la fin de mon prochain spectacle. Au début, je raconte l’originale. À la fin, je veux raconter précisément la même histoire, mais permettre aux fils de répondre à leurs pères respectifs. C’est un peu un façon pour moi de montrer l’impact des rapports de filiation sur la personnalité des enfants.

C’est un récit – l’original – dont j’ai souvent discuté avec différentes personnes que je respecte énormément (avec Christian-Marie Pons, Didier Kowarsky, Stéphanie Bénéteau, Catherine Pierloz…). Je sais qu’il est considéré comme l’un des contes courts les plus difficiles à bien raconter de tout le répertoire mondial. Christian m’avait déjà expliqué que – selon lui – Didier était l’un des seuls qui y parvenait, mais pas à chaque fois.

Déjà, chaque conte court représente un défi parce qu’il y a peu de mots pour situer le spectateur, pour créer des images qui rendront le contexte très clair et permettront la chute, qu’elle soit drôle ou non. Celui « des deux pères » se veut en plus un conte de sagesse dont on n’explique pas la conclusion. Il faut donc que le ton de la voix fasse comprendre sans ambiguïté que le récit est terminé, qu’il appartient maintenant à la personne qui écoute de le compléter dans sa tête… Selon moi, le fait que les deux parties soient presque identiques en constitue la force, mais il faut aussi que ces différences qui tiennent à quelques mots deviennent très claires, sinon on passe à côté du sens. Un moment de distraction et… En même temps, il ne faut pas insister sinon on va télégraphier la fin.

On dirait que le fait que ce travail m’apparaisse si difficile me motive à tenter de raconter ce conte; comme une sorte de défi personnel que je me lance. Je l’ai fait lors d’une séance de travail avec Jyhad Darwiche en août dernier et lui ai demandé quel était le secret de cette histoire. Il m’a dit qu’il fallait la raconter comme quelque chose d’assez léger, de presque banal, mais en gardant à l’esprit toute la gravité qu’elle porte. La quadrature du cercle, rien de moins.

En même temps, si tant de conteuses et conteurs d’expérience que j’admire n’osent même pas s’y aventurer, quelle chance ai-je d’y parvenir moi? Serait-ce de l’hubris? Mais qui la contera si personne ne l’ose plus? À quoi bon la passion si elle ne nous donne pas envie de se lancer dans le vide pour découvrir s’il l’on sait voler?

Transfuges de l’humour: intéressants pour les conteurs?

Article intéressant paru dans La Presse ce week-end en marge du Gala des Oliviers.  La journaliste Chantal Guy a eu la bonne idée d’interviewé trois comédiens (Valérie Blais, Emmanuel Bilodeau et Fabien Cloutier) qui fréquentent désormais les scènes du milieu de l’humour.  Il me semble que pour nous conteuses et conteurs qui avons un rapport inconfortable avec l’humour, qui rêvons (ou cauchemardons, c’est selon) d’une École de conte et qui cherchons notre place souvent entre la tradition théâtrale et la machine du rire, il a matière à réflexion.

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Les rapports entre le conteur et son conte, selon Jihad Darwiche

conte_oriental

 

J’ai lu cet automne Le conte oriental de Jihad Darwiche (coll. « L’espace du conte », éditions Édisud, 2001) .  Si le livre contient de l’information intéressante sur la place du conte dans la culture libanaise, ainsi que plusieurs jolies histoires (dont celle, très belle, de « Antara ibn Chaddad » qui me touche particulièrement…) ce sont surtout les dernières pages que j’ai retenues.  Il est beaucoup question de la relation entre le conteur et ses contes. Continuer la lecture de « Les rapports entre le conteur et son conte, selon Jihad Darwiche »

Semer à tous vents

logo_semeursJe pense que c’est tranquillement en train de devenir officiel, donc je peux maintenant en parler ici: je ferai partie de l’édition 2014 de la Grande Virée des Semeurs de contes. Nous marcherons de Lévis à Rivière-du-loup du 8 au 18 septembre prochains en racontant nos histoires en échange du gîte et du couvert. Continuer la lecture de « Semer à tous vents »

Les billets non-écrits de 2013

Afin de débuter 2014 du bon pied, j’éprouve le besoin de vider ma mémoire de tous les billets que j’aurais aimé écrire en 2013, mais n’ai pas écrit faute de temps, par pudeur, paresse ou par souci de circonspection. C’est aussi une occasion de bilan par ce qui n’a pas été rendu public jusqu’ici. Ce n’est pas forcément intéressant pour les lecteurs, j’en conviens.  D’un autre côté, c’est peut-être l’occasion de vous manifester: y’a-t-il un ou l’autre de ces billets hypothétiques que vous auriez particulièrement aimé lire?

