Festivalier comblé

N’ayant ni à conter, ni même à être bénévole cette année, j’ai complètement profité du Festival Les jours sont contés en Estrie pour être le meilleur spectateur possible.  Je me suis généralement (ahem!) couché tôt, suis allé voir plusieurs spectacles mais pas tous (ah, les choix difficiles) et j’ai appris en observant.  Il faut dire que le fait d’être moi-même en processus de création aiguise le regard…

De Michèle Nguyen, je retiendrai la grâce, l’intensité qui fait vibrer toute l’assistance, les silences justes, porteurs, une écriture magnifique, brillante. Je la voyais pour la troisième fois et il me semble qu’elle a encore « grandi » dans l’efficacité de sa présence, la force de son contact avec le public.  Je retiendrai aussi la question d’un ami néophyte au conte: « Est-ce que ce n’était pas du théâtre? » Avec une marionnette (qu’elle manipule merveilleusement), quelques accessoires, une trame sonore, je pense que la question mérite d’être posée.  Conte ou théâtre, j’ai bien hâte de la revoir et de la réentendre.

De Jean-Claude Botton, je conserverai sa finesse à raconter tant aux adultes qu’aux enfants.  Son habileté à « mettre le public dans sa poche » par de très courts récits pour accrocher, établir le contact.  Les ritournelles, les jeux de mots et répétitions. Et puis la force des images qu’il se créé et qu’il nous donne à voir.  À un moment, il avait vraiment une lune dans l’oeil.

D’une conversation privilégiée avec Jihad Darwiche, j’ai bien compris que l’on peut toujours retravailler une histoire, la polir davantage et en retirer les entraves afin qu’elle « passe » mieux.   Retravailler un conte toute sa vie et même quand on est convaincu que la version collectée est sacrée. « Nous sommes des passeurs, il faut que nos histoires passent… » et « Si tu nourris souvent tes histoires, elles continueront à te nourrir ».  Et comme j’ai aimé réentendre les différentes versions des « Babouches d’Abou Kacem ».  Vive les contes gigognes des Mille et une nuits avec leurs emboîtements qui rendent intelligents!

De Naomi Steinberg, je retiendrai la voix grave, hypnotisante, enveloppante, qui m’a bercé par des histoires pleine de brume vancouveroise, dont une version coréenne magnifique de « L’oiseau de toutes les couleurs » et une « Fille curieuse » en visite chez une Baba Yaga nordique.

De Jean-Claude Bray, je constate l’importance de se connaître et de conter ce qui nous colle à la peau.  Comment ce petit homme à la voix nasillarde et à l’air (mais seulement l’air) absent parvient-il à choisir des histoires qui lui vont aussi bien et à dégager un tel charisme?  Il y a là un mystère et une ruse qui me mystifient.

D’Agnès Chavanon, je garde la construction de son spectacle sur les loups où elle mêle histoires traditionnelles, anecdotes imaginaires et véridiques, de même que récits contemporains qui rejoignent tous la même thématique.  J’ai bien aimé ce mélange de narrations autour d’un même thème.  C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon spectacle sur les au-delàs, mais j’aurais aimé aller encore plus loin.

De Serge Valentin, je me souviendrai longtemps d’une conversation à bâtons rompus où nous avons chacun défendu nos positions et découverts des points d’accord.  Je retiendrai son besoin d’être « farouchement libre » qui l’amène à se former en autodidacte et à se méfier des écoles artistiques.  Après cet échange, aux petites heures du matin, j’ai écris pendant une demie-heure.  Un texte sur la formation des conteurs a commencé à prendre forme.

Un beau festival, une édition que je vais chérir pour longtemps.

Flying Coach 5: affiner le regard

À trois semaines de l’exercice public, les invitations sont lancées et le temps est venu de faire le point…

D’abord cette nouvelle façon de nommer cette « représentation-test d’évaluation »:  exercice public.  Ça vient de Mme G. qui a utilisé cette formule dans son propre travail…  Lorsque l’on prépare un exercice public, l’angle d’approche n’est plus le même.  Le travail ne se fait plus en fonction de la date de représentation.  Celle-ci devient une borne sur la route, un moment où recueillir des commentaires pour poursuivre la recherche.  D’un côté, ça peut sembler décourageant : Y’a encore tellement d’aspects à travailler.  On a l’impression qu’on n’y arrivera jamais.  D’un autre, ça dédramatise le tout : ce spectacle-là n’est pas l’aboutissement du processus.  En même temps, l’échéance du rendez-vous prochain avec les spectateurs créée une tension qui fouette et encourage à aller de l’avant.

Les rencontres avec Mme G. se poursuivent et amènent toujours de nouveaux apprentissages.  Dans les dernières semaines, il y a eu notamment une séance de travail sur la thématique du regard qui fût extrêmement féconde.

