Jan Blake, une maîtresse-femme raconte…

 J’ai fait ma maîtrise à l’Université Concordia de Montréal.  J’ai donc reçu il y a environ un mois une invitation de mon alma mater pour assister à la prestation de la conteuse britannique d’origine jamaïcaine Jan Blake.  Un peu surpris que cette institution offre à ses diplômés d’assister à des spectacles de contes, j’ai d’abord pensé ne pas y aller. Lorsque Stéphanie Bénéteau et d’autres m’ont dit à quelle point il s’agissait d’une conteuse exceptionnelle qu’il ne fallait absolument pas manquer, j’ai pris des arrangements pour être dans la métropole le 14 novembre dernier, soir de la performance de la dame.

Et quel spectacle !  Des histoires puissantes (de la Côte d’ivoire, du Kenya) livrées avec brio par une conteuse charismatique et toujours juste.   Des images claires et directes comme des flèches.  Des mots recherchés, choisis, mais jamais pompeux.  Une aisance dans le jeu et dans la voix qui trahissent à peine les heures de travail requises pour que « ça ait l’air aussi facile ».   Continuer la lecture de « Jan Blake, une maîtresse-femme raconte… »

Textes Festival 2012 (1) : Portrait de Mike Burns

[Dans le cadre du récent Festival Les jours sont contés en Estrie, on m’a demandé de rédiger certains textes.  Pour en garder trace, mais aussi parce des gens ont souhaité y avoir accès, je compte les déposer ici dans les prochains jours.  Aujourd’hui, un portrait de Mike Burns, conteur qui a grandement influencé ma « vocation ».  La commande était costaude parce que Christian-Marie Pons avait déjà écrit un magnifique texte en préface de Raconte-moi que tu as vu l’Irlande, texte d’ailleurs repris dans le plus récent numéro de La grande oreille, consacré à la parole du Québec.  Mais y’a aussi que Mike conte cette année depuis cinquante ans.  Je voulais à ma manière saluer une vie traversée d’histoires…]

Adolescent, je rêvais de vertes prairies, de hameaux chaleureux, de châteaux dans la brume….  Aujourd’hui, Mike Burns me donne accès à ce pays disparu, plus pastoral, communal et magique.

Ses histoires sont « Quelques fois si grande[s] que je rêve d’Irlande où nous irons un jour / Si le temps sur nous ne s’arrête pas » (Michel Rivard, Jamais à la mode).

Des histoires bouleversantes, racontées dans une langue drue et rugueuse, vive et souple, en français, en anglais, en gaélique (rien que pour la musique des mots).

Sa parole – plus de cinq cents contes, dit-on – est riche de différents répertoires :

  • De truculentes histoires de villages du Comté de Kerry au XVIIIe siècle;
  • Des récits à saveur historique sur l’épopée d’immigrants irlandais venus creuser le Canal Rideau ou sur la colonisation des Cantons de l’est;
  • Et mes préférées : des mythes immémoriaux du temps avant le temps où « les oiseaux faisaient leurs nids dans les barbes des vieillards ».  Des histoires de dieux, de héros, de fées…

Vous avez peut-être su qu’il conte les yeux fermés?  Personnellement, je me trouve aspiré par les images cachées derrière ces yeux clos.  J’ai envie de voir ce qu’il voit, d’entrer dans ses souvenirs.

Et c’est beaucoup à l’entendre que j’ai eu envie de conter à mon tour.

Je garde en tête une soirée de pleine lune où, la bière aidant, des leçons sur l’art du conte filtraient.  C’est là qu’il m’expliqua qu’en aïkido on apprend certaines prises en les « volant » aux maîtres.  Le maître ne donnera pas sa technique; il va s’exécuter et c’est à l’apprenti d’aiguiser son sens de l’observation.

C’est pourquoi, lorsqu’il ferme les yeux, j’ouvre l’âme…  Je voyage et j’apprends.

