Toutes ces réflexions autour de l’immersion et de la sérendipité sont bien sûr inspirées par le projet sur lequel je travaille dans le moment avec les collègues Ours cordial, Ours insolite et Boucles d’or. [Je me suis totémisé moi-même « Ours perplexe », pour vous servir…] Titre de travail : Le bal des ours. Pour le 2oe anniversaire du Festival Les jours contés en Estrie (octobre 2012), nous sommes à préparer, vous l’aurez compris, un spectacle avec quatre histoires ursines (une par conteur).
Je m’attaque personnellement au conte de «Jean de l’ours » (AT 310B). Un gros morceau. Comme c’est un archétype qui existe dans les univers culturels européen, asiatique et amérindien, j’ai l’embarras du choix des versions… et des péripéties. Pas de rareté ici; le travail en est plutôt un de filtrage des éléments qui me parlent le plus et de synthèse personnelle. Si le début du conte est assez stable dans l’ensemble des versions que je lis, les derniers épisodes (notamment les aventures du héros dans « le monde souterrain ») vont dans plusieurs directions. À moi de choisir ce qui me semble le plus signifiant pour en faire un récit cohérent. Respecter l’histoire, tout en lui donnant ma couleur, mes motifs.
Synthèse aussi au niveau de la durée. J’ai trouvé dans les archives sonores du Centre franco-ontarien de folklore une version collectée par le Père Germain Lemieux qui fait plus d’une heure. L’ethnologue Marc Aubaret, spécialiste de cette histoire, m’a parlé d’une version pyrénéenne qui ferait au moins six heures (en plusieurs soirées). Je dois m’en tenir à vingt minutes pour notre spectacle…
Forcément, une telle focalisation sur Ursus Arctos et ses cousins rend un peu dingue… On se met à voir des ours partout!
À partir du moment où l’on se met à regarder le monde par ce « prisme ursin », on devient médusé de s’apercevoir à quel point l’ours a été intégré dans notre culture. En l’espace de quelques semaines, sans les chercher aucunement, je suis tombé sur…
- une statuette d’ours dans l’entrée d’un restaurant,
- un paragraphe sur la perception de l’ours au Moyen-âge,
- un commentaire sportif de Jean Dion dans Le Devoir sur les éliminatoires de la coupe Stanley,
- les collations de mes enfants (qui sont des biscuits « Pattes d’ours » de Dare),
- la vidéo d’un homme textant qui arrive face à face avec un ours,
- cette nouvelle annonçant que deux gardiennes de parc japonaises sont mortes tuées par des ours,
- cette autre où des oursons annoncent le printemps,
- la quatrième bande-annonce du film de Disney-Pixar Brave (Rebelle en français) montre bien que Merinda, l’héroïne, affronte un ours,
- la magnifique illustration en en-tête de ce billet [d’ailleurs, si vous en connaissez la provenance, faites-moi signe]
- etc. (J’en passe et des meilleures)
La symbolique même de l’ours est fascinante, notamment dans le rapport qu’entretient l’humanité avec cet animal. Le fait qu’il ait été perçu comme un proche parent ou un aïeul par plusieurs peuples primitifs, sans doute interpellés par sa posture plantigrade, le fait qu’il soit omnivore et l’attention de l’ourse à ses petits… Si la force et la fureur de la bête en font un symbole guerrier, elle est aussi un esprit tutélaire, alors que l’on associe diverses vertus curatives et protectrices à ses pattes, ses griffes, sa graisse, ses poils. D’autre part, l’idée développée par l’historien Michel Pastoureau que l’ours serait le roi déchu des animaux, remplacé par le lion du christianisme, me séduit beaucoup.
Après une hibernation artistique assez douloureuse l’hiver dernier, je me sens un peu comme cet ours qui baille, s’étire, se gratte, grogne et se met en branle péniblement. Compte tenu du réveil citoyen sur fond de manifestations étudiantes et écologiques au Québec, devant un immobilisme navrant des gouvernements, il me semble qu’une partie de la population s’éveille de même. Je n’irais pas jusqu’à y voir un retour de l’ours soviétique (l’U.R.S.S.), mais cet animal lent à s’activer et pourtant capable d’une formidable énergie fait écho à beaucoup de ce qui m’entoure. Il me semble donc tout à fait approprié que mon printemps soit consacré à l’ours.