Conter sans compter

Spectacle de Michel Faubert, samedi le 14 novembre dernier à la salle des Productions Littorale.  Bon public, l’artiste est en forme et la petite salle créée un contact privilégié avec lui.  Très belle complicité toute discrète de Daniel Roy à la musique.  Bon usage de la vidéo, qui n’est pas trop appuyé et qui ne distrait pas des contes.

Pourquoi ai-je l’impression que c’était trop court?  Il a pourtant donné 1 h 15 de spectacle sans pause.  Quand est-ce trop peu? Parce que je connaissais déjà certaines histoires?  Que j’ai toutes les chansons sur disques?  J’ai pourtant été ravi de les réentendre live et accoustiques.  Quant aux quelques nouveautés pour moi, c’était du bonbon…  Quand est-il préférable de terminer le show et de donner envie aux spectateurs de revenir? Il m’a semblé qu’il aurait fallu un ou deux éléments de plus pour que j’atteigne une certaine satiété…

Ou juste jaser avec Faubert.  Qu’il explique le pourquoi, le comment de ses histoires.  …Ou qu’il parle de n’importe quoi d’autre.  Juste écouter encore sa voix.  Sa voie.   Mais l’artiste semble fatigué.  Besoin de retourner à l’intimité. Il a son spectacle dans le corps.  Combien de fois l’a-t-il fait déjà?  Combien de fois le fera-t-il encore?  Trop?  Trop peu aussi, sans doute.

Une semaine plus tard, c’est moi qui s’y colle.  Un premier véritable spectacle solo à Québec à l’invitation des AmiEs imaginaires.  On me demande une heure sans pause.  Mon projet de spectacle en dure 1 h 30 sans compter la pause.  Bon, c’était probablement trop de matériel de toute façon (Quand est-ce trop? D’après qui?).

Je réorganise le tout, j’ai à peu près une heure.  J’ai pas fait ça souvent, conter une heure sans arrêt.  Avoir la responsabilité de capter l’attention des gens aussi longtemps avec mes histoires…  (J’ai déjà donné des charges de cours, mais ce n’est pas la même chose).  La responsabilité de ne pas les ennuyer;  d’être plus pertinent que le silence…  J’ai peur de manquer de jus, de ne plus être intéressant après deux ou trois histoires.  (Ça, malheureusement, ça m’est déjà arrivé…)

Voilà, la soirée arrive.  Je raconte mes histoires, fais mes liens.  Les gens écoutent bien.  On dirait même qu’ils (m’)aiment!  Il fait très chaud dans le petit restau où la veillée se tient.  Je termine mon dernier conte.  Ils applaudissent, semblent contents.  Ils se lèvent, mettent leurs manteaux.  Mais moi, je suis sur ma lancée, sur un high.  J’ai encore de l’énergie.  Je leur en ferais bien une autre… Et une autre encore, s’ils le veulent.

Ils viennent me saluer, me remercier:  « C’était une belle soirée. »  Ben oui, justement.  Ça ne vous tenterait pas de rester?  On pourrait jaser après.  Juste une autre histoire?  Après, c’est votre tour si vous voulez…

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Réflexion très pertinente de Yolaine, l’organisatrice:  « La capacité d’écoute est extrêmement variable.  D’une personne à l’autre, mais même d’une fois à l’autre pour la même personne. » La capacité de captiver aussi, semblerait.

5 réflexions sur « Conter sans compter »

  1. Le 18 décembre prochain, c’est mon tour d’aller écouter Michel Faubert: http://www.spec.qc.ca/spectacle/michel-faubert.php Si tu remarques bien la publicité, on peut avoir des billets en soumettant un conte. C’est donc ce que je vais faire. J’ai pensé un instant soumettre un (vieux) conte du dépanneur, mais je préfère me lancer le défi d’en écrire un pour l’occasion, un p’tit court.

    Je suis bien heureux d’avoir eu la chance de te voir en spectacle à Québec. Selon moi, c’était une très bonne occasion de pratiquer ton spectacle, même écourté. Le serveur m’a un peu déçu en passant devant toi pour servir de l’eau, mais heureusement, le conte a été plus fort. J’en veux pour preuve les jeunes gens assis tout près de toi qui buvaient tes mots et voyageaient complètement dans ton univers.

