Tenir conte

Des jeux pour jouer à conter (3/3)

[Je termine ma série de billets sur les jeux qui font conter pour donner des idées cadeaux.  La série commence ici et se poursuis .  Aujourd’hui, je traite des jeux que je n’ai pas eu la chance d’essayer, mais dont je dispose et que j’ai lu.  Si quelqu’un se porte volontaire pour être cobaye, je suis toujours prêt à remédier à la situation… Je termine enfin par des jeux dont j’ai pris connaissance mais qui ne se sont pas rendus à moi.  Père Noël?]

Jeux jamais essayés, mais en ma possession:

Do : Pilgrims of the Flying Temple (Evil Hat Productions):

Jeu très joli et sympathique de belle production (couverture rigide, quelques illustrations en couleurs et plusieurs magnifiques esquisses noir et blanc).  Le jeu a bénéficié d’une campagne de socio-financement pour voir le jour en 2011. Il se définit comme un jeu de contage collaboratif (Cooperative Storytelling Game) « à propos d’aider les gens et de se mettre dans le pétrin ».

Les pèlerins du Temple volant sont de jeunes moines qui viennent en aide à quiconque les interpellent au moyen de lettres envoyées mystérieusement au Temple.  Les joueurs vont incarner ces moinillons un peu écervelés, mais pleins de bonnes intentions.  Les noms des personnages, composés de deux particules, reflètent cette aptitude à aider… et à se mettre les pieds dans les plats!  Par exemple, le pèlerin Chat Endormi aide les gens grâce à son agilité, mais à tendance au sommeil aux plus mauvais moments.

L’univers de jeu, assez onirique, est un monde aérien composé d’îlots de terres ou planètes entre lesquels les pèlerins volent littéralement au secours des rédacteurs des lettres d’aide.  Outre des myriades d’oiseaux, des baleines volantes et des montgolfières traversent le ciel.  Le petit prince de St-Exupéry est cité comme une source d’inspiration.

On s’éloigne des jeux de rôles traditionnels parce que la personne qui exerce la fonction de meneur de jeu change à chaque tour.  Un joueur meneur va expliquer en une phrase comment son pèlerin tente d’aider quelqu’un.  Les autres joueurs, appelés Fauteurs de trouble (Troublemakers), vont expliquer à leur tour comment cette action bienfaisante génère plusieurs conséquences problématiques.  Puis, un autre joueur devient meneur, alors que le premier devient Fauteur à son tour et ainsi de suite.

Je vois Do comme un superbe jeu d’initiation.  Bien que l’on mentionne « 12 ans et plus », je crois que des enfants plus jeunes pourraient s’y essayer.  La mécanique des lettres demandant de l’aide simplifie beaucoup les scénarios.  Il n’y a pas de statistiques complexes, mais des conseils pour réussir le travail – toujours difficile – de construire une histoire ensemble.  Un système de pierres blanches et noires créé parfois l’élément aléatoire, mais cela me semble secondaire. Daniel Solis, le concepteur, a aussi créé un jeu pour plus jeunes intitulé Happy Birthday, Robot! (Joyeux anniversaire, Robot!) dont je suis assez curieux et pour lequel la une traduction bénévole en version de travail est accessible en ligne.  Une traduction française de Do serait également en préparation.

Contes ensorcelés (Neko Corps.)Un jeu d’Antoine Bauza qui remonte tout de même à 2005.  Ici, on est dans du jeu de rôle plus classique, version initiation.  Les joueurs sont des « p’tites sorcières » et des « p’tits mages » qui apprennent à maîtriser leurs pouvoirs dans un monde plat (et à deux faces) appelé le Pièce-Monde.  La résolution des actions se fait avec des dés à six faces. On surfe ici sur l’engouement pour Harry Potter (balais volants, familiers animaux, etc.), mais c’est devenu un point de référence incontournable pour les enfants.

