Les contes, c’est aussi pour les enfants…

Dimanche dernier, 1er novembre, 10 h 30 (le lendemain de la soirée d’Halloween et d’un changement d’heure!), je suis allé voir Philippe Sizaire et Zmala (duo de musique tzigane) avec toute la famille.

Le « toute » est important parce que depuis que mes enfants sont nés, j’avais bien hâte de les initier à cette passion qu’est la mienne.  Je leur ai bien sûr raconté des histoires, mais de ce côté là je suis loin d’être un papa-conteur modèle:  Les contes que je leur transmets sont le plus souvent écrits et je leur fais la lecture.  J’y mets l’intonation qu’il faut et je change ma voix de personnage en personnage, mais du point de vue des conteurs de tradition orale, ça n’est pas exactement ce que l’on a en tête quand on parle de « raconter des histoires à nos enfants »…  J’ai vu bien des conteurs (et c’est mon cas) éprouver un certain malaise devant les « Heures du conte » proposées dans les Bibliothèques municipales.  Pourquoi pas « L’heure de la lecture » puisque c’est bien de cela qu’il s’agit…

Je me suis risqué quelques fois, surtout avec mon plus vieux, à raconter (sans livre; ce que mon fils appelle « une histoire dans ta tête ») « Les musiciens de Brême » ou « Le taureau rouge » (un conte merveilleux pigé dans les collectes du Père Germain Lemieux en Ontario français) et même « Le grand-père marieur » une fois.  Par ailleurs, j’ai inventé sur le champs de nouveaux exploits de Bill-le-chat-bleu-qui-mange-des-biscuits-aux-pépites-de-chocolat.  Mais je ne suis pas à l’aise avec un public d’enfants, même s’il s’agit des miens.  Le fait est que depuis les six ans que je raconte, je peux compter sur les doigts les fois où la moyenne d’âge de mon auditoire était inférieure à vingt ans.  Je conte d’abord pour les grands.  Les thématiques des contes de mon répertoire, le niveau de langue j’essaie d’utiliser, l’aspect symbolique ou introspectif des péripéties ne me semblent pas convenir aux moins de douze ans.

Pourtant, Michel Faubert (et d’autres) nous disait bien que conter devant des enfants était extrêmement formateur.  Pas de fausse-politesse qui vient mitiger la « vraie » réaction.  Si tu ne captives pas ton jeune public, il va te le faire sentir assez vite merci…

Par ailleurs, je n’avais pas encore réussi à trouver un spectacle de conte qui s’adressait à aussi jeunes que mes enfants (ils ont tous deux moins de cinq ans).  Souvent, dans le milieu, on recommande de raconter à des publics de sept ans et plus.  Moins que cela et ils ont de la difficulté à garder l’attention.  Je connais cependant des conteuses qui content aux 3 à 5 ans avec des comptines, beaucoup de gestes, etc.

Donc en ce beau samedi matin, on sacrifie une partie des émissions de télé réglementaires et toute la troupe monte (en retard) dans la voiture en direction de l’Auberge La Caravane à North Hatley.  J’avoue avoir été nerveux…  Et s’ils n’aimaient pas ça?  Allais-je m’en remettre?

Rassurez-vous (pour moi), tout s’est très bien passé.  Les contes de Philippe n’étaient pas trop longs, mais très dynamiques, la présence de Zmala assurait qu’il y avait beaucoup d’ambiance et d’intermèdes musicaux.  Philippe faisait souvent interagir la salle.  Mon fils s’est montré on ne peut plus sceptique: « Non! » L’homme plus petit qu’un microbe ne pourra pas apprendre à voler.  « Non! » Il ne parviendra pas au bout de sa quête…  Mais au moins, on avait su capter son intérêt assez pour qu’il ait envie de participer.  Quant à ma fille, la musique l’a enchanté et elle s’est mise à danser.  Évidemment, ils gigotaient au bout d’une demi-heure, mais comme le spectacle ne dépassait pas l’heure, c’était tout à fait jouable.  Sur le coup, ils n’avaient pas l’air convaincus d’avoir aimé, mais depuis ils m’ont reparlé de certains contes.  Une graine de semée donc…

Outre la satisfaction paternelle de savoir qu’il y a de l’espoir pour ma progéniture, cette expérience m’a fait réfléchir sur cette qualité de relation avec le public.  Dans un autre régistre, Serge Valentin avec qui je contais pendant le Festival avait cette facilité d’« embarquer l’monde » que Philippe Sizaire déployait bien avec les enfants.  J’aimerais bien avoir ce talent…  Le plus souvent, je suis tellement dans mon histoire que je ne suis pas beaucoup avec le public.  Un idéal est bien sûr d’être à la fois dans l’histoire « il y a bien longtemps dans un pays fort lointain » ET « ici et maintenant » avec les gens qui nous écoutent.   Ce travail « relationnel » est quelque chose que je veux développer davantage.  Didier Kowarsky nous faisait travailler à être extrêmement conscient de tout ce qui se produisait autour de nous pendant le contage.  Ça demande de développer des yeux tout le tour de la tête…  Du reste, c’est pratique avec des enfants.

Assumer de s’assumer

Depuis quelques jours, je me débats avec le verbe « assumer ».  Selon le Robert, « prendre à son compte; se charger de » (du latin as-sumere, littéralement « prendre sur soi »), mais aussi « Accepter consciemment (une situation, un état psychique et leurs conséquences) ». « Synonymes: endosser, supporter ».  C’est un verbe que j’entends souvent dans le milieu du conte, comme dans « assume la fin de ton histoire » ou « assume la gravité de ton conte », etc.

En préparation de la Rencontre internationale sur le conte le week-end prochain, je visionne certains films de la marraine de l’événement, Micheline Lanctôt.  Pour comprendre la filiation avec le conte dans son oeuvre, bien sûr, mais plus simplement comme une occasion d’élargir ma culture cinématographique québécoise.   Or, tant dans Suzie (2009) que dans Le piège d’Issoudun (2003), il est question d’« assumer » son rôle de parent.  Une fois qu’on a donné vie à un enfant, on ne revient plus en arrière.  En est-il de même pour les artistes et les oeuvres qu’ils mettent au monde?  Est-ce qu’un conteur devient en quelque sorte le « parent » des contes qu’il adopte (ou des contes qui l’adoptent)?

Lorsqu’on me conseille d’assumer ma parole ou un choix artistique, y traverse me semble-t-il une notion de responsabilité associée à une décision prise. Toutefois, ce qui pourrait sembler un fardeau doit s’accomplir dans la légerté de l’aisance…

Une décision ou un choix se prend à un moment précis dans le temps.  Ensuite, le fil des jours, les circonstances, nos humeurs variables viennent constamment fournir de nouveaux paramètres qui influent sur cette décision initiale.  Pourtant, on devrait assumer ce choix jusqu’au bout.  Mes finales doivent être contées avec la même fougue que mes entrées en matière.  L’ordre des contes de mon spectacle ne peut constamment être remis en question, pas plus que je ne dois « adoucir » un sujet plus lourd dans une de mes histoires lorsque je sens un malaise dans le public ou dévier du choix de rester de marbre même si une péripétie peut paraître saugrenue.

Est-ce trop rigide? Y manque-t-il une flexibilité liée à cet art du conte que l’on veut « vivant », « dans le moment présent »?

Pourtant, il m’apparaît enrichissant de contempler cette idée de « supporter » le conte, de l’« endosser » avec conviction et assiduité au fil du temps et parfois envers les valeurs de l’époque.  Une autre dimension au titre de ce blogue?  J’aime à le penser.