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Des jeux pour jouer à conter (3/3)

[Je termine ma série de billets sur les jeux qui font conter pour donner des idées cadeaux.  La série commence ici et se poursuis .  Aujourd’hui, je traite des jeux que je n’ai pas eu la chance d’essayer, mais dont je dispose et que j’ai lu.  Si quelqu’un se porte volontaire pour être cobaye, je suis toujours prêt à remédier à la situation… Je termine enfin par des jeux dont j’ai pris connaissance mais qui ne se sont pas rendus à moi.  Père Noël?]

Jeux jamais essayés, mais en ma possession:

Do : Pilgrims of the Flying Temple (Evil Hat Productions):

Jeu très joli et sympathique de do_couverturebelle production (couverture rigide, quelques illustrations en couleurs et plusieurs magnifiques esquisses noir et blanc).  Le jeu a bénéficié d’une campagne de socio-financement pour voir le jour en 2011. Il se définit comme un jeu de contage collaboratif (Cooperative Storytelling Game) « à propos d’aider les gens et de se mettre dans le pétrin ».

Les pèlerins du Temple volant sont de jeunes moines qui viennent en aide à quiconque les interpellent au moyen de lettres envoyées mystérieusement au Temple.  Les joueurs vont incarner ces moinillons un peu écervelés, mais pleins de bonnes intentions.  Les noms des personnages, composés de deux particules, reflètent cette aptitude à aider… et à se mettre les pieds dans les plats!  Par exemple, le pèlerin Chat Endormi aide les gens grâce à son agilité, mais à tendance au sommeil aux plus mauvais moments.

L’univers de jeu, assez onirique, est un monde aérien composé d’îlots de terres ou planètes entre lesquels les pèlerins volent littéralement au secours des rédacteurs des lettres d’aide.  Outre des myriades d’oiseaux, des baleines volantes et des montgolfières traversent le ciel.  Le petit prince de St-Exupéry est cité comme une source d’inspiration. Continuer la lecture de « Des jeux pour jouer à conter (3/3) »

Des jeux pour jouer à conter (2/3)

[Je poursuis ma série sur les jeux qui permettent de jouer à conter, d’initier au contage ou de développer des habiletés utiles aux conteurs…  Le début du texte est ici.]

Jeux perpendiculaires (pas directement pour conter, quoique…): 

dixit_boiteDixit (Libellud): Maintes fois primé, Dixit n’a peut-être plus besoin de présentation.  Je m’y risque tout de même, ne serait-ce que pour expliquer sa présence dans ma liste…  D’abord, le matériel est superbe.  Les illustrations des cartes par Marie Cardouat sont époustouflantes.  Elles parviennent à restituer un climat que je qualifierais d’«inquiétante naïveté», propice aux contes de fées. L’univers présenté par l’illustratrice est proche de celui des contes, avec une symbolique riche et universelle (soulier, dragon, arbre, etc.). Certainement de puissantes sources d’inspiration pour qui veut écrire ses histoires. Continuer la lecture de « Des jeux pour jouer à conter (2/3) »

Des jeux pour jouer à conter (1/3)

J’aime les contes et j’aime les jeux de société.  Par conséquent, j’ai un intérêt certain pour les jeux où l’on conte. À l’approche de Noël [NDLR: j’ai le droit d’en parler parce que nous sommes en décembre.  Avant, je m’y refuse.], il est toujours intéressant de recevoir quelques idées cadeaux, pour les autres ou pour bonifier sa propre liste.  Charité bien ordonnée…

Je me propose donc de passer en revue divers jeux de contage (jeux de rôles, de création collective, etc.) que j’ai essayé, que j’aimerais essayé sans en avoir eu l’occasion ou que j’aimerais avoir.  Autrement dit, je vous ouvre ma ludothèque présente et… future.

Je crois sincèrement que, si les thèmes abordés par les contes peuvent être graves, si le travail des artistes doit être professionnel, l’activité « conte » doit rester ludique et accessible au plus grand nombre.  Bien sûr, on peut toujours jouer à se raconter des histoires sans support aucun ou seulement avec des cailloux, mais un cadre simple, clair, pas trop contraignant et agréable à regarder peut justement contribuer à intéresser un plus large public à notre art.  Du reste, la plupart de ces jeux peuvent servir aux conteurs pour initier de nouvelles histoires, pour développer sa capacité d’improvisation ou simplement pour garder la main.  Plusieurs de ces jeux peuvent aussi servir de supports visuels à nos histoires (voir à ce sujet l’excellent site de Apple-paille).

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Histoire en chuchotant

« Maman, raconte-moi une histoire en chuchotant ! »

Sacré loustic. Bordé jusqu’au nez sous sa couette à monstres multicolores, il sait très bien quelle formule magique prononcer. Pour le principe, je résiste un peu :

« – C’est l’heure de dormir, là, il est tard… »
« – Une toute petite… »

Un bisou. Je chavire, c’était gagné d’avance. Il prend les rênes et fait sa commande :
« Allez ! Je choisis les animaux. » Une moue concentrée. « Mmmmh… Une araignée et… une chèvre ! » Continuer la lecture de « Histoire en chuchotant »