Est-ce que les conteurs transgenres racontent des histoires trans… génériques?

[Dans le cadre du Festival Les jours sont contés en Estrie, j’ai produit un texte en réaction au spectacle d’Ivan Coyote, présenté le 18 octobre 2013, dans le lobby du Théâtre Centennial à l’Université Bishop.  L’original, en anglais, peut être consulté ici.]

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Ivan Coyote

Allez, vous ne vous êtes jamais posé la question? Pas même un peu? Moi oui.

Puisque la façon de conter est tellement liée à l’identité particulière du conteur, comment racontera quelqu’un qui a dû lutter, redéfinir et affirmer cette identité? Quel genre d’histoires seront contées? Comment seront-elles incarnées pour être transmises? Des contes d’amour? De guerre? D’horreur? D’humour? Tous ces genres réunis dans un style unique qui traverse et transgresse toute catégorisation?

En français, les mots pour dire genre (sexe biologique) et genre (classification typologique des oeuvres) sont les mêmes. Pas en anglais. Et bien que je n’aie jamais eu l’intention de réduire le contage d’Ivan Coyote à cette seule dimension de tout ce qu’elle est comme personne, j’étais curieux… et crétin.

Assez curieux pour me planter devant elle, lui tendre la main et me la jouer cool. Faire comme si de rien n’était tandis que des milliers de questions me brûlaient pourtant les lèvres.  Devant son sourire timide et en entendant sa voix si apaisante – une voix que l’on réserve d’habitude aux confidences entre amis – je ne pouvais que m’interroger sur le secret de son charisme. Et j’avais déjà une partie de la réponse: Cette voix. Ce sourire.

Assez crétin pour croire que je comprenais les relations homosexuelles parce que j’avais quelques amis gais, alors que trois semaines plus tôt j’ignorais la différence entre transsexuel et transgenre… Intimidé par son regard attentif, je me suis énervé et j’ai bredouillé des phrases insipides en essayant d’avoir l’air intelligent. Elle ne m’a jamais jugé… ou du moins ne l’a jamais montré.

Ses histoires ont fini par parlé de famille, de privations, d’affection, de la mort, du chagrin, de la foi et, oui, d’Amour. D’amour passionné, durable, conflictuel, sur le déclin ou complètement fou… De l’amour sous toutes ses formes. Relations père-fille, rencontre de sa conjointe, départ d’une grand-mère chérie. Ce que c’est que d’être humain. Que ces sentiments soient éprouvés entre des femmes ou des hommes importe peu.

Le fait est que le contage ouvre des espaces où, en devenant le sujet de récits, les différences peuvent être exposées et mises de l’avant, ce qui permet d’entamer le dialogue. La richesse d’expériences diverses y est cause de célébration. Depuis une douzaine d’années, le Festival Les jours sont contés en Estrie m’a permis de repenser ce que je croyais connaître des Arabes, des Africains, des Européens, des Premières Nations, des Créoles, des Femmes, des Queers

Dans un Québec déchiré par des discussions nécessaires mais pas toujours respectueuses autour de la Charte des valeurs, avec la France – Terre de Fraternité, d’Égalité et de Liberté (?) – où l’intolérance est récemment resurgit dans toute sa laideur, le monde ne montre pas toujours les signes d’ouverture auxquels nous serions en droit de nous attendre en 2013. Nous avons besoin d’Ivan et d’autres comme elle pour nous aider à redécouvrir le monde à travers les multiples facettes du prisme de ces expériences racontées. Seulement alors la compréhension et l’empathie prendront racines.

Si le Coyote est le Trickster, farceur et filou plein de ruses, qui nous montre la folie de nos modes de vies étroits en marchant en équilibre sur ces frontières, nous avons besoin d’Elle plus que jamais.

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