Tenir conte

Un conteur relit _Understanding Comics_ de Scott McCloud


understanding_comics_blackJ’ai dû le lire en version originale (Understanding Comics: the Invisible Art, HarperCollins, 1993) autour de 1995 – 1996, parce qu’un ami à qui il est difficile de dire non me l’avait mis entre les mains.  J’avais été impressionné par l’heureux mélange d’érudition et de vulgarisation…  Aussi, le côté auto-référentiel assez ambitieux m’avait scié: un essai en bandes dessinées qui tente de définir la bande dessinée en jouant avec tous ses codes: interstices entre les cases, complexité ou simplicité du trait, ajout de la couleur, etc.

Quand je l’ai trouvé en version française (L’art invisible, Delcourt, 2007), j’ai choisi de l’acheter tout de suite, me souvenant combien c’était aussi un fabuleux texte de référence sur la communication en général.  Une surprise à la relecture, tout de même: je n’avais pas réalisé tous les points communs entre les bandes dessinées et les contes.  C’est l’amie Alice qui sera contente…


N’est-ce pas ce que l’on tente de faire en définissant le plus largement possible les héros de contes, sans psychologie ou caractéristiques particulières trop détaillées?  Ti-Jean peut être le héros de tous parce qu’il n’est que sommairement défini.

McCloud remarque par contre que la bande dessinée joue souvent sur le contraste entre simplification des personnages et réalisme des décors…  Des descriptions détaillées du paysage, en quelque sorte.

« Dans un monde fragmenté, notre aptitude à atteindre une totalité par le biais d’ellipses est la condition de notre survie.  […]   Les cases d’une bande dessinée fragmentent à la fois l’espace et le temps, proposant sur un rythme haché des instants qui ne sont pas enchaînés.  Mais notre sens de l’ellipse nous permet de relier ces instants, et de construire mentalement une réalité globale et continue. » [emphases dans le texte original]

Le conteur ne parle pas en « cases » bien sûr, mais chaque phrase qu’il ajoute à son récit devrait idéalement susciter une image mentale distincte pour le spectateur.  Donc, les liens entre ces phrases fragmentées créeront différentes logiques narratives.  McCloud présente six types d’ellipses entre les cases qui m’apparaissent pertinentes aux contes et qui mériteraient sans doute d’être expérimentées à l’oral:

  1. De moment à moment
  2. D’action à action
  3. De sujet à sujet (changement de focalisation: une image de fusil qui tire… suivi d’une image de coureurs qui partent)
  4. De scène à scène (« pendant ce temps… »)
  5. De point de vue à point de vue (les yeux du « bon », puis les yeux du « méchant »)
  6. Solution de continuité (où deux cases représentant des images qui ne semblent pas avoir de liens entre elles finissent pas en avoir parce qu’elles sont juxtaposées)

Conclusion
Lorsque l’on affirme que le conte est un art des images, plus près du cinéma que de la littérature, peut-être faudrait-il commencer à rapprocher le contage d’une autre façon de raconter des histoires par le visuel…  Il est peut-être plus simple de voir un conte en cases distinctes qu’en plans séquences toujours en mouvement.  Pensons à tous les conteurs qui dessinent des scénarimages (storyboards) de leurs histoires.  Il me semble qu’on est plus proche du surgissement d’images schématiques de la bande dessinée que du réalisme photo des films.  Mais j’imagine que ça dépend de la façon de conter de chacun…

 

 

 

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