Tenir conte

Trop s’aimer pour bien semer?

Avant de partir dès demain pour la Grande Virée des Semeurs de contes, j’éprouve le besoin de me confesser.  Faire du ménage, me remettre les idées en place, afin de partir le coeur plus léger.

L’objectif étant de donner visibilité au conte, j’avais résolu d’intéresser les médias locaux à l’aventure.  C’est ainsi que j’ai pu bénéficier d’une entrevue radio avec Dominic Tardif à Radio-Canada Estrie et d’un article de Karine Tremblay dans La Tribune, le journal local.  Se faisant, j’étais bien conscient que, puisque les Semeurs ne transitaient pas par l’Estrie, l’angle d’approche des journalistes seraient la présence d’un Sherbrookois au sein de la Grande Virée.  Malgré tout, j’ai vraiment tenté de mettre de l’avant le collectif et le conte, mais les questions tournaient souvent autour de mes motivations personnelles à accomplir cette équipée ou de mes méthodes d’entraînement.  Voilà qui n’est pas anormal…

Toutefois, je me suis surpris le lendemain de ces diffusions à guetter les regards et les réactions de mes collègues, voire des gens que je croisais lors de mes marches d’entraînement.  Serais-je identifié par de parfaits inconnus?  Après tout, je porte au quotidien le même chapeau que sur la photo du journal…  Me parlera-t-on de mon voyage prochain?  Est-ce que j’aurai droit à la pâmoison d’une belle étudiante de l’université me disant:   » Wow!  J’ai lu l’article…  Vous êtes conteur!  Ça veut dire que vous savez manier la langue… et que vous avez beaucoup d’imagination, non? »

Oh, j’ai bien reçu un courriel admiratif d’une amie de ma mère, des bons mots d’une tante qui est convaincue que je suis le meilleur conteur au Québec et quelques gentillesses de mes plus proches collaborateurs au travail, mais disons que la gloire a été modeste…  Dans le milieu du conte, j’ai eu des « J’aime » sur Facebook et de l’appréciation pour la qualité de l’article et de l’entrevue.

Alors pourquoi est-ce que j’étais aussi déçu?  Déçu… et honteux de l’être.  Moi qui voulais faire cette expérience de manière complètement désintéressée, avec pour seules récompenses le plaisir des rencontres et la beauté des paysages…

Est-ce mal de vouloir à ce point être reconnu et admiré?  Quel manque de confiance en soi, quel vide intérieur nous pousse à ce point à espérer le regard des autres, leurs remarques qui valident nos intérêts, nos actions, nos démarches?  Peut-on être un conteur, un artiste complètement humble et altruiste?  Comment s’assurer de mettre le conte de l’avant?  De ne pas se placer devant ces histoires magnifiques ou de les utiliser pour servir notre soif de visibilité?

C’est sûr que l’on exerce ce métier pour être vu, entendu, pour entrer en relation et partager nos monde intérieurs avec le plus grand nombre (même si, personnellement, je préfère le faire en multipliant les plus petits publics).  Pourtant, en France, lors de la Marche des conteurs, les conteurs ne se nomment même pas.  C’est un des objectifs de l’opération que les participants n’en tirent aucun gain personnel, même en terme de notoriété. Je ne sais pas à quel point ils y parviennent.  Il faut dire qu’ils partent à trente…

Je pense qu’il est tout à fait correct que les huit conteurs de la Grande virée soient nommés, photographiés, mis en valeur.  C’est le groupe qui est mis de l’avant: lors de nos prestations à Montréal, plusieurs spectateurs m’ont mentionné avoir apprécié la variété d’univers que nous leur offrions.  Ce qui me chiffonne, c’est ma propre ambivalence face à l’attention médiatique que je reçois individuellement parce que je participe à une activité collective.

Je ne suis pas naïf.  J’étais très conscient en me joignant à la Grande Virée qu’il s’agissait d’un projet d’envergure et que cela aurait sans doute des répercussions sur ma visibilité personnelle, du moins au sein du milieu du conte en Estrie et au Québec.  Ce n’est pas pour cela j’ai accepté, mais disons qu’il s’agit de bénéfices marginaux intéressants…

Une fois mon « péché d’orgueil » confessé, j’espère arriver à mettre la vanité de côté et devenir vraiment un instrument qui sert le conte et contribue à le diffuser le plus largement possible.

« Trompettes de la renommée, vous êtes mal embouchées… » (G. Brassens)

N.B.: Je ne bloguerai pas sur Tenir conte pendant la Grande Virée.  Vous pourrez suivre nos péripéties sur lessemeursdecontes.wordpress.com.

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