    Je me souviens qu’à la fin des spectacles, lorsque l’on sait que c’est le dernier conte, que des gens applaudissent en mettant leurs manteaux, que la soirée tire à sa fin, d’à quel point est-ce que le conteur est sur un « high ». À ce moment, on aimerait faire d’autres contes, refaire le show, continuer sur cette lancée. C’est un moment grisant que l’on souhaite retrouver à chaque fois. La question de la capacité d’écoute (de contes) du public est cependant une bonne question à soulever. Le conte ne s’écoute pas comme un film, comme de la musique ou comme une pièce de théâtre.

    Autrefois, les conteurs faisaient tout pour allonger les contes afin de raccourcir les longues soirées d’hivers. Aujourd’hui, l’imaginaire se sature peut-être plus vite qu’on ne le croit. Et il y a la vie moderne, avec ses rendez-vous, ses agendas et son rymthe de fou. J’étais le premier déçu de partir et de te laisser tout seul après ce rush qu’il fait bon partager entre conteurs, entre amis. Mais j’avais un rendez-vous… la vie moderne je vous dis!

    Je crois que je vais me grouiller d’organiser une soirée de conte en montérégie (contérégie) afin de t’inviter et d’avoir la chance d’assister à ton spectacle au complet. Et tant pis s’il est encore en rodage, tu le roderas chez-nous. C’est à suivre…

    Félicitation encore. Le conte est avec toi!

  2. Marc-André: intéressant, ce concours. Je te souhaite de l’emporter. Ce serait bien que le texte soit dit par Faubert lui-même; je me demande qui ils iront chercher comme interprète.

    Jean-Sébastien, comme toi, j’en aurais pris un peu plus, au show de Faubert. Il faut dire que c’étaient là des conditions à peu près idéales: une salle juste pour le spectacle, et aucune distraction. En restaurant, c’est déjà un peu moins évident, l’écoute peut être moins soutenue. De mon côté, je cherche encore comment briller à tout coup, comment déployer l’énergie nécessaire pour captiver les gens. Je me demande s’il n’y aurait pas une forme de visualisation à faire avant de commencer pour se placer dans le bon état d’esprit…

    C’est dommage quand les gens partent vite. Quand ils restent, même si le show était court, on peut passer son high en discutant avec eux, en faisant de nouvelles rencontres. Vieux nostalgique que je suis, les vieilles soirées du Sergent recruteur me manquent, où les habitués pouvaient traîner encore 2-3 heures après la fin du spectacle. Ici à Sherbrooke, les soirées de la Mare au Diable peuvent s’y prêter, tout de même.

  3. Allô Jean-Sébastien,

    Si loin de Québec, je ne peux même pas me vanter d’avoir été avec toi par la pensée: Si ton spectacle était en soirée, moi, avec le décalage horaire, j’étais probablement dans les bras de Morphée (et de Bruno aussi, comme de juste)… Mais encore une fois, je me régale à te lire. Les questions que tu soulèves sont si justes et si simples (sauf que la réponse est loin d’être évidente !) que je m’étonne de ne pas y avoir réfléchi avant… Merci de m’en donner l’occasion.

    La capacité à l’écoute est en effet fort peu mesurable, au moins en termes précis; Elle ne dépend aucunement de la seule capacité de l’artiste à captiver son public. Tant d’autres paramètres sont en jeu… Chaque personne trimballe son vécu de la journée, sa fatigue, ses soucis, son caractère, sa bonne ou mauvaise volonté ou humeur, son stress, etc… Le lieu peut générer lui aussi une meilleure ou une moins bonne concentration (j’étranglerai ce serveur !!! y’a des leçons qui se perdent en matière de savoir-vivre), le voisin qui tousse, un fatigant qui oublie d’éteindre son cellulaire…
    Même la météo peut jouer !