Éplucher le programme du 20e Festival Les jours sont contés en Estrie (5 en 5 / 4)

C’est tout bientôt.  Il reste moins de deux semaines.  Du 11 au 21 octobre 2012.  Et la ville sera envahie d’êtres chers aux verbes agiles.  C’est d’autant plus vrai que pour les 20 ans la Fée-marraine allait convoquer les fidèles, les visages qu’on a connu et que l’on demande à revoir sans quoi… Ça ne serait pas le Festival!  Je ne sais pas si les Estriens réalisent la qualité d’artistes qu’ils auront à proximité…

Qu’est-ce que le renard disait au Petit Prince déjà ?  Éplucher le programmes pour « s’habiller le coeur »… mais aussi parce que ça devient un marathon d’organisation avec la petite famille ! Continuer la lecture de « Éplucher le programme du 20e Festival Les jours sont contés en Estrie (5 en 5 / 4) »

Préparer ses contes : les bonheurs de l’immersion

Une fois le conte choisi, avant de l’amener à la scène, la conteuse ou le conteur passe du temps avec son histoire.  S’il s’agit d’abord d’un exercice de mémorisation, c’est souvent beaucoup plus.

Quelle différence entre apprendre une histoire par coeur et l’incarner jusqu’à la connaître « par corps » ? Entre retenir les péripéties dans le bon ordre séquentiel et maîtriser complètement une trame narrative jusqu’à saisir la pertinence du moindre détail sur la signification profonde du récit ?  Et est-ce vraiment nécessaire pour bien conter? Continuer la lecture de « Préparer ses contes : les bonheurs de l’immersion »

Époustouflé par Slampapi

J’ai déjà évoqué ici ma fascination et mes réserves face au slam.  Mardi le 20 septembre dernier, à l’invitation du slamestre Frank Poule, je me suis rendu à la galerie Art Focus pour y entendre le fondateur du mouvement slam, Marc Kelly Smith, slampapi en personne. Un gamin de 61 ans avec une extinction de voix…  Je me disais que si quelqu’un pouvait m’aider à comprendre ce qui m’allumait et me questionnait en même temps dans cette forme d’art, c’était bien celui qui l’avait mise au monde.  Par ailleurs, je cherchais toujours à identifier des éléments qui « fonctionnent » dans le slam et qui pourraient être transposés au conte…

Continuer la lecture de « Époustouflé par Slampapi »

Flying Coach 8: Rendre personnel

À quelques jours d’un spectacle solo qui conclura une seconde vague de travail sur Chevaucher les seuils – Contes d’au-delàs et de Là-haut, un nouveau bilan s’impose.  Il m’est difficile de parler de manière générique des séances de coaching de cet automne tant l’« entraînement » s’est personnalisé (Dictionnaire Robert : « rendre personnel »). Je vais tout de même essayer d’en dégager du matériel d’intérêt général.

J’entendais récemment Mme G. mentionner à quelqu’un : « Moi, je connais bien Jean-Sébastien et il ne voudra pas ceci… Il préférera cela. ».  C’est vrai.  Elle me connaît bien mieux, me devine, sait quand elle peut me pousser plus loin (ou pas), même si je ronchonne au début.

Réalisant dès septembre que nous avions peu de temps, Mme G. et moi avons convenu de travailler certains aspects précis de ma manière de conter.  Outre les problèmes propres au spectacle (transitions et difficultés avec certains contes, dont j’ai parlé ici), nous voulions :

  • éliminer des tics qui parasitent le contage;
  • maintenir mon niveau d’énergie de base de manière plus constante tout au long du spectacle;
  • développer ma présence, mon contact avec le public

Continuer la lecture de « Flying Coach 8: Rendre personnel »

Festivalier comblé

N’ayant ni à conter, ni même à être bénévole cette année, j’ai complètement profité du Festival Les jours sont contés en Estrie pour être le meilleur spectateur possible.  Je me suis généralement (ahem!) couché tôt, suis allé voir plusieurs spectacles mais pas tous (ah, les choix difficiles) et j’ai appris en observant.  Il faut dire que le fait d’être moi-même en processus de création aiguise le regard…

De Michèle Nguyen, je retiendrai la grâce, l’intensité qui fait vibrer toute l’assistance, les silences justes, porteurs, une écriture magnifique, brillante. Je la voyais pour la troisième fois et il me semble qu’elle a encore « grandi » dans l’efficacité de sa présence, la force de son contact avec le public.  Je retiendrai aussi la question d’un ami néophyte au conte: « Est-ce que ce n’était pas du théâtre? » Avec une marionnette (qu’elle manipule merveilleusement), quelques accessoires, une trame sonore, je pense que la question mérite d’être posée.  Conte ou théâtre, j’ai bien hâte de la revoir et de la réentendre.

