Des livres de contes d’alentours entre liberté et respect


Je viens de compléter la lecture de Lieux de légendes et de mystère du Québec de Henri Dorion, avec photographies de Pierre Lahoud (Éditions de l’homme, 2009), et de L’amérique en contes et légendes de Michel Savage et Germaine Adolphe (Modus Vivendi, 2009).  N’ayant pas reçu ces bouquins à Noël dernier, je me suis finalement décidé à les emprunter en bibliothèque…

Dans les deux cas, il s’agit de très beaux livres, magnifiquement illustrés. Par les photos de Lahoud et les aquarelles d’Anik Dorion-Coupal dans un cas et par celles de Marc Mongeau dans l’autre.  Des ouvrages de référence sans aucun doute.  Les 33 sites présentés dans Lieux… et les 62 histoires racontées dans L’amérique… sont des « must know » pour tous les conteurs québécois (et d’ailleurs), me semble-t-il. Ça fait partie d’une « culture générale » de l’imaginaire de nos alentours et c’est bien utile de les trouver ainsi rassemblés…

Que l’on s’intéresse à la façon dont le fantastique a affecté la toponymie dans les différentes régions du Québec ou que l’on veuille se réconcilier avec le légendaire américain généralement pas mal moins connu que celui d’Europe (chez les francophones), il s’agit là d’ouvrages importants dans une bibliographie sur le conte.

Dorion évoque l’origine du Cap-chat, des Méchins, de la Forêt enchantée de Ville-Marie, de Memphré le monstre du « loch Magog », etc.  Savage et Adolphe s’attaquent quant à eux au jackalope, à John Henry, Paul Bunyan et même aux mythes de Roswell ou d’Elvis.  Ce sont donc des livres fort complets quant aux univers qu’ils abordent, suffisamment denses pour rassasier les passionnés, mais assez légers pour constituer de bonnes introductions.  Lieux… se démarque sur le plan de la forme, alors qu’il est présenté comme un guide touristique et qu’il inclut des explications géographiques, ainsi que la manière d’aller visiter soi-même les lieux légendaires.  Les sites sont d’ailleurs réunis en onze groupes de trois, par unités thématiques (revenants, végétaux, paysages, etc.).  Par comparaison, les contes de L’amérique… ne semblent pas avoir été organisés dans un ordre précis, alors que l’on saute dans le temps, l’espace et les cultures autochtones, francos, anglos, états-uniennes, espagnoles (quoi que les récits canadiens sont en début d’ouvrage).  Ce désordre est sans doute plus intéressant qu’une structure trop cartésienne, remarquez.

Me reste une réserve générale qui touche les deux livres:  Alors que l’on explique de manière toute scientifique les légendes entourant chacun des sites de Lieux… et que L’amérique… nous « convie à un voyage dans le temps » se voulant « un livre d’histoire et de géographie qui a pour but de faire rire, pleurer ou peur », n’aura-t-il pas tout de même été possible de traiter avec respect la matière première folklorique qui a permis de mettre au monde ces ouvrages?

Je n’ai rien contre le fait de prendre des libertés avec le matériau légendaire pour adapter ou moderniser le conte, mais il me semble important de trouver une façon d’indiquer où se situe la dimension patrimoniale et où l’on tricote de la nouvelle légende avec sa propre créativité.  Il ne s’agit pas de multiplier les notes de bas de page ou de fournir les codes Aarne-Thompson des contes-types employés.  Mais, tout en conservant le caractère populaire et non-scientifique d’un tel livre, il y a moyen d’être un peu précis et de montrer le travail de recherche derrière les niveaux de fiction.

Des exemples? Dorion présente le rocher du pin solitaire, une légende sherbrookoise que je creuse pas mal ces temps-ci.  Il évoque le fait que le pin serait tombé et aurait repoussé à plus d’une reprise.  De toutes les sources que j’ai consultées, il est le seul à avancer cela.  J’aurais bien aimé savoir d’où il tient cette information…  S’il s’agit d’une liberté qu’il a prise (après tout, le pin est symbole de vitalité), comment ensuite ne pas me demander s’il n’a pas fait la même chose avec toutes les autres légendes des sites évoqués dans le livre? Quant à Savage et Adolphe, c’est au niveau des ruptures de ton que l’on sent la coupure entre folklore et « dentelle » contemporaine:  Par exemple, dans la tragique et terrifiante histoire de la Llorona infanticide, on mentionne un personnage secondaire du nom de… Jos Bine!  Il n’y avait vraiment pas moyen de l’appeler John ou Pedro? D’autres tentatives de « faire léger » parsèment les deux ouvrages et ratent également leur cible.

Ces livres restent des sommes importantes d’information. Ils contribuent à donner de la visibilité à des contes et légendes méconnus de chez nous, et ce, à l’intention d’un public de plus en plus large.  Ils sont bien présentés, faciles et agréables à consulter.  Je me dois d’en féliciter les auteurs.

Malheureusement, je ne peux me détacher de l’impression que, sous prétexte qu’il s’agisse de patrimoine d’origine orale et d’oeuvres imaginaires, on se sente autorisé à les manipuler sans un certain souci de rigueur.  Il me semble que la solidité que ces livres gagnerait n’enlèverait rien au plaisir ludique de leur découverte.  Ces histoires si belles peuvent enchanter notre quotidien. On leur doit bien ça, non?

