Conter comme en strip-tease? Le rapport à la séduction

Pling!  Un courriel interlope reçu et lu à la dérobée.  Mme G., ma coach clandestine dont j’étais sans nouvelle depuis des mois, me recontacte secrètement avec une question comme une mission tout ce qu’il y a d’équivoque:

Que penses-tu du rapport à la séduction dans la relation que peut avoir une conteuse avec son public ? Moi je pense que si une conteuse arrive a se séduire elle-même par son propre conte, elle séduira son auditoire sans se trahir. Pas besoin de se poser milles questions…. Qu’en penses-tu ?

Évidemment, je ne peux résister.  La proposition est trop… séduisante.  Il y a longtemps que je n’ai pas été en service, dans l’action (ou dans la réflexion, si vous préférez).  Je ne serai que consultant sur cette affaire, donc le risque est modéré. J’accepte et un rendez-vous est fixé dans un obscur restaurant Thaï, grand comme ma main.

 

Dans l’intervalle avant la rencontre, j’entends des solos de saxophones langoureux. J’ai des images en noir et blanc de tripots enfumés à Macao, de gros messieurs louches en smoking et de mystérieuses filles en robes longues fendues, aux décolletés très plongeants, aux voix rauques pleines d’accents exotiques, aux parfums enivrants…

 

Et, surtout, je me rends compte que, la séduction dans le conte, je n’ai jamais rien écrit là-dessus. Je n’y avais même jamais songé.

 

Intuitivement, il me semble que le conteur ou la conteuse séduit par sa voix, son regard, son corps, mais aussi par l’histoire même qui est racontée.  Et tout est question de dosage… Trop, on est envahi, accaparé, pas séduit.  Trop peu, on nous boude, on nous fait trop travailler, on ne croit plus à nos chances de contact…

La voix humaine transporte la corporalité de l’individu qui la porte. C’est l’incarnation de ce que l’individu a de chaleur, d’enveloppant, de physique, de sensuel.  Nous avons un rapport érotique à la voix.  Ces vibrations nous amènent à nous représenter celui ou celle qui parle.  Différentes voix ne plaisent pas à tous.  Vous avez déjà vu la photo de personnalités de la radio dont vous n’aviez qu’imaginé l’apparence?  J’aime avoir l’impression que celui ou celle qui séduit ne s’adresse qu’à moi bien qu’il ou elle conte à toute une salle.

Si le regard est véhicule de la relation, il ne doit pas, ne peut pas être forcé.  C’est sans doute un des éléments de ce « fil », le lien que le conteur tisse peu à peu avec son public.  Se sentir trop regardé n’est pas plus agréable que de se sentir ignoré par celui qui regarde.  Mais, si on nous jette des regards furtifs, si on m’accroche et que l’on me lâche momentanément pour que je cherche à retrouver ce contact… On m’a en quelque sorte « ferré ».

De même, le corps du conteur ou de la conteuse me transmet un état d’esprit.  Le corps tendu ou crispé ne me permettra pas de m’abandonner à l’histoire.  Inversement, un corps détendu (voire langoureux), mais avec une certaine aisance et une prestance certaine, invite au partage.

Quant à séduire avec l’histoire

Tiens, ça me revient: J’ai écrit là-dessus dans mon lointain mémoire de maîtrise sur les jeux de rôles (…sur table, rien de compromettant). Il était question du rapport de séduction qu’entretenait le maître de jeu avec ses joueurs.  L’idée étant qu’il maintenait le suspense, gardait vivante une tension en distillant l’information à vitesse variable.  S’il exposait tout, tout de suite, faible d’intérêt. S’il en révélait trop peu, il n’accrochait pas son public.

 

bas_resillesVous vous souvenez de Marshall McLuhan?  Les médias chauds (hot) et froids (cool)?  En gros, un  média est « chaud » lorsqu’il déploie une grande quantité de signes, il est « froid » lorsque qu’il transmet moins de signes et que le lecteur/spectateur peut donc plus facilement « y entrer » par le regard…  Ainsi, le cinéma serait « chaud » et la télévision « froide », les photos « chaudes » et les bandes dessinées ou les caricatures « froides »…  Selon McLuhan, les bas résilles sont « froids ». Notre regard peut les « appréhender » plus facilement, alors qu’il glisse sur les bas « pleins », trop chauds.

Je prétends que le conteur ou la conteuse manie les éléments de l’histoire comme une grammaire limitée.  Il a intérêt à distiller l’information pour garder la tension vivante avec le public…  Mais il doit également réserver des espaces où les spectateurs peuvent entrer dans son récit.  (Des trous dans les bas, si l’on veut…)

En terminant, un préalable pour séduire par le conte:  bien sûr aimer l’histoire que l’on donne, comme un cadeau, mais aussi aimer le public.  Difficile de séduire si on n’aime pas le monde…

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