Donner son opinion sur le milieu à partir de la périphérie

Pour une chronique dans un magazine littéraire, on me demande « Comment se porte le conte au Québec?  Qu’est-ce qui explique cet état de fait? »  Euh…  C’est à moi que vous demandez ça?

J’ai évidemment ma petite idée personnelle là-dessus, mais je ne suis pas organisateur, ni membre du C.A. du Regroupement du conte au Québec (RCQ) ou du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV).  Je ne gagne pas ma vie en contant ni ne vend des livres de contes…  Ce que j’essaie de dire, c’est que ma perspective est forcément très partielle, régionale, provenant d’un conteur du dimanche qui observe le milieu par sa très petite lorgnette.

Et puis d’abord, c’est qui le milieu? Les conteurs professionnels?  Les conteurs d’expérience?  Le bouillonnement des conteurs émergents?  Les membres en règle du RCQ?  Les organisateurs de festivals ou de soirées régulières?  Comment savoir où je me situe par rapport à quelque chose d’aussi mouvant?  Pour savoir si on est dans la marge, faudrait encore trouver le centre.  Tenez, ça fait penser à l’histoire de l’enfant qui lance ses flèches puis dessine les cibles autour et ainsi semble viser juste à tout coup…

En tous les cas, ça a donné le paragraphe suivant, farcis de plusieurs lieux communs.  Je vous invite évidemment à commenter, critiquer, préciser, corriger, etc.  D’ailleurs, auriez-vous fait mieux?  Qu’auriez-vous répondu à cette épineuse question?   Partagez, on en sera tous plus savants.

« Je dirais qu’il existe un dynamisme certain dans le milieu (multiplication des festivals, des soirées de contes, des cercles de conteurs), mais qu’il est miné par une extrême fragilité. Comme c’est le cas pour d’autres formes d’art, le public ne connait que certains aspects du conte et continue souvent de croire qu’il s’agit d’histoires qui ne servent qu’à faire rire les bûcherons ou à distraire les enfants.  Pourtant, comme chaque conteur ou conteuse porte sa parole de manière souvent très personnelle, il en résulte un foisonnement de styles (contes urbains, contes de création, contes militants, contes philosophiques, etc.).  À la limite, chacun est certain d’y trouver son compte (conte?). La tragédie est de voir que des conteurs qui bourlinguent depuis vingt-trente ans (Jocelyn Bérubé, Alain Lamontagne, Michel Faubert) ne sont que très peu reconnus pour leur apport artistique pourtant considérable.  Il me semble que les médias ont un rôle important à jouer dans la présentation d’un portrait plus juste de cet art complètement en phase avec notre époque où l’on s’interroge sur la mémoire, la transmission des connaissances, les relations interculturelles, intergénérationnelles, etc. »

8 réflexions sur « Donner son opinion sur le milieu à partir de la périphérie »

  1. coucou,
    change ta couleur pour les textes de citations, je me casse les yeux sur ton gris clair !!! 😉

    à part ça, assez d’accord avec toi, et du reste, on a des problèmes similaires en France: des milliers de micros-festivals et évènements qui ne touchent que des populations très locales, ou bien de très très grosses « machines » où ne viennent que des professionnels et des gens déjà convertis. Très peu de répercussion dans la grande presse, pas vraiment de justesse de ton quand il y en a… Et quoiqu’il y ait légion d’artistes travaillant pour des publics adultes, toujours cette image « le conte c’est pour les enfants »…

    Pas de problème de confusion avec le monde de l’humour en revanche, mais impossible d’être pris au sérieux si on ne tourne pas en salle, avec lumières et consorts… Gros héritage théâtral oblige (chacun sa croix). C’est parfois désespérant, surtout quand on aime les deux.
    Et puis, fragilisation aussi par les querelles de chapelles sur les modes de transmission, d’apprentissage. Et par le fossé régulièrement entretenu « pros-amateurs ». Dont, personnellement, je me soucie comme de colin-tampon…

    Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il y a du pain sur la planche !
    (et en plus ça rime)

    xxxAlice

    1. Allo Alice,

      Pas beaucoup de contrôle sur la couleur des caractères. Il me faudrait aller jouer dans la CSS et c’est au-dessus de mes capacités.

      Faudra que tu m’étymologises « colin-tampon ». C’est joli, mais je ne connais pas…

      Merci pour la perspective hexagonale, périphérique au Québec, mais centrale en francophonie…

      Jean-Sébastien

    2. Salut JS!

      Je viens de tomber sur ton texte en googlant le RCQ. Je me permets de mettre par écrit quelques idées qui me taraudent.