Slam Dunk

J’ai des rapports troubles avec le slam et la mouvance de la poésie contemporraine performée.  C’est évident que cela exerce de l’attrait pour moi, ne serait-ce qu’en raison de la popularité montante de la chose.  In, la poésie?  Depuis quand c’est devenu cool?  Et, surtout, comment? Par quel prodige?  Il me semble qu’il n’y a pas si longtemps qu’en occident écrire des poèmes c’était s’avouer homosexuel, schizophrène ou, pire, intellectuel!  Alors, le faire en public…  Alors, en marge, je fréquente certaines manifestations de la scène sherbrookoise, incertain d’y trouver mon compte.  Pas sûr seulement de me reconnaître dans cette faune souvent anarco-undergroundo-altermondialiste…  Mais j’aime.  Dans le sens Internet du terme, je me considère comme un « lurker » (un badaud, selon l’OQLF); celui qui lit les articles des forums de discussions, mais participe peu.  Je me suis essayé à slamer un peu dans un conte, j’ai animé une activité after hours lors du dernier Festival du texte court, je vais prêter mes oreilles lors de soirées, mais sans plus.

D’un côté, j’admire la vitalité de ce milieu, j’en adore la créativité et les instants de grâce qu’il permet.  Dans l’absolu, l’idée de démocratiser la poésie et de la rendre plus accessible me plaît bien…  Comment être contre la vertu? C’est vraiment magnifique quelqu’un qui sait jouer avec la langue française, qui la possède assez pour l’approndir, la triturer un peu, parfois jusqu’à la renouveller.  Faire jaillir du sens et de la beauté.  Ce sont des moments de bonheur à garder tout précieusement, à chérir longtemps.  Je suis jaloux de la spontanéité, de la pertinence, du côté participatif qui dynamise les spectacles.  Des éléments qui me semblent souvent manquer au monde des conteurs.  Quand, dites-moi, y aura-t-il des activités de conte en parascolaire dans les écoles secondaires?  Les cégeps?  Il me semble qu’on a une ou deux choses à apprendre d’eux.

D’un autre côté, tous ne sont pas performeurs ni même auteurs ou encore critiques.  Il me semble parfois qu’il y a risque de complaisance maquillée de bons sentiments: « Nous sommes tous des poètes en puissance.  Bienvenue dans la grande confrérerie!  Pas grave si tu ne sais pas écrire:  on va te donner 6.5/10 parce que tu as « vécu » et que tu es venu partager en public. »  J’exagère peut-être, mais je ne suis pas sûr que cela rend service aux aspirants poètes ni d’ailleurs au public qui découvre cet art.  Comme me le rappelait récemment une artiste de la scène locale: « Le slam, c’est une façon parmi d’autres de performer la poésie. »  Si, souvent, la syncope ça rapporte, parfois il faut que découle la douce densité des dires…

Mais je suis bien conscient que cette popularité provient notemment de cette acessibilité.  Tout jeune ado dont les sentiments sont à fleur de peau et qui s’émeut d’un hip hop peut trouver là une voie d’expression à sa mesure.  L’intérêt pour les contes et légendes d’ici ou d’ailleurs à quinze ans?  Ça existe, mais ça prend un peu plus d’apprivoisement, probablement.

Cependant, ceux et celles qui s’élèvent au-dessus de la mêlée, ceux et celles qui peuvent se détacher des feuilles griffonnées, des sentiments à vif et des formules malhabiles des premiers jets, ceux et celles-là nous livrent leurs textes comme des cadeaux, nous font vraiment voyager. Ainsi, j’ai assisté le 11 juillet dernier à un magnifique spectacle de chant et de poésie avec Flavie Dufour et Sophie Jeukens. La beauté des mots (ouvragés, sculptés), l’émotion (souvent brute), le caractère enveloppant des ambiances sonores (toutes vocales – le sampling bien utilisé est fort utile), les couleurs (très distinctes, mais très complémentaires) des auteures et interprètes. J’ai été complètement sous le charme.

Et puis, tout au long de ce « récital » (les anglos parlent de storytelling recitals, mais là c’était un vrai poetry recital, pas juste un poetry reading), je me disais que je voudrais donc que les spectacles de conte auxquels j’assiste – et a fortiori ceux que je construis – cultive un peu plus cette magie, cette richesse d’ambiance qui envoûte le public…  Ça arrive à l’occasion, mais c’est quand même relativement rare.  J’ai envie de me perdre dans des bulles, des bouquets de mots, avec une trame en arrière-plan, mais des étincelles de sens qui éclatent à tour de rôle, comme un pétillement.  Est-ce seulement possible avec le conte?  En tous cas, j’ai de plus en plus envie d’intégrer le chant à mon travail…

Storytelling transmédia: le conte de demain?

Changement total de registre.

Si je reste passionné par le conte traditionnel dans son rapport fondamental d’humain à humain, j’ai fait ma maîtrise en études des médias et ça a coloré ma vision du monde.  Je reste donc curieux de la façon dont on se conte encore des histoires aujourd’hui et dont on le fera à l’avenir.  Ainsi, dans le cadre de mon autre emploi, je suis récemment tombé sur des choses intéressantes qu’il m’apparaît pertinent de rapporter ici.

