Tenir conte

Camille Perron ou le génie de la naïveté de Noël

camille_perronJ’ai déjà parlé ici de la difficulté à trouver des contes de Noël appropriés pour notre époque, intéressant à l’oral et où le mystère et la magie de Noël demeurent sans être trop teintés de religion…  Quelle ne fût pas ma joie de découvrir les contes de Noël écrits par le regretté Camille Perron [décédé en 1995], alias Pépère Cam, dans le recueil Le p’tit Rien-tout-neu’ et autres contes de Noël paru aux éditions Prise de parole en 1998.

Je pense avoir déjà mentionné mon intérêt pour le répertoire collecté en Ontario français par le père Germain Lemieux et dont les archives sonores sont toujours accessibles au Centre franco-ontarien de folklore (CFOF) à l’Université de Sudbury.  Le fait est que mon épouse vient de ces « lointaines contrées » et que mes enfants sont donc moitié franco-ontariens…  Comme je le suis un peu devenu par alliance!  Je me suis donc procuré le livre-disque de M. Perron en bouquinant au Centre FORA à Sudbury l’été dernier.  Je l’avais un peu mis de côté et je l’ai ressorti à l’approche des fêtes.  Je ne m’attendais à rien.  Mes beaux-parents m’avaient pourtant parlé de Pépère Cam, puis d’Ange-Émile Maheu, à sa suite…  Mais je n’avais pas réalisé l’imposant talent du bonhomme.  L’intérêt d’avoir la voix enregistrée sur disque, c’est que l’on prend la mesure de son aisance et de la convivialité qu’il réussit à créer avec son public.

Une voix claire, légèrement nasale, qui trompette un peu.  Un ton de confidence, toujours enjoué, qui témoigne du plaisir de la relation, même lorsqu’il conte quelque chose de plus difficile…  Et le génie de savoir inventer des histoires toutes simples, mais tellement efficaces.  Des histoires créées, mais qui empruntent à la tradition et aux références locales pour se camper dans un terroir et un vécu régional.  Des histoires qui réussissent à saisir la naïveté de Noël pour toucher les coeurs.  Contrairement à la critique qu’en a fait Georges Bélanger (Université Laurentienne), je trouve personnellement que ça marche aussi bien à l’écrit (plus distant, bien sûr) qu’à l’oral [c’est vrai que le violon prend parfois beaucoup de place sur l’enregistrement].  S’ils fleurtent avec la mièvrerie, les contes de Camille Perron n’y tombent jamais, en bonne partie à cause de l’aplomb et de la sincérité du conteur: « C’est pour vous dire que la veille de Noël, il se passe des choses que c’est quasiment pas croyable ! »

Je suis tombé sous le charme, notamment des contes « Le violoneux » et « Médéric-la-main-coupée ».  Dans « Le violoneux », un trappeur manque de bois et craint de mourir gelé pendant une tempête la veille de Noël.  Il s’aperçoit que lorsqu’il joue de son violon seul dans sa cabane perdue, sa dernière bûche ne se consume pas.  Quel beau et simple miracle de Noël!  Dans « Médéric-la-main-coupée », Perron fait durer le suspense de l’origine de l’infirmité de son héros, engagé dans une famille de cultivateurs.  Lorsque le secret sera enfin révélé, ce sera pour évoquer une scène de nativité à l’amérindienne où une cabane à sucre tient lieu d’étable…  Ça pourrait être kitch, mais ça fonctionne complètement!

D’autres bonnes idées parsèment le volume, comme « La petite étoile de Noël » (ni plus ni moins qu’un conte de randonnée – conte en chaîne – ayant pour thématique la Crèche) ou « Le petit Rien-tout-neu’», une fantaisie dans le registre du conte de mensonge où l’on ouvre et remboîte des cadeaux jusqu’à trouver… le « P’tit Rien » en question.  « Emmanuel » est aussi un beau clin d’oeil à Honoré Beaugrand et à d’autres histoires d’esprits qui offrent l’hospitalité au voyageur égaré dans la tempête.  La religion colore les récits, mais n’est pas au centre du propos.

Enfin, le portrait du conteur qu’en dressent sa fille Angèle et Georges Bélanger (dans un autre article sur le néo-contage) donne une idée que Camille Perron partageait plusieurs des valeurs qui correspondent à ma vision de la pratique du conte :

« Même s’il disait humblement « Je suis rien qu’un vieux placoteux », on savait que Camille prenait son métier de conteur au sérieux.  Il travaillait sans relâche afin d’offrir d’excellents spectacles qui charmaient son auditoire.  Il avait la mimique du conteur, la gestuelle, le timbre de voix, ce don de la parole qui nous faisaient partir avec lui, emportés par la magie des mots.  Mais plus qu’un artiste-interprète, il était aussi un pédagogue.  Son métier d’enseignant lui permettait de communiquer son enthousiasme à d’autres qui pourraient assurer la survie de cette forme littéraire.  Il avait beaucoup lu sur l’art de conter, l’histoire du conte, sa morphologie, sa symbolique et son importance au niveau de la psychologie. […] Il aimait bien que ses contes ressuscitent les récits endormis depuis longtemps, transmis de bouche à oreille comme à cette époque où la tradition orale occupait une place prépondérante.  Pour lui, c’était une question de fierté.  Il croyait à la valeur du conte comme outil de transmission des valeurs… » (Angèle Perron, « Préface » à Le P’tit Rien-tout-neu’ et autres contes de Noël)

« La société contemporaine a volé ma chanson, mon film, tout ce que je créais dans mon imaginaire. On ne peut plus écouter une chanson sans qu’il y ait la vidéo qui nous dit quoi penser et quoi voir pendant qu’on l’écoute […]. Il n’y a plus de rêve, plus de place pour le rêve, c’est toujours le rêve de quelqu’un d’autre. Il n’y a rien à imaginer, il n’y a plus d’imagination. Le conte n’a pas encore été fait en film ou en vidéo, il permet la création spontanée. » (Camille Perron, entretien avec G. Bélanger)

Deux des enfants de Camille Perron content à leur tour, soit Michel et Marie-Claire, sans compter Georges Bélanger de l’Université Laurentienne qui semble l’avoir collecté…  J’ai des rendez-vous à prendre lors de mes prochains voyages dans le Nord de l’Ontario.

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