Tenir conte

Flying Coach 8: Rendre personnel

À quelques jours d’un spectacle solo qui conclura une seconde vague de travail sur Chevaucher les seuils – Contes d’au-delàs et de Là-haut, un nouveau bilan s’impose.  Il m’est difficile de parler de manière générique des séances de coaching de cet automne tant l’« entraînement » s’est personnalisé (Dictionnaire Robert : « rendre personnel »). Je vais tout de même essayer d’en dégager du matériel d’intérêt général.

J’entendais récemment Mme G. mentionner à quelqu’un : « Moi, je connais bien Jean-Sébastien et il ne voudra pas ceci… Il préférera cela. ».  C’est vrai.  Elle me connaît bien mieux, me devine, sait quand elle peut me pousser plus loin (ou pas), même si je ronchonne au début.

Réalisant dès septembre que nous avions peu de temps, Mme G. et moi avons convenu de travailler certains aspects précis de ma manière de conter.  Outre les problèmes propres au spectacle (transitions et difficultés avec certains contes, dont j’ai parlé ici), nous voulions :

Éliminer les tics

Nous en avons tous et d’aucuns pourraient affirmer qu’ils font partie de qui nous sommes comme conteurs, de notre couleur, de notre personnalité particulière.  Il reste qu’ils ne doivent pas parasiter l’histoire au point que des gestes ou des mots involontaires lui fasse dire des choses que nous ne souhaitons pas (par ex : un sourire narquois au mauvais moment, l’accentuation d’un détail anodin par un hachement de la main, etc).  Bien sûr, ils sont généralement inconscients et un regard externe s’avère précieux pour nous aider à les identifier.

Dans mon cas, j’ai tendance à froncer les sourcils à tout propos : Si le héros cherche quelque chose ou est méfiant, ça va.  Quand il devrait être content, ça envoie un message pour le moins ambigu.  Première difficulté : prendre conscience de ce geste, de manière à le repérer avant qu’il ne survienne.  Ensuite, le remplacer par autre chose de plus juste (la nature a horreur du vide). Pas si simple qu’il n’y paraît…

De même, si j’ai pratiquement réussi à éliminer le mot « éventuellement » qui s’immisçait à tout moment dans mes contes (avec une impropriété de sens en plus : je m’en servais pour dire « plus tard », « ultimement », au sens d’eventually en anglais), je me suis retrouvé avec un abus de « et pis… ». C’est ce que mon paternel appelait des « clutch words » et que je me risquerai à traduire intégralement par « mots d’embrayage »…  Il s’agit de béquilles permettant de démarrer une phrase alors que l’on tente d’organiser ses idées.  Dois-je y voir un signe que j’anticipe trop la suite de mes contes plutôt que de me concentrer sur ce que je suis en train de dire ici et maintenant?

En tous les cas, à force de me les faire souligner constamment par Mme G., je commence à les identifier avant qu’ils ne m’échappent et j’arrive à me corriger.  Pourquoi?  Parce que j’ai constaté qu’ils finissent par sonner comme des notes de trop dans l’interprétation d’une partition (le conte).  Il me semble beaucoup plus direct et efficace de dire « Il a quitté la forêt et il a marché trois jours » plutôt que « Et pis [ou éventuellement], il a quitté la forêt. Et pis, il a marché trois jours. »  Sus aux parasites!

Maintenir le niveau d’énergie

Avec Mme G., nous avons découverts que ma difficulté à gérer l’effervescence aux moments les plus intenses des histoires – et qui amène ma voix dans des aigus désagréables – était peut-être due davantage à un problème d’expiration que d’inspiration.  En discutant, elle m’a aidé à identifier que j’associais le fait d’expirer à un relâchement complet, voire à de l’avachissement. Évidemment, ce n’est pas exactement souhaitable en plein spectacle.

D’une part, elle m’a proposé d’avoir le réflexe d’expirer avant de commencer un conte ou un nouveau « chapitre » dans une histoire.  Pour moi, c’est la découverte d’un magnifique truc anti-stress utilisable sur scène et permettant de me « regrouper » avant d’« attaquer » la section suivante d’un récit.

D’autre part, elle m’a proposé un programme d’échauffement adapté à mes besoins particuliers.  Il y est notamment question d’ouvrir les « sept portes énergétiques » et particulièrement la première, celle du sacrum.  J’étais pour le moins sceptique, comme chaque fois que le monde du conte fleure l’encens, les cristaux et le Nouvel Âge. Un peu de lecture m’a permis de réaliser qu’elle me guidait sur la voie de la Kundalinî pour ouvrir le mûlâdhâra-Chakra. Pas très cartésien tout cela… [Note à moi-même : interroger Mme G. sur ses antécédents en yoga.  Personnellement, je n’y connais rien!]

