Passage à l’A.C.T.E. (parler du conte)

Le 9 décembre dernier, référé par Productions Littorale, j’ai été reçu dans un atelier de conte offert à l’Association des accidentés Cérébro-vasculaires et Traumatisés crâniens de l’Estrie (A.C.T.E.).  L’objectif de leur animatrice, « reçevoir un conteur » qui leur « parle du conte ».  Durée: 1 h.  Première « conférence contée » pour moi ou du moins première expérience à témoigner de ma passion.

Bon, je leur dis quoi?  Par où commencer?  Et quoi raconter?  J’ai eu diverses idées, consulté ma fée-marraine qui m’a suggéré de « liquider les mythes » d’emblée (le conte n’est pas que pour les enfants, le conte n’est pas que de l’humour, etc.)  pour pouvoir ensuite parler de ce qui nous passionne.

J’ai fini par choisir d’aborder ce vaste domaine par les questions journalistiques classiques: Qui? Quand? Quoi? Où? Comment? Pour qui? Pourquoi? Je parlerais de l’art tel que je le connais, mais pour chacune des questions, je ferais un parallèle avec ma démarche personnelle.  J’en profiterais pour déboulonner un ou deux mythes en passant…

[Par la suite, je me suis aperçu que c’est un peu ce que fait Dan Yashinsky dans le premier chapitre de son excellent livre Suddenly, They Heard Footsteps (2004) alors qu’il imagine rencontrer son lecteur dans l’avion et le genre de questions que supposerait une conversation avec lui…  Le livre a été traduit chez Planète Rebelle en 2007.  Je le relis souvent et ne peux que le recommander.]

  • Qui? Selon une étude du RCQ (2004), il y aurait plus de 300 personnes au Québec de tous niveaux, de l’amateur au professionnel, qui se disent « conteurs » ou « conteuses ».  Ils sont hommes, femmes, jeunes, vieux, proviennent du théâtre, de la littérature, de l’ethnologie, de l’animation, moins des bibliothèques contrairement à la France.  Mais il y a de tout, du professionnel au manuel…  Je me suis présenté et j’ai rappelé que, non, il n’y avait pas que Fred Pellerin qui contait.
  • Quand? On conte depuis toujours.  Il y a bien dû avoir quelqu’un qui a fait des récits de chasse sous les dessins des grottes de Lascaux…  Seulement, une coupure apparaît au cours du vingtième siècle avec l’électrification, puis la radio, la télévision et maintenant Internet.  Le conte effectue un retour en Europe dans les années 70 avec les mouvements de retour à la terre et aux régions.  Au Québec, il faut attendre le début des années 90 pour vraiment observé une telle résurgence, bien que Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert et d’autres portaient le flambeau auparavant.  Non, le conte n’est pas que du folklore (voir point suivant) et je conte depuis 2003.
  • Quoi? Qu’est-ce qu’on conte? Les répertoires sont extrêmement variés, allant justement du traditionnel merveilleux au conte urbain trash, en passant par les contes drôles, dramatiques, philosophiques (contes de sagesse) ou plus militants, des récits de vie, les légendes, les mythes, les contes amérindiens ou de différentes cultures.  Donc, non, le conte n’est pas destiné qu’à faire rire, mais on rit souvent.  Je raconte quelques histoires que j’ai écrites, mais surtout des contes traditionnels de tous les pays.  J’ai une filiation par alliance avec les contes franco-ontariens (mon épouse est originaire de Sudbury).  Et, c’est pas de ma faute, j’ai une prédilection pour les contes où il est question de la vie après la mort.
  • Où? On conte partout: Pour la plupart des pays industrialisés, on conte dans les garderies, les écoles, mais aussi les foyers pour personnes âgées, les prisons, en famille, dans des appartements, dans les fêtes populaires, les musées, mais beaucoup dans les bars et les cafés.  Le conte contemporain est sensiblement urbain.  Non, les spectacles de conte n’ont pas lieu seulement ou tellement sur scène.  J’ai conté surtout en Estrie, quelques fois à Montréal (dont aux Dimanches du conte du défunt bar Le Sergent recruteur), deux fois à Québec, une à Rimouski, dans des restaurants, des bars, et même en plein air.
  • Comment? La question est déjà plus complexe, donc difficile de parvenir à une réponse simple.  Je dirais d’abord qu’on conte par coeur – Luidgi Rignanese dirait « par corps ».  On n’apprend pas un texte, mais on mémorise un canevas, des images.  Le plus souvent, on conte simplement, assis ou debout.  Selon sa tradition, on conte parfois avec accessoires ou costumes.  Surtout, il n’y a pas de « quatrième mur »: On s’adresse directement à l’auditoire, sans faire comme s’il n’était pas là.  C’est pour cela qu’on dit souvent que le conte est « art de la relation ».  Donc, non, pour nous « jouer un texte » ou lire une histoire à un public (dans une bibliothèque, par exemple), ce n’est pas vraiment « conter ».  Pour ma part, j’ai des rituels.  J’ai une formulette d’entrée (j’en cherche une de clôture).  Je m’habille tout en noir, essentiellement pour ne pas distraire les gens de ce que je raconte, mais ça correspond aussi à un certain dépouillement qui colle à mon répertoire.  J’ai besoin de m’isoler avant de conter (pour repasser mes histoires ou juste en humer le « parfum » (dixit Michel Hindenoch), me retrouver, etc.).
  • Pour qui? Je dis souvent que, théoriquement, dans un tel foisonnement de styles, tout le monde devrait y « trouver son conte ».  Et on conte effectivement pour tous les publics.  J’imagine que quelqu’un qui serait complètement fermé à tout ce qui est imaginaire risque de s’ennuyer un peu.  Encore qu’il y a des conteurs qui font du récit de vie ou de guerre, des histoires poignantes, complètement ancrées dans la réalité des choses.  Alors, non, on ne conte pas que pour les enfants.  D’ailleurs, je conte surtout et plus facilement aux adultes.
  • Pourquoi? Euh… C’est LA question.  Mon ami Éric Gauthier prétend qu’il conte à chaque pleine lune parce qu’il a été mordu par un autre conteur pendant une bataille dans un bar. (J’aime bien utilisé cette citation – en l’attribuant à Éric, bien sûr). Il y a probablement autant de motivations qu’il y a de conteurs.  Plusieurs disent ne pas pouvoir faire autrement.  Simplement, ils sont amoureux des contes et des gens, veulent donc partager leur passion.  Dans le milieu du conte, on dit que ce sont les contes qui nous choisissent.  Certains enseignent, rapprochent, apaisent, guérissent.  J’ai déjà tenté de répondre à cette question ici.  J’y résumais différentes motivations de conter: reconnaissance, appartenance, accessibilité, patrimoine, mobilisation.  De mon côté, je conte pour « donner du sens ».

