Tenir conte

Hiatus hivernal (la fois où j’ai failli lâcher le conte)

Hiatus : « solution de continuité, espace entre deux choses dans une chose. Interruption.»  Provient du latin hiare : être béant.

Je cherchais les mots pour traduire mon état d’esprit et expliquer ma trop longue absence en ce début d’année.  Voilà : je me sens béant.  Une plaie.  Un gouffre.

Passage à vide.   Une succession de grippes m’aura mis moralement K.O.   Je file un mauvais coton.  C’est la saison…

Mes histoires anciennes toujours actuelles semblent soudain vieilles et usées, ma façon de les raconter trop conventionnelle.

Après plus de quarante ans de Renouveau du conte, combien d’années encore à expliquer ce que l’on fait et à quoi ça sert ?  

Écœuré d’exercer un art marginal; de me sentir moi-même marginal au regard des marginaux qui l’exercent.

Tanné de percevoir un certain flottement dans le milieu du conte, de la difficulté de toutes ces individualités à s’organiser, à se mettre ensemble en projet. 

Épuisé de sentir qu’on me reproche mon perfectionnisme, que mon désir (exacerbé?) de perfectionnement trouve si peu d’écho.

Si celui qui prend la parole pour vivre se tait, est-il mort en dedans ?

Parfois, le conteur ne veut plus, ne peut plus compter… Ni ne croit plus conter pour personne.

Pourquoi est-ce que nous vient parfois ce goût de démissionner du conte, cette envie de tout lâcher, de sortir du Cercle ?

Un projet ne marche pas, un contrat est annulé, une veillée se passe moins bien… La plupart du temps, on fait avec et on passe à autre chose.

Mais là, paf!  Le Néant.

La. Grande. Remise. En. Question.

Je reviens tranquillement au conte. Mais j’ai bien crû que ça y était cette fois.  Et puis l’amour des histoires continue de m’animer.  C’est tellement riche.  Y’a sûrement quelque chose à faire avec tout ça…

Peut-être faut-il que la Parole se taise ?  Qu’elle renaisse du Silence.

J’aime bien l’image de la jachère : un temps où on laisse la terre reposer pour qu’elle donne de meilleures récoltes.

Dans Tant d’hiver au cœur du changement (1998), la conseillère en orientation Michèle Roberge compare les transitions de la vie au cycle des saisons.  Après le printemps où une activité (professionnelle, personnelle, artistique ou autre) est nouvelle et emballante, l’été où elle devient intense et productive, l’automne où elle s’achève et l’on en recueille certains fruits, il faut que vienne l’hiver.  Roberge parle de  l’« essentielle errance », un temps de doutes, de crises.  Désengagement, désidentification, désenchantement.  Perte de repères.  « …[C]’est au cœur de l’hiver, sous le froid et la neige, que se prépare la véritable nouveauté, que germe le commencement, la création »

Et vous, avez-vous des histoires d’hiver artistique ou professionnel à partager ?  Comment vous êtes-vous senti au fond de votre terrier ?  Combien de temps avez-vous hiberné ? Qu’est-ce qui vous a rappelé vers la surface ?  Avez-vous vu votre ombre ?  De quoi avait l’air le printemps ?

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