      C’est temps-ci, je rage un peu sur la question « comment se porte le milieu du conte ». La rage non pas envers les individus qui forment ce milieu, mais plutôt… comment dire… En simple: de cette phrase qui est colportée par tous et qu’on ne remet jamais en question « Après tout le conte c’est tellement individuel ».

      Mon problème avec cette idée reçue ? C’est qu’on se retrouve avec une communauté de pratique qui ne réfléchit pas ensemble. On a une communauté, il est même facile d’y connaître tout le monde. Mais chacun fait ses petites affaires. Les démarches artistiques en plus de ne pas être partagées sont toujours de l’ordre d’une pensée individuelle. Parce qu’il le faut! Le plus vite on aura notre show solo, le plus vite on sera heureux. Mais jamais de temps pour triturer le conte ensemble.

      Et je ne parle pas ici de suivre une formation ou un cercle où l’on va se dire « retravaille ta gestuelle », « trouve ton niveau de langage », « rend tes images plus claires » etc. Ni des tables rondes où on nage dans la définition du conte comme dans une profonde question philosophique… non.

      Je parle de gangs, de groupes qui travailleraient le conte d’une certaine façon, qui pousseraient cette façon jusqu’à ses limites. Des écoles de pensée qui déconstruiraient le conte, qui présenteraient le conte sous une couture poussée à l’extrême. Bref, des communautés de pratique qui amèneraient le conte dans la sphère des disciplines artistiques qui ne se contentent pas de divertir, mais questionne leur propre discipline à travers la création.

      Parce que nous faisons de la création. Sus aux visions muséales du conte où le conteur est réduit à un colporteur de patrimoine et l’auditeur à un spectateur passif et aliéné dans un récit dont il est captivé. On m’apprend toujours en formation des techniques pour accrocher le public, pour l’amener dans le no man’s land du récit où le conteur disparaît et le public aussi. Un lieu qui est seulement meublé par l’histoire. Bref, on m’apprend à captiver le public. Mais dans captiver, il y a captif. Captif de la fiction. Sus au no man’s land et parlons donc du nous. Du nous qui sommes des corps devant un récit (écouteur et conteur). Du nous qui sommes ses gens avides de se perdre dans la fiction, mais qui savons très bien que notre quotidien n’est pas moins fiction. Sus à l’illusion du récit qui nous fait oublier tout le reste. Le reste… notre monde, notre société, notre état d’être vivant fait de chair.

      Le conteur dit. Dit des récits. Le conte est le seul art qui a comme matériel le récit. Tous les autres arts s’en sont débarrassés à un moment ou à un autre pour pouvoir ne parler que d’eux (pensons au carré blanc sur fond blanc, au cinéma abstrait, au nouveau roman français). Ils s’en sont débarrassés, car ils ont compris tout le drame qui se joue dans le récit. Le récit rend le monde conséquent. Mais le monde n’est pas conséquent!
      Jean-Marc Massie dans son Petit guide du conteur contemporain parle du conte comme l’ennemi de l’aliénation. Je ne sais pas. Je ne crois pas aux histoires de Ti-Jean… comme tout le monde. Mais je crois encore moins que les histoires de Ti-Jean m’en apprennent sur le monde. Il me sort du monde. C’est ok, mais quand, dans ma discipline, il n’y a que ça comme proposition, j’ai peur. Peur que le conte devienne un moyen d’évasion qui ne confronte rien ni personne et, encore moins, lui-même.

      C’est la première fois que je mets tout ça à l’écrit, vous excuserez le bordel des idées!

      Bien ouvert de savoir ce que d’autres peuvent en penser!

      nico

      1. J’ai une pile à traverser Nico mais, crois-moi, je vais prendre le temps de te répondre… Et publiquement!

        D’abord parce que cette discussion est importante et intéressante, mais aussi parce que je suis tout à fait d’accord avec certains de tes points… Puis surtout parce que certaines autres affirmations me font grimper dans les rideaux. Ce qui est excellent pour un débat!

        Sur la solidarité dans le milieu des conteurs, voir aussi le commentaire de FX Liagre à mon billet intitulé « Fred et moi ».

  2. « Comment se porte le conte au Québec? »

    – Le conte se porte à bout de bras.