Je suis les travaux de Henry Jenkins depuis ma maîtrise à Concordia entre 1993 et 1997 où l’un de ses livres est devenu central à la rédaction de mon mémoire sur les jeux de rôles et où j’avais eu la chance de l’entendre en conférence.  Depuis quelques temps, j’ai été ramené vers lui via son fil Twitter parce qu’il s’intéresse à la tendance hollywoodienne de faire ce qu’il est maintenant convenu d’appeler (même en français) du « storytelling transmédia » (ou STTM dans le jargon Internet).  L’INIS (Institut national de l’image et du son) où avait récemment lieu une formation sur ce sujet, définit ainsi la bête:

« On définit le Storytelling Transmédia comme un processus de transmission d’un message, d’un sujet ou d’un scénario, à un public de masse en utilisant plusieurs plateformes et en comptant, entre autres choses, sur la participation et l’interaction du public. Chaque déclinaison de l’histoire est unique, mais c’est en s’appuyant sur les forces et les spécificités de chacun des médias, que l’ensemble gagne en originalité, en pertinence et en rentabilité. »

Le Lien multimédia, partenaire de cette formation, a d’ailleurs consacré plusieurs articles à la couverture de cette activité.

Comme l’affirme Jenkins, le transmédia, c’est un peu l’inverse du multimédia où tous les médias se retrouvent sur une même plateforme.  En transmédia, on multiplie les plateformes et la richesse narrative du « message » se découvre par les participants un peu à la manière d’une chasse au trésor.  Pour en savoir davantage, voir un billet de Jenkins daté de mars 2007 et intitulé «Transmedia Storytelling 101 ».

Par ailleurs, l’entrée Wikipedia anglophone pour l’expression
« Transmedia Storytelling » explique partiellement l’origine du phénomène:

There are two prominent factors driving the growth of transmedia storytelling. The first is the proliferation of new media forms like video games, the internet, and mobile platforms and the demand for content in each. The second is an economic incentive for media creators to lower production costs by sharing assets. Transmedia storytelling often uses the principle of hypersociability. Transmedia storytelling is also sometimes referred to as multi modality, referring to using multi-modal representations to convey a complex story through numerous media sources. [mes emphases]

Un autre article d’Henry Jenkins daté de janvier 2003 (dans leTechnology Review du MIT) s’avère fort instructif sur la mécanique de la « mise en récit » transmédia:

« Younger consumers have become information hunters and gatherers, taking pleasure in tracking down character backgrounds and plot points and making connections between different texts within the same franchise. And in addition, all evidence suggests that computers don’t cancel out other media; instead, computer owners consume on average significantly more television, movies, CDs, and related media than the general population.»[mes emphases]

« Franchise products are governed too much by economic logic and not enough by artistic vision. Hollywood acts as if it only has to provide more of the same, printing a Star Trek logo on so many widgets. In reality, audiences want the new work to offer new insights into the characters and new experiences of the fictional world. If media companies reward that demand,viewers will feel greater mastery and investment; deny it and they stomp off in disgust. »[mes emphases; intéressant de remplacer Hollywood par « les conteurs » – même je suis conscient que c’est un tabou!]

« In the ideal form of transmedia storytelling, each medium does what it does best-so that a story might be introduced in a film, expanded through television, novels, and comics, and its world might be explored and experienced through game play. Each franchise entry needs to be self-contained enough to enable autonomous consumption. That is, you don’t need to have seen the film to enjoy the game and vice-versa. As Pokemon does so well, any given product is a point of entry into the franchise as a whole. »[mon emphase]

L’univers des films de The Matrix est souvent cité comme un exemple
« classique » de transmédia (avec des bandes dessinées, des dessins animés, des segments Web, etc. qui permettent d’approfondir l’oeuvre initiale). L’entrée Wikipedia cite Journey of Jin (web, comics, attractions physiques), Batman Begins (bandes dessinées pour préparer au film), Sorority Forever (websérie avec interaction dans les médias sociaux), Battlestar Galactica (où des webpisodes ont été diffusé entre les saisons pour approfondir l’histoire). Les jeux en réalité alternée (alternate reality games ou ARG) [dont il me faudra bien reparler un de ces jours…] peuvent aussi en faire partie.

L’auteur de l’entrée Wikipedia écrit: « Unlike properties like Star WarsHe-Man, and Teenage Mutant Ninja Turtles, which lend themselves to transmedia, JOJ [Journey of Jin] was created with the intention of being a transmedia universe, and not proliferated into other media formats for simply for merchandising purposes but for enriching the storytelling ».

Donc c’est cette « intention », la volonté initiale dès la création de déployer la fiction dans plusieurs médias, qui semble un indicateur pour déterminer si on est en présence de cette forme d’écriture. On évoque à plusieurs reprises les « multiples points d’entrée » qui permettent d’accéder à l’oeuvre et son caractère invasif « that permeates fully an audience lifestyle ».

Par ailleurs, Jenkins donne d’autres exemples de franchises transmédia: les Pokémons, par exemple: « By design, Pokemon unfolds across games, television programs, films, and books, with no media privileged over any other. » Mais il évoque aussi Indiana Jones (des films à la télé avec la série Young Indiana Jones), l’univers Buffy the Vampire Slayer et les films de Kevin Smith (qui se poursuivent en bandes dessinées dans le futur, mais aussi dans le passé de l’univers connu des spectateurs – ce que l’on appelle des prequels), Dawson’s Creek (dont on pouvait découvrir les journaux intimes des personnages sur le Web).