De Jean-Claude Botton, je conserverai sa finesse à raconter tant aux adultes qu’aux enfants.  Son habileté à « mettre le public dans sa poche » par de très courts récits pour accrocher, établir le contact.  Les ritournelles, les jeux de mots et répétitions. Et puis la force des images qu’il se créé et qu’il nous donne à voir.  À un moment, il avait vraiment une lune dans l’oeil.

D’une conversation privilégiée avec Jihad Darwiche, j’ai bien compris que l’on peut toujours retravailler une histoire, la polir davantage et en retirer les entraves afin qu’elle « passe » mieux.   Retravailler un conte toute sa vie et même quand on est convaincu que la version collectée est sacrée. « Nous sommes des passeurs, il faut que nos histoires passent… » et « Si tu nourris souvent tes histoires, elles continueront à te nourrir ».  Et comme j’ai aimé réentendre les différentes versions des « Babouches d’Abou Kacem ».  Vive les contes gigognes des Mille et une nuits avec leurs emboîtements qui rendent intelligents!

De Naomi Steinberg, je retiendrai la voix grave, hypnotisante, enveloppante, qui m’a bercé par des histoires pleine de brume vancouveroise, dont une version coréenne magnifique de « L’oiseau de toutes les couleurs » et une « Fille curieuse » en visite chez une Baba Yaga nordique.

De Jean-Claude Bray, je constate l’importance de se connaître et de conter ce qui nous colle à la peau.  Comment ce petit homme à la voix nasillarde et à l’air (mais seulement l’air) absent parvient-il à choisir des histoires qui lui vont aussi bien et à dégager un tel charisme?  Il y a là un mystère et une ruse qui me mystifient.

D’Agnès Chavanon, je garde la construction de son spectacle sur les loups où elle mêle histoires traditionnelles, anecdotes imaginaires et véridiques, de même que récits contemporains qui rejoignent tous la même thématique.  J’ai bien aimé ce mélange de narrations autour d’un même thème.  C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon spectacle sur les au-delàs, mais j’aurais aimé aller encore plus loin.

De Serge Valentin, je me souviendrai longtemps d’une conversation à bâtons rompus où nous avons chacun défendu nos positions et découverts des points d’accord.  Je retiendrai son besoin d’être « farouchement libre » qui l’amène à se former en autodidacte et à se méfier des écoles artistiques.  Après cet échange, aux petites heures du matin, j’ai écris pendant une demie-heure.  Un texte sur la formation des conteurs a commencé à prendre forme.

Un beau festival, une édition que je vais chérir pour longtemps.

Slam Dunk

J’ai des rapports troubles avec le slam et la mouvance de la poésie contemporraine performée.  C’est évident que cela exerce de l’attrait pour moi, ne serait-ce qu’en raison de la popularité montante de la chose.  In, la poésie?  Depuis quand c’est devenu cool?  Et, surtout, comment? Par quel prodige?  Il me semble qu’il n’y a pas si longtemps qu’en occident écrire des poèmes c’était s’avouer homosexuel, schizophrène ou, pire, intellectuel!  Alors, le faire en public…  Alors, en marge, je fréquente certaines manifestations de la scène sherbrookoise, incertain d’y trouver mon compte.  Pas sûr seulement de me reconnaître dans cette faune souvent anarco-undergroundo-altermondialiste…  Mais j’aime.  Dans le sens Internet du terme, je me considère comme un « lurker » (un badaud, selon l’OQLF); celui qui lit les articles des forums de discussions, mais participe peu.  Je me suis essayé à slamer un peu dans un conte, j’ai animé une activité after hours lors du dernier Festival du texte court, je vais prêter mes oreilles lors de soirées, mais sans plus.

