Se laisser travailler par le conte (stage avec Marc Aubaret)

J’ai laissé plus d’une semaine passer pour tenter de donner sens à la vingtaine de pages de notes prises pendant la formation sur l’Histoire de la littérature orale offerte par Marc Aubaret, directeur du Centre méditerranéen de littérature orale, les 23 et 24 octobre derniers. Alors que mes notes ne rendraient pas justice à la somme d’information reçue, je m’essaie à tisser un fil conducteur auquel accrocher mes apprentissages.

Pour moi, cette formation aurait été celle où j’aurai acquis en concentré toutes sortes de pistes pour entrer dans de nouveaux contes (et approfondir ceux que je conte déjà).  En effet pour Aubaret, « le conteur n’explique pas, mais doit comprendre… »

  • Pistes « fonctionnelles » (par genres) : Parce que démêler ce qui tient du mythe (œuvres permettant de gérer la transcendance), de l’épopée (gestion des valeurs et du politique), de la légende (gestion du temps et de l’espace) et des contes (fonction initiatique pour les contes merveilleux et variable selon les genres) offre déjà des orientations importantes pour le contage.  J’ai ainsi appris que certains de mes récits tenaient probablement davantage du mythe que du conte…
  • Pistes historiques et anthropologiques : Cela permet d’être éveillé à ce que l’on a voulu faire dire aux contes selon les époques (ex : la montée des nationalismes au XIXe siècle qui récupèrent les contes comme « littératures nationales »).  D’ailleurs, en bon ethnologue, Aubaret nous rappelait régulièrement l’importance de connaître le contexte culturel dans lequel le conte est raconté.  Cela permet notamment de ne pas « dire le passé » ou de tomber dans le folklorisme.
  • Pistes typologiques : …Liées à la classification internationale Aarne-Thompson dont j’ai enfin mieux compris le fonctionnement et surtout l’utilité pour les conteurs : Faire gagner du temps lors de la recherche de multiples versions d’une même histoire.  Ainsi, j’ai découvert que plusieurs de mes Contes d’au-delàs et de Là-haut sont des 470 (Amis dans la vie et la mort), 470B (Le pays où l’on ne meurt pas) et 471 (Le voyage dans l’autre monde).  L’idée n’est pas de connaître ces numéros pas cœur ni de s’enfarger dans les chiffres, mais c’est vrai que devant ces catalogues on comprend mieux l’importance de toujours avoir consulté plusieurs variantes de nos contes avant de composer la sienne (dixit ma fée-marraine).
  • Pistes pour une lecture symbolique (notamment des contes merveilleux): Pour entrer dans un conte, Aubaret nous suggère de partir de versions collectées plutôt que de versions d’auteur (la « matière populaire brute »), nous recommande d’en faire une lecture attentive mot à mot, puis il nous invite à faire la cartographie des lieux, à en évaluer la temporalité (le passage du temps dans le conte, de quelques heures à quelques années), puis de bâtir des listes de personnages, d’animaux, de chiffres, de couleurs, d’objets, d’absents (Qui n’est pas là dans l’histoire? Un père? Une mère? C’est souvent très révélateur), etc.  L’idée étant que les symboles d’un conte s’influencent les uns les autres et ne peuvent être pris individuellement.

C’est que pour Aubaret, les symboles des contes sont autant de
« résonnateurs » qui « mettent en travail » si l’on est prêt et parfois à notre insu.  Ainsi, il a évoqué les motifs, ces super-symboles qui rendent mal à l’aise et qui frappent l’imagination (ex : la charité romaine, une femme qui, ayant accouchée, va nourrir au sein son père en prison pour lui éviter la mort).

Il ne s’agit pas ici de chercher à donner un sens définitif au conte, mais plutôt d’« ouvrir le plus grand nombre de questions possibles », de prendre conscience de la multiplicité des sens qui se cachent dans l’œuvre et qui peuvent toucher le public de différentes façons. « Ne pas se laisser berner par l’anecdote, mais chercher ce qui est sous-jacent. » Il nous rappelle avec justesse que ce travail est aussi utile pour la création de nouveaux contes que pour l’approfondissement de contes traditionnels.  Pour Catherine Zarcate, avec qui Aubaret collabore, conter c’est « faire écrin aux symboles ».

