Flying Coach 8: Rendre personnel

À quelques jours d’un spectacle solo qui conclura une seconde vague de travail sur Chevaucher les seuils – Contes d’au-delàs et de Là-haut, un nouveau bilan s’impose.  Il m’est difficile de parler de manière générique des séances de coaching de cet automne tant l’« entraînement » s’est personnalisé (Dictionnaire Robert : « rendre personnel »). Je vais tout de même essayer d’en dégager du matériel d’intérêt général.

J’entendais récemment Mme G. mentionner à quelqu’un : « Moi, je connais bien Jean-Sébastien et il ne voudra pas ceci… Il préférera cela. ».  C’est vrai.  Elle me connaît bien mieux, me devine, sait quand elle peut me pousser plus loin (ou pas), même si je ronchonne au début.

Réalisant dès septembre que nous avions peu de temps, Mme G. et moi avons convenu de travailler certains aspects précis de ma manière de conter.  Outre les problèmes propres au spectacle (transitions et difficultés avec certains contes, dont j’ai parlé ici), nous voulions :

  • éliminer des tics qui parasitent le contage;
  • maintenir mon niveau d’énergie de base de manière plus constante tout au long du spectacle;
  • développer ma présence, mon contact avec le public

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En filant sur la Toile

Quelques découvertes Web (plus et moins) récentes qui valent la peine d’être partagées, bien qu’il ne s’agisse pas a priori de nouveautés (i.e. celles et ceux qui suivent l’actualité du conte sont probablement déjà au courant, mais pour les autres…):

  • Le site de l’Association professionnelle des artistes conteurs (APAC), nouveau regroupement de conteurs français qui effectue un travail de réflexion intéressant. La conteuse Alice Duffaud (commentatrice régulière de ce blogue) m’en avait parlé en septembre dernier, mais je ne l’avais regardé qu’en diagonal à l’époque (désolé, Alice!).  Comme il en a été plusieurs fois question lors de rencontres de réflexion récentes et du colloque du Regroupement du conte au Québec (RCQ), j’ai pris le temps de le visiter plus en détail.Il faut notamment consulter leur définition de l’art du conteur dont les divers éléments qui la composent (filiation, répertoire, mise en oeuvre, représentation) donnent à réfléchir et ne pourront qu’alimenter les discussions dans le milieu.À noter aussi, le fait que l’association soit réservée aux conteurs professionnels (pas de diffuseurs ou d’« amis du conte » comme le RCQ).  Leur définition de « conteur professionnel », soit « le fait de gagner la majorité de ses revenus par le conte et activités apparentées », a le mérite d’être claire.  Selon ce critère, une APAC québécoise aurait donc peu de membres…  Voilà qui repose toute la question de la professionnalisation des conteurs et des conditions économiques de leur pratique ici et ailleurs.

    Un site important donc.  On ne peut que regretter – même si l’on comprend – que davantage de leur matériel ne soit pas (encore?) rendu public.  À suivre.

  • Le jardin d’Hinden, blogue du conteur, chanteur et formateur Michel Hindenoch.  L’influence de Hindenoch sur ma vision du conte est importante (voir notamment ceci), aussi ai-je été ravi de trouver d’autres textes de sa plume.  Il s’agit essentiellement de poésies et de réflexions – souvent touchantes! – sur la vie et l’art.  Cela écrit, la section « Gloses » regroupe quelques textes importants de son cru (qui datent des années 1980 et 1990 cependant).
  • De même, le conteur torontois Dan Yashinsky dont j’ai parlé à diverses reprises (ici et ici) anime The Tellery.  Il s’agit d’un site auto-promotionnel qui compte néanmoins certains éléments réflexifs et plusieurs contes (voir notamment la section « Downloads/Videos », incluant une conférence donnée par Yashinsky en souvenir de Joan Bodger et qui reprend une partie de la conclusion de Suddenly, They Heard Footsteps).  Il inclut aussi un espace de blogue.  Comme celui d’Hindenoch, il n’est mis à jour qu’occasionnellement mais les valeurs et les choix artistiques de Yashinsky traversent ses billets.  La lecture en vaut donc souvent la peine.
  • De même, pour les chercheurs d’histoires (qui lisent la langue de Shakespeare), les recensions très complètes du professeur retraité D.L. Ashliman (classées par thèmes, pays d’origine ou cote Aarne-Thompson!) ou l’archive nouvelle-âgeuse Sacred Texts (merci Éric Gauthier!), surtout la section sur les légendes et sagas.
  • En terminant, et parce que je ne peux m’en empêcher, ceux qui n’auraient pas encore découvert le magnifique site d’Apple-paille, notamment la section consacrée aux formulettes de conteurs, courrez-y!

Et vous, avez-vous des « adresses conte » à partager?

