La poutine

J’ai moins écrit cet été  parce que j’ai été un peu happé par ce que j’appelle « la poutine » (en mai-juin surtout)…  Ici, je n’ai de leçon à donner à personne.  La plupart des conteuses et conteurs connaissent cet aspect des choses bien mieux que moi qui suis néophyte en la matière.  L’idée ici est davantage de témoigner d’un côté du métier dont on ne parle que trop rarement entre nous: soit le fait de devoir se mettre en marché.  Je reste songeur quant à la raison de ce silence.  Parce que ça fait mercantile et que nous sommes des artistes?  Parce qu’on est tous un peu en compétition les uns avec les autres?  Moi-même, j’avoue avoir attendu avant de prendre le temps de rédiger ce billet.  Malaise ou pudeur?

« La poutine », ce sont ces moments où, plutôt que de lire, d’écrire ou de laisser s’envoler la créativité (et la théorie dans mon cas), on rédige une demande de subvention, on réchauffe des contacts avec des diffuseurs, etc.  Pour la Xième fois, on explique à un quidam anonyme le sens de notre démarche et le pourquoi notre projet est si important, si nouveau et différent, fondamental…

Pour moi, cette fois « la poutine » s’est traduite par une première demande de sub, la rédaction d’un premier C.V. de conteur (bien différent de mon « autre » C.V. professionnel) et surtout d’une « carte de visite » (je n’ai pas encore de quoi constituer un « dossier de presse ») présentant mon spectacle et mon travail de conteur.  Bien sûr, j’ai trouvé ça gazant, difficile, alambiqué…  Mais, vous savez quoi?  Je suis assez content de la démarche.

Je suis certain que si je me mets à produire régulièrement (annuellement?) ce genre de documents, je vais trouver ça pénible au possible.  Cependant, ce coup-ci cela m’a permis un retour en arrière et un exercice de recul face à mon parcours qui n’était pas inintéressant.  Plaisir peut-être narcissique, mais je réalise qu’en sept ans, j’en ai fait des affaires en lien avec le conte.  Bilan: une quinzaine de formation (au-delà de deux par années – merci RCQ, Productions Littorale et Conseil de la culture de l’Estrie), une vingtaine de « prestations marquantes » (en Estrie bien sûr, à Montréal, Québec, Rimouski, Mont-St-Hilaire), des textes de réflexion (notamment dans L’art du conte en dix leçons), ce blogue…  Et surtout, des contacts un peu partout au Québec et en France qui constituent un réseau de collègues et d’amis auprès de qui je peux m’informer de ce qui se passe dans le milieu et approfondir ma réflexion…

En cette ère de marketing de soi-même, j’avoue avoir particulièrement trouvé difficile l’exercice de rédiger des textes vendeurs où je devais me présenter sous mon meilleur jour.  Et je ne pense pas que ce soit de la fausse modestie.  Je sais que j’ai des forces et je suis prêt à les mettre de l’avant, mais d’arriver à le faire sans que cela ne sonne trop… pesant.  C’est un tour de force. Quand on pense à tous les conteurs de tous les styles, avec souvent plus d’expérience que moi qui pratiquent leur métier avec brio…  Qu’est-ce que je peux bien avoir d’exceptionnel?

En fait, c’est l’ami Éric Gauthier qui m’a encouragé à développer ce que son agente appelle une U.S.P. (ma Unique Selling Proposition).  Au fond, c’est de se demander ce qui nous distingue.  J’en suis arrivé à conclure que tout le temps que je prennais à me former, à choisir et à préparer mes contes pouvait être tourné à mon avantage.  J’ai donc développé cette idée que j’étais un « polisseur d’histoires précieuses » et j’ai surfé sur cette métaphore de bijoutier. Jugez vous même:

« Pour lui, chaque conte est une pierre précieuse trésor du passé; un cristal de l’air du temps qu’il faut traiter avec respect. Drôles, fascinantes ou touchantes, ses histoires-gemmes sont donc choisies avec minutie. Prospecteur, il déniche plusieurs spécimens des mêmes contes afin d’en développer des versions toutes personnelles. Puis, il les taille pour en faire briller les images fortes, l’éclat de sagesses et de symboles toujours actuels. On admire la précision de son vocabulaire et la verve qu’il emploie à le manier lors de performances simples mais intenses. Sensible à la beauté de la langue, il polit les mots jusqu’à les faire chanter. »

Ouais, ça semble un peu poussé, comme ça, dans le vide…  Mais avec un photo et des commentaires de spectateurs, ça ne passe pas trop mal.  La preuve?  À la suite des conseils d’Éric et de collègues graphiste et réviseure, ma « carte de visite »  m’a permis de décrocher un premier contrat dans un musée et d’entrer en pourparlers pour d’autres spectacles à venir…

Finalement, lorsque mangée avec modération, la poutine, ça a du bon.

Bon, ce n’est pas tout, me faudrait un démo maintenant…

Une réflexion sur « La poutine »

  1. pas mal, ta métaphore surfée…

    En tout cas, cela correspond plutôt pas mal au souvenir que j’ai de tes contes et l’idée que je me fais de ton travail de recherche et d’écriture (y’a qu’à lire ce blog: l’amour de la précision, tu l’as, pas de doute là-dessus)… Le parallèle entre ton travail et celui d’un bijoutier diamantaire est plutôt (et très objectivement) bien vu: ne nécessitent-ils pas la même dose de tétra (voire dodéca)-capilloschizie ? 😉
    Non, tu es tout de même plus véloce: il paraît qu’il faut des années -voire des dizaines- pour tailler convenablement un diamant !!!

    Blague à part, je trouve qu’il n’y manque qu’une chose: une allusion à l’humour acéré, et parfois grinçant, de certaines de tes histoires, et notamment « la page blanche », puisque c’est celle qui m’a le plus marquée… Mais peut-être as-tu beaucoup évolué quant au style de tes histoires maintenant ? C’est vrai qu’une démo ce serait top… 🙂 🙂 🙂

    Excellente réflexion, ce billet; c’est bien vrai que parler de soi pour « se vendre » est un exercice pénible… Personnellement, je préfère vendre les copains. C’est plus simple…

    …J’aime bien le petit nom de baptême dudit exercice… Très bon !

    À plus !

Répondre à aliceAnnuler la réponse.