Des filles à l’amer

J’ai négligé ce carnet.  Et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à dire…

D’abord, spectacle de Nadine Walsh, auquel j’assistais le 13 février dernier.  Il y est question de corps féminins (qu’on révèle ou qu’on camouffle) sous l’emprise des regards masculins, de désir, d’honneur, de déceptions aussi…  De filles qui se jettent à l’amer de l’amour pour échapper à la condition qu’on veut leur imposer.  Un spectacle dont l’intensité reflète celle de sa conceptrice et interprète qui nous émeut de plusieurs prouesses.

Prouesse de l’écriture d’un spectacle de création.  Pour Nadine, dont c’était une première tentative  en ce sens (selon son blogue), le pari est gagné à mon avis.

Prouesse d’avoir conservé l’énergie, parce qu’elle doit finir ce show-là en lavette.  Ou du moins vidée émotionnellement (Intense, je vous ai dit…).  C’est le mot en anglais qui me vient: swashbuckling.  Ça swash et ça buckle en titi…  Cela écrit, j’ai toujours mon même questionnement  sur la durée et le rythme. Y’aurait-il fallu une pause?  Le show ne m’a semblé ni trop long ni trop court, mais j’aurais pris une respiration… avant de replonger plus attentif.  Surtout qu’il m’est apparu qu’une accalmie dans l’histoire le permettait bien.  Cela écrit, plusieurs autres spectateurs n’étaient pas d’accord avec moi.  Et c’est vrai qu’après la pause, il faut repartir la machine…

Prouesse d’avoir vraiment su conservé l’unité malgré la multiplicité des voix qui s’entrecroisent dans le spectacle.  Et ça n’allait pas de soi!  À travers la pléiade de personnages, d’accents, de niveaux de discours – de la narration au récit épistolaire en passant par le monologue -, vous me voyez satisfait et ravi que l’artiste reconnaisse volontiers qu’elle a « un pied dans le théâtre et un autre dans le conte ». Je m’assume comme puriste, mais j’aime surtout qu’une artiste soit très consciente des choix qu’elle fait et qu’elle les assume justement.

Unité, donc.  Quelqu’un disait: « On arrive bien à suivre les récits des deux femmes… »  J’ai ajouté, « il me semble que l’on arrive bien à suivre le récit des trois femmes ».  Parce qu’avec Anne Bonny et Mary Read, y’a Nadine Walsh sur le pont.  Y’a sa voix à elle qui résonne bien claire à travers tout le tumulte du spectacle.  Si les histoires des deux autres sont passionnantes, c’est celle de Nadine que je cherchais, traquais…  Voyeurisme?  Je pencherais plutôt vers une soif de comprendre la démarche.  Ce serait l’histoire d’une femme d’aujourd’hui qui cherche la résolution de la sempiternelle guerre des sexes dans des récits de capes et d’épées?

La voix de Nadine que j’aurais voulu entendre me raconter davantage… tout!  Son enfance, sa révolte face au machisme, pourquoi les destins de ces deux femmes – que l’on n’a pas pendues immédiatement avec leurs camarades parce qu’elles étaient enceintes (Brrr! J’en frissonne!) – la  fascinent autant…

Elle le fait, bien sûr.  Et avec ce panache, ce chien sans vergogne qui lui va si bien.  Mais à travers le fracas des sabres et le tonnerre des canons, avec de la fragilité aussi…  Y’a des moments de grâce, comme celui où, dans le non-dit de la cellule, on sent transparaître l’amitié entre ces deux femmes fortes qui ont tout perdu. C’est de ce ton intimiste dont j’aurais pris encore plus.  Le fait que l’on s’adresse à moi, particulièrement.  Que l’histoire devienne la mienne… par la conteuse.

Dis, Nadine?  Y’a de la houle qui monte.  Tu m’en raconterais une autre?  Juste pour moi?

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MAJ: Bon… Un autre toune qui ne veut plus partir (Troublant, compte tenu de la provenance).

Aux sombres héros [héroïnes?] de l’amer
Qui ont su traverser les océans du vide
A la mémoire de nos frères [de nos soeurs?]
Dont les sanglots si longs faisaient couler l’acide

Always lost in the sea

(Noir Désir)

2 réflexions sur « Des filles à l’amer »

  1. allô Jean-Sébastien,
    j’aimerais bien pouvoir aller entendre ce spectacle.

    Rien que le blogue de Nadine met l’eau à la bouche. Entre ce que je connais de cette belle artiste multiple, l’amitié (et l’estime !) que je lui porte, et ce que tu exprimes de ce show, ça remue ! Sûr qu’elle n’est pas du genre à faire les choses à moitié, notre NadJine. J’espère qu’elle le jouera en France, son solo !

    Sinon, j’en ai profité pour lire ton article sur le fait d’assumer. Je suis assez d’accord avec le parallèle sur la parentalité (même si un enfant a, selon toute évidence, infiniment plus de valeur qu’une histoire…). Pas de doute, une création, il faut l’assumer peu ou prou de la même façon qu’un enfant. D’ailleurs, elle aussi peut « faire son chemin », et évoluer en-dehors de l’artiste.
    Difficile de reculer, difficile d’assumer… D’autant plus quand on est gratifié d' »étiquettes » antérieures, qui jurent avec une nouvelle création. Cela m’est arrivé il n’y a pas si longtemps, quand j’ai mêlé de nouvelles histoires, plus mélancoliques ou plus dures, à mes histoires légères et merveilleuses habituelles. On m’a dit « elles sont très belles, mais alors, tu casses l’ambiance ».
    Et là, je me suis aperçue que l’on m’avait collé une étiquette « conteuse rigolote »… Qui, sensément, visait à m’interdire tout débordement de frontière. Alors, que faire ? Risquer le coup ? Me laisser influencer par les désirs des spectateurs ? J’ai beaucoup hésité.Aujourd’hui encore, je ne suis pas du tout sûre de moi. Mais voilà, je les aime, ces nouvelles histoires, je sens qu’elles sont à moi, qu’elles me vont bien, et que je ne mens à personne quand je les conte (ni au public ni à moi-même). Et je pense que c’est là que se situe la volonté d’assumer, d’affirmer sa voix. Ca rejoindrait presque, quelque part, la question du répertoire… La sincérité du choix. Ne mentir à personne. Qu’en penses-tu ?
    Belle journée,
    Alice

    1. Allo l’Alice,

      Selon les dates qu’elle publicisait cet automne, Nadine devrait retourner par chez vous en mai. Voir un de mes billets d’octobre dernier.

      Bon, je te l’accorde Limoges et l’Isère, c’est pas à la porte de la Bretagne, mais c’est tout de même plus près qu’ici…

      Pour ce qui est de s’assumer à travers le répertoire, ton histoire me fait penser à celle de Gigi Bigot qui a aussi vécu un cassure d’avec son public quand elle a arrêter de conter en patois. Les gens lui disait: « On a perdu notre Gigi » et elle ramait… Elle dit maintenant qu’il lui aura fallu passer par là pour trouver sa voix à elle.

      J’imagine qu’il y aura l’occasion d’en reparler dans ces espaces virtuels…

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