    Le maître-artisan

    Il est de bon ton dans notre milieu de parler du contage comme d’un artisanat (voir notamment le chapitre « Patience de l’arrosage » de Luidgi Rignanese dans L’art du conte en dix leçons), mais qu’est-ce que ça veut dire au juste?  Au-delà du temps à prendre, du savoir-faire à développer, je crois que les processus de travail et les rapports à la matière se ressemblent.

    En préparant mon intervention du 13 novembre dernier lors du colloque annuel du Regroupement du conte au Québec (RCQ), à propos de la formation des conteurs, j’ai repensé à un conte chinois.  C’est un texte qu’avait présenté en 2007 la conteuse et intellectuelle brésilienne Regina Machado lors d’une rencontre autour des thèmes « mission/transmission » organisé par les Productions Littorale.  Le texte était en anglais et j’ai tenté, bien modestement, de le traduire.  Je le reproduis ici, parce qu’il m’apparaît nommer plusieurs éléments que des conteurs-artisans devraient développer lorsqu’ils ont le souci d’améliorer leur art:

    Autrefois, nous dit Zhuang Zhou, il était un maître artisan qui créait de si beaux objets de bois que le roi lui-même demanda à connaître le secret de son art.

    « Votre majesté, dit le menuisier, il n’y a pas de secret… mais il y a bien quelque chose.  Voici comment je procède :

    Lorsque je m’apprête à faire une table, je rassemble d’abord mes énergies et je calme mon esprit afin de parvenir à une paix absolue.

    Je deviens indifférent à toute récompense que je puisse gagner ou à quelque gloire à conquérir.  Quand je suis libre de l’influence de toutes ces considérations extérieures, je peux écouter la voix intérieure qui me dit clairement ce que je dois faire.

    Quand mon habileté est ainsi concentrée, je prends ma hache.  Je m’assure qu’elle soit parfaitement affilée, qu’elle tienne confortablement dans ma main et qu’elle devienne le prolongement de mon bras.  Alors, j’entre dans la forêt.

    Je cherche le bon arbre : l’arbre qui attend de devenir ma table.  Et lorsque je le trouve, je demande : « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? »

    Alors, j’abats l’arbre et je me mets au travail.

    Je me souviens comment mes maîtres m’ont enseigné à mettre mon talent et ma pensée en relation avec les qualités naturelles du bois. »

    Le roi dit alors : « Lorsque la table est terminée, elle a sur moi un effet magique.  Je ne peux la traiter comme n’importe quelle autre table.  Quelle est la nature de cette magie? »

    « Votre majesté, répondit le menuisier, ce que vous appelez ‘magie’ provient de ce que je viens de vous expliquer. »

    Les éléments dont il est question dans ce conte m’apparaissent tous des fondamentaux: l’importance de développer une éthique du travail et du conte, d’affûter ses outils (corps, voix, prestance) et de découvrir comment ils peuvent servir le conte, se souvenir des enseignements des maîtres, travailler à mettre en valeur les « qualités naturelles » de l’histoire, etc.  Mais c’est encore et toujours la question du rapport au répertoire qui m’avait interpellé et m’interpelle encore.

    Comment « entrer en forêt » dans le foisonnement des contes (déjà le stage avec Marc Aubaret m’a donné des pistes…) et savoir choisir le « bon arbre » (le bon conte) celui « qui attend de devenir [notre] table » (de se laisser approprier par le conteur)? Il s’agit, en quelque sorte, de savoir identifier le diamant brut qu’il faudra ensuite travailler et polir.  Faire des choix; décider de ne pas conter certaines histoires pour en privilégier d’autres…

    Je suis reconnaissant à Regina Machado – et à Zhuang Zhou, je supposepour cette idée d’entrer en dialogue avec un conte que l’on a trouvé et que l’on a envie de conter: « Qu’ai-je à t’offrir et qu’as-tu à m’offrir? » Comment, avec ma couleur et ma personnalité de conteur, vais-je refléter sur cette histoire?  Que puis-je apporter de classique ou d’original, de réinterprétation, d’hybride et de contemporain à la manière de la raconter? Comment est-ce que le fait d’introduire ce conte dans mon répertoire va colorer mes autres contes et me transformer, moi, comme conteur?

    Dès lors, le rapport artistique entretenu avec la matière contée devient plus viscéral qu’intellectuel.  Assez proche de celui du sculpteur, de la tisserande, de l’ébéniste ou de l’orfèvre, finalement.

    Se laisser travailler par le conte (stage avec Marc Aubaret)

    J’ai laissé plus d’une semaine passer pour tenter de donner sens à la vingtaine de pages de notes prises pendant la formation sur l’Histoire de la littérature orale offerte par Marc Aubaret, directeur du Centre méditerranéen de littérature orale, les 23 et 24 octobre derniers. Alors que mes notes ne rendraient pas justice à la somme d’information reçue, je m’essaie à tisser un fil conducteur auquel accrocher mes apprentissages.