D’un côté, j’admire la vitalité de ce milieu, j’en adore la créativité et les instants de grâce qu’il permet.  Dans l’absolu, l’idée de démocratiser la poésie et de la rendre plus accessible me plaît bien…  Comment être contre la vertu? C’est vraiment magnifique quelqu’un qui sait jouer avec la langue française, qui la possède assez pour l’approndir, la triturer un peu, parfois jusqu’à la renouveller.  Faire jaillir du sens et de la beauté.  Ce sont des moments de bonheur à garder tout précieusement, à chérir longtemps.  Je suis jaloux de la spontanéité, de la pertinence, du côté participatif qui dynamise les spectacles.  Des éléments qui me semblent souvent manquer au monde des conteurs.  Quand, dites-moi, y aura-t-il des activités de conte en parascolaire dans les écoles secondaires?  Les cégeps?  Il me semble qu’on a une ou deux choses à apprendre d’eux.

D’un autre côté, tous ne sont pas performeurs ni même auteurs ou encore critiques.  Il me semble parfois qu’il y a risque de complaisance maquillée de bons sentiments: « Nous sommes tous des poètes en puissance.  Bienvenue dans la grande confrérerie!  Pas grave si tu ne sais pas écrire:  on va te donner 6.5/10 parce que tu as « vécu » et que tu es venu partager en public. »  J’exagère peut-être, mais je ne suis pas sûr que cela rend service aux aspirants poètes ni d’ailleurs au public qui découvre cet art.  Comme me le rappelait récemment une artiste de la scène locale: « Le slam, c’est une façon parmi d’autres de performer la poésie. »  Si, souvent, la syncope ça rapporte, parfois il faut que découle la douce densité des dires…

Mais je suis bien conscient que cette popularité provient notemment de cette acessibilité.  Tout jeune ado dont les sentiments sont à fleur de peau et qui s’émeut d’un hip hop peut trouver là une voie d’expression à sa mesure.  L’intérêt pour les contes et légendes d’ici ou d’ailleurs à quinze ans?  Ça existe, mais ça prend un peu plus d’apprivoisement, probablement.

Cependant, ceux et celles qui s’élèvent au-dessus de la mêlée, ceux et celles qui peuvent se détacher des feuilles griffonnées, des sentiments à vif et des formules malhabiles des premiers jets, ceux et celles-là nous livrent leurs textes comme des cadeaux, nous font vraiment voyager. Ainsi, j’ai assisté le 11 juillet dernier à un magnifique spectacle de chant et de poésie avec Flavie Dufour et Sophie Jeukens. La beauté des mots (ouvragés, sculptés), l’émotion (souvent brute), le caractère enveloppant des ambiances sonores (toutes vocales – le sampling bien utilisé est fort utile), les couleurs (très distinctes, mais très complémentaires) des auteures et interprètes. J’ai été complètement sous le charme.

Et puis, tout au long de ce « récital » (les anglos parlent de storytelling recitals, mais là c’était un vrai poetry recital, pas juste un poetry reading), je me disais que je voudrais donc que les spectacles de conte auxquels j’assiste – et a fortiori ceux que je construis – cultive un peu plus cette magie, cette richesse d’ambiance qui envoûte le public…  Ça arrive à l’occasion, mais c’est quand même relativement rare.  J’ai envie de me perdre dans des bulles, des bouquets de mots, avec une trame en arrière-plan, mais des étincelles de sens qui éclatent à tour de rôle, comme un pétillement.  Est-ce seulement possible avec le conte?  En tous cas, j’ai de plus en plus envie d’intégrer le chant à mon travail…

Répondre au courrier 4: les forces centrifuges

J’ai déjà moi aussi déploré le fait que l’on se retrouve souvent seul devant son miroir à pratiquer ses histoires.

