« C’est pour mieux t’approcher, mon enfant ! » – Le déguisement dans les contes

masquaradeLe 16 janvier 2016 dernier, de 5 h à 6 h du matin, j’ai offert un atelier dans le cadre de la quatrième nuit d’écriture organisée par des étudiants en lettres et création de l’Université du Québec à Rimouski.  Comme le thème de la nuit portait sur « La masquarade », j’ai proposé de travailler autour du rôle du déguisement dans les contes.  Le descriptif allait comme suit:

« Le loup en grand-mère, le sultan en marchand, la princesse en servante… Pourquoi se déguise-t-on dans les contes ?  Qu’est-ce que ça apporte aux histoires ?  Après un bref exposé, les participants à cet atelier seront invités à produire leur propre récit d’identité camouflée puis dévoilée, à partir de certaines contraintes. »

Je ne disposais que d’une heure… J’ai d’abord présenté les point suivants.  Notons qu’il ne s’agit pas de données scientifiques; seulement de mes propres observations suite à ma fréquentation proche des contes depuis une douzaine d’années:

  • On le sait, les personnages de contes sont « à plat », avec une psychologie, une histoire très limitées.  Souvent, leurs descriptions se limitent à leurs fonctions: un roi, un mendiant.  Un déguisement permet d’outrepasser cette limite en « donnant accès» à une condition sociale différente, à un lieu interdit, à la confiance/ proximité d’un autre personnage (ex : Haroun Al-Rachid, sultan de Bagdad, qui se déguise en marchand pour pouvoir se glisser parmi son peuple).
  • Souvent, un déguisement cache un potentiel soit héroïque, soit malicieux (« Peau d’âne » ou la méchante reine-magicienne dans « Blanche-neige »).  C’est pourquoi le moment de la révélation du plein potentiel du personnage (sa noblesse, sa bassesse, etc.) sera si important.
  • Un déguisement n’est pas une métamorphose… mais certaines métamorphoses ne sont rien de plus que des déguisements.  Une métamorphose donne de nouveaux pouvoirs (ex: se transformer en oiseau pour voler) lorsqu’elle est bénéfique ou sert de « prison » lorsqu’elle est maléfique (ex: un prince en grenouille).
    • Toutefois, certaines métamorphoses ne servent qu’à masquer l’identité (ex : une ghoule ou une ogresse qui se transforme en jolie fille dans les contes du Maghreb). On peut alors les considérer comme des déguisements magiques.
  • Un déguisement amène souvent un détour dans la trame narrative (ex : le loup du Petit Chaperon rouge qui suggère littéralement à l’héroïne de passer par un autre chemin) jusqu’à ce que l’identité du personnage déguisé soit dévoilée. Le déguisement va rallonger l’histoire, là où une approche directe ne fonctionnerait pas.
  • Vu par un narrateur omniscient (comme c’est généralement le cas dans les contes), l’auditeur connait l’identité réelle du protagoniste (héros ou ennemi), mais les personnages de l’histoire l’ignorent. Il en résulte une tension quant au moment où la vérité sera connue (ex : Cendrillon, dont on sait qu’elle est la princesse qui est allé danser au bal, mais dont on ignore quand le prince la découvrira).
    • Il est bien sûr des exceptions à ce principe.  Je pense notamment au « mort reconnaissant » qui se présente comme un renard, un loup, un cheval magique, etc. Il s’agit d’un adjuvant dont l’auditeur du conte n’apprend la véritable identité qu’à la fin de l’histoire.
  • Même s’il ne s’agit pas toujours de vêtements, certains objets particuliers peuvent tenir lieu de déguisement, puisque seuls des personnes de confiance en disposent (ex: une missive donnée par le roi, une clé, etc.).  Leur simple possession par le protagoniste trompe les gens sur l’identité du personnage « déguisé ».

Ensuite, j’ai distribué des cartes de couleur jaune avec des personnages de contes de fées (une ogresse, un vaillant tailleur), des cartes vertes présentant des lieux d’accès restreint souvent très contemporains (une limousine, le Pentagone) et des cartes rouges avec des objets utilisés pour se déguiser (un tutu turquoise, un tuxedo, un passeport).  Les participants devaient écrire un conte à partir de ces éléments (un personnage devait se déguiser pour entrer dans le lieu donné), sans oublier de prévoir un moment de dévoilement où les masques tombent.  À la fin de l’atelier, certains ont lus leurs très chouettes histoires.

Avis aux organisateurs en tous genre: C’est un atelier qu’il me ferait plaisir de redonner.

2 réflexions sur « « C’est pour mieux t’approcher, mon enfant ! » – Le déguisement dans les contes »

  1. Super comme atelier !
    Le personnage qui est totalement épatant, côté métamorphoses incessantes, c’est Merlin: tantôt jeune, tantôt vieux, guerrier, sage, fou, animal… Il se sert du déguisement tant et plus, le bougre, pour parvenir à ses fins. La seule qui ne se laisse pas bluffer, c’est Viviane…

  2. Lire ou relire le joli roman de Barjavel, « L’enchanteur », librement inspiré du mythe de Merlin, mais très documenté. Le mythe pas mité, quoi.

Laisser un commentaire