Jenkins livre peut-être le message qui me semble le plus important quant au pouvoir d’attraction du transmédia:

« Reading across the media sustains a depth of experience that motivates more consumption. In a world with many media options, consumers are choosing to invest deeply in a limited number of franchises rather than dip shallowly into a larger number. Increasingly, gamers spend most of their time and money within a single genre, often a single franchise. We can see the same pattern in other media-films (high success for certain franchises, overall declines in revenue), television (shorter spans for most series, longer runs for a few), or comics (incredibly long runs for a limited number of superhero icons). Redundancy between media burns up fan interest and causes franchises to fail. Offering new levels of insight and experience refreshes the franchise and sustains consumer loyalty. Such a multilayered approach to storytelling will enable a more complex, more sophisticated, more rewarding mode of narrative to emerge within the constraints of commercial entertainment. »[mes emphases]

Quel rapport dans tout cela avec le conte et les conteurs qui n’ont vraiment pas les moyens des grands studios?  Peut-être très peu. Peut-être beaucoup.

D’abord, il m’apparaît utile comme conteur d’être sensible aux nouvelles façons qu’a une partie de mon auditoire de recevoir des histoires.  J’ai beau être un artisan oeuvrant avec passion à essayer d’insuffler de l’âme dans mes récits avec toute l’honnêteté d’une démarche personnelle, difficile d’ignorer les procédés industriels de création d’histoires que ces mêmes spectateurs côtoient…

Ensuite, est-ce que la connaissance de certains mécanismes «transmédiatiques » ne pourrait pas être utile aux conteurs?  Est-ce que l’idée de « fournir plusieurs points d’entrée » ou de développer un univers cohérent à travers plusieurs histoires ne pourrait pas s’avérer intéressante?  Et pour ceux et celles ayant des velléités d’hybridation afin de renouveler leur art, l’idée de la « multimodalité » peut-elle ouvrir des portes?  À quand des contes, des chansons, des poèmes qui participeraient à développer la même fiction?  Sans doute que cela a été tenté, mais je crois utile de constater que ça existe également à une autre échelle que la nôtre…

Enfin, au-delà de la logique consumériste (pourtant bien au coeur de ces récents développements narratifs) j’y vois plus que jamais une preuve que le spectateur veut s’approprier la fiction et y être actif, ne serait-ce qu’à titre de « chasseur-cueilleur »…  Les conteuses et conteurs pourraient-ils profiter de l’ «hypersociabilité » que permettent Facebook et d’autres réseaux pour mettre sur pied des méta-récits, des fictions qui mettraient les spectateurs-participants à l’oeuvre à leur tour?  Récits qui, bien sûr, se poursuivraient/ aboutiraient dans des prestations publiques bien en chair et en présence?

Et dites-vous bien que si pour vous cela ressemble un peu trop à de la science-fiction, c’est sans doute qu’on y est déjà.

Répondre au courrier 5: l’ancien n’aliène pas l’humble (création vs. tradition)

  • Le 22 février dernier, toujours dans son commentaire en réaction à un billet sur ma difficulté à définir le milieu du conte, Nicolas Rochette abordait aussi le rapport entre conte de création et conte de tradition. Je le cite:

« Parce que nous faisons de la création. Sus aux visions muséales du conte où le conteur est réduit à un colporteur de patrimoine et l’auditeur à un spectateur passif et aliéné dans un récit dont il est captivé…

[…]

Je ne crois pas aux histoires de Ti-Jean… comme tout le monde. Mais je crois encore moins que les histoires de Ti-Jean m’en apprennent sur le monde. Il me sort du monde. C’est ok, mais quand, dans ma discipline, il n’y a que ça comme proposition, j’ai peur. Peur que le conte devienne un moyen d’évasion qui ne confronte rien ni personne et, encore moins, lui-même. »

En tant que passionné du conte traditionnel (qui fait un ti-peu de création de son bord, quand même), je dois m’objecter avec véhémence!

Dans Mythologie du monde celte (Marabout, 2009) que je suis en train de lire (brillant! Notamment sur la conception de l’au-delà qu’avaient ces peuples…), Claude Strerckx évoque l’utilité de revenir sur les textes anciens pour comprendre le monde tel que le voyait nos ancêtres.  J’ai bien envie de m’approprier son explication, tant je crois qu’il y a dans le patrimoine mondial une richesse insoupçonnée à re-connaître et à conter:

« Au premier degré, les mythes qui constituent la matière de ce livre proposent de belles histoires… […]

Au second degré, ces légendes s’avèrent aussi porteuses sens et même d’un sens très profond. Elles n’étaient pas que des contes. À l’origine, elle racontaient une histoire sacrée conduite par des dieux et des déesses tenus pour aussi réels et aussi vénérables que celui auquel croient aujourd’hui ceux qui ont la foi.