    « Qu’est-ce qui explique cet état de fait? »

    – La télé, la chanson, le théâtre et l’humour s’accaparent le marché grand public, mais le conte aime mieux l’intimité.

    – La machine médiatique ne sait que faire du conte; ça ne passe pas à la radio (trop long), ça passe mal à la télévision (ça ne bouge pas beaucoup), les conteurs ne sont pas des vedettes (ben, y’en a un)…

    – Le conte se porte à bout de voix! Il cherche sa place entre la cuisine et les salles de spectacles, les conteurs se cherchent entre « passeur de tradtions » et « showbusiness », entre « faire vivre le conte » et « vivre du conte ».

    – Le conte se porte bien: Des gens ferment la télé et vont entendre du conte. Dans un café, une petite salle de spectacle, à l’école ou au parc, le conteur rejoint son public sans micro et sans filet.

    Voilà ma réflexion… sans avoir trop réfléchi avant.

    Jeudi, dix personnes se conteront des histoires dans mon sous-sol. Serons-nous du milieu, dans la marge ou dans le champ? Une semaine plus tard, nous conterons gratuitement dans un café. Et je rêve d’organiser une soirée de conte régulière, un petit festival, avec conteur invité, affiche et programme. Je crois que le conte va bien, c’est le milieu du conte qui se cherche…

    Bon, ok, j’arrête le café!

    1. Wow! Ça te va bien le café.

      Quel texte punch! Avec de très jolies phrases qui parlent beaucoup.

      Marc-André organisateur… Je ne l’avais pas vu venir, celle-là!

      Merci pour la conviction,

      Jean-Sébastien

  3. Salut,
    bin en fait, tu as bien fait de me demander d’où venait cette expression, « s’en moquer (ou soucier) comme de colin-tampon », ça m’a forcée à chercher un peu… Vu que j’en ignorais également l’origine ! Je l’utilise pourtant couramment, je trouve que ça sonne rigolo…
    Alors voilà ce que j’ai trouvé, je cite…

    > EXPRESSION:
    « S’en moquer comme de colin-tampon »

    SIGNIFICATION:
    S’en moquer complètement.

    ORIGINE:
    On connaissait déjà colin-maillard et nous voici maintenant face à colin-tampon.
    Aucun des deux n’étant une race de colin (poisson), il va nous falloir trouver ce qu’est ce ‘tampon’.

    Mais commençons par ‘colin’. Ce mot est un ancien diminutif du prénom Nicolas, qui est d’ailleurs toujours en usage dans les pays anglo-saxons. Tout comme aujourd’hui, on utilise certains prénoms pour désigner certaines personnes (« c’est mon Jules », « faire le Jacques », « c’est une Lolita »…), au XVIe siècle, un Colin désignait un personnage un peu nigaud.
    Mais en quoi un nigaud peut-il être responsable de la naissance de notre expression ?

    Revenons d’abord à nos ‘tampons’ ! Ce mot est ici un déverbal de ‘tamponner’ (aussi peu étrange que cela puisse paraître) au sens de cogner ou taper.
    Et qui est-ce qui tape à tout va, sinon un joueur de tambour ?
    Eh bien par un hasard aussi bizarre qu’étrange, le nom de Colin-Tampon a été donné à une batterie de tambours suisses après la bataille de Marignan (qui, je vous le rappelle, a eu lieu en 1515, sous le règne de François 1er).
    Bien que le pourquoi de cette appellation ne soit plus certain, on suppose qu’elle vient de ce que, outre le fait que les tambours ‘tamponnent’ sans s’arrêter au début d’une bataille, il fallait être un peu nigaud pour faire partie d’une batterie de tambours dont les individus n’étaient que de la chair à canon, cibles privilégiées au début des combats.
    C’étaient d’ailleurs souvent des jeunes hommes, pas forcément futés ni très forts (aucune des deux qualités n’était nécessaire pour taper sur un tambour) qui jouaient ce rôle.
    Donc des colins qui tamponnent, ça donne bien des colin-tampons.

    Mais pourquoi s’en moquait-on tant que ça ?
    Là encore il n’y a aucune certitude. Littré (un gars qu’en avait dans le crâne, ndl transmetteuse) suppose que cette totale indifférence vis-à-vis des colin-tampons vient de ce que, dans la bataille, l’ennemi se moque complètement des roulements de tambour adverses. <

    Et voilà pour les z'origines du colin-tampolinage… je me coucherai moins niaseuse ce soir !
    merci Jean-Sébastien !
    xxAlice

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