Amis chantez, amis chantons, les aventures du baron…

Y’a des bouquins pour différentes saisons.  Le temps des fêtes m’aura permis des lectures de coin de feu:  stimulantes, mais tout de même chaleureuses et réconfortantes.

D’abord, Aventures du baron de Münchhausen – avec illustrations de Gustave Doré – dans la collection Folio Junior de Gallimard (chouette de trouver des livres pour soi quand on cherche pour un cadeau d’enfant!).  J’avais vu des films et des dessins animés, mais jamais lu les aventures du célébrissime baron dans le texte.

Première constatation, c’est un must pour quiconque s’intéresse aux tall tales (mais voir aussi la définition Wikipedia). Vous savez, ce genre de conte superlatif où les exploits du héros deviennent si exagérés qu’on frôle et parfois qu’on saute à pieds joints dans le fantastique, voire l’absurde, créant sciemment du légendaire. Disons que le baron n’a rien à envier aux Paul BunyanJos Monferrand (apparemment traduit par Big Joe Mufferaw en anglais!) et autres Capitaine Bonhomme de ce monde.

J’apprends d’abord que le monsieur a réellement existé (1720-1797). J’aime bien quand la fiction rejoint la vie réelle.  Allemand, il aurait été officier à la solde des russes. Il aimait bien raconter ses exploits et les exagérer un peu, mais il semble qu’il aurait été mécontent de tout ce que ses chroniqueurs y ont ajouté.

« [Il] n’a pas seulement voyagé assis sur un boulet de canon. Il a aussi chassé le lièvre à huit pattes, monté un cheval coupé en deux, dansé la gigue écossaise dans le ventre d’un poisson, dispersé la flotte du sultan de Constantinople, chevauché au fond des mers, vécu parmi les ours polaires, voyagé sur la lune. » (extrait du quatrième de couverture)

Au Québec, cette tradition où le narrateur parle à la première personne et décrit ce qui lui est arrivé avec hyperboles s’appelle de plus en plus « menteries » (comme dans « concours de… »).  Ce n’est pas un genre où je me sentirais personnellement à l’aise, mais le baron en maîtrise toutes les subtilités.  Par exemple, il s’offusque d’avance qu’on puisse mettre en doute la véracité de son récit.  Il va jusqu’à préciser qu’il pourrait raconter des sornettes, mais que cela ne se fait pas en bonne société.  Il admet que certaines parties de ces histoires sont difficiles à croire et, du coup, il ajoute une partie plus invraisemblable encore pour donner l’impression que les premières étaient somme toute « bien raisonnables ».

Les sceptiques seront… pas contents, mais c’est une très sympathique lecture où l’on ne se casse pas la tête et où l’on sourit beaucoup.  Les illustrations de Doré sont tout simplement suaves.

De Brême à la Nouvelle-Orléans: le dosage des épices

Soirée de contes de Grimm samedi soir au profit de l’école « Les enfants de la Terre ».  Depuis le début du projet concocté par Hélène Normandeau (au printemps dernier?), j’avais choisi de raconter « Les musiciens de Brême » que j’avais fait quelques fois devant des enfants.  (Un jour, j’apprendrai « Le maître voleur » que j’adore aussi, mais ça fait quelque fois que je m’y essaie et je n’arrive pas à le rendre fluide.)  Sauf que plus nous approchions de la soirée, plus j’avais envie de faire quelque chose de différent avec ce conte tout de même assez connu des fameux frères folkloristes.

Il y a quelques semaines, j’avais décidé que, peu importe le public, je ferais participer les gens autant que lorsque je raconte devant les enfants.  Par exemple, à chaque animal présenté, je demande: « Quel bruit ça fait un âne? Un chien? Un chat? Un coq? »  À chaque instrument, je demande: « Il voulait jouer du tambour.  Qu’est-ce que ça fait un tambour? »  Déjà, pour moi ce niveau d’implication du public est assez nouveau (voir mon billet précédent).  J’avais déjà fait un travail préparatoire en 2007 où j’avais réfléchi à comment se comportait chaque animal, où il dormait la nuit, ce qu’il mangeait, etc.  Déjà, je prenais certaines libertés avec les instruments:  Le conte original fait rêver l’âne de jouer du luth et au chien de frapper les timbales.  On ne précise pas de quoi jouera le chat, mais on sait que le coq chantera.  Pour moi, un âne doit  jouer de quelque chose de percussif, alors que le chien peut avoir entre les pattes un accordéon ou un instrument à vent.  Cependant, il est clair que le chat doit « gratter » quelque chose…

Mais voilà que vendredi (moins de 48 heures avant de conter!), je me mets à avoir envie d’autre chose…  Le goût de repenser la recette, de faire différent.  C’est tard, mais c’est jouable…  Le spectacle est à 20 h.  Le public sera surtout composé d’adultes.  Je veux leur en donner « plus », sans trop savoir encore ce que ce sera.