Aussi bien que les grandes religions actuelles, elles se targuaient de révéler le sens de la vie et même davantage car, si de nos jours les religions se réservent le « pour quoi » mais acceptent de laisser à la science objective le « comment » du fonctionnement du monde, les temps archaïques ne distinguaient pas les deux questions et répondaient à la première par la seconde…

[…]

C’est dès lors une quête des plus passionnantes que d’essayer de retrouver et de comprendre cette logique archaïque. D’abord comme jeu de l’esprit, mais aussi parce que cette recherche éclaire des facettes oubliées du génie humain, nourrit sainement la modestie – nos temps éclairés ne sont pas plus intelligents, seulement mieux informés sur le plan des sciences objectives – et parfois aussi permet de mieux comprendre certains gestes, préjugés, coutumes ou tournures d’esprit encore très intégrées dans nos personnalités sans que nous ayons gardé le souvenir de leur raison d’être ni de leur sens premier. » [p.11-12]

Je crois profondément que les contes nous ont fait.  Ils constituent le terreau de notre culture.  Les revisiter, les redire aujourd’hui, avec notre sensibilité contemporaine – impossible de faire autrement – nous permet de nous rebrancher sur là d’où nous venons, ce qui m’apparaît essentiel pour choisir ensemble là où nous allons.  Et, oui, ça peut redonner un peu de modestie, sinon d’humilité, que de réaliser que nous ne sommes pas les premiers à avoir rêver nos angoisses et nos espoirs.

Je suis évidemment d’accord avec Nicolas que les contes peuvent et devraient souvent être davantage qu’évasion et divertissement.  Mais je ne peux croire que les contes créés aujourd’hui soient nécessairement plus signifiants et pertinents pour nos contemporains que ceux d’hier.  En fait, les contes qui ont survécu, traversés les siècles et même les millénaires, ne sont-ils pas parvenus jusqu’à nous précisément parce que, à chaque époque où ils ont été contés, ils ont touché des gens suffisamment pour que ces derniers aient envie de les transmettre à nouveau et de les perpétuer?  Est-ce que cette persistance dans le temps n’est pas garante de quelque chose de plus profond?

Moi, j’ai bien envie d’écouter ce qui est arrivé à Ti-Jean. Je suis persuadé qu’il a deux ou trois choses à m’apprendre sur le monde qui m’entoure, mes semblables et moi-même.  Et je crois que cela me permettra de me sentir al-lié – en relation avec d’autres humains – plutôt qu’aliéné (littéralement « rendu autre », « vendu » à d’autres humains)... À condition qu’on me respecte assez comme spectateur pour me le raconter avec l’intelligence et la sagesse que ces contes véhiculent toujours.  Cela demande évidemment un travail d’approfondissement, une curiosité face à la matière même avant qu’on se l’approprie pour la livrer.

Cela écrit, j’ai aussi envie qu’on me raconte les dépanneurs, les plages de pays impossibles ou les quêteux qui traînent sur Mont-Royal…

Chansons du fond de l’enfance

J’ai (re?)commencé à chanter « Au chant de l’alouette » à mes enfants depuis que je l’ai réentendue d’un chansonnier à la St-Jean (Jérôme Fortin, du groupe Galarno, mais que je connaissais des Musique à bouches). C’est archi-connu, mais je l’avais complètement oubliée.

Il m’apparaît important de chanter ces chansons à nos enfants. Quand ils les chanteront à leur tour, ces pièces n’auront pas la même résonance émotive que les autres…

Avec « Aux marches du palais » (redécouvert grâce à Nicolas Pellerin et ses Grands hurleurs) et « Fendez le bois, chauffez le four », c’est le tout petit héritage de chansons qui me vient de ma prime-jeunesse (je ne sais même plus d’où). J’aime bien les autres chants trad que j’ai appris à l’âge adulte, mais ceux-là me touchent « ailleurs » quand je les chante

Répondre au courrier 4: les forces centrifuges

J’ai déjà moi aussi déploré le fait que l’on se retrouve souvent seul devant son miroir à pratiquer ses histoires.

Il m’est cependant difficile de parler de la solidarité du milieu ou non, notamment parce que je connais relativement peu la situation à Montréal et à Québec (des lieux où le « milieu » compte assez de personnes pour qu’il y ait solidarité ou non).  Je ne peux que déplorer la situation que je constate de l’externe : il y a des « gangs »… et pas toujours beaucoup d’échanges entre ces clans.  Ce réflexe clanique est assez naturel quand on y pense.  Qui s’assemble se ressemble et l’on fraie plus volontiers vers ce qui nous est connu et familier.  C’est vrai que l’on y perd tout ce que les uns et les autres pourraient s’apporter.

En Estrie, j’ai déjà écrit que le Cercle des conteurs des Cantons de l’est formait un groupe serré, dont les rapports débordent souvent ceux reliés strictement au conte (on se visite, nos familles se côtoient, etc).  Il faut probablement nuancer ce portrait: Y’a ceux qui se sentent exclus, ceux qui choisissent de s’exclure eux-mêmes, ceux qui viennent nous voir et repartent parce que « ça ne colle pas ».  Même dans le « noyau », le fait est que l’implication des uns et des autres reste assez variable, notamment selon les responsabilités et occupations de tous et chacun.

Vrai que souvent l’on compte sur les autres conteurs pour être spectateurs des spectacles de conte…  (Et je reste convaincu qu’il est sain et nécessaire d’en voir beaucoup, de voir évoluer nos collègues, de découvrir de nouveaux talents.  Ça fait partie intégrante de l’auto-formation!).  Sauf que les activités de conte se multiplie et il devient difficile d’être présent à tout.  Je sais pour ma part que j’ai manqué cette année seulement au moins deux spectacles que je tenais absolument à voir, et ce pour des raisons bêtes de synchronisation avec d’autres obligations personnelles.