Il m’est cependant difficile de parler de la solidarité du milieu ou non, notamment parce que je connais relativement peu la situation à Montréal et à Québec (des lieux où le « milieu » compte assez de personnes pour qu’il y ait solidarité ou non).  Je ne peux que déplorer la situation que je constate de l’externe : il y a des « gangs »… et pas toujours beaucoup d’échanges entre ces clans.  Ce réflexe clanique est assez naturel quand on y pense.  Qui s’assemble se ressemble et l’on fraie plus volontiers vers ce qui nous est connu et familier.  C’est vrai que l’on y perd tout ce que les uns et les autres pourraient s’apporter.

En Estrie, j’ai déjà écrit que le Cercle des conteurs des Cantons de l’est formait un groupe serré, dont les rapports débordent souvent ceux reliés strictement au conte (on se visite, nos familles se côtoient, etc).  Il faut probablement nuancer ce portrait: Y’a ceux qui se sentent exclus, ceux qui choisissent de s’exclure eux-mêmes, ceux qui viennent nous voir et repartent parce que « ça ne colle pas ».  Même dans le « noyau », le fait est que l’implication des uns et des autres reste assez variable, notamment selon les responsabilités et occupations de tous et chacun.

Vrai que souvent l’on compte sur les autres conteurs pour être spectateurs des spectacles de conte…  (Et je reste convaincu qu’il est sain et nécessaire d’en voir beaucoup, de voir évoluer nos collègues, de découvrir de nouveaux talents.  Ça fait partie intégrante de l’auto-formation!).  Sauf que les activités de conte se multiplie et il devient difficile d’être présent à tout.  Je sais pour ma part que j’ai manqué cette année seulement au moins deux spectacles que je tenais absolument à voir, et ce pour des raisons bêtes de synchronisation avec d’autres obligations personnelles.

Constatons enfin que différentes personnes font du conte pour différentes raisons, avec des niveaux de priorité changeants, ce qui explique parfois ce degré d’implication variable, la participation ou non à des activités de pratique ou de formation.  J’ai plus d’une fois été déçu parce qu’un ou une collègue préférait une autre activité de loisir ou « mettait le conte de côté pour un certain temps ».  Ainsi va la vie, difficile de reprocher à un coeur d’aimer… puis d’aimer moins et de voler vers d’autres cieux.

En Estrie, notamment, plusieurs conteurs sont également parents de jeunes familles…  La conciliation travail-loisir-famille, ça se vit aussi dans le milieu du conte.  Cela n’excuse pas tout, mais ça permet de relativiser et d’être philosophe.

Pour moi, une partie de la solution au problème du manque de participation passe par la formation de jeunes conteurs (de niveau collégial et universitaire, disons) et celles de conteurs aînés (pré-retraités et retraités).  D’abord, il y a là une diversité d’expériences et une richesse intergénérationnelle à exploiter.  Par ailleurs, ce sont des gens avec davantage de temps à consacrer à une passion nouvelle…  La contrepartie: ces gens ont souvent beaucoup de passions nouvelles!

Le conte décrypté à l’aide du « Code Falquet »

Dans le dernier numéro du Bulletin du RCQ, le conteur Jacques Falquet de Gatineau – que j’ai eu le plaisir de côtoyer à plusieurs reprises lors de formations – nous présente la grille qu’il a élaborée pour tenir compte de la multiplicité des formes que peut prendre le conte au Québec.  C’est cette grille qu’il avait présentée à la Rencontre internationale sur le conte tenue à Sherbrooke en octobre dernier.  Jocelyn Bérubé l’avait alors malicieusement baptisée le « code Falquet », en clin d’oeil à un autre code plus médiatisé…

Postulant avec générosité que toute personne qui affirme faire du conte en fait effectivement, Jacques remarque néanmoins que ce même vocable regroupe plusieurs pratiques extrêmement diverses.  Il propose que ces pratiques peuvent se placer sur 9 intervalles regroupés en trois grandes catégories, soit la matière, la manière et la connivence.  Je reproduis ici la grille pour en faciliter la consultation en lien avec mon propos, mais  aussi pour participer à sa diffusion parce que suis convaincu qu’il s’agit d’un jalon important dans la réflexion critique en vue de mieux comprendre nos pratiques.