    Mais je crois que ce qui peut aider à savoir quand s’arrêter, ou quand continuer, ce n’est pas tant la capacité d’écoute du public pour le conteur, que la capacité d’écoute du conteur pour son public…
    En tant que conteuse, j’estime que mon boulot le plus dur et le plus important, ce n’est pas tant de raconter (bien souvent, les histoires que l’on connaît bien se « laissent raconter » toutes seules, si j’ose dire), que d’être en permanence à l’affût de toutes les réactions de mon public: capter les sourires qui encouragent, les rires qui naissent, les yeux qui fatiguent, les bâillements étouffés, les mimiques nerveuses, les gens qui s’agitent sur leurs chaises… Et aussitôt, adapter, adapter en fonction de ce que je ressens dans l’instant, et à chaque instant. Tout en n’oubliant pas le fil de l’histoire ni du spectacle. Équilibre difficile et Ô combien casse-binette !

    Là-dessus, je crois que le stage avec Kowarsky m’a fait le plus grand bien: Être sur le fil du rasoir en permanence, pour rééquilibrer au moindre déséquilibre, être à l’écoute, être toujours légèrement en avance sur le geste qu’on est en train de faire (souviens-toi de cet exercice si bizarre du parcours d’objets à déplacer « en un seul mouvement »)…
    De la même façon qu’un ouvrier sur une machine termine un geste en pensant déjà au suivant… De manière à ne jamais se laisser prendre de vitesse par son engin, de la même façon, j’essaie, tout en étant à fond dans mon histoire, d’être légèrement en avance sur les réaction que je pressens monter du public -ceci afin d’éviter, autant que possible, d’âtre prise de court en cas de catastrophe…
    Mais les catastrophes, même légères, on n’arrive pas toujours à les éviter… Alors, autre grande leçon du monsieur cité plus haut : « ça n’a pas d’importance ». RELATIVISER. Se planter, ça arrive à tout le monde. Ce n’est pas si grave, même si ça fait mal à l’ego… Même si on s’en souvient parfois longtemps après. Après tout, nous aussi on a le droit de trimballer notre fatigue, nos soucis, nos humeurs !

    En bref, avoir des yeux, des oreilles, des nez partout. N’être qu’une peau pleine de capteurs ultrasensibles. Être à la fois émetteur et récepteur… Difficile, crevant, éreintant… Mais diablement utile. Personnellement, quand je sors d’un spectacle, j’ai en général perdu quelques litres d’eau et je suis assommée comme si j’avais couru un marathon… Moi qui déteste par-dessus tout le footing !

    De mes expériences, j’ai vu qu’une durée d’une heure un quart était souvent idéale pour un public adulte moyen, ou un tout-public. Pour les enfants, cela va, selon l’âge, de trente minutes à une heure.
    Mais j’ai eu des enfants de 10-12 ans, en très (très) gros handicap scolaire et familial, dont on m’avait dit « si tu les tiens 20 minutes ce sera super »… Et qui sont restés attentifs presque une heure…
    Parce que je les avais traités comme les autres ? Sans me soucier des handicaps (en réalité, j’évitais soigneusement les questions de famille, de sensualité (certains avaient un vécu assez horrifiant), de grosse violence… j’avais préparé mon choix en conséquence et j’adaptais à tour de bras), des mines sceptiques, des commentaires ironiques ? je ne sais pas. J’avais préparé mon intervention un peu plus soigneusement qu’à l’ordinaire, bien sûr, mais j’ai aussi eu de la chance: j’ai capté leur attention avec une première histoire dont je me disait « ça va les intéresser davantage qu’un conte trad » (« la p’tite Lulu », dont je t’ai parlé). Et, coup de bol, j’ai empoché dès le début la meneuse du groupe, une fille de douze ans, très violente dans son comportement, très difficile à maîtriser. Elle a écouté l’histoire sans bouger, sans commentaire aucun, et une fois l’histoire finie, elle m’a presque coupé la parole pour poser une question. J’ai répondu. Elle m’a regardé droit dans les yeux, elle a dit « Ah, d’accord. », et elle a applaudit. Et tous les autres, qui n’avaient pas bougé non plus avant, se sont mis à applaudir derrière elle, comme s’ils attendaient son consentement. J’ai vraiment eu l’impression d’avoir passé un diplôme… Une fois « reconnue » par la meneuse, le reste de la soirée s’est passée sur du velours, et les enfants sont allés se coucher sans faire de chahut. Les éducateurs et animateurs étaient sciés, ils m’ont dit « dis-nous comment tu fais ». mais là, j’étais pas capable de répondre…
    Peut-être, sans y penser, avais-je adapté cette leçon de Claudette L’Heureux, « respecte ton public ». C’est pas si simple. Mais en tous cas, je suis venue vers eux sans jugement de valeur, et c’est peut-être ça qui a fonctionné…

