Tenir conte

Vire-oreilles et autres régals en vue d’un solo

De retour de mon stage en « Création d’un solo de conte » avec Gigi Bigot.  Par où commencer?  D’abord sans doute en affirmant que Mme Bigot incarne bien ce qu’elle prêche.  Extrêmement sympathique, c’est une dame pleine de fantaisie et de malice (sans malice) qui donne le goût de se « régaler avec les mots ».  Ce verbe « régaler » me sied bien.  Peut-être parce que j’aime bien la bouffe et qu’il est associé au plaisir gustatif…

Ainsi, Gigi nous a appris quantité de vire-langues (« Natacha n’attacha pas son chat Pacha, ce qui fâcha Sacha qui chassa Natacha. ») et de vire-oreilles.  Si la première catégorie m’était familière (« Truite cuite, truite crue. », « Piano, panier », « Les chemises de l’archi-duchesse… »), la seconde était pratiquement nouvelle pour moi.  Il s’agit de phrases dites rapidement dont l’abondance de syllabes de sonorités exotiques donne l’impression que le locuteur est en plein charabia, alors qu’en fait il s’agit de mots français, tout à fait intelligibles.  Par exemple: « Oulibounish? Pinisho, wanishba, ibounish nihoniba. » (Pour comprendre, dites-le lentement à haute voix.  Sinon, écrivez-moi et je vous donnerai la solution.  Évidemment, ça marche mieux à l’oral…)

Pour Gigi Bigot, il s’agit de notre patrimoine, de trésors d’oralité présents dans toutes les cultures.  Dans son parcours personnel, elle a eu besoin de conter en patois, de retrouver ses racines pour ouvrir ses ailes et gagner la liberté de sa parole.

Gigi nous recommande de ne jamais perdre de vue ce « régal des mots », notre matière première, afin de justement « tendre vers la liberté ».  En effet, pour elle travailler un solo est le moment d’un retour vers ce qui est personnel, vers l’écriture, la création, notre monde intime.  C’est l’occasion de se présenter seul, de trouver sa manière de dire qui est différente de l’autre, de développer sa signature propre à travers la mise en place d’une architecture.  Il s’agit de « donner cohérence en artistisant »; faire un objet d’art qui se tient.

Mais alors que j’ai personnellement passé un temps fou à choisir mes contes (l’agonie des choix…) et à essayer de les mettre en ordre (huit itérations de pacing au moins…), elle propose plutôt de se demander d’abord ce que l’on veut dire au public.   « Il faut une flèche, quelque chose qui sous-tend l’idée. »  De là, les choix se feront en fonction de ce message à passer, qu’il s’agisse d’un lieu ou d’un personnage central, d’une ambiance, d’un thème ou d’une ritournelle qui revient.  Ça semble si évident « que n’y ai-je pensé avant »? Mais ça fait du bien de se le faire rappeler…

Alors que je voulais éviter le verbiage et me censurer de peur de trop parler « autour de mes contes », Gigi m’a redonné confiance en ma parole, me convaincant que ce que j’avais à dire avait de l’intérêt.  Il faut encore que l’assume afin d’« être dedans » et de le « rendre vivant », mais je suis davantage prêt à plonger dans ce que je suis et à « coudre mes rêves sur mon canevas »…

Pour cela merci Gigi.  Et merci Danielle Brabant, Karine Gibouleau, Céline Jantet, Geneviève Marier et Judith Poirier, mes compagnes de voyage attentives, allumées, respectueuses et inspirées.

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