    Pour moi, cette formation aurait été celle où j’aurai acquis en concentré toutes sortes de pistes pour entrer dans de nouveaux contes (et approfondir ceux que je conte déjà).  En effet pour Aubaret, « le conteur n’explique pas, mais doit comprendre… »

    • Pistes « fonctionnelles » (par genres) : Parce que démêler ce qui tient du mythe (œuvres permettant de gérer la transcendance), de l’épopée (gestion des valeurs et du politique), de la légende (gestion du temps et de l’espace) et des contes (fonction initiatique pour les contes merveilleux et variable selon les genres) offre déjà des orientations importantes pour le contage.  J’ai ainsi appris que certains de mes récits tenaient probablement davantage du mythe que du conte…
    • Pistes historiques et anthropologiques : Cela permet d’être éveillé à ce que l’on a voulu faire dire aux contes selon les époques (ex : la montée des nationalismes au XIXe siècle qui récupèrent les contes comme « littératures nationales »).  D’ailleurs, en bon ethnologue, Aubaret nous rappelait régulièrement l’importance de connaître le contexte culturel dans lequel le conte est raconté.  Cela permet notamment de ne pas « dire le passé » ou de tomber dans le folklorisme.
    • Pistes typologiques : …Liées à la classification internationale Aarne-Thompson dont j’ai enfin mieux compris le fonctionnement et surtout l’utilité pour les conteurs : Faire gagner du temps lors de la recherche de multiples versions d’une même histoire.  Ainsi, j’ai découvert que plusieurs de mes Contes d’au-delàs et de Là-haut sont des 470 (Amis dans la vie et la mort), 470B (Le pays où l’on ne meurt pas) et 471 (Le voyage dans l’autre monde).  L’idée n’est pas de connaître ces numéros pas cœur ni de s’enfarger dans les chiffres, mais c’est vrai que devant ces catalogues on comprend mieux l’importance de toujours avoir consulté plusieurs variantes de nos contes avant de composer la sienne (dixit ma fée-marraine).
    • Pistes pour une lecture symbolique (notamment des contes merveilleux): Pour entrer dans un conte, Aubaret nous suggère de partir de versions collectées plutôt que de versions d’auteur (la « matière populaire brute »), nous recommande d’en faire une lecture attentive mot à mot, puis il nous invite à faire la cartographie des lieux, à en évaluer la temporalité (le passage du temps dans le conte, de quelques heures à quelques années), puis de bâtir des listes de personnages, d’animaux, de chiffres, de couleurs, d’objets, d’absents (Qui n’est pas là dans l’histoire? Un père? Une mère? C’est souvent très révélateur), etc.  L’idée étant que les symboles d’un conte s’influencent les uns les autres et ne peuvent être pris individuellement.

    C’est que pour Aubaret, les symboles des contes sont autant de
    « résonnateurs » qui « mettent en travail » si l’on est prêt et parfois à notre insu.  Ainsi, il a évoqué les motifs, ces super-symboles qui rendent mal à l’aise et qui frappent l’imagination (ex : la charité romaine, une femme qui, ayant accouchée, va nourrir au sein son père en prison pour lui éviter la mort).

    Il ne s’agit pas ici de chercher à donner un sens définitif au conte, mais plutôt d’« ouvrir le plus grand nombre de questions possibles », de prendre conscience de la multiplicité des sens qui se cachent dans l’œuvre et qui peuvent toucher le public de différentes façons. « Ne pas se laisser berner par l’anecdote, mais chercher ce qui est sous-jacent. » Il nous rappelle avec justesse que ce travail est aussi utile pour la création de nouveaux contes que pour l’approfondissement de contes traditionnels.  Pour Catherine Zarcate, avec qui Aubaret collabore, conter c’est « faire écrin aux symboles ».

    J’avais déjà abordé une partie de ces notions (sans nécessairement les avoir approfondies), mais j’ai pu revérifier pendant cette fin de semaine l’importance de se les faire dire et redire par différentes personnes qui emploieront des mots différents pour parler des mêmes concepts fondamentaux, chacune avec sa vision propre de ces derniers.

    Par exemple, tout le discours de Marc Aubaret est, me semble-t-il, coloré par sa conviction de l’importance du rapport personnel des individus (conteurs ou auditeurs) face aux contes. Ces derniers seraient pour chacun des « miroirs de sa propre évolution ».  Par exemple, la maîtrise d’un nouveau conte se déroulerait en trois étapes : D’abord un temps d’acquisition, puis une période d’intégration et enfin, au moment propice, ce qu’il appelle le « jaillissement » où le conteur « témoigne de ce qui l’a traversé ».