    une dernière pensée me vient: quand j’étais étudiante en Arts, un de nos professeurs disait qu' »une oeuvre n’est réellement terminée que lorsqu’on ne peut plus rien y enlever »… Encore la question de l’équilibre… Et j’ai vu cette phrase s’appliquer si justement et si fréquemment sur des textes, des spectacles, des livres, etc… Que je la tiens pour une véritable vérité vraie… C’est en essayant de toujours l’avoir en tête que j’écris mes textes. Épurer, épurer, épurer. Trouver le point d’équilibre parfait.

    C’est un peu le coup de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine, ce que je dis, là…

    C’est qu’il est tard !

    Allez je vous embrasse, toi et ta famille. À bientôt !
    Alice

  4. Le lendemain:

    Il m’est revenu en mémoire une intéressante théorie de Claudette L’Heureux sur le sujet, dite « théorie du gâteau au chocolat ».
    Claudette mettait en comparaison la dégustation d’un spectacle et d’un énorme gâteau au chocolat. Quand doit-on s’arrêter pour éviter la crise de foie ?
    That is the question…

    xxx Alice 😉

  5. Bonjour,

    Vous n’avez pas idée combien c’est gratifiant de vous lire… Ces échanges donnent vraiment tout son sens à ce blogue.

    @Alice: Les grands esprits se rencontrent puisque Petronella m’a servi hier au téléphone la « théorie du gâteau au chocolat » me rappelant qu’il était risqué de trop en mettre. Je prévoyais faire une mise à jour de mon billet là-dessus. Voilà qui est réglé…

    Des histoires de « P’tite Lulu », de « Gwen le boiteux », de meneuse de fer qui tourne au velours, j’en prendrais tant que t’en as tellement c’est touchant et que ça parle de ta sensibilité d’artiste face au conte. Merci de partager.

    Tu parles de l’écoute du public et de chercher constamment à rééquilibrer. Je penses que je ne fais que commencer à saisir la vastitude de ce que signifie voir le conte comme un « art de relation ». Comme je l’écrivais, je suis encore beaucoup dans mes histoires. Belles exigences, mais qui ne doivent pas étouffer le plaisir. Encore la quadrature du cercle…

    @Éric: Une visualisation avant les shows… ou un implant à s’injecter pour changer de réalité et se retrouver au début des années 90 dans un sympathique bar du Plateau avec un grand prêtre qui anime des collectifs de fous de la parole et des gens qui resteront à jaser après… Je suis tellement content de connaître quelqu’un qui peut témoigner de cette époque légendaire: Un Maurice Richard ou un Jacques Plante du Renouveau du conte.

    @Marc-André: Ça fera plaisir d’aller conter en Contérégie. Soit pas trop méchant avec Éric (le serveur du Billig) qui m’avait averti, a fait son gros possible et que j’ai aperçu s’arrêter pour écouter de temps à autre…

    Je suis content que tu évoques le fait qu’il n’y a pas si longtemps, la question du gâteau au chocolat ne se posait pas de la même manière. (Peut-être que l’on était fait d’une autre constitution où les gras trans et autres glucides ne nous affectaient pas autant…) Les contes avaient avantage à s’étirer. Je l’ai bien senti quand j’ai conté « Ti-Jean l’inconnu et le Petit Cheval Vert » aux membres du Cercle. En cette ère d’efficience, les passages moins « productifs » pour l’avancement de l’histoire semblaient superflus à ce public de pairs pourtant avertis. Faut-il donc « optimiser » nos contes? Et j’écris cela sans rancune. Juste d’autres interrogations.

    T’inquiètes pas pour la fin de ma soirée à Québec. Yolaine m’a amené prendre une bière (etc.) et j’ai découvert que le nightlife de notre capitale provinciale était moins prude que je ne me l’imaginais…

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