Tenir conte

Époustouflé par Slampapi

J’ai déjà évoqué ici ma fascination et mes réserves face au slam.  Mardi le 20 septembre dernier, à l’invitation du slamestre Frank Poule, je me suis rendu à la galerie Art Focus pour y entendre le fondateur du mouvement slam, Marc Kelly Smith, slampapi en personne. Un gamin de 61 ans avec une extinction de voix…  Je me disais que si quelqu’un pouvait m’aider à comprendre ce qui m’allumait et me questionnait en même temps dans cette forme d’art, c’était bien celui qui l’avait mise au monde.  Par ailleurs, je cherchais toujours à identifier des éléments qui « fonctionnent » dans le slam et qui pourraient être transposés au conte…

D’abord, Smith a mis la table par une courte conférence, suivie d’une période de questions.  Voici ce que j’en ai retenu.

Pour lui, il y au moins quatre définitions possibles au slam…

Il a ensuite présenté trois principes qui pour lui sont à la base du slam :
  • Le slam est ouvert à tous : à toutes les formes d’expression, à toutes les personnes.
  • Le public est le plus important : le poète se met au service du public, sinon il l’insulte.
  • Le spectacle est plus important que le poète : lorsque l’on prend des décisions, on doit toujours se demander si c’est bon pour le spectacle, quitte à froisser certains égos.

Il est revenu ensuite sur l’aspect spectaculaire et divertissant du slam pour établir une distinction entre art et divertissement qui m’apparaît s’appliquer tout à fait aux conteurs.  Pour lui, toutes les formes d’art doivent être divertissantes (entertaining) si les artistes veulent rejoindre leur public et le captiver.  Mais il y a un monde entre divertir et plaire (to please).

Contrairement à l’entertainer, le véritable artiste doit émouvoir les gens (move people).  Il prend des risques et se rend vulnérable sur scène parce qu’il y affirme des choses dont le public a peur ou qu’il a oubliées.  Pour lui, de tout temps les artistes ont été à la fois haïs et honorés pour leur courage de dire des choses troublantes sans même savoir comment réagirait le public.  Il a fait référence aux artistes de par le monde prêts à être emprisonnés pour dire ce qu’ils ont à dire.

Il distingue également l’artiste amateur de l’artiste professionnel, mais pas en termes d’années d’expérience ou de statut économique.  Contrairement à l’amateur qui ne paraît en public que par besoin de reconnaissance (need for validation), le professionnel a compris qu’il était au service d’une communauté.  Son travail est de célébrer la communauté.  Si le besoin de reconnaissance de l’artiste par sa communauté est naturel, il peut devenir un mal être (sickness), un vide béant, impossible à combler.

Lorsque que quelqu’un monte sur scène pour la première fois et s’exprime avec sincérité, même si c’est malhabile, même si c’est de la mauvaise poésie, c’est intéressant. Les empoisonneurs, ce sont ces poètes amateurs qui s’étirent sans se préoccuper de l’auditoire. L’organisateur/ le programmateur a alors un rôle à jouer par respect pour le public.  Encore une fois, je suis forcé de faire des parallèles avec le milieu du conte…

*****

Puis ce fût le tour des artistes de se faire entendre et on a eu droit à une série de performances. Il y en avait de solides, il y en avait de correctes, il y en avait de moins bonnes (des entertainers, des amateurs).  Et il y a eu Mister Smith.

Il nous a fait la démonstration de ce qu’il venait de nous expliqué.  Il a enchaîné les excellents textes kiss it et something avec charisme et puissance.  Bien malin qui aurait pu y voir deux poèmes distincts.  Et il a performé.

Pas au sens de « faire mieux que », mais au sens de « vivre avec intensité chaque instant ».  Et j’ai compris ce que Mme G. avait essayé de m’expliquer tant et tant de fois.  Charisme et puissance ?  Il vibrait. Habitait tout l’espace. Résonnait dans toute la pièce.

J’ai immédiatement pensé aux grands conteurs de la trempe des Hindenoch ou Darwiche.

J’en suis ressorti époustouflé, renversé, et j’ai spontanément écrit à mon réseau :  « Et le plafond a levé et la lumière a éclaté et il était avec les musiciens et il était avec le public et il était dans son texte et il était présent dans le moment sur scène ce qui lui permettait d’improviser. Un grand artiste.

J’ai pleuré. »

Pour un souvenir vidéo de cette performance, captée par Simon Drouin. (Ce n’est pas comme d’y être, mais ça donne une idée.)

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