Le local où l’on travaille habituellement étant occupé, nous avons donc dû nous déplacer vers une salle beaucoup plus vaste.  Ça fait changement et c’était tout désigné pour le travail à faire :  Ça permettait de « voir loin et voir large » comme ils disent dans les cours de conduite.  Mme G. me demandait de me déplacer dans l’espace de repérer un détail, de le décrire, puis de m’en approcher où de m’en éloigner pour en changer la perspective et le décrire à nouveau. Dans les faits, je décrivais en « zoom avant » ou en « zoom out », ce qui m’a semblé très intéressant pour enrichir les descriptions.  Elle m’a fait raconter en marchant sur une ligne du plancher, tout en voyant la scène se déplacer autour de moi.  Cela créait de mon point de vue une impression de « traveling » pour poursuivre l’analogie cinématographique.  Ensuite, j’ai rebroussé chemin pendant la seconde partie du récit où le héros défait ses pas.  Compte tenu de la structure assez linéaire de plusieurs récits traditionnels, j’y ai vu un exercice particulièrement intéressant pour le contage.  Y’a eu aussi cet exercice mémorable où elle me « commandait » divers types de regards (« scruter », « dévorer des yeux », « darder du regard », etc.) et où je devais obtempérer rapidement.  Difficile, mais très riche.  Je vous mets au défi de communiquer par vos seuls yeux la différence entre « accompagner » et « suivre » du regard…

Y’a eu la semaine où, emportés par nos discussions après le travail, on n’est pas sorti de la salle avant minuit trente…  si bien que je me suis couché à 1 h du matin.  Difficile d’expliquer à ma conjointe que le travail sur le conte soit si… prenant!  Heureusement qu’il y avait congé le lendemain.

Y’a eu celle où, ayant reçu une mauvaise nouvelle un peu assommante au bureau, je n’avais pas le cœur à la pratique.  Si bien qu’on s’est assis et qu’on a jasé toute la soirée. On a surtout parlé de conte tout de même (notamment de la position délicate où je me trouve pour critiquer le travail des autres, alors que je suis moi-même en plein processus de création), mais on a aussi réinventé le monde.

J’ai pris l’habitude d’arriver à nos rencontres une heure avant Mme G. pour me réchauffer : des étirements, quelques pas de danse (vive Paul Simon!), un peu de taï chi, des vocalises.  Bref, pour me reconnecter avec mon corps. Parce qu’il est devenu clair que « mieux conter » passe d’abord pour moi par mieux habiter cette « maison de la parole » comme l’appelle Mme G.

À cet égard, il m’apparaît important de mentionner l’apport indéniable de la vidéo à notre travail.  Mme G. me filme racontant.  Maintenant que l’on commence à enchaîner le spectacle, nous visionnons ensemble ce qu’elle a capturé et en discutons. Passé le malaise de se regarder à l’écran, les images du travail sont un révélateur puissant.  Dès le début du processus, j’ai parlé du coaching comme d’un travail en miroir, alors que la coach nous renvoie les points positifs de ce que l’on présente, mais également ce qui est moins flatteur.  Ses commentaires pendant que je pratique sont toujours aidants, mais je suis justement en train de faire et ne peux y accorder toute mon attention.  De même, les commentaires a posteriori se butent souvent à la mémoire qui a déjà oublié ou au fait qu’on n’était pas suffisamment attentif à ce que l’on faisait au moment où ça s’est passé. De voir la même chose que Mme G., assis à ses côtés, me permet de me concentrer sur ses commentaires et facilite ma compréhension de ce qu’il faut améliorer.  Il faut dire que j’ai sous les yeux ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, notamment au niveau de la posture et des gestes.  Ce qui est juste ou ne l’est pas crève l’écran.

Ainsi, je dois briser cette immobilité des pieds et des jambes qui me fixe sur scène.  Je veux « habiter » ma gestuelle afin d’éliminer les parasites (par exemple, cette tendance à « hacher » de la main droite ou gauche quand je conte), mais aussi de prendre le temps de dessiner les gestes, de les compléter.  J’aimerais aussi développer une meilleure conscience de mon corps dans l’espace parce que, dans le moment, je ne m’aperçois même pas que je change peu à peu de place en contant.  Par exemple, si je fais un pas vers l’avant pendant une histoire, je ne reviens pas nécessairement en arrière, si bien que je finis par me retrouver dans le public…  De même, j’aimerais conter davantage à partir de mes tripes (moins de la tête), afin de mieux respirer et de baisser ma voix haut-perchée d’un demi-ton.