Constatons enfin que différentes personnes font du conte pour différentes raisons, avec des niveaux de priorité changeants, ce qui explique parfois ce degré d’implication variable, la participation ou non à des activités de pratique ou de formation.  J’ai plus d’une fois été déçu parce qu’un ou une collègue préférait une autre activité de loisir ou « mettait le conte de côté pour un certain temps ».  Ainsi va la vie, difficile de reprocher à un coeur d’aimer… puis d’aimer moins et de voler vers d’autres cieux.

En Estrie, notamment, plusieurs conteurs sont également parents de jeunes familles…  La conciliation travail-loisir-famille, ça se vit aussi dans le milieu du conte.  Cela n’excuse pas tout, mais ça permet de relativiser et d’être philosophe.

Pour moi, une partie de la solution au problème du manque de participation passe par la formation de jeunes conteurs (de niveau collégial et universitaire, disons) et celles de conteurs aînés (pré-retraités et retraités).  D’abord, il y a là une diversité d’expériences et une richesse intergénérationnelle à exploiter.  Par ailleurs, ce sont des gens avec davantage de temps à consacrer à une passion nouvelle…  La contrepartie: ces gens ont souvent beaucoup de passions nouvelles!

Répondre au courrier 3: le sacre allège

  • À propos de ce que j’appelais «sacré» dans « Déjeuner avec un mème», le 1er mars dernier, Alice Duffaud s’interrogeait: « Je me demande, à ce propos, si on n’attire pas tout simplement les choses (dont les histoires) et les gens qui sont capables de nous toucher d’une façon ou d’une autre, un peu à la manière d’un aimant… »

Dans Illusions – Le Messie récalcitrant de Richard Bach (1977; excellent bouquin – traduction pitoyable) , il y a cette citation:

« Chaque personne, tous les événements de ta vie, sont là parce que tu les as attirés là.  Ce que tu choisis de faire avec eux n’appartient qu’à toi. »

Voilà pour l’aimant.  Quant au type de récits que j’attire…

Une amie conteuse dont le conjoint est décédé il y a quelques années me confiait qu’elle est convaincue qu’il est toujours là avec elle, tout près, à l’écoute et qui lui envoie des signes.  S’intéressant au fait que plusieurs de mes histoires traitent du voyage vers l’ « aut’ bord », elle était d’avis que j’avais un rôle particulier à jouer comme conteur parce que selon elle se sont habituellement les femmes qui ont cette sensibilité.

Je ne sais pas si un tel rôle existe ou m’est dévolu, mais j’ai ma petite explication très prosaïque sur la question de la synchronicité (d’aucuns diront de l’apophénie – qu’est-ce que j’aime ce mot!) dont j’ai parlé en termes d’«abonnement» dans le billet auquel Alice réagissait.  Du moins, cette explication vaut en ce qui concerne ma fascination pour les histoires
« spirituelles ».

J’ai peu connu la mort.  Je n’ai peu ou pas vécu de deuils.  J’ai vu au loin son grand manteau passer, l’éclat de sa faux brillant sous la lune à bonne distance.  Mais jamais je ne l’ai sentie près de moi, à en avoir les veines glacées.  Quand mon grand-père maternel est mort, j’avais douze ans.  Il est parti en voyage vers le sud… et n’est jamais revenu.  Parfois, je me dis qu’il est encore là-bas sur une île merveilleuse à manger de ces ananas sucrés dont il était friand.  Ma grand-mère paternelle est décédée il y a deux ans, j’en avais 37 bien comptés.  Elle était si malade et absente que ce fût réellement une délivrance tant pour elle que ses proches de savoir qu’elle reposait désormais « en paix ». Je n’ai pas connu mes autres grand-parents et j’ai la chance d’avoir encore mes parents, mon frère et mes amis proches.

Ce que je connais de la mort, ce sont les sanglots déchirants des vivants.  L’aberration de la mort subite, violente ou du suicide de certaines personnes croisées au hasard des rencontres… jamais des proches, heureusement. Aberration à cause du gaspillage d’autant de talent et de beauté alors que, malgré les horreurs de la vie, je crois sincèrement le monde magnifique et la vie un cadeau.

Je ne connais pas la mort.  Je me sens dépourvu face à sa fatalité.  Pas tant pour moi, mais pour ceux que j’aime.  Alors je vis dans la terreur, notamment de perdre mon amoureuse et mes enfants.

Pour ne pas que cette terreur prenne toute la place, pour pouvoir m’endormir le soir, j’apprivoise la mort en racontant des histoires.  J’apaise mes craintes en imaginant des mondes merveilleux où je retrouverai tout ceux qui me sont chers après la vie.  J’aime bien cet autre passage d’Illusions de Richard Bach:

« Si tu veux t’exercer à être fictif pour quelques temps, tu comprendras que des personnages fictifs sont parfois plus réels que les gens possédant des corps et des coeurs battants. »

Je n’ai pas nécessairement envie de devenir le « conteur-psychopompe »de service, mais j’ai déjà affirmé que je contais pour donner un sens aux choses et à la vie.  Or, dans À chacun sa mission – Découvrir son projet de vie (1999), Jean Monbourquette estime que « la poursuite de sa mission donne une raison de vivre et confère un sens à la vie ».  Il entend « mission » comme
« une orientation inscrite dans l’être de chacun en vue d’une action sociale. »  Pour Monbourquette (un prêtre et psychologue, il faut le noter), suivre sa mission nous fait entrer dans « le mouvement de co-création de l’univers » et participer à « une sagesse et une intelligence universelles appelées Providence ».  Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai bien envie d’y croire.

