En entamant cette classe de maître, j’avais l’ambition d’écrire sur ce blogue à chaque semaine de formation et de faire part de mes découvertes au fur et à mesure. Le temps file, les obligations nous rattrapent, une certaine paresse s’installe… Nous voici presqu’à la fin du parcours de dix semaines. Plus que deux rencontres et cette aventure sera dernière nous. Voici tout de même un aperçu de ce qui s’y est passé…
Je tiens d’abord à dire quelques mots de la fée Mirage. D’une part, qu’elle s’annonce déjà comme une redoutable formatrice, avec un oeil pour débusquer ce dont la personne devant elle a besoin. D’autre part, que cette femme, conteuse expérimentée mais encore jeune, dispose d’un coffre à outils impressionnant qu’elle partage avec générosité, autant en atelier que par courriel entre les rencontres. J’y reviendrai.
Première surprise: elle est assez directive dans sa façon de nous guider. Après avoir travaillé avec de nombreux formateurs et formatrices qui faisaient plutôt dans la proposition floue (« Vas-y! Essaie quelque chose et on verra… »), ce n’est pas inintéressant d’avoir quelqu’un qui nous dit: « Essaie de raconter ton extrait d’histoire de cette façon X. On en discute après pour voir comment tu as vécu ça… »
À chaque semaine, deux d’entre nous se lancent devant le groupe avec nos problématiques. Mirage nous écrit personnellement pour nous suggérer des pistes de préparation. Nous travaillons sur de très courts extraits de nos contes, ce qui suppose que l’on devra appliquer les techniques retenues à l’ensemble de notre récit à d’autres moments. Les autres membres du groupe servent de témoins, mi-public averti, mi-jury de pairs. Je pense parler pour les autres en exprimant que l’effet sur chacun de nous est de se demander: « Et si moi je contais comme ça, qu’est-ce que ça donnerait? Est-ce que je pourrais appliquer cette technique à une de mes histoires? ».
Deuxième constat: lorsqu’elle forme, Mirage est très investie, mais dans le jeu et l’empathie. Son attitude ludique est contagieuse. Il y a beaucoup de sourires complices, de regards sous-entendus avec du « sarcasme sympathique » pour nous encourager à nous dépasser. Elle part en courant de sa position d’observatrice à l’arrière du public pour se rendre juste à côté du conteur et de la conteuse, se mettre dans sa position pour entrer elle-même dans la mise en scène imaginaire du stagiaire: « D’accord, le château est derrière toi. Où vois-tu la reine? Juste devant toi? À l’autre bout du sentier? Et où commence la forêt? » À l’inverse, quand une personne éprouve visiblement des difficultés avec une proposition, quand les émotions montent, elle devient complètement attentive, avec un « Ben oui, c’est certain que c’est difficile. C’est la première fois que tu contes comme ça. On essaie des pistes. Après, tu verras si tu choisis de ne plus y aller, mais tu l’auras essayé… » Je sais que c’est un mot très galvaudé, mais on sent vraiment sa bienveillance (au sens propre de « vouloir du bien à autrui », mais aussi de « veiller sur les autres »).
Un troisième point, c’est qu’elle a développé tout un vocabulaire qui nous permet de parler des mêmes choses. Par exemple, on travaille beaucoup en technique cinéma pour visualiser nos histoires, aller chercher un gros plan sur un objet, le visage d’un protagoniste, etc. et se demander « Comment ça change la parole? », « Comment ça change le rapport au public? ». Notre objectif est de développer des images sensorielles qui créeront un ressenti dans le public. En préparant un conte, on comprend qu’il est bon de repérer les « perles » de notre récit (les moments d’une histoire que le conteur ou la conteuse affectionnent particulièrement), ce qui permet de conter avec des ancrages émotifs (souvent, il s’agit de moments qui « font vivre quelque chose » à la personne conteuse et qui font qu’elle est davantage groundée dans son histoire, qu’elle peut revenir à soi et donc qu’elle est plus en lien avec le public). Avec ces ancrages, on peut découper notre histoire en « petits paquets » d’intensité et de rythme particuliers. On cherchera à varier ces paquets aux différentes ambiances, afin d’offrir une diversité de couleurs au public… Etc.
Qu’en est-il des vertueux participants à cette formation?
La classe de maître étant basée sur les problématiques apportées par les participantes et participants, il me semble important de glisser un mot du travail de chacun. J’espère le faire avec tout le respect qu’ils m’inspirent et qu’ils méritent.
La personne que j’ai appelée YU (le courage) se demande comment s’approprier son récit, une histoire de berger du Kazakhstan. La fée Mirage l’a amené à visualiser son conte (avec les cinq sens, pas seulement la vue) pour mettre en scène son imaginaire, afin de « profiter de sa plaine » et de voir « ce que le film de ton personnage t’apprend sur lui ». Pour m’être souvent débattu avec ces questions d’appropriation et de liberté du conteur, j’en comprends bien toute la pertinence. J’admire Yu de se lancer dans le bain tête première.
