Une soirée d’émotions

Encore une soirée bouleversante comme l’univers du conte m’en a quelques fois fait vivre ces dernières années. Écrire pour partager un peu de ce trop plein.

Je me suis rendu hier soir à la Maison des arts de la parole pour assister au spectacle Lettres de Palestine de Jihad Darwiche. La description du spectacle va comme suit…

Troisième volet d’un triptyque qui a commencé avec « Récits de vie en temps de guerre au Liban» et s’est poursuivi avec « Les femmes de la Place Tahrir, en Egypte ».

Ces lettres racontent le quotidien des petites gens, leur courage, leur attachement à la terre et à la vie, leurs gestes héroïques et dérisoires pour rester debout et garder vivante la flamme de l’espoir dans les pires situations.

Mais je trouve aussi intéressante la description offerte par le Théâtre de la parole(notamment avec les amies Christine Andrien et Magali Mineur), ,à Bruxelles, où Jihad a créé le spectacle le 1er juillet dernier.

A partir d’archives et de témoignages, les récits et poèmes déroulent la vie d’un peuple attaché à sa terre.

Pour les femmes et les hommes qui font face depuis un siècle à une tentative d’effacement, comment rester debout et dignes? Comment redonner le sourire aux enfants et cultiver l’espoir et la tolérance malgré tout ?

Par instinct de préservation, peut-être par lâcheté, je me tiens loin des actualités relatives à la guerre à Gaza. La honte devant l’inaction de nos gouvernements occidentaux, l’impuissance à l’écoute ou à la lecture des reportages… Bref, c’est un sujet qui m’angoisse. Mais j’étais prêt à me faire raconter les histoires de ces gens qui souffrent, avec la délicatesse de Jihad qui sait trouver de la lumière dans la noirceur. Je me savais entre bonnes mains, alors que je lui fais implicitement confiance.

J’arrive à la billetterie et j’y croise des conteuses de l’Estrie que j’aime beaucoup en grande conversation. Je suis ici chez moi. On me tend un dépliant. Ce sont les traductions en français des poèmes poignants qui seront récités en arabe pendant le spectacle. Puis, Jihad qui passe et m’embrasse comme un ami longtemps perdu de vue, qui me dit combien ça lui fait plaisir de me voir.

Le seuil passé, tous ces visages connus, tous ces amis auxquels se greffent peu à peu, depuis quelques années, des enfants d’amis devenus grands eux-aussi.

Le spectacle commence et on sent Jihad fébrile. C’est la seconde fois qu’il le donne à vie. Visiblement, c’est un thème qui le touche beaucoup. Il débute d’ailleurs en nous expliquant que sa relation avec la Palestine date de sa première enfance. En effet, Massouda, qu’il appelle sa « deuxième mère », était une réfugiée palestinienne. Elle était aussi une excellente conteuse.

Puis s’ensuivent des histoires si humaines, mais si douloureuses d’un peuple qui a tout perdu… Un peuple qui cherche et trouve de l’espoir dans les moindres crevasses d’une guerre, d’un génocide. Comme des fleurs qui poussent dans les cicatrices du macadam.

J’en retiens…

  • L’horreur des enfants tués – c’est inévitable – mais aussi de l’espoir que leurs rires offrent aux adultes, en quête de sens devant le spectacle quotidien de la mort.
  • La perte d’intimité dans les camps, l’avilissement des corps, notamment féminins, que la faim et le manque d’hygiène transforment.
  • Des artistes (vidéaste, photographe, peintre, marionnettiste, clown) et intellectuels qui transmettent coûte que coûte, pour que le pays survive à cet effacement planifié. Parce que « ce que tu as dans la tête, personne ne pourra te l’enlever ».

À la fin de la soirée, je reçois deux cadeaux extraordinaires (que je me suis offert), mais surtout que des artistes que j’admire ont concocté.

  • D’abord, le livre La parole en mouvement d’Alberto Garcia Sànchez (2025), avec une dédicace personnalisée. J’ai suivi deux formations avec Alberto à travers les années. Très hâte de le lire et de vous en reparler.
  • Mais aussi le magnifique livre-hommage à Didier Kowarsky (Noir-Clair, 2025), un maître parti trop tôt à soixante-six ans. Quelques 500 pages de contes, de notes, de réflexions, de témoignages et de photos, réunies par la force de l’exceptionnelle Myriam Pellicane et de son équipe. J’ai aussi suivi quelques formations avec Didier. Comme pour plusieurs, il m’avait beaucoup dérouté, m’obligeant à chercher encore davantage. C’est un cadeau artistique précieux.

Puis, juste avant de partir, une de mes « cousines en conte » qui m’apprend qu’elle ne partage plus la vie du père de ses enfants. Petit choc tout de même.

Alors à la fin, malgré l’envie très forte de rester passer plus de temps avec ma famille conteuse, ma famille de mots, le besoin et le choix du silence et du recueillement. Je rentre dans mon autre maison où je ne dormirai que beaucoup plus tard.

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