Peut-être que, pour qui se sent conteur, le seul fait de conter donne sens à l’existence, simplifie la vie.

Répondre au courrier 2: derrière la grille

Je poursuis dans mes réponses au courrier:

Pour faire suite au billet précédent, la grille de Jacques Falquet m’est apparue un outil critique intéressant.  Il est vrai que, dans mon billet initial, je me contentais de l’appliquer sans commenter sur ce qu’elle m’a apporté personnellement.  Pour moi, le grand mérite des neuf « intervalles » de Jacques, c’est justement d’ouvrir des spectres de possibles où parfois on n’avait même pas envisagé qu’il y eût d’autres options que nos petites habitudes.  Si les intervalles en lien avec « la matière » m’ont moins appris sur ma pratique (je savais d’où venaient mes contes et, surtout, ce qu’ils n’étaient pas), ceux sur « la manière » et « la connivence » ont été plus riches d’enseignements de mon côté.

Les questions de l’appui et de la mise en scène sont pour moi des casse-têtes constants.  Est-ce que j’écris mon texte ou je le laisse à l’oral?  Est-ce que je le transcris une fois que je le conte depuis longtemps? Que les grandes lignes ou jusque dans les détails?  Est-ce que je fais des dessins?  Et quand je développe un spectacle dans l’espace, est-ce que j’en fais trop?  Ne devrais-je pas être simplement assis sur mon tabouret?  Ces préoccupations étaient déjà présentes dans mon travail.  Cependant, ma difficulté à qualifier mon niveau de langue m’a interpelé.  Mon vocabulaire, mon style oral se sont imposés d’eux-mêmes sans que je les questionne.  Si j’entendais bien que d’autres conteurs se donnaient ou « attrapaient » un accent, je ne me voyais pas faire de même.  Ça ne m’aurait pas collé.  En fait, c’est un choix que je comprends mal.  Je réalise maintenant qu’au-delà de choisir ou non de conter en joual (plus ou moins poétique), on peut raffiner les catégories entre un parler en « français international » (est-ce qu’une telle chose existe?) ou plus urbain, relâché ou plus pointu, etc. D’interroger ces choix ne m’était pas venu à l’esprit.

De même, la qualité de la relation que je cherche à établir avec le public grâce à mes histoires est un peu la quadrature du cercle sur laquelle je suis toujours à retravailler.  Si je suis bien conscient que la nature du lieu où je conte influe profondément sur cette relation, je n’avais pas pensé « donner le contrôle » du choix et de l’ordre des contes à mon public.  Je savais que certains conteurs improvisaient des histoires à partir de mots fournis par l’assistance  et j’avais parfois demandé à un conteur d’entendre un récit que j’aimais particulièrement.  Explorer cette dimension ouvre la porte à bien des scénarios…

Alors, oui, la grille de Falquet m’est d’une grande utilité.  En plus des remises en question qu’elle permet sur mon propre travail, j’y ai trouvé un « checklist » de dimensions dont je ne veux pas oublier de tenir compte lorsque je critique le travail des autres.

En fait, ces derniers temps, c’est la prémisse même de la grille, toute généreuse soit-elle, que mes expériences et réflexions m’amènent à remettre en question.  Quand il a d’abord présenté sa grille, j’avais dit à Jacques que j’en étais ravi parce que ça permettait de sortir de l’éternelle question du « C’tu du conte? » et d’aller plus loin.  Toujours convaincu de l’apport de cette grille, aujourd’hui, je m’interroge à nouveau sur le besoin d’une définition.

Alors que l’on cherche à faire du conte un art à part entière, ne serait-il pas judicieux de tenter de le définir formellement?  Et donc, oui, d’établir que A en est et B n’en est pas?  Le spectre de ce qui est du conte peut être relativement large et toutes sortes d’hybridation sont ensuite possibles.  Mais est-ce que les artisans sont toujours nécessairement bien équipés pour définir ce qu’ils font?  Est-ce que cette déclaration de « je fais du conte » doit bien être notre seul critère de définition?  Je ne peux m’empêcher de trouver que les Contes urbains ou L’heure du conte à la Bibliothèque municipale sont assez éloignés de ce que je pratique…

D’ailleurs, les intervalles même de Jacques tendent à restreindre le champ de la pratique contée, peut-être à son corps défendant.  Je m’explique: La grille suppose que la langue est utilisée (puisqu’elle peut être de différents niveaux), que le spectacle dont il est question est fait de récits (découverts ou créés, appris par coeur ou improvisés, de différentes origines, réels ou fictifs… mais des récits), qu’on tente de créer une relation avec le public (toute solennelle fût-elle) et l’absence de quatrième mur y apparaît implicite.

