Tenir conte

Les rapports entre le conteur et son conte, selon Jihad Darwiche

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J’ai lu cet automne Le conte oriental de Jihad Darwiche (coll. « L’espace du conte », éditions Édisud, 2001) .  Si le livre contient de l’information intéressante sur la place du conte dans la culture libanaise, ainsi que plusieurs jolies histoires (dont celle, très belle, de « Antara ibn Chaddad » qui me touche particulièrement…) ce sont surtout les dernières pages que j’ai retenues.  Il est beaucoup question de la relation entre le conteur et ses contes.

Jihad parle souvent du « feu » qui l’habite pour ses histoires.  On sent ce feu dans les citations qui suivent…

J’ai dû faire un effort pour ne pas tout recopier tant il y a de passages pertinents.  Je continue à voir des conteurs qui s’obstinent à raconter des histoires qui leur correspondent peu ou pas, des conteurs qui se servent du public pour se mettre en valeur ou qui maltraitent leurs histoires… Parfois, sous le couvert de contes ou de récits de vie, une personne partage quelque chose qui lui est tellement personnelle qu’on se sent mal à l’aise comme spectateur, voyeur captif…

« Le conte est un terrain de liberté… […] Cette liberté doit être respectée entièrement malgré notre désir légitime d’être accepté d’un bout à l’autre par ceux qui écoutent.  Le conteur ne doit pas exercer de pouvoir sur celui qui l’écoute mais simplement partager avec lui un moment, une émotion et susciter chez son auditeur de venir le rejoindre. » (p.136)

« Le conteur doit servir son conte, mais il doit surtout l’aimer.  Il est très difficile d’offrir un cadeau que nous-même nous n’aimons pas.  Cela se sent et se voit très vite et empêche le charme de s’installer. » (p. 136)

« …Les contes sont plus importants que les conteurs.  Je crois que cette notion est toujours essentielle et qu’un conteur doit être au service de son conte et non le contraire.  Ceci implique qu’il doit donner à son conte le meilleur de lui-même, qu’il doit s’en sentir responsable. » (p.136)

« Lorsqu’il raconte, le conteur ne souhaite pas être beau, mais il formule ce souhait pour son conte.  ‘Que mon conte soit beau, disent les Kabyles, et qu’il se déroule comme un fil.’ La beauté du conte embellit le conteur, le contraire est rarement vérifié. » (p. 136)

« C’est tout le chemin que l’on fait, qui nous implique et parfois nous transforme, qui rend notre conte plus beau, plus vivant et plus intéressant à partager. » (p. 138)

« Un conteur aime souvent son conte avec passion; il le porte comme une femme porte son enfant; et pourtant, il faut qu’il arrive à s’en détacher un peu pour le raconter. » (p. 137)

Liberté, amour, beauté, service, détachement: des notions que nous aurions intérêt à cultiver comme conteurs .  Ne pourrait-on pas les résumer par l’idée de RESPECT (pour soi, pour ses contes, pour son public)?

De la difficulté de choisir ses histoires

Pour moi qui me préoccupe de la question du répertoire, le passage suivant sur la façon dont on choisit ses contes m’apparaît très précieux…  L’idée que, parfois, on veuille conter un conte qui ne nous « va pas » me semble très juste.  Il faut alors avoir la sagesse de le laisser de côté.  Parfois d’y revenir, parfois de se contenter de l’écouter…

« Quel conte choisir?

Un conteur ne sait pas toujours pourquoi il a choisi tel conte ou tel autre.  On a l’habitude de dire que c’est le conte qui choisit son conteur.  En tous cas, le choix se fait essentiellement par le cœur et par le ventre. La tête ne joue qu’un rôle secondaire.

Le conte prend le conteur aux tripes et il ne le lâche plus.  Quand il s’endort et se réveille avec lui, le conteur sait qu’il a trouvé son conte. On ne raconte un conte que par amour et c’est cette histoire d’amour qui permet que nous puissions le partager.

Mais ne faut-il pas qu’il nous aime à son tour? Si un conte s’obstine à ne pas s’installer dans le cœur d’un conteur c’est qu’il a ses raisons.  Il faut accorder au conte la liberté de choisir lui-même le conteur.  Un conte qui est beau dans la bouche d’Untel ne l’est pas nécessairement dans la bouche d’un autre. Et un conte qui nous boude aujourd’hui peut parfaitement nous sourire dans un an ou deux.  Ce que nous sommes, ce que nous vivons, ce que nous avons envie de dire à un moment donné, tout cela forme le terreau dans lequel tel ou tel conte veut bien s’installer.  S’obstiner à vouloir raconter un conte parce qu’il est beau dans la bouche de tel conteur n’est pas forcément une bonne idée. Faisons confiance au conte.  Faisons le pas vers lui, mais s’il refuse de faire un pas de son côté, respectons son choix. »  (p.140)

Une lecture importante, à n’en pas douter.  Une idée de cadeau de Noël, peut-être…

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