À la pêche au poisson doré (3): mes choix… ma version

poisson_dore_story_loversJe crois que c’est ici que se manifeste une bonne part de ma créativité (liberté?) comme conteur.  Elle aura d’autres espaces: interprétation, ordre d’apparition des contes sur scène, etc.  Mais pour moi, développer ma version à partir d’éléments traditionnels et d’autres plus personnels est un réel plaisir et une occasion d’exprimer comment un conte me fait vibrer, ce qu’il touche en moi.  Par ailleurs, j’ai l’impression de participer à un mouvement ancien, où chaque nouvelle génération d’artistes ajoute à un édifice tout en valorisant la trame initiale.

Notons que je me sens cette liberté parce que j’ai fait le travail en amont de consulter plusieurs versions.  Il m’apparaît ainsi que je saisis assez bien la syntaxe du conte pour ne pas la trahir.  Ainsi, dans le cas qui nous intéresse…

  • Compte tenu du titre de cette série de billets, on aura compris que mon poisson est petit et doré.  Je ne précise pas son espèce.  L’or solaire, la grande puissance magique d’un si petit être, le fait que le poisson ne soit pas très intéressant pour le pêcheur qui consent à le remettre à l’eau sont autant de raisons qui motivent ce choix.
  • Ma version comptera sept demandes comme dans la seconde version collectée par Afanassiev.  C’est beaucoup, mais c’est plus fort que moi.  Je suis attiré par les chiffres « ronds » et symboliques des contes: trois épreuves, soixante-dix-sept chevaux, treize mots, etc.  Donc, sept demandes: nourriture, maison, argent, gardes, royauté, « impérialité », divinité.
  • Comme mentionné, l’apparence de la mer qui indique l’état d’esprit du poisson et les couleurs de l’eau qui s’assombrissent m’apparaissent un motif très parlant pour marquer la progression (négative) d’étape en étape.  Je conserverai donc ce motif de la version 1 des frères Grimm.

    poisson_dore_andrews
    Lauren Andrews
  • J’ai gardé une comptine d’appel, mais j’ai décidé d’écrire la mienne, plus facile à me mettre en bouche et qui insiste sur des éléments qui me semblent importants.  Ça donne ceci:
    « Petit poisson, poisson joli
    Ce n’est pas pour moi que je suis ici
    Ma femme Isabelle m’envoie te dire
    Ce qu’aujourd’hui lui ferait plaisir »
    Et le poisson de répondre: « Qu’est-ce qu’elle veut encore? », avec une voix de plus en plus lasse…
  • Lorsque j’ai raconté l’histoire de mémoire à mes enfants, mon plus jeune m’avait demandé un conte qui inclurait des figurines avec lesquelles il avait jouées pendant la journée.  Sur le coup, j’ai improvisé du mieux que j’ai pu…  Cependant, cette expérience m’a décidé à ce qu’après chaque demande le poisson suggère au pêcheur de remettre ses filets à l’eau.  Il lui fait alors cadeau d’objets magiques permettant aux demandes de s’actualiser. Par exemple, une vieille marmite donne de la nourriture, des outils rouillés construisent seuls la nouvelle demeure en une nuit, etc.  Ça me semble plus intéressant que d’avoir le poisson qui dit « C’est déjà fait », mais tout aussi magique.  De plus, ça matérialise les choses pour le public qui joue à deviner ce qu’un nouvel objet donnera…  Voilà certainement une touche plus personnelle, mais qui me semble respecter l’esprit du conte.
  • Dans une des versions du père Lemieux, j’ai bien aimé que le conteur précise que la vieille veuille des gardes pour protéger ses biens nouvellement acquis, notamment son argent.  Les difficultés du pêcheur à rejoindre son épouse, de plus en plus difficile d’accès en raison de ses titres de noblesse, constituent un élément comique et symbolique qui fonctionne bien.
  • L’entrée Wikipedia anglophone mentionne des finales modernisées (et télévisées!) différentes de celles des versions écrites que j’ai consultées.  Au poisson qui lui demande ce qu’il souhaite, le pêcheur avoue finalement qu’il veut simplement que sa femme soit heureuse.  Le couple retrouve sa situation initiale de pauvreté, mais aussi le bonheur d’être ensemble.  J’ai hésité longtemps parce que la punition subie par le couple pour avoir demandé la divinité me semble être une composante essentielle de cette histoire morale.  Cependant, je trouve très intéressant qu’on demande au pêcheur ce qu’il veut pour lui même alors qu’il n’est que le messager des demandes de sa femme depuis le début du conte.  Il demeure que c’est le pêcheur qui a sauvé le poisson au départ et qui trouve exagérées les demandes exponentielles de son épouse.  Contrairement à elle, il sait rester humble et son altruisme est réellement désintéressé. De plus, les derniers voeux ont contribué à diviser le couple… Ce rapprochement final en happy end à l’américaine m’est apparu irrésistible (j’aime trop les histoires qui finissent bien!).  Notons que tous les biens acquis sont perdus.

2 réflexions sur « À la pêche au poisson doré (3): mes choix… ma version »

  1. bonjour Jean-Sébastien,

    Merci pour cet article qui déroule la suite de ton travail.
    Je voudrais simplement te faire part d’une fin imaginée par une conteuse française en atelier avec Henri Gougaud: lorsque la femme demande à être Dieu, son voeu est en effet exhaussé et le pêcheur retrouve dans sa cabane misérable, un petit bébé dans l’auge fendue.
    Voilà, pour info ! Je ne connais pas le nom de cette conteuse et sa version, à ma connaissance n’a jamais été écrite.
    Bises,
    Martine

  2. Jean-Sébastien
    j’avais zappé ces articles sur la manière de « se faire son conte » (se l’approprier, l’apprivoiser… comme on veut !).
    Pour ma part je n’ai pas de démarche systématique, mais il m’arrive de m’y prendre un peu comme toi, en mettant diverses versions en parallèle (j’ai parfois utilisé les colonnes en tableau), en lisant des commentaires… Il va de soi que, depuis longtemps (!), j’ai adopté la bien utile classification internationale selon Aarne-Thompson-Uther (à défaut d’être parfait et exhaustif, ça rend de formidables services ! Le « Catalogue raisonné du conte populaire français » (Delarue, Ténèze, Bru) est précieux lui aussi.)
    Une différence d’approche majeure : je donne priorité aux versions locales collectées par chez moi… me mettant en quelque sorte en posture de « tradeur », récepteur/transmetteur des versions qui nous sont parvenues là où je vis… + – confrontées à d’autres, qui peuvent être diverses, et pas nécessairement les plus connues internationalement…
    Autre différence, semble-t-il : une souplesse grandissante au fur et à mesure que le conte devient « mien », notamment dans la manière de l’interpréter, avec + – d’explications autour (sans alourdir, mais en relation avec le public du moment), ritournelle approximative, parfois même dans la construction (structure/plan du récit).
    Bravo pour ton partage et tes articles toujours aussi enrichissants, en tout cas, pour moi !

Répondre à TolletAnnuler la réponse.