En 46 pages, dans un mince livret plutôt aéré, c’est très honnête comme travail de synthèse.  J’ai lu des jeux d’initiation qui ne réussissaient pas à simplifier aussi élégamment le loisir rôliste.  Seul détail qui m’agace: sorcières et mages ne disposent pas des mêmes pouvoirs.  Les sorcières apprennent leur art de mères en filles et ont un « lien privilégié » avec le Pièce-Monde.  Les mages vont dans un Collège de magie.  Ça permet bien sûr une variété de sorts et l’auteur précise qu’un garçon peut jouer un personnage de « p’tite sorcière », mais je comprends mal cette division sexiste des types de magie. Une extension à Contes ensorcelés existe.  Par ailleurs, je découvre que Bauza a commis en 2008 Nains & jardins dont la prémisse « humoristiquo-écologique » m’attire…

The Extraordinary Adventures of the Baron of Munchhausen (Hoghead Publishing):
Ah, ce cher baron!  J’ai déjà écrit combien je l’appréciais.  Avec tous ses exploits, il fallait bien qu’il nous ponde un jeu!  Écrit à la première personne en plus (sous la plume de James Wallis) et avec des illustrations de Gustave Doré.  Inutile de dire que le ton de ces 24 pages en deux colonnes écrites tout-petit est désopilant.

La compagnie britannique Hoghead n’existe malheureusement plus, mais elle s’était donné le mandat de repousser les frontières du jeu de rôles avec sa gamme « New Style ».  Des copies du jeu sont encore disponibles sur Amazon. Dans le cas de ces Aventures extraordinaires, le jeu est si pertinent pour les conteurs que je m’en voudrais de ne pas en parler. On parle de « Superlative Role-Playing Game« , mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est un jeu de menteries. Les joueurs incarnent des nobles du 18e siècle qui se racontent à tour de rôle leurs exploits plus invraisemblables les uns que les autres.  Si l’un des convives venait à mettre en doute la véracité du récit du conteur, celui-ci peut bien sûr répondre et intégrer l’objection à son récit.  Toutefois, si le sceptique persiste, un système d’enchères (avec des pièces d’or) permet de résoudre la dispute.  L’autre trait distinctif de ce jeu est qu’il doit se jouer en consommant des vins d’excellentes qualité, ce qui en fait l’un des rares jeux de contage « à boire » que je connaisse!

To play my game, you will require three of more stouts friends, preferably of noble or at least gentle birth; a table; several chairs; a copious supply of drinks, preferably with a charming wench to serve it…

PANTHEON and other role-playing games (Hoghead Publishing)Toujours dans la ligne « New Style », ces cinq jeux en 24 pages sont écrits par Robin D. Laws d’après un système qu’il nomme le « Narrative Cage Match » (ou lutte narrative en cage), ce qui suggère clairement une compétition narrative.  Ici aussi, les joueurs ajoutent à tour de rôle des phrases à l’histoire qui doivent concerner leur personnage, mais jamais plus d’un autre personnage à la fois.  Si un autre joueur n’aime pas le plus récent développement du récit, il peut contester.  S’ensuit une joute d’enchères où le gagnant peut substituer sa phrase à celle qui avait été contestée.  Les jeux sont Grave and Watery (horreur sous-marine), Boardroom Blitz (jeux politiques dans la haute finance), The Big Hole (mafia), Destroy All Buildings (monstres géants japonais), Pantheon (création de l’univers).  La notion de genre narratif est capitale ici puisque les joueurs marquent des points lorsqu’ils réussissent à introduire dans l’histoire divers clichés et éléments caractéristiques du genre concerné.  Par exemple, un Narrative Cage Match western attribuerait des points pour les duels en pleine rue, les bagarres de saloon ou les pendaisons à l’aube.

Un aspect intéressant de ces jeux, c’est que l’auteur insiste qu’il s’agit d’un jeu de rôles, alors qu’on s’en éloigne sensiblement…

…Some people get all tangled up in definitions of what is and isn’t a roleplaying game. We also call the five games in this book roleplaying games in ordre to annoy these people. In you see anyone getting hot and bothered over this issue on the Internet, be sure to mock them for us.