    Si les pistes de lectures discutées plus haut seront utiles lors de l’acquisition, c’est le « temps passé avec l’histoire », le temps de rêver son conte, de travailler sur les images , qui en permet l’intégration ou d’« en acquérir l’épaisseur ». En effet, pour Aubaret le conte est « art des images » plus que des mots. C’est ensuite que viennent les mots pour décrire les images dont s’est nourri le conteur : Le moins de mots possible, des mots qui évoquent directement les images, les mots du « sensitif » comme dirait Michel Hindenoch (avec qui Aubaret collabore aussi).

    Outre ces outils d’analyse, je repars sur mon chemin de conte avec plusieurs idées qui alimenteront ma pratique : Celle de tenir un « carnet de trames » des contes que je lis, juste pour développer le sens de la structure et comparer des versions, celle de passer du temps dans un café, juste à regarder les gens et à noter mes impressions.  L’idée aussi d’avoir toujours un conte « en chantier », juste pour s’en nourrir et le laisser « nous travailler », quitte à ne jamais le conter.

    Cette formation m’a aussi rappelé qu’avant de poursuivre mes études en communications à l’Université de Sherbrooke et à Concordia, je voulais devenir… ethnologue.

    Comment se forme-t-on chez vous?

    Comme le babillard de nouvelles du Regroupement du conte au Québec (RCQ) le mentionne, le prochain colloque se tiendra à Sherbrooke du 12 au 14 novembre prochain et portera sur la formation des conteurs.  Le RCQ m’a demandé de lancer les discussions du samedi par un portrait actuel de la formation en conte au Québec. Vaste programme!

    Depuis, la rédaction de mon chapitre dans L’art du conte de dix leçons (Planète Rebelle, 2007), je dois avouer que j’ai un peu perdu de vue ce qui se faisait ailleurs que dans ma cour. Si je connais bien la situation en Estrie et que mes contacts me permettent d’avoir une petite idée (incomplète) de ce qui se fait à Montréal, c’est moins le cas dans les autres régions du Québec.  J’ai donc sollicité différents conteurs et organisateurs pour savoir ce qui se déroulait dans leur région.  Voici les questions que je leur ai posées par courriel:

    • À votre connaissance, depuis 2005, quelles formations relatives au conte ou touchant les conteurs ont été organisées dans votre région? Si aucune formation n’a été organisée dans les cinq dernières années, pourquoi est-ce ainsi? (manque d’intérët, de participants, de fonds, etc.)
    • Si des formations ont effectivement été organisées, veuillez préciser, dans la mesure du possible… Sur quelles thématiques et de quels niveaux? Initiation? Approfondissement d’un aspect ou l’autre de la pratique? Méta-information (subenvtions, marketing, etc.)?
    • Quelles formules étaient privilégiées? (1 journée? 2 jours? 3 jours? Plus? Moins? Week-end? Semaine? Été? Mentorat?)
    • Qui étaient le ou les formateurs? D’où provenaient-ils? S’agissait-il de conteurs ou d’autres professionnels? Dans quels domaines?
    • Combien de participants?
    • Dans quelles conditions furent-elles offertes (locaux, coûts, soutien d’organismes publics ou autres)?
    • Quels sont le ou les organismes qui organisent des formations relatives au conte ou touchant les conteurs dans votre région?
    • Prévoyez-vous que de nouvelles formations seront organisées dans les prochaines cinq années?
      • a. Sinon, pourquoi?
      • b. Si oui…
        • a) Autour de quelles thématiques? De quels niveaux?
        • b) Envisagez-vous des difficultés pour cette organisation? (fonds? recrutement de formateurs, formatrices qualifiés? participation?)
    • Quel serait votre formation idéale? (thématique, formateur-formatrice, conditions idéales (durée, lieu, niveau, nombre de participation, etc.))
    • Tout autre commentaire ou réflexion sur cette question que vous souhaitiez partager (surtout si vous ne croyez pas être des nôtres en novembre)

    Selon vous, ai-je oublié des choses? Me manque-t-il des renseignements pour bâtir ce portrait?  Vous sentiriez-vous à l’aise de répondre à ces questions pour votre région?  Tout commentaire qui fera avancer ma préparation à cette présentation sera bienvenue.

    Festivalier comblé

    N’ayant ni à conter, ni même à être bénévole cette année, j’ai complètement profité du Festival Les jours sont contés en Estrie pour être le meilleur spectateur possible.  Je me suis généralement (ahem!) couché tôt, suis allé voir plusieurs spectacles mais pas tous (ah, les choix difficiles) et j’ai appris en observant.  Il faut dire que le fait d’être moi-même en processus de création aiguise le regard…

    De Michèle Nguyen, je retiendrai la grâce, l’intensité qui fait vibrer toute l’assistance, les silences justes, porteurs, une écriture magnifique, brillante. Je la voyais pour la troisième fois et il me semble qu’elle a encore « grandi » dans l’efficacité de sa présence, la force de son contact avec le public.  Je retiendrai aussi la question d’un ami néophyte au conte: « Est-ce que ce n’était pas du théâtre? » Avec une marionnette (qu’elle manipule merveilleusement), quelques accessoires, une trame sonore, je pense que la question mérite d’être posée.  Conte ou théâtre, j’ai bien hâte de la revoir et de la réentendre.