Celle que j’ai nommée GI (la rigueur) travaille sur un très long conte ukrainien. Elle se demande si cette histoire d’une autre époque, pleine de répétitions et de formules rituelles est encore appropriée aujourd’hui et comment l’actualiser. La fée Mirage lui a demandé de conter face au mur (dos au public), assise par terre les yeux fermés en murmurant (pour retrouver l’intériorité du récit), puis assise à quelques pas du public (aussi assis par terre) comme pour une confidence partagée. Elle cherchait à favoriser chez cette personne un relâchement qui l’a amené à conter bien différemment et à trouver une pertinence renouvelée dans son histoire.
JIN (la compassion) a pris l’habitude d’apprendre ses contes par coeur, au mot à mot, puisqu’« il y a des mots qui sont jolis ». En préparant le conte gallois sur lequel elle travaille, elle aimerait « désobéir » au « centre de contrôle » de son cerveau qui l’amène à constamment porter un jugement sur sa façon de raconter, notamment sur les mots et formulations qu’elle utilise. La fée Mirage a tenté de l’amener à raconter à partir d’un espace d’émotions profondes et d’images, plutôt qu’à partir de l’espace du langage (texte appris).
CHUGI (la loyauté) cherche de nouvelles avenues pour apprendre un conte, un solide récit d’origine kabyle, plein de drames. La technique cinématographique faite de descriptions (images concrètes), d’actions et de dialogues lui a permis de raconter différemment – avec un autre rythme – en se détachant du texte. Elle s’est également aperçu que cela favorisait la répartition de l’information tout au long du récit, plutôt que de gaver les spectateurs de longues explications en début d’histoire. Ayant plutôt l’habitude de travailler d’instinct, « voir le film » de son histoire l’a obligé à « passer par sa tête », ce qu’elle a trouvé intéressant en mode recherche.
REI (le respect) aimerait rendre plus dynamique sa façon de raconter le parcours émotionnel du héros d’une histoire slave. Pour travailler le rythme, la fée Mirage lui a recommandé de faire l’« électrocardiogramme » de son histoire, soit une représentation graphique des hauts et des bas, en termes à la fois de rythme et d’intensité dramatique, qui sert d’outil de travail. Ainsi, des moments d’intensité dramatique peuvent être très lents (un chagrin) ou très rapides (une poursuite), des moments plus légers (drôles, merveilleux) peuvent passer rapidement ou être goûtés longtemps. On peut jouer avec ces « cassures » pour favoriser notre présence au public.
MAKOTO (la sincérité) aimerait raconter simplement une tragique complainte médiévale. Indépendamment de la dimension mythique de cette histoire, elle voudrait trouver sa façon à elle, sans se juger de ne pas employer une langue aussi soutenue que dans les versions écrites qu’elle a consulté. Mirage lui a fait essayer différentes manières d’incarner une reine, de mettre en espace une chambre et les environs d’un château. Devant la conteuse qui n’est pas toujours confortable avec le résultat du travail et se demande quoi garder, Mirage aura ces mots: « On ne planifie rien. Si on ne le sent pas, on ne le fait pas. On ne fige rien. Si ça colle, ça va rester. »
MEIYO (l’honneur) veut aussi travailler le rythme d’un conte emblématique du répertoire des frères Grimm. Elle aimerait y trouver son rythme en évitant le recto tono. Sa version du conte, qu’elle a magnifiquement écrite, contient de longs passages. Or, Mirage lui a suggéré de couper des mots pour accélérer son débit dans certains moments et créer les différentes couleurs dont il a été question plus haut. On lui a aussi suggéré de développer davantage les liens entre les personnages pour qu’une scène-clé du conte prenne toute sa force.
Depuis deux mois, mes jeudis soirs ne sont pas tristes. J’ai hâte de retrouver ce groupe. Taquineries et running gags sont au rendez-vous. À chaque rencontre, nous effectuons d’abord un retour sur le travail de la semaine précédente et les réflexions qu’il a suscitées chez les uns et les autres. Suit une période d’échauffement souvent animée par la fée Mirage, mais occasionnellement par des conteuses et conteurs du groupe: étirements, activation, visualisation, Yoga, chant traditionnel, diction, etc. Autant de façon de se préparer à conter avant un spectacle et qui viennent enrichir notre coffre à outils. Entre les périodes de travail des deux personnes « sur la sellette », c’est le temps d’une courte pause qui nous permet de se sucrer le bec avec des biscuits et pâtisseries apportées par un membre du groupe. En fin d’atelier, on prend un temps d’écriture dans nos journaux de travail personnels, puis c’est le temps d’une dernière mise en commun de nos découvertes avant de se laisser… souvent un peu après l’heure de fin prévue.
Merci pour ton texte. Nous avons le goût d’en savoir encore plus! Quel stage intéressant!