Tenir conte

Un conteur chez les tellers

Du 1er au 5 août dernier, j’ai participé à Contes courants / Story Streams, la 20e conférence annuelle de Storytellers of Canada / Conteurs du Canada (SC/ CC) qui se tenait au Collège Brébeuf, à Montréal.  Comme c’était ma première participation à une activité de cette organisation, j’étais assez « outsider » pour avoir un regard externe.  J’en ai ramené plusieurs idées qui me semblent intéressantes pour le milieu du conte francophone (au Québec ou ailleurs).

Rotation dans la tenue du colloque et visite de la ville hôte : à chaque année la conférence change de ville.  Rien de bien unique en cela, si ce n’est que l’organisation trouve important de faire visiter la ville-hôte aux participants afin de leur permettre de découvrir les histoires qui s’y cachent.  Cette année, la possibilité nous était offerte d’accompagner un conteur dans la découverte de l’un des quartiers de Montréal.  Les conteurs ayant une vision du monde particulière, ce n’est pas triste.  Je sais que par le passé des croisières ont été organisées à Terre-Neuve pour aller visiter un village de pêche reculé, de même que des visites des quais de Halifax… et de leurs brasseries !

Importance des partages d’expérience : il s’agissait de la 20e édition de cette conférence et on avait choisi d’honorer les fondateurs, puisque que SC/CC est né à Montréal en 1992.  Déjà, les activités et les discussions étaient colorées d’une sorte de « bilan » à faire après vingt ans.  Cependant, cela n’apparaissait pas comme « exceptionnel ».  Il semble y avoir dans cette organisation une réelle préoccupation pour l’aspect « transmission » de notre passion.  Si la présidente convenait avec moi que les rangs comptent de nombreuses « têtes blanches » et qu’il faut attirer davantage de jeunes, on trouve chez ces tellers une soif de partager leur bagage qui est très touchante.  Et il y a des oreilles pour écouter…

Des exemples ?  Une des premières activités du colloque consistait en un long tour de table – nous étions plus d’une centaine d’inscrits – où chacun devait se présenter, mentionner d’où l’on venait et nommer une chose qu’il ou elle avait appris pendant l’année qui venait de s’écouler.  Apparemment, cette présentation collective annuelle proviendrait d’un aîné (elder) amérindien qui aurait expliquer aux premiers organisateurs de SC/ CC qu’ils ne parviendraient jamais à mettre en place quoi que cela soit de valable dans leurs rencontres tant qu’ils ne sauraient pas vraiment qui faisait partie du cercle.  Si cela peut sembler fastidieux, j’ai bien aimé la philosophie derrière ce geste tout simple (nous sommes des gens de parole – chacun doit pouvoir faire entendre sa voix).  La formule « une personne = une expérience acquise » ouvrait la porte à de nombreux échanges ultérieurs.

À travers les ateliers que l’on nous proposait (voix, travail sur le corps, improvisation, etc.), nous pouvions sélectionner des « Elder talks »  (Paroles de sagesse) où deux conteurs d’expérience (anglophone / francophone dans ce cas-ci) échangeaient en toute simplicité sur ce qui les avaient amené au conte, des souvenirs de contages mémorables, des difficultés, etc.  Il y a dans cette connaissance incarnée quelque chose d’affectif qu’on ne rencontre que rarement dans une formation traditionnelle.

Comme dans plusieurs organisation anglophone, une des positions du Conseil d’administration est celle de « Past President« .  C’est à dire que la personne occupant la vice-présidence sait qu’elle peut devenir présidente au terme de son mandat et qu’elle sera appuyée par la personne à la présidence.  Cette dernière consacrera un mandat supplémentaire à titre de « président sortant » pour assurer la continuité des dossiers.  La SC / CC va plus loin…  Toute personne ayant été à la présidence dans le passé devient d’office membre du très sélect club des « Silly Old Person » (SOP).  Si les SOP jouissent d’une certaine autorité morale (elles ont toutes connues les tâches administratives), elles servent surtout une grande volonté de ne pas se prendre trop au sérieux dans les assemblées générales et amènent un salutaire grain de folie à ces réunions souvent austères.

Enfin, je note une préoccupation importante pour le mentorat /compagnonnage chez eux.  Non seulement pour qu’il y en ait, mais aussi  pour que cela se fasse avec respect pour les apprentis, quitte à baliser cette pratique par des règlements ou des guides de bonnes pratiques.  Tant il est vrai qu’un mauvais maître peut briser un talent naissant, ou du moins le décourager.