Disons que je me sens un peu visé…

Over the Edge (Atlas Games)Un jeu de forme plus traditionnelle développé par le génialissime Jonathan Tweet (créateur d’Everway) avec Robin D. Laws (Pantheon).  J’en parle ici parce que le jeu marquait en 1992 (1997 pour la seconde édition) une volonté nette de se débarrasser des nombreuses chartes et tables chiffrées des jeux de rôle des années 1970-1980 au profit d’une création de personnage par « concepts » avec des « traits » et des « défauts » décrits par des phrases plutôt que des nombres.

Le genre est aussi assez différent des jeux médiévaux-fantastiques ou de science-fiction classiques, comme Donjons et Dragons ou Traveller.  Over the Edge fait pénétrer dans l’univers glauque des conspirations, sociétés secrètes, extra-terrestres, schizophrénies sous psychotropes et autres décalages par rapport au réel à la X-Files, Twin Peaks et Naked Lunch.  On parle d’un jeu de « danger surréel » (surreal danger).

Les personnages débarquent sur Al Amarja, une île fictive totalitaire en plein Méditerranée où les lois anti-vices sont cependant très lâches et les savants fous trop présents…  Sans vouloir révéler indûment certains secrets, des scénarios proposés dans le jeu sont assez ambitieux pour poser de front la question du fonctionnement des jeux de rôles, ce qui m’impressionne beaucoup.  Une version française du jeu, intitulée Conspirations, est parue dès 1995.  L’île est déplacée vers les Bahamas pour plus d’exotisme.

Jeux que j’aimerais avoir (par curiosité ou désir dévorant):

StoryWorld Create-a-Story Kit (Templar Publishing): Bien que cela ressemble à d’autres jeux de cartes déjà évoqués (Contes à la cartes, Il était une fois…), je veux ce jeu. Les cartes sont grandes, les illustrations semblent magnifiques et j’aime bien l’idée que des symboles aient été cachés dans ces dessins qui permettent de faire de nouveaux liens entre les cartes pour construire d’autres histoires (« Many of the cards have hidden clues that link them to other cards. » J. Liu).  Par ailleurs, on retrouve des questions à l’endos pour stimuler l’imagination comme dans les cartes de vision d’Everway.

Tarot des 1001 contes (L’école des loisirs): Ce jeu de Francis Debyser qui date de 1977 doit être difficile à trouver et il a peut-être mal vieilli, mais il m’intéresse parce que c’est un peu l’ancêtre en France.  J’ai lu qu’on en a critiqué le graphisme qui, s’il est simple, me parle. Intérêt du collectionneur, quoi.

 

The Storymatic (The Storymatic)On se rapproche plus de l’outil pour écrivain que du jeu.  Storymatic compte plus de 500 cartes, réparties en cartes dorées (caractéristiques de personnages: « dentiste ») et cuivrées (situations: « enfin l’amour »).  C’est si simple qu’on aurait pu le faire soi-même, mais c’est ce M. David Mooney qui l’a commercialisé.  Bien que ça ne soit pas faux, je me méfie un peu de ces kits vendus comme des solutions aux problèmes d’inspiration, il me semble que ça enlève un peu du plaisir ludique.  Le plus drôle, c’est qu’on vend la boîte comme No wires. No screens. No batteries.  C’est le conteur Mike Burns qui disait que le conte est la forme d’art qui résiste à la panne d’électricité.  Il existe des versions « enfants » et « historique » du « jeu ».

Fictionnaire (Days of Wonder): Pas vraiment un jeu de conte, mais un jeu de bluff. Le jeu du dictionnaire version commerciale, en quelque sorte. Outre le fait que l’on puisse développer sa créativité en inventant des définitions, ce qui me titille c’est le fait qu’il y a une extension Tall Tales (Incroyable… ment vrai en français). Pour un aperçu de la manière de jouer, voir cet article.

Conteur de pipes (Ludik Québec) : J’en suis surtout curieux parce qu’il s’agit d’un autre produit québécois qui fait conter.  Mon intérêt est mitigé puisque l’on y favorise la menterie assez réaliste pour être crûe plutôt que l’imaginaire débridé.

 

 

 

 

 

Billets précédents: 

Jeux de conte

Jeux perpendiculaires (pas directement pour conter, quoique…)

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