    De Jean-Claude Botton, je conserverai sa finesse à raconter tant aux adultes qu’aux enfants.  Son habileté à « mettre le public dans sa poche » par de très courts récits pour accrocher, établir le contact.  Les ritournelles, les jeux de mots et répétitions. Et puis la force des images qu’il se créé et qu’il nous donne à voir.  À un moment, il avait vraiment une lune dans l’oeil.

    D’une conversation privilégiée avec Jihad Darwiche, j’ai bien compris que l’on peut toujours retravailler une histoire, la polir davantage et en retirer les entraves afin qu’elle « passe » mieux.   Retravailler un conte toute sa vie et même quand on est convaincu que la version collectée est sacrée. « Nous sommes des passeurs, il faut que nos histoires passent… » et « Si tu nourris souvent tes histoires, elles continueront à te nourrir ».  Et comme j’ai aimé réentendre les différentes versions des « Babouches d’Abou Kacem ».  Vive les contes gigognes des Mille et une nuits avec leurs emboîtements qui rendent intelligents!

    De Naomi Steinberg, je retiendrai la voix grave, hypnotisante, enveloppante, qui m’a bercé par des histoires pleine de brume vancouveroise, dont une version coréenne magnifique de « L’oiseau de toutes les couleurs » et une « Fille curieuse » en visite chez une Baba Yaga nordique.

    De Jean-Claude Bray, je constate l’importance de se connaître et de conter ce qui nous colle à la peau.  Comment ce petit homme à la voix nasillarde et à l’air (mais seulement l’air) absent parvient-il à choisir des histoires qui lui vont aussi bien et à dégager un tel charisme?  Il y a là un mystère et une ruse qui me mystifient.

    D’Agnès Chavanon, je garde la construction de son spectacle sur les loups où elle mêle histoires traditionnelles, anecdotes imaginaires et véridiques, de même que récits contemporains qui rejoignent tous la même thématique.  J’ai bien aimé ce mélange de narrations autour d’un même thème.  C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon spectacle sur les au-delàs, mais j’aurais aimé aller encore plus loin.

    De Serge Valentin, je me souviendrai longtemps d’une conversation à bâtons rompus où nous avons chacun défendu nos positions et découverts des points d’accord.  Je retiendrai son besoin d’être « farouchement libre » qui l’amène à se former en autodidacte et à se méfier des écoles artistiques.  Après cet échange, aux petites heures du matin, j’ai écris pendant une demie-heure.  Un texte sur la formation des conteurs a commencé à prendre forme.

    Un beau festival, une édition que je vais chérir pour longtemps.

    Tenir conte… depuis un an

    Mercredi dernier, 29 septembre, j’ai manqué la date anniversaire de ce blogue.  Je préparais le spectacle que j’ai donné au Musée des religions du monde de Nicolet le vendredi 1er octobre (et qui s’est bien passé, merci).  Tout à ma pratique, j’ai oublié qu’il y avait déjà un an que je sévissais à cette adresse Web.

    C’est que les choses vont trop vite.  Un an et une cinquantaine de billets plus tard, le conte prend plus que jamais de la place dans ma vie déjà pourtant pas mal occupée par un autre travail et une famille…  J’ai la chance d’avoir monté un spectacle qui intéresse et qui est supporté par une bourse au niveau municipal, je suis plus intéressé et curieux que jamais de la littérature orale sous ses différentes formes.  Et les choses s’accélèrent: la 18e édition du Festival Les jours sont contés en Estrie la semaine prochaine, une formation avec Marc Aubaret du Centre Méditerranéen de Littérature Orale à la fin octobre sur l’histoire de cette littérature, le colloque du Regroupement du conte au Québec en novembre, d’autres spectacles en novembre (Drummondville en solo, St-Hyacinthe en duo) et décembre (Sherbrooke en solo, North Hatley en collectif)…  L’univers du conte vibre autour de moi et me fait vibrer alors que j’ai vraiment l’impression de faire partie de ce tout, à ma petite échelle.  De quoi écrire encore quelques billets…

    Et pour cela je vous remercie chaleureusement, lecteurs de ce carnet, proches ou lointains.  Vous contribuez par vos clics et vos commentaires à faire que mes réflexions en ligne ne soient pas qu’une plongée solitaire dans le flou d’un miroir, mais qu’elles aient des échos, peut-être l’amorce de contacts, voire d’une communauté.