Pour moi, les « Musiciens » parlent de notre société qui met à l’écart les aînés qui n’apparaissent plus « productifs » selon une étroite vision consumériste.  Chacun des animaux est mis de côté par son maître parce qu’il ne parvient plus à accomplir la tâche pour laquelle on l’a domestiqué (l’âne ne porte plus de lourdes charges, le chien ne court plus assez vite, le chat ne chasse plus les souris, le coq ne réveille plus la basse-cour).  En même temps, j’admire le caractère visionnaire (utopiste?) de l’âne qui donne à ses amis l’espoir qu’une nouvelle vie est possible au-delà de l’obsolescence qu’on a décrété pour eux.

J’avais donc eu envie de souligner ce message en racontant l’histoire de personnes âgées dont on ne veut plus dans différents secteurs où l’âgisme m’apparait criant (travail manuel, sport, sexe/beauté, showbizz).  Ces aînés laissaient tout derrière eux pour descendre en Floride, leur El Dorado (déjà, quel stéréotype!).  Chacune ayant une personnalité qui n’aurait pas laissé de doute quant à la correspondance avec un animal du conte original.

En même temps, je sentais confusément qu’en jouant ainsi avec l’histoire, je perdais la magie de la métaphore, le côté fabuleux qui permet d’effectuer des rapprochements sans moraliser.  J’avais donc eu la bonne idée de m’en abstenir…  Plus récemment, je m’étais dit que je pouvais conserver les animaux, mais leur attribuer des maîtres avec des métiers plus modernes.  C’est ainsi que le chien de chasse est devenu participant dans une course de lévriers (allusion au monde du sport professionnel où l’on brûle les jeunes athlètes et où l’on est « vieux » avant quarante ans).

D’autre part, le stage de création que j’ai suivi avec Bernadète Bidaude au printemps dernier m’avait inspiré une histoire bizarre où un jeune taggeur rencontre dans un wagon de train le fantôme d’un hobo noir qui joue de l’harmonica et se souvient de la Grande Dépression de 1929.  J’aime bien le jazz et le blues, mais je ne suis même pas un amateur éclairé.  J’ai lu un peu de Kérouac et de Steinbeck, mais pas assez pour que la figure de l’Itinérant ait prise sur mon imaginaire à ce point (du moins, c’est ce que je croyais jusqu’à tout récemment).

Pourtant, allez savoir pourquoi (les voies de l’inspiration sont impénétrables), je décide à moins de deux jours d’avis que mes animaux à moi ne se rendraient pas à Brême, mais à New Orleans (qui me parle davantage comme Mecque de la musique, personnellement).  Ils formeraient un Dixieland Quartet (le chat jouera du banjo et le chien de la trompette, c’est tout) et voyageraient à travers le Sud des États-Unis en pleine Crise.

Du coup, j’ai des images de bâteaux à aubes sur le Mississipi, de vagabonds dans des trains, de maisons closes luxueuses (qu’on appelle des cathouses, ai-je découvert), de marécages, etc.  Je pense à la conteuse estrienne Ann Rothfels qui fait une version de « Peau d’Âne » intitulée MossGown et qui se déroule aussi dans le Sud des États-Unis, mais sur les plantations de tabac et de coton Antebellum (XIXe siècle).

J’ai donc passé une partie de mon après-midi de samedi sur Wikipedia (les définitions de « Nouvelle-Orléans », « Mississipi », « Jazz », « Radio »,
« Greyhound Race », etc. ) et sur YouTube (pour des scènes du film Showboat de 1951, des extraits de Louis Armstrong chantant « When the Saints Go Marching In »). Vive Internet pour les conteurs à la dernière minute!  Évidemment, l’idéal serait d’y être allé, mais j’ai bien nourri mon imaginaire devant mon écran…

D’après les réactions du public (où il y avait finalement pas mal d’enfants) et les commentaires reçus, ça semble avoir bien fonctionné.  Je n’ai pas fait participer les gens autant que je l’espérais (je voulais les voir chanter « When the Saints… » en imitant le bruit des instruments des divers animaux), mais je pense que le récit a gagné de cette adaptation.  Contrairement à ma première idée qui l’eût appauvri, je pense que le décor contrasté (misère/ richesse; rêve musical/ réalité poussièreuse) et l’ambiance moite du Sud états-uniens conviennent à merveille aux « Musiciens ».   Traverser un marécage la nuit est bien plus inquiétant qu’une « simple » forêt.  Et le rêve de la Nouvelle-Orléans catalyse le tout.  En tous les cas, je m’y retrouve davantage et j’ai hâte de le raconter à nouveau.

Il y a longtemps que je me pose la question de l’adaptation et de la modernisation des récits:  Quand et surtout comment le faire?  Comment savoir quand il ne faut surtout pas toucher à une histoire polie par le temps?  Une des réponses est certainement liée à ce que les nouvelles épices apportent à la sauce (comme le dirait mon ami Marc-André Caron) ou à voir si elles n’en gâchent pas plutôt le goût original.