Il faut cependant bien avouer qu’en se concentrant sur l’allongement et la rectitude de la colonne vertébrale lors de l’expiration, en s’efforçant d’amener ladite colonne vers le bas et vers l’arrière du dos, l’effet sur l’enracinement est remarquable!  Immédiatement, on se sent plus solide, on a l’impression que des terminaisons nerveuses partent de la plante des pieds pour s’enfoncer dans le sol.  C’est, m’a expliqué Mme G., ce qu’elle appelle être véritablement «groundé » (littéralement « mis à la terre » dans le vocabulaire de l’électricité).  Et c’est vrai que cela donne une assise, une solidité intérieure qui donne la force tranquille nécessaire à bien appuyer la parole pour qu’elle atteigne le spectateur.

Développer la présence

Je pense avoir déjà évoqué ici ma difficulté à être à la fois dans mes histoires ET avec le public.  J’ai beau aimé partager mes contes avec les gens, j’ai tendance à me perdre dans mes histoires tant leurs images me captivent…  Si bien qu’une mouche assistant à nos rencontres de coaching entendrait souvent Mme G. ponctuer mon contage de « J’te perds… », « T’es plus là… », « Je décroche… », etc.

Pour Mme G., il faut qu’il y ait toujours des intentions et des couleurs distinctes à ma parole, de manière à maintenir l’intérêt du spectateur.  Au début, j’avais l’impression que c’était trop.  Comme si, à force de surligner ou de mettre en gras tout un texte, plus rien ne ressortait de l’ensemble. J’ai fini par comprendre que cela pouvait se faire plus en nuances, avec des demi-teintes et des textures subtiles et variées.

L’idée que j’en retiens, c’est de vraiment goûter, de vivre la « substance » (le sens?) de chaque mot avec intensité.  Si je parle du cristal, par exemple, je ne me contente pas de le nommer.  J’en évoque en moi la brillance, le poli, la fragilité.  Tout cela de manière à ce que le mot soit chargé de cette « saveur » au moment de rejoindre l’oreille du spectateur.

Par ailleurs, Mme G. s’est mise dans la tête de me faire développer ma vision périphérique (pour que je reste attentif à ce qui se passe dans l’auditoire)… en plus de la rectitude de ma colonne, de l’éclat de mon regard, de l’assurance de ma démarche.  Ça a donné quelques séances assez sportives où je courais dans tous les sens en essayant de rester attentif à tous ces éléments en même temps. Au bout d’une demi-heure de ce manège et de « De la vie dans le regard! », « Décisif quand tu changes de direction! », « Me vois-tu derrière? », « On ne lâche pas », etc., j’ose à peine regarder ma tortionnaire de peur qu’elle détecte le niveau d’agressivité que je lui porte à ce moment précis…  Et dire que je la paye pour ça!

Néanmoins, je suis bien forcé de constater qu’il y a des réflexes qui s’inscrivent désormais dans ma façon d’être sur scène.  Les quelques fois où j’ai conté cet automne, il m’a semblé être déjà en meilleure connivence avec le public, plus au diapason avec eux.  En discutant, Mme G. et moi avons cerné la notion d’émerveillement (Robert : « Fait d’éprouver un étonnement agréable devant quelque chose d’inattendu qu’on juge merveilleux. ») qui est au cœur de l’expérience que je veux faire vivre aux personnes qui viennent m’entendre.

Un exercice intéressant (pour changer le mal de place et me préparer à un spectacle différent, en duo avec Marc-André Caron celui-là) aura été d’appliquer toutes ces notions à d’autres contes que mes histoires d’au-delàs.  Même des créations que je contais depuis longtemps ont bougé.  Cela m’a permis de constater que les apprentissages que j’ai fait lors de ce coaching sont transférables et que c’est l’ensemble de mon travail de conteur qui évolue.

*****

Dans l’intervention sur la formation des conteurs que j’ai donnée récemment au colloque du RCQ, je me demandais notamment pourquoi les conteurs semblent tous rêver d’une formation personnalisée (compagnonnage, mentorat, etc.).  Je dois convenir que le privilège de travailler avec quelqu’un qui apprend à vous connaître jusque dans vos limites et vos forces (même insoupçonnées), c’est une opportunité qui vaut de l’or.

Mais en fin de compte, ce travail s’adresse à une tierce personne.  L’élimination des parasites, l’énergie, la présence ne visent qu’une chose : abolir les barrières et ouvrir le plus grand possible le chemin jusqu’à celui ou celle qui nous écoute pour qu’il ou elle puisse être touché par nos histoires et les faire siennes.  C’est pour elle que les contes doivent devenir personnels.

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