On me dira que la plupart des spectacles sont basés sur une trame narrative  et cherchent à susciter une réponse du public.  Je répondrai que le conte me semble revenir à l’essence de ce rapport (mais j’y reviendrai).  Pour moi, ce qui n’est pas dans la grille devient aussi intéressant: la musique, l’apport d’autres performers, etc.  Quelqu’un peu bien sûr conter en s’accompagnant de musique ou en faisant intervenir d’autres artistes, mais alors n’invite-t-il pas justement d’autres formes d’art à épouser la sienne?

Répondre au courrier 1: prétention critique

Un des objectifs de ce blogue était de réfléchir avec mes lecteurs sur le conte. Force m’est de constater que de maintenir l’interaction afin de réfléchir à plusieurs prend du temps… et davantage de réflexion.  C’est que les questions qui sont posées ne sont pas banales et exigent souvent approfondissement avant de se lancer.  Je ne peux que me flatter d’avoir des interlocuteurs de cette qualité.  Ainsi, je prendrai les quelques prochains billets à répondre au courrier dont une pile s’accumule depuis un certain temps…

Et c’est parti:

  • Récemment, le 28 avril, Guillaume Beaulieu réagissait à la critique que j’avais faite de son spectacle.

Bien que certains m’aient déconseillé de répondre à Guillaume, je me bornerai simplement à rappeler la conclusion de son commentaire avec laquelle je suis entièrement d’accord: C’est mon opinion. Tout ceci (ces lignes, ce site) est constitué essentiellement de mes opinions. C’est d’ailleurs la définition première d’un blogue.

Quant à ma prétention critique de vouloir que les spectacles auxquels j’assiste correspondent davantage à l’idée que je me fais de notre discipline, j’assume. Tout critique, me semble-t-il, compare le travail qu’il évalue à un idéal artistique plus ou moins déclaré. (Je m’efforce peu à peu de clarifier le mien à travers ces réflexions.) Heureusement, ces idéaux sont multiples et les critiques aussi (encore qu’ils soient plutôt rares en conte au Québec).  Cette pluralité de points de vue permet qu’une certaine norme collective s’établisse peu à peu.  Par leur travail, des artistes briseront (volontairement ou non) cette norme et seront critiqués à leur tour.  C’est comme cela qu’un art évolue, je crois.

Flying Coach 6: agréments, angoisses et abandon

Jour J moins 3.  L’exercice public arrive à grands pas, ce qui ne va pas sans une certaine montée d’adrénaline et d’émotions.

D’un côté, la satisfaction et l’émerveillement de voir la « sauce prendre »: Le spectacle développe sa cohérence – je dirais sa « vie » – interne.  Ces derniers jours (perlés de plus fréquentes pratiques), de nombreux liens semblent se créer d’eux-mêmes, si bien qu’ils apparaissent comme des évidences dans la logique que nous avons établie avec Mme G.  Le grand plaisir de sentir ma coach complètement avec moi dans le processus, de vivre un réel « accompagnement » avec elle.  Se sentir soutenu, en confiance, c’est essentiel pour le moral.  Pas sûr que je m’y serais rendu tout seul.  Merci.

En parallèle, le réel bonheur de la découverte du livre Vivre jusqu’au bout de Mario Proulx, tiré de la série documentaire radiophonique du même nom. Voilà qui me conforte sur l’à-propos de la thématique que j’aborde.  Ça se lit comme un roman.

De l’autre bord, la déception devant l’absence de certains « observateurs-clés » qui ne pourront être dans le public pour me donner des commentaires comme je l’aurais d’abord souhaité.  La hâte et la terreur à l’idée d’entendre ce que ceux qui seront sur place me diront…

Faut dire qu’il y a beaucoup l’inquiétude de me voir confronté à mes propres contradictions: Devant la mise en mouvement et la mise en espace que nous développons avec Mme G. – et à laquelle j’adhère – « c’tu encore du conte »? J’ai tellement critiqué mes collègues de faire du théâtre conté… à me méfier de tout mouvement.  Il m’aurait fallu y penser avant de choisir de travailler avec une chorégraphe! 😉

Comme je le confiais à Mme G. et à ma fée-marraine, les modèles artistiques auxquels je me réfère depuis que je pratique cet art (Mike Burns, Michel Hindenoch, Michel Faubert, etc.) content leurs histoires assis sur une chaise sans bouger (ou si peu).  Difficile d’en dévier et de choisir une voie qui me soit plus personnelle.

Bien sûr, la clé est dans le choix judicieux des gestes.  Exit ceux qui nuisent ou sont redondants.  Si ceux qui restent me permettent de sortir de la fixité dans laquelle je m’étais enfermée, c’est positif, non?

Entre les deux, il reste un trac sourd et constant.  Celui qui paralyse, obnubile, empêche de dormir et rend grognon.  Trac qui, étrangement, se traduit cette fois-ci par une tension douloureuse à la mâchoire (et dans les épaules).  Suis-je en train de somatiser mon angoisse devant ma prise de parole?  D’autant plus que le grand écueil qu’il me reste à affronter en spectacle, c’est ma voix qui a tendance à monter d’un ou deux octaves quand j’accélère mes narrations ou quand j’arrive dans un noeud d’émotion…

Reste à s’abandonner.  Hier midi, pendant une courte marche de santé, le vent dans mes cheveux m’a ramené à l’ascension d’une montagne dans la première histoire du spectacle…  J’y suis presque.

Et puis, me rappeler et me convaincre que ce show-là n’est pas la fin, que c’est un début de plus.