Évidemment, j’avais trop de matériel et j’ai manqué de temps.  En fait, je ne me suis rendu qu’au « Où? », mais je pense avoir parlé des autres points à travers ma présentation.

J’aurais voulu faire un conte pour chaque question et j’en avais préparé quelques uns:  « Nasr Eddine qui se chauffe à la lune », « Le dernier voeu du vieux Veilleux », « Le rite du Baal Shem Tov », « Le dernier homme sur terre et l’enfant »….

J’ai fini par faire un conte drôlatique en intro, ce que j’appelle « L’oncle conteur » : un bêta sans le sou veut épouser la fille du roi et sa mère, inquiète des suites de l’audience royale, envoie son frère conteur pour accompagné le jeune.  À chaque question posée par le roi, l’oncle « embellit » les réponses plutôt ordinaires de son neveu.  À la question, « Mais pourquoi te grattes-tu? » Le neveu répond simplement qu’il a un bouton qui le pique.  L’oncle, fidèle au penchant irrépressible des conteurs pour l’exaggération, ne peut s’empêcher d’en ajouter…

J’ai fait écouter « Marie-Tatou », conte du Déparnneur de mon ami Marc-André Caron.  D’abord parce qu’il est court (j’avais peu de temps) et que je connais par coeur les contes de Marc-André.  Je savais aussi que peu de gens l’aurait entendu.  Surtout, il me semble un parfait exemple de structure de conte facile à reconnaître dans une création contemporaine.

Finalement, j’ai raconté « Tea with the Devil » pour conclure.  Un de mes plus vieux contes, c’est un classique qui marche toujours bien.  Un anglais invoque involontairement le Diable alors qu’il cherche la pierre philosophale.  Le Diable lui offre la pierre en échange de son âme.  Il doit fixer une tâche au Malin, mais celui-ci sait tout et peut se rendre partout.   Par ruse, l’anglais réussira à obtenir le beurre et l’argent du beurre…

Y’a-t-il des choses que j’aie oubliées?  Des mythes encore à liquider?  Vous, comment parlez-vous du conte à ceux qui ne le connaissent pas?  Comment puis-je améliorer cette entrée en matière?

Passer à l’A.C.T.E m’a fait réaliser que l’enseignement me manque (j’ai dû choisir l’an dernier entre enseigner et conter).  Mais parler du conte va pour moi au-delà d’enseigner : C’est partager quelque chose que je trouve fondamental.  Merci aux gens de l’A.C.T.E.  J’espère bien qu’il y aura d’autres occasions similaires.

Une réflexion sur « Passage à l’A.C.T.E. (parler du conte) »

  1. merci Jean-Sébastien; je m’apprête à faire un projet d’école avec des enfants de deux à douze ans (l’école au complet), « sur le conte », et je suis terrifiée à l’idée de ce que je peux leur raconter pour défricher le terrain. ta réflexion me donne quelques pistes.

    Ce n’est pas facile de parler du conte. Ne devrait-il pas parler de lui-même ?

    Souvenons-nous de l’histoire du crâne à qui un pêcheur demande: « qu’est-ce-qui t’a amené ici ? » et le crâne répond: « la parole… »

    Alors pesons nos mots… Ce que je m’en vais faire derechef !

    merci encore,
    xxx
    Alice

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