Tout cela d’ici trois semaines?  D’où la nécessité de voir l’exercice public comme une étape parmi d’autres du work-in-progress

Flying Coach 4: prendre conscience

Vendredi soir dernier, j’ai conté à un spectacle-bénéfice pour Haïti à Mont-St-Hilaire.  Voici quelques notes gribouillées le lendemain matin:

Encore une fois j’y étais… mais pas tout à fait.  J’ai de la difficulté à même me rappeler de comment je me sentais.  Pour moi, c’est déjà signe que je n’y étais pas complètement.  Pas assez présent.

C’est vrai que je suis passé à la fin de la soirée, le huitième conteur.  À ma demande, d’ailleurs.  Je ne me voyais pas conter ça ailleurs dans le show.  Marc-André m’a présenté.  Je me suis levé de ma place et, regardant par terre, je me suis rendu à l’avant.   Je suppose que j’avais les épaules voutées. Pas beaucoup de verticalité dans ma posture…

J’ai salué le public et, toujours en regardant par terre, j’ai tenté de justifier ce que j’allais conter.  Que, compte tenu de l’occasion, j’avais l’impression qu’il fallait que ce soit fait avec bonne humeur, mais aussi le respect.  J’ai fini par les regarder, leur ai souri, ai respiré, puis je me suis mis à conter « L’homme à la fin du monde et l’enfant », un conte qui me boulverse toujours autant.  [Surtout qu’il y avait le cheval blanc qui me trottait dans la tête depuis quelques jours…]

J’ai pris conscience encore une fois d’avoir accéléré vers la fin, d’avoir monté d’un octave et d’avoir senti que je manquais de souffle.  Le temps de m’en apercevoir, le conte se terminait et je n’avais pas eu le temps de me poser, le temps de respirer.  Je réalise maintenant que je respirais de la poitrine plutôt que du ventre.  J’étais un peu dans ma tête, mais surtout j’étais dépassé par l’émotion.

Ce n’était probablement pas trop désagréable à écouter, mais c’était désagréable pour moi de ne pas avoir pris le temps de savourer la fin de mon histoire.  Pas ma pire fois… Certainement pas ma meilleure.

Je pense que j’entre dans la phase où « tout ce que je faisais est assez déconstruit pour que je ne le fasse plus naturellement »…  J’ai perdu certains repères, mais je n’ai pas encore eût le temps de m’en bâtir de nouveaux.  Je suis « self-conscious ». Intimidé.  Il me semble être balourd, maladroit.  Mes gestes et ma tenue ne semblent pas naturels.  J’imagine que ça fait partie du processus pour s’améliorer, mais c’est pas évident à traverser…

Flying Coach 1: trac

Début demain soir de mon travail coaché en préparation de mon premier spectacle solo « officiel ».  Une quinzaine de rencontres semi-hebdomadaires avec Mme G. jusqu’à la représentation début mai. Un programme ambitieux:  travail sur la constance, l’énergie, les tics, le regard, le rythme, etc.  J’ai hâte de commencer, bien sûr, mais je vis aussi pas mal d’anxiété.  Un peu de trac à me demander ce que je m’en vais faire dans cette galère…  C’est sûr que ce serait plus facile de passer mes prochains mardis et mercredis soirs à écouter la télé ou à me coucher de bonne heure pour être en forme le lendemain au bureau.

Un ami conteur me souhaitait de l’inspiration.  Si l’adage qui veut que l’art soit 10 % d’inspiration et 90 % de transpiration a du vrai, je pense que j’en suis à la seconde partie.  Le show est monté (les contes sont choisis, les liens partiellement bâtis – d’autres surgiront je suppose), le vrai travail commence.  Si j’ai un tant soit peu d’intégrité artistique, et compte tenu de toutes les personnes que j’ai critiquées (le plus souvent à leur demande – je m’excuse pour les autres), je me dois d’être aussi exigeant envers moi-même.  Le fait est que j’ai une tendance naturelle à être paresseux…

Je ne m’en vais pas à un programme d’entraînement pour un match de boxe ou une compétition olympique, pas plus que je ne m’en vais en thérapie. Reste que j’ai bien l’impression que je vais être mis en face de choses de moi que je n’aime pas particulièrement.  Des manières de faire, de me tenir et de dire qu’il ne sera pas toujours évident de détricoter.  C’est pour ça le coaching, pour le miroir.  Y’aura sûrement des moments où je vais me demander si le jeu en vaut la chandelle, si je ne me prends pas pour le conteur que je ne suis peut-être pas finalement.

Je vais tenter de tenir ici le journal de ce travail en route vers un spectacle.   Toujours dans l’optique de ce blogue: Pour moi d’abord, pour réfléchir à ce qui se passe; prendre du recul.  Mais avec vous…  Pour ce que ça peut susciter d’échanges et de réactions.  Un oeil dans les coulisses d’un show à venir, en somme. Possible que je ne vous réponde pas toujours parce que je serai dans le processus, mais je lirai tout.  Je m’en fais un devoir.

Souhaitez-moi donc de la persévérance.