    Parce que vous donnez encore davantage de sens à cette aventure.

    La nostalgie des jeux de donjons

    Cet été, j’ai lu Fantasy Freaks and Gaming Geeks: An Epic Quest for Reality Among Role Players, Online Gamers, and Other Dwellers of Imaginary Realms de Ethan Gilsdorf. Mi-parcours personnel, mi-enquête journalistique, j’ai failli ne pas acheté le bouquin parce que je me disais que j’aurais pu l’écrire moi-même…  En effet, de douze à trente-trois ans, j’ai été un adepte – solide – de jeux de rôles de table (ou « avec papier, crayons et dés », ce qui les distinguent de leurs cousins informatisés).  Comme toujours, jouer ne me suffisait pas: il me fallait comprendre comment ça marchait, pourquoi on jouait. Mon mémoire de maîtrise a donc porté sur la question…

    Quand j’ai réalisé que le père de Gilsdorf avait été mon patron à Concordia (il était responsable du Département de communications où j’ai fait ma maîtrise et donné ma première charge de cours) et surtout quand j’ai lu que la mère de cet auteur avait été « transformée » par un anévrisme, au point qu’il avait l’impression qu’elle était devenue quelqu’un d’autre…  J’ai trouvé que l’accumulation de coïncidences et de liens avec ma propre vie commençait à être troublante…  J’ai donc passé à la caisse et payé.

    Finalement, le livre s’est avéré un excellent achat. Gilsdorf est touchant alors qu’il se présente comme un geek qui s’assume mal (ou que sa blonde assume mal, c’est selon) qui part en quête de son identité profonde à travers la visite de sous-cultures et fandoms connus et… moins connus (j’avoue que le wizard rock m’a laissé pour le moins troublé). Bien que l’image des geeks ait beaucoup changée dans les médias (la seule lecture de l’entrée Wikipédia sur le terme vaut la peine!), il est vrai qu’il me reste une certaine pudeur à parler de mon hobby d’adolescence, du temps, de l’énergie ou de l’argent que j’y ai consacré.  Je me souviens d’une autre étudiante à Concordia qui se scandalisait de tout ce talent et cette intelligence mis au service de « problèmes qui n’existent pas, alors qu’il y a plein de vrais problèmes autour de nous ».

    Pourtant, ces jeux ont été à la base d’une partie de ma vie sociale à l’adolescence, au début de l’âge adulte et jusqu’à ce que je devienne père de famille (passage qu’observe d’ailleurs Gilsdorf).  Ils m’ont permis d’apprendre l’anglais, de mieux comprendre la politique et l’histoire (à partir de l’époque médiévale, mais il est certainement possible d’extrapoler…), de briser l’isolement une fois arrivé dans de nouvelles villes, etc.  Grâce à ces jeux, j’ai fréquenté des gens que je considère encore comme mes meilleurs amis (nous avons «virtuellement » tellement voyagé ensemble!).  Nous étions alors loin de soupçonner l’influence que cette forme de loisir allait avoir sur le développement de l’informatique, de la culture populaire, les jeux vidéos et, aujourd’hui, sur certaines expériences de pointe dans le domaine de la formation.

    Surtout, la conception commune d’histoires alors que les joueurs incarnent des personnages qui interagissent avec l’univers qu’a conçu le maître de jeu reste une modalité de création collective qui ne m’apparaît pas avoir été égalée. Je crois pouvoir y retracer les germes de ma passion pour le conte qui s’y est nourrie d’archétypes de héros, de monstres provenant de toutes les cultures et de trésors magiques fabuleux.  Le niveau d’engagement et d’immersioimaginaires que l’on atteint dans les moments intenses de jeu est particulièrement puissant.  C’est ce que les spectateurs de conte recherchent quand ils disent « ne plus être assis dans la salle à écouter le conteur », mais bien « être très loin, dans l’histoire ».  De même, les joueurs de rôle oublient à certains moments le sous-sol, la pizza, les dés et les figurines qui traînent sur la table…  Ils sont un cyborg elf noir, un espion kender, un gnome illusionniste ou un moine karatéka dans les Royaumes oubliés, au confins de la galaxie, sur Athas, Tareh, Al Amarja, dans les rues de Vimary, Laelith ou Sanctuary…  Ethan Gilsdorf écrit:

    …« If they won’t write the kinds of books we want to read, we shall have to write them ourselves, » Tolkien wrote to his buddy C.S. Lewis […] Like Tolkien and Lewis, JP and I and the rest of the gang told riddles in the dark – in person, every Friday night, in someone’s living room. […] Playing D&D we became bards, storytellers, and entertainers. We played roles – fighter, cleric, magic-user, thief – and we played face-to-face, and made a better place for us. We helped each other through […] « the labyrinth of being a teenage boy. »

    Je n’ai pas abandonné le JdR [acronyme de « jeu de rôle »] parce que je me suis lassé de la formule.  Ou plutôt oui… Je me suis épuisé à cause du  temps de préparation considérable requis pour ce qui n’est souvent qu’une seule représentation/partie devant quelques personnes, si proches et engagées soient-elles  (C’est beau l’éphémère, mais tout de même…). Néanmoins, je m’ennuie du jeu et de la camaraderie qui l’entourait alors qu’il constituait des références juste assez hermétiques pour nous permettre de distinguer entre ceux que l’imaginaire rebutait et ceux qui nous ressemblaient.