Les contes, c’est aussi pour les enfants…

Dimanche dernier, 1er novembre, 10 h 30 (le lendemain de la soirée d’Halloween et d’un changement d’heure!), je suis allé voir Philippe Sizaire et Zmala (duo de musique tzigane) avec toute la famille.

Le « toute » est important parce que depuis que mes enfants sont nés, j’avais bien hâte de les initier à cette passion qu’est la mienne.  Je leur ai bien sûr raconté des histoires, mais de ce côté là je suis loin d’être un papa-conteur modèle:  Les contes que je leur transmets sont le plus souvent écrits et je leur fais la lecture.  J’y mets l’intonation qu’il faut et je change ma voix de personnage en personnage, mais du point de vue des conteurs de tradition orale, ça n’est pas exactement ce que l’on a en tête quand on parle de « raconter des histoires à nos enfants »…  J’ai vu bien des conteurs (et c’est mon cas) éprouver un certain malaise devant les « Heures du conte » proposées dans les Bibliothèques municipales.  Pourquoi pas « L’heure de la lecture » puisque c’est bien de cela qu’il s’agit…

Je me suis risqué quelques fois, surtout avec mon plus vieux, à raconter (sans livre; ce que mon fils appelle « une histoire dans ta tête ») « Les musiciens de Brême » ou « Le taureau rouge » (un conte merveilleux pigé dans les collectes du Père Germain Lemieux en Ontario français) et même « Le grand-père marieur » une fois.  Par ailleurs, j’ai inventé sur le champs de nouveaux exploits de Bill-le-chat-bleu-qui-mange-des-biscuits-aux-pépites-de-chocolat.  Mais je ne suis pas à l’aise avec un public d’enfants, même s’il s’agit des miens.  Le fait est que depuis les six ans que je raconte, je peux compter sur les doigts les fois où la moyenne d’âge de mon auditoire était inférieure à vingt ans.  Je conte d’abord pour les grands.  Les thématiques des contes de mon répertoire, le niveau de langue j’essaie d’utiliser, l’aspect symbolique ou introspectif des péripéties ne me semblent pas convenir aux moins de douze ans.

Pourtant, Michel Faubert (et d’autres) nous disait bien que conter devant des enfants était extrêmement formateur.  Pas de fausse-politesse qui vient mitiger la « vraie » réaction.  Si tu ne captives pas ton jeune public, il va te le faire sentir assez vite merci…

Par ailleurs, je n’avais pas encore réussi à trouver un spectacle de conte qui s’adressait à aussi jeunes que mes enfants (ils ont tous deux moins de cinq ans).  Souvent, dans le milieu, on recommande de raconter à des publics de sept ans et plus.  Moins que cela et ils ont de la difficulté à garder l’attention.  Je connais cependant des conteuses qui content aux 3 à 5 ans avec des comptines, beaucoup de gestes, etc.

Donc en ce beau samedi matin, on sacrifie une partie des émissions de télé réglementaires et toute la troupe monte (en retard) dans la voiture en direction de l’Auberge La Caravane à North Hatley.  J’avoue avoir été nerveux…  Et s’ils n’aimaient pas ça?  Allais-je m’en remettre?

Rassurez-vous (pour moi), tout s’est très bien passé.  Les contes de Philippe n’étaient pas trop longs, mais très dynamiques, la présence de Zmala assurait qu’il y avait beaucoup d’ambiance et d’intermèdes musicaux.  Philippe faisait souvent interagir la salle.  Mon fils s’est montré on ne peut plus sceptique: « Non! » L’homme plus petit qu’un microbe ne pourra pas apprendre à voler.  « Non! » Il ne parviendra pas au bout de sa quête…  Mais au moins, on avait su capter son intérêt assez pour qu’il ait envie de participer.  Quant à ma fille, la musique l’a enchanté et elle s’est mise à danser.  Évidemment, ils gigotaient au bout d’une demi-heure, mais comme le spectacle ne dépassait pas l’heure, c’était tout à fait jouable.  Sur le coup, ils n’avaient pas l’air convaincus d’avoir aimé, mais depuis ils m’ont reparlé de certains contes.  Une graine de semée donc…

Outre la satisfaction paternelle de savoir qu’il y a de l’espoir pour ma progéniture, cette expérience m’a fait réfléchir sur cette qualité de relation avec le public.  Dans un autre régistre, Serge Valentin avec qui je contais pendant le Festival avait cette facilité d’« embarquer l’monde » que Philippe Sizaire déployait bien avec les enfants.  J’aimerais bien avoir ce talent…  Le plus souvent, je suis tellement dans mon histoire que je ne suis pas beaucoup avec le public.  Un idéal est bien sûr d’être à la fois dans l’histoire « il y a bien longtemps dans un pays fort lointain » ET « ici et maintenant » avec les gens qui nous écoutent.   Ce travail « relationnel » est quelque chose que je veux développer davantage.  Didier Kowarsky nous faisait travailler à être extrêmement conscient de tout ce qui se produisait autour de nous pendant le contage.  Ça demande de développer des yeux tout le tour de la tête…  Du reste, c’est pratique avec des enfants.