Il faut des fondamentaux (stage avec Christine Andrien)

Je n’ai pas blogué depuis un moment parce que deux formations suivies coup sur coup m’ont donné à réfléchir: la première sur L’oralité du conte avec Christine Andrien de L’école internationale du conte de Bruxelles (19 au 21 avril 2013), la seconde sur Conte, livre et petite enfance avec Françoise Diep (3 au 5 mai 2013, sujet de mon prochain billet).

La rencontre avec Christine aura été un véritable coup de coeur professionnel. Non seulement est-elle une redoutable animatrice de groupe (nous étions une douzaine de participants et ça n’a pas causé de retards ou de frustrations!), dotée d’un sens de l’humour décapant, d’un rare esprit d’organisation et d’une grande rigueur dans le plaisir, c’est aussi une fabuleuse pédagogue.  Elle sait simplifier, reformuler, chercher l’expression qui fait image pour que les stagiaires saisissent.  À force de jouer à la maîtresse d’école (à l’instit, dirait-elle), on finit par y croire quand elle s’écrie « Gommette! » (un collant dans notre cahier, dirait-on au Québec) pour souligner un succès ou quand elle nous fait répéter à l’unisson que le public, il est « MALIN! » (pour nous rappeler qu’on n’a pas besoin de tout expliquer). Mais avec le panache de l’auto-dérision, elle ne nous laisse jamais oublier que c’est « pour faire comme si… », « on dirait que… »  On est là pour apprendre en s’amusant, à mille lieux d’un cours ennuyant.

Pourtant, si j’ai mentionné sa rigueur, c’est que ce n’est pas banal.  Je crois que c’est l’une des premières formations de trois jours que j’ai suivi – et j’en ai suivi quelques unes – où l’on applique et ré-applique systématiquement les mêmes trois ou quatre notions pendant toute la durée du stage.

Sans dire que les autres formateurs et formatrices s’éparpillaient, disons qu’ils avaient plutôt tendance à élaborer et à approfondir en passant beaucoup de contenu. Ce développement était généralement relié au thème central de la formation, mais on procédait jusqu’à un certain point en spirale, effectuant des cercles de plus en plus éloignés du coeur d’un sujet donné.  La « matière » transmise était le plus souvent pertinente et enrichissante, toujours connectée au sujet, mais une fois passé le premier avant-midi, on revenait rarement sur les principes de base.

Avec Christine, je suis convaincu que tous les participants (conteurs ou non) auront retenu qu’un récit oral, se raconte…

  1. avec des phrases courtes et directes (sujet-verbe-complément; aucun « mais », « car », « que », etc.)
  2. en évoquant des réalités concrètes perceptibles par les sens (pas de psychologie, de suppositions ou d’impressions)
  3. au présent (ça évite de défigurer le passé simple…)

On se l’est fait dire, dire et redire.  Bon, on a bien appris quelques petits autres trucs, mais l’essentiel de la formation a permis d’appliquer ces principes-là de toutes sortes de manières, ne serait-ce que pour les essayer.

[Une dimension intéressante de ces récentes formations (L’oralité du conte et Conte, livre et petite enfance) aura été la qualité de mes co-stagiaires.  Dans ces deux occasions, les personnes étaient motivées, curieuses, ouvertes, respectueuses, dynamiques (Non, ce n’est pas toujours le cas…)  Au nombre de celles-ci, la très réfléchie Geneviève Falaise qui a elle aussi blogué sur ses expériences. Geneviève ayant déjà fait le tour des principales notions apprises lors de ces formations, je me permettrai de toucher directement à des sujets qui m’interpellent plus personnellement.]

On m’a suggéré de parler du besoin d’une École de conte au Québec que j’ai évoqué dans ma rétroaction en fin de stage. Suite à une telle formation, je suis obligé d’écrire que je comprends mieux l’inquiétude des opposants à l’idée d’une école: la grande peur du MOULE. N’en déplaise à Christine, je persiste à croire qu’avec de tels principes systématisés à ce point, il y a un réel risque de mécaniser quelque chose qui doit être beaucoup plus organique. Je suppose bien que sur des formations plus longues, il y a moyen de nuancer et de permettre aux conteurs en devenir de développer leurs propres couleurs. Malheureusement, ce que je connais du conte au Québec m’amène à penser que tous ne pousseront pas le travail jusqu’à se débarrasser des tics qu’une telle formation pourrait leur avoir transmis. Je présume que c’est aussi le cas en Belgique ou en France…

Il n’en demeure pas moins que les gens de l’École du conte de Bruxelles ont fait l’effort de décomposer l’acte de conter en fondamentaux. D’un point de vue pédagogique, c’est quand même exceptionnel dans un milieu où la conception de la formation est plutôt médiévale (rapport maître-apprenti, compagnonnage et modélisation de rôle; auxquels je peux reconnaître certains mérites)… Quand on conte avec les principes de Bruxelles, on réalise bien à quel point les images évoquées sont plus nettes, ont davantage d’impact; combien la relation qui s’installe est solide.

Faire vivre cette efficacité/ spécificité du récit oral me semble fondamental, justement.  Après on décide si on achète ou pas, on essaie de se défaire des réflexes pour que ça coule… Mais il reste qu’en trois jours de L’oralité du conte tous les stagiaires présents – moi le premier – ont pu sentir de près ce que le conte avait de différent du théâtre, de la poésie, de la récitation…

Je ne sais pas si l’on réalise à quel point c’est précieux!  Combien de conteurs et conteuses d’expérience n’ont pas saisi qu’à l’oral le style se doit d’être épuré, que le rythme, les intonations, la prose ne peuvent être les mêmes qu’à l’écrit?

Pour généraliser cette prise de conscience, moi je suis prêt à risquer le MOULE n’importe quand.

Pour que se développe une véritable pédagogie de l’art de raconter, j’endurerais bien quelques tics (on travaillera à les défaire après; il nous faudra bien de nouveaux projets…).

Vivement une École du conte au Québec!

Une réflexion sur « Il faut des fondamentaux (stage avec Christine Andrien) »

  1. Intéressant. C’est vrai que le milieu du conte manque cruellement de bonnes formations (ce qui n’empêche pas de trouver de bons formateurs, qui excelle dans cette approche de compagnonnage que tu évoques). La théorie de l’art du conte est quasiment inexistante à l’heure actuelle (au contraire des aspects théoriques concernant le répertoire ou les aspects sociologiques, par exemple), et c’est très dommageable pour notre discipline.

    Moi ce qui me plairait, ce ne serait pas une école du conte à proprement parler (pour éviter les aspects dogmatiques dont tu parles) mais que les formateurs dans leur ensemble se penchent enfin sérieusement sur ces questions théoriques, par exemple sur le rapport au public, sur les registres de langage, sur le choix du répertoire, sur le rôle du corps, etc. Qu’on essaie d’enseigner, plutôt que de transmettre. Cette formation dont tu parles semble être sur la bonne voie.

    Après, sur cette mode de l’usage du présent dans la narration orale, je ne suis absolument pas d’accord. Quand on raconte une anecdote, on la raconte au passé, pas au présent. « Il m’est arrivé un truc dingue tout à l’heure. J’étais dans la rue, en bas de chez moi, et j’ai vu un type entrer dans la boulangerie. Eh ben il avait à peine poussé la porte que… » C’est pareil dans les collectages écrits ou sonores ; ils sont racontés au passé. Le présent, c’est un outil intéressant, ça permet de donner du rythme au récit, mais c’est très difficile à manier je trouve, et c’est à utiliser à bon escient. Mais bon, c’est la mode…

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