    J’ai encore plusieurs livres présentant différents jeux (des « mondes en boîte » comme quelqu’un l’a déjà écrit) et je me promets bien de faire connaître ce loisir à mes enfants un jour.  Ils décideront ce qu’ils font de cette découverte, alors que les jeux de leurs adolescences risquent d’être passablement plus numériques… [voir mon billet sur le storytelling transmédia]

    S’il n’explore pas nécessairement de nouvelles avenues dans son livre, Gilsdorf offre des pistes pertinentes pour comprendre le besoin d’évasion des joueurs, adeptes de science-fiction ou de médiéval-fantastique qu’il est amené à côtoyer pendant sa rédaction.  Dans le chapitre « Being a hero ain’t what it used to be », il évoque le besoin de faire partie de quelque chose de plus grand que soi avant de mourir, ce que j’ai déjà appelé le « besoin de sens » [voir ma page « Pourquoi je conte »]:  « We do want to feel part of a larger narrative, which is to say, we fear death and want to be remembered. We desire immortality. »

    Je me permets de citer et faire miennes quelques phrases de sa conclusion parce qu’elles font écho à ma situation et à mon désir de conter:

    I will always struggle with some dissatisfaction with reality. Simple pursuits – folding laundry, mowing the lawn, watching American Idol – can seem paralyzingly dull when compared to the exploits of that parallel Ethan in a faraway land.  But that’s real life. I would always be a fantasy freak, even if I wouldn’t always indulge it. […]

    But for most of us, it’s not mind-numbing escapism we seek. It’s a second chance. […] Perhaps storytelling would create that better kingdom.  Perhaps a world might be fashioned – in my mind, anyway – where my mother might make her saving throw [NDLR: littéralement « jet de survie », une règle de jeu qui permet à un personnage d’échapper à un sort funeste] and live again whole and complete. A new story to make up for past suffering.  A new realm where we all might have a second chance. Is this not the gift of imagination? »

    Flying Coach 7: Et après…

    Je suis très conscient de ne pas avoir donné de nouvelles sur ce blogue quant au résultat de mon exercice public dont j’ai amplement parlé au printemps dernier.  Je ne savais pas trop quoi écrire:  Comment témoigner d’un spectacle dont on est le principal interprète? « Score final: 3-2.  Après une première période difficile, Dubé se ressaisi et parvient à conter efficacement en deuxième demie.  Il a néanmoins commis plusieurs erreurs qu’il devra corriger s’il espère se rendre en séries finales… »

    Avec le recul de quelques mois, il m’est plus facile de me faire une tête.  Alors que Mme G. et moi nous remettons à l’ouvrage, je peux désormais partager un peu des éléments sur lesquels nous allons nous attarder lors de nos prochaines rencontres.  Notons d’abord que l’exercice a atteint son but, soit celui de récolter un maximum de commentaires pour orienter la suite du travail.  Le spectacle ayant été filmé, j’ai maintenant en main la vidéo.  Un fois passé le malaise de regarder quelqu’un qu’on connait trop bien, elle devient un outil précieux.  J’en ai déjà parlé ici.

    Ainsi, plusieurs spectateurs-commentateurs ont souligné un problème avec les transitions entre les contes.  Avec éloquence, la vidéo leur donne raison… Ce sera donc un de nos principaux chevaux de bataille.  La bande montre notamment que j’ai tendance à « laisser tomber » le public entre mes histoires.  Je ne les accompagne pas suffisamment pour rester avec eux dans une émotion, un silence.  Mon regard fuit alors que je suis déjà ailleurs en train de préparer le conte suivant.