Différences dans la manière de conter :  j’ai beau être très conservateur dans ma propre façon de conter et limiter le plus possible les effets théâtraux, j’avoue avoir été frappé par le côté statique des spectacles auxquels j’ai assisté.  Ça permet certainement de se concentrer sur la parole et le charisme du conteur ou de la conteuse, mais j’aurais pris un peu plus d’audace et de folie…  Par ailleurs, dans les récits que j’ai entendu, on constatait une nette prédominance pour le récit de vie, l’anecdote historique ou encore des textes de fiction racontés au « je »…  Ces observations peuvent être des traits générationnels (nous avons entendu relativement peu de jeunes conteurs anglophones), mais je suis demandé s’il ne s’agissait aussi de spécificités culturelles…

Slam de conte et improvisation : j’ai néanmoins participé à des ateliers qui montrent bien que le milieu anglophone prend des risques et tente de nouvelles formules.  Le slam de conte ressemble pas mal au slam de poésie (aspect compétitif, juges choisis dans le public, texte appris par coeur, système de notation, etc.), mais chaque participant doit livrer des contes de 5 minutes maximum.  Il y a des soirées régulières de slam de conte à Vancouver, Calgary, Ottawa et Montréal (soirée bilingue qui débute sa seconde année d’activités).  Ruthanne Edwards, la slamestre d’Ottawa, est une personne de référence à connaître.

Alors que j’ai déjà fait de l’impro et que j’ai habituellement la répartie facile, j’étais terrorisé à l’idée d’improviser des histoires.  L’atelier de Jennifer Ferris m’a permis de dédramatiser le tout et d’intégrer le public dans la création.  Voilà qui va me permettre d’augmenter les interactions lors de spectacles.

Bilinguisme (… ou non?) : En remerciant les organisateurs, les membres du Conseil d’administration ont fait grand cas du fait qu’ils avaient entendu beaucoup de français pendant la conférence de cette année.  À leur mesure, je présume que c’est vrai.  Du point de vue d’un francophone, c’était plutôt limité…  Notons que le problème est le même que dans plusieurs autres organisations pan-canadiennes : la plupart des francophones se débrouillent en anglais, alors que plusieurs anglophones sont totalement unilingues.  Lorsqu’il y a traduction en français – ce qui rallonge considérablement les discussions – un bon nombre de francophones a déjà compris.  Je remarque cependant que la question du bilinguisme est l’une des priorités que s’est donné SC/CC et que l’atelier sur cette question a réuni une quarantaine de personnes.  Il y a de l’espoir !

Faible participation des québécois francophones:  c’est probablement ce qui m’a le plus troublé…  J’ai beau essayé de passer et repasser dans ma tête les multiples raisons qui expliqueraient cette quasi-invisibilité (à l’exception des organisateurs et de quelques braves), j’ai peine à comprendre.  Était-ce l’obstacle de la langue ?  Le faible intérêt de se joindre à la réunion d’une autre organisation parce que nous avons aussi la nôtre ?  Le coût en temps et en argent ?  Tout le monde ne peut pas se libérer quatre jours.  J’ai vu quelques québécois apparaître le temps d’un atelier ou d’un spectacle, puis repartir.

S’il est sans doute vrai que la façon de conter des anglophones du ROC diffère de la nôtre, est-ce que ce n’est pas passionnant d’en prendre connaissance ?  De s’y frotter, pour mieux apprécier notre originalité ?  Si une réunion de conteurs créoles s’était tenue à Montréal, aurait-elle été ainsi boudée ?  On peut être fiers de sa culture et curieux de celle des autres, non ?

Personnellement, j’ai été enchanté des discussions auxquelles j’ai participé.  De savoir qu’au-delà de notre petit milieu, d’autres conteurs et conteuses font vivre des histoires et éprouvent les mêmes problèmes que nous…  On se sent moins seuls avec notre amour du conte.  Il y avait à SC /CC des délégués de Grande-Bretagne, des États-Unis et d’Australie.  Ça ouvre les horizons.

Je commence déjà à planifier mes vacances de l’été 2013 pour voir si je peux me permettre un détour par Ottawa où se tiendra la conférence 2013.

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