Dimension Définition De À En passant par
La matière Du proche Au lointain
La source L’origine du récit Bouche à oreille Création Archives sonores et écrites, livres, films, etc.
Le genre Le type de récit Récit de vie Mythe Nouvelle, épopée, roman courtois, légende, conte
Le matériau La véracité du récit Documentaire Fiction Docudrame, etc.
La manière Du peu défini Au fixé
L’appui La base de l’expression Uniquement des images Uniquement un texte écrit Toute combinaison des deux
La mise en scène Mouvements et scénographie choisis d’avance Absente Élaborée Dépouillée
La langue Le niveau de langue Populaire Littéraire Tout ce qu’il y a entre les deux
La connivence Du proche Au lointain
La relation La connivence narrateur-public Familière Solennelle Tout ce qu’il y a entre les deux
Le lieu La spécialisation du lieu Convivial (salon, café, bibliothèque) Scénique Tout ce qu’il y a entre les deux
Les choix de récits Qui choisit le récit à quel moment Par le conteur sur place Par le public d’avance Par le conteur d’avance ou par le public sur place

Source: Falquet, Jacques, « Comment parler du conte au Québec, aujourd’hui », Bulletin du RCQ, no.17, mars-avril 2010, Montréal, pp. 9 à 11)

Dans l’article, pour illustrer l’utilisation de sa grille, Jacques donne en exemples les « profils codés » des pratiques de Jocelyn Bérubé, Fred Pellerin, Stéphanie Bénéteau et Renée Robitaille.  Je prendrai cette occasion pour auto-analyser ma propre pratique de conte à l’aide de la grille:

Du côté de la matière, mes contes sont essentiellement puisés dans les livres et sur Internet (où j’effectue des recherches pour trouver plusieurs versions d’une même histoire avant de conter) et parfois dans les archives sonores du Centre franco-ontarien de folklore à Sudbury.  Le plus souvent, j’adapte et fini par créer ma propre version à partir d’éléments provenant d’un peu partout. J’ai également quelques contes de création « purs ».  Voilà pour la source.  La plupart de mes récits s’inscrivent dans le genre du conte merveilleux, mais j’ai flirté avec le conte contemporain et même certains mythes.  C’est pratiquement toujours un matériau fictif, mais certaines images peuvent être tirées de mon vécu.

En ce qui a trait à la manière, je suppose que mes récits « s’appuient sur des images » comme dirait Jacques, puisque le texte n’est pas appris par coeur et que je conte à partir de canevas. Néanmoins, j’effectue souvent un travail d’écriture (en amont ou en aval) pour structurer et mémoriser le récit.  La mise en scène du spectacle que je prépare actuellement est minimale, mais avec Mme G., ma coach chorégraphe, nous avons un souci d’éviter les gestes parasites et de choisir ceux qui parlent le plus, tout en me permettant d’investir davantage l’espace scénique.  La scénographie se limitera à un banc, alors que je m’habille en noir.  J’ai plus de difficulté à qualifier mon niveau de langue. Je dirais que c’est probablement un langage familier mais châtié, en ce qu’on me fait souvent des compliments sur la qualité de mon vocabulaire, mais que j’évite le passé simple et que j’utilise des expressions populaires lorsque je les trouve savoureuses.

La connivence est probablement l’aspect de la grille avec lequel je me débats le plus actuellement.  J’essaie d’entrer davantage en relation avec le public, parce que je suis souvent plus dans ma tête avec mes histoires que dans la salle avec les gens.  Les lieux où je conte sont souvent conviviaux, mais il n’y a pas nécessairement toujours plusieurs possibilités qui me sont offertes.  Il est vrai que j’aime moins conter sur une scène très élevée.  Enfin, je choisis pas mal toujours d’avance les contes que je vais interpréter, en me donnant la possibilité d’en changer sur place si je m’aperçois que l’ambiance commande un récit vraiment différent.