J’avais déjà abordé une partie de ces notions (sans nécessairement les avoir approfondies), mais j’ai pu revérifier pendant cette fin de semaine l’importance de se les faire dire et redire par différentes personnes qui emploieront des mots différents pour parler des mêmes concepts fondamentaux, chacune avec sa vision propre de ces derniers.

Par exemple, tout le discours de Marc Aubaret est, me semble-t-il, coloré par sa conviction de l’importance du rapport personnel des individus (conteurs ou auditeurs) face aux contes. Ces derniers seraient pour chacun des « miroirs de sa propre évolution ».  Par exemple, la maîtrise d’un nouveau conte se déroulerait en trois étapes : D’abord un temps d’acquisition, puis une période d’intégration et enfin, au moment propice, ce qu’il appelle le « jaillissement » où le conteur « témoigne de ce qui l’a traversé ».

Si les pistes de lectures discutées plus haut seront utiles lors de l’acquisition, c’est le « temps passé avec l’histoire », le temps de rêver son conte, de travailler sur les images , qui en permet l’intégration ou d’« en acquérir l’épaisseur ». En effet, pour Aubaret le conte est « art des images » plus que des mots. C’est ensuite que viennent les mots pour décrire les images dont s’est nourri le conteur : Le moins de mots possible, des mots qui évoquent directement les images, les mots du « sensitif » comme dirait Michel Hindenoch (avec qui Aubaret collabore aussi).

Outre ces outils d’analyse, je repars sur mon chemin de conte avec plusieurs idées qui alimenteront ma pratique : Celle de tenir un « carnet de trames » des contes que je lis, juste pour développer le sens de la structure et comparer des versions, celle de passer du temps dans un café, juste à regarder les gens et à noter mes impressions.  L’idée aussi d’avoir toujours un conte « en chantier », juste pour s’en nourrir et le laisser « nous travailler », quitte à ne jamais le conter.

Cette formation m’a aussi rappelé qu’avant de poursuivre mes études en communications à l’Université de Sherbrooke et à Concordia, je voulais devenir… ethnologue.

2 réflexions sur « Se laisser travailler par le conte (stage avec Marc Aubaret) »

  1. Allô !
    Très intéressant comme d’habitude…

    Quoique pour l’instant totalement incapable (et en serais-je jamais capable, je me le demande) de classifier ou démêler mes contes selon les pistes que tu indiques dans ton billet (et elles sont, en effet, riches de réflexion), je suis assez d’accord avec Mr Aubaret sur le conte en tant qu' »Art des images ».
    On constate assez souvent, en tant que conteur, à quel point le fait d’avoir en soi (à l’intérieur, je veux dire) des images nettes, précises et fournies de l’histoire que l’on est en train de raconter, aide: 1) le conteur à raconter facilement (il « n’a plus qu’à » décrire ce qu’il « voit » à l’intérieur de sa tête, en quelque sorte), et 2) les spectateurs à se projeter dans l’histoire qu’ils reçoivent et à créer leurs propres images. Peu importe, d’ailleurs, si ce sont ou non les mêmes que celles du conteur. Aucune importance…
    Et en revanche, on s’aperçoit tout de suite qu’une histoire ou une description -si précise soit-elle- mais à laquelle on ne croit pas, parce qu’on ne la « voit » pas, que l’on ne « baigne » pas dedans, ne pourra jamais vraiment happer le spectateur. On en revient à la question du spectateur-miroir: s’il n’a rien à refléter… C’est fichu.

    D’accord aussi avec la théorie des trois étapes (particulièrement sur le fait de prendre le temps de rêver son histoire, pour bien la voir sous toutes ses coutures); c’est vrai qu’en général, une histoire ne ressort bien et de façon juste et pleine, qu’après un certain temps de maturation, qui varie suivant les histoires, les personnes, etc… Mais qu’il ne faut pas chercher à évincer, sinon -j’en ai fait l’expérience plus d’une fois- le résultat est un peu « vert », à l’instar d’une pomme acide (ou pas assez cuit, à l’instar d’un gâteau collant 😉 )… Et il y a parfois de quoi faire la grimace !
    L’image du jaillissement (et du « traversement ») est plaisante. Comme si les conteurs étaient des fontaines . La nappe d’eau se tarit ou revient au gré du temps, et la fontaine coule ou ne coule plus… Le conte est bien décidément un art de la patience, atemporel à souhait.

    bye !

    Alice

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