    Par ailleurs, j’ai souvent tendance à ajouter un commentaire, une pensée philosophique, une morale à la fin de mes histoires.  Je comprends mieux maintenant en quoi ce n’est pas très intéressant à regarder, ni même toujours à entendre.  Surtout, je réalise aussi que c’est manquer de confiance en mon public qui est bien capable de se faire sa propre idée à la suite d’une histoire.  Sous prétexte de « protéger » mon public (ou est-ce plutôt parce que j’ai peur de ne pas pouvoir en supporter la charge émotive), j’atténue le caractère percutant de certaines finales.  D’autre part, parce que j’en rajoute, cela créé une seconde (et parfois même une troisième) fin, si bien qu’on ne sait pas toujours qu’un conte est terminé.  Re-problème au niveau des transitions…

    Il y a aussi un des contes dont personne n’a parlé (le dernier de la première partie que j’appelle « Le prophète et le berger ») pas plus pour en dire du bien que pour en souligner les défauts.  Pour Mme G. et moi, c’est symptomatique: celui-là a raté sa cible…  On travaillera donc à lui redonner du corps.  S’il ne s’améliore pas, on coupera.

    La vidéo est évidement impardonnable quant aux gestes qui « sonnent » faux, aux descriptions trop longues (ça m’arrive parfois, quelle surprise!), aux tics, aux changements de niveau de langage, aux phrases moins bien articulées.  Mais elle permet également de voir que du chemin a été parcouru, qu’il y a des moments où « ça marche vraiment ».  Ces instants là sont à garder et on a donc moins besoin de s’y attarder.  Et cela aussi, c’est très précieux.  Ça permet de gagner du temps.

    C’est donc une seconde étape du travail qui s’amorce, alors que l’automne sera ponctué de vraies représentations de ce spectacle (sans le filet des amis critiques) qui viendront elles aussi nourrir la réflexion et les rencontres de pratique.

    Compagnes et compagnons de la côte

    Je reviens de La fête des chants de marins de St-Jean-Port-Joli où j’ai passé un week-en d’amoureux avec ma douce.  J’y ai notamment réentendu avec plaisir « Les souillés de fond de cale » (un groupe breton de Paimpol que nous avions découvert à Binic en 2000) et découvert le trio « Lemieux-Marchand » (le duo de père-fils violoneux des Lemieux complété par Paul Marchand à la guitare) et la comédienne et conteuse Valérie Lecoq qui animait une fort chouette randonnée « contée/jouée » (du « récit de vies théâtralisé », explique-t-elle) intitulée « Femmes de marins, compagnes de pêche ».

    Je suis un gars de la ville et je me sens plus proche du feu que de l’eau, mais y’a quelque chose qui me bouleverse profondément à être ainsi près de la mer et des bateaux.

    Ce fût l’occasion d’une passionnante discussion avec Mme Lecoq justement sur l’appellation « arts du récit » vs. « conte » (associé au spectacle pour enfants selon elle), l’utilisation d’accessoires en soutien à son spectacle (notamment un drap que l’on prend dans un lieu pour finalement le plier plus tard avec un membre du public) et le travail d’intégration du spectacle dans de nouveaux lieux chaque fois (la partie « randonnée » du show).

    Bien sûr, son spectacle est théâtralisé, mais elle n’en fait pas de mystère.  Elle fait d’abord un travail de comédienne.  Si le spectacle commence au « elle » en parlant d’Henriette, un personnage fictif de femme de marin composé de plusieurs témoignages véritables, dès la troisième station on passe au « je » alors que Valérie interprète Henriette.  Pour elle, « il me serait impossible ou difficile de refaire du conte de manière traditionnelle, assise sur une chaise.  Je connais peu de gens qui le font encore de cette façon ».  Point de vue intéressant…  Qu’il m’est évidemment difficile de partager complètement.

    De mon côté, j’ai particulièrement apprécié que le spectacle soit basé sur des documents ethnographiques et donne une voix à ces femmes dont on a très peu raconté l’histoire.  Bien joué, le personnage est fort attachant et le caractère authentique des répliques les rend d’autant plus poignantes (notamment ce moment où Henriette calcule n’avoir passé que trois ans avec son mari… sur dix-sept ans de mariage et « ne pas avoir aimé cette vie-là »).  Cependant, le texte très écrit me paraît peut-être perdre une souplesse qui pour moi doit caractériser le conte…  Surtout quand Mme Lecoq m’explique qu’elle doit toujours faire le récit dans le même ordre, alors que pourtant celui-ci se permet bien des sauts dans le temps entre jeunesse et vieillesse du personnage…

    Par ailleurs, les retrouvailles avec les « souillés » ont été l’occasion de se retrouver en Bretagne (dans nos têtes et dans nos coeurs) et d’ajouter deux chansons traditionnelles à mon répertoire: L’archi-connue mais magnifique « Isabeau » (« Isabeau s’y promène/ Le long de son jardin… ») dont ils font une très belle version a capella (« sans les mains » comme dirait Philippe Noirel, chanteur principal du groupe) et « C’est dans la ville de Larochelle » dont la mélodie et les paroles me hantent toujours: « La beauté, à quoi nous sert-elle?

    Après trois jours au bord du fleuve à m’emplir les yeux et les oreilles, je peux affirmer qu’elle permet de faire le plein de